Affichage des articles dont le libellé est Steven Coffi Adjaï. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Steven Coffi Adjaï. Afficher tous les articles

lundi 8 septembre 2025

Mélinda Fourn-Houngbo et Charly d'Almeida, une nouvelle démarche artistique

Dans le cadre de l’exposition, ’’Et même les restes’’

L’Espace Culturel Le Centre a accueilli le vernissage de l’exposition, ’’Et même les restes’’. Mélinda Fourn-Houngbo et Charly d'Almeida en sont les deux artistes exposants.L'événement s’est tenu le vendredi 29 août 2025 au quartier de Lobozounkpa. Il se situe à Godomey, dans la commune d’Abomey-Calavi, au Bénin. Les œuvres exposées révèlent une démarche artistique originale et résolument expérimentale.


De gauche à droite, Mélinda Fourn-Houngbo, Berthold Hinkati et Charly d'Almeida, au vernissage de l'exposition, ''Et même les restes''


Des arêtes de poisson et des spatules comme matériaux principaux de création. La marque d’une nouvelle approche artistique dans laquelle s’inscrivent les artistes contemporains béninois, Charly d'Almeida et Mélinda Fourn-Houngbo, qu’ils ont présentée au début de la soirée du vendredi 29 août 2025, lors du vernissage de l’exposition collective, ’’Et même les restes’’, qui s’est déroulé à l’Espace Culturel Le Centre, sis quartier de Lobozounkpa, dans l’arrondissement de Godomey, de la commune d’Abomey-Calavi, au Bénin.

L’événement est l’aboutissement d’une résidence de recherche. Elle a duré trois semaines. L’un des résidents est Charly d'Almeida. Il est reconnu pour ses sculptures singulières en métal battu. Pour la résidence concernée, il a choisi de travailler avec des arêtes de poisson. « C'est la suite d’un travail que j'avais déjà amorcé auparavant », intervenait-il. « Je l’ai approfondie durant ces trois semaines de résidence au Centre », a-t-il continué. « Elle consiste à récupérer des arêtes de poisson pour incarner la résilience », précisait-il. Selon Steven Coffi Adjaï, curateur, les toiles exposées traduisent parfaitement cette recherche. Certaines œuvres, comme « Les restes », une série de trois tableaux, en témoignent. Le visiteur y découvre la tête du poisson et son squelette. Le corps absent symbolise l’animal disparu et la vanité de l’existence. « Le poisson, même pollué, cherche sa nourriture, c’est la résilience », commente-t-il. Charly d'Almeida présente surtout des toiles peintes à l’huile, travaillées au couteau. Les couleurs dominantes sont le rouge, le vert, le bleu et le noir. La technique utilisée permet de donner un relief fossile aux compositions exposées. Ces œuvres traduisent la persistance du vivant dans les traces et la matière. Elles prolongent un travail plus ancien désormais revisité avec une intensité nouvelle.



Entre mémoire et héritage


Mélinda Fourn-Houngbo était la co-résidente de Charly d’Almeida. Elle a choisi les spatules comme matériau central d’expression. Elle s’inspire de techniques artisanales ouest-africaines. Il s’agit du tissage et de la céramique. Ses sources en sont des souvenirs d’enfance et la découverte d’un musée. Sa visite de l’Espace Culturel Le Centre a également orienté sa démarche. « Le choix vient de ma première visite au Musée de la Récade », confie-t-elle. L’un des espaces d’exposition fait apercevoir neuf spatules en bois. Elles sont recouvertes de cendre ou brûlées puis associées à du métal. « Sur ces neuf spatules, j’ai entrelacé, collé et cloué du métal ». La série s’en intitule ’’Et même des restes il peut en sortir’’. La technique, proche du tissage, accentue la matérialité brute de ces objets. À côté, l’artiste propose aussi des écrits sur parchemin en plusieurs langues. On y lit des textes en fon, en français et en espagnol. L’œuvre, ’’Un jour je foulerai ta terre’’, illustre cette exploration intime. Elle est placée près de l’installation, ’’Réveille ma mémoire’’. Elle rend hommage à la famille. À travers ce poème adressé à sa grand-mère, l’artiste célèbre sa filiation.



Réception enthousiaste du public


Berthold Hinkati, Directeur de L'Espace Culturel Le Centre, s’est prononcé sur la réaction des visiteurs. « L’intérêt du public s’est porté fortement sur l’approche originale des deux résidents », a-t-il affirmé. Pour lui, Charly d’Almeida redonne vie aux arêtes, Mélinda Fourn-Houngbo, aux spatules ancestrales. Chacun réinvente ainsi des matières oubliées et les transforme en un outil de langage plastique.


Aperçu du public ayant fait le déplacement du vernissage

Leurs œuvres conjuguent mémoire, identité et renouvellement des formes artistiques locales. Présente, Lassissi Yassine, directrice des Arts visuels à l’Agence de Développement des arts et de la culture (Adac), a salué la rencontre des deux univers créatifs. Elle en a manifesté son grand enthousiasme. « C’est une joie de voir Charly, artiste confirmé, et, Mélinda, artiste émergente », partageait-elle. Elle a souligné leur regard croisé sur la mémoire, le patrimoine et la transmission. « Deux générations dialoguent, chacune offrant un prisme singulier mais complémentaire ». Elle s’est aussi réjouie de la participation active des jeunes à des ateliers.



Transmission et ateliers avec les jeunes


Durant la résidence, deux ateliers ont été animés pour initier des enfants. Charly d'Almeida a conduit le premier, produisant un tableau « Sans titre ». « Certains enfants hésitaient, mais ont trouvé un déclic créatif surprenant », raconte-t-il. « Leurs gestes rappelaient parfois ceux d’adultes confirmés dans la pratique ». L’artiste est persuadé que certains deviendront créateurs dans les prochaines décennies. Mélinda Fourn-Houngbo a guidé la production de deux œuvres collectives avec eux. La première, ’’Au milieu des rangées de perles’’, est un rideau enfilé. Elle associe bambou et noix de palme, révélant textures et odeurs naturelles. La seconde, ’’Réveille la mémoire’’, est une installation à partir de déchets. Des sachets d’eau, des tissus et des bassines brisées ont été recyclés en une œuvre participative. Trois tabourets entourent l’installation, évoquant l’espace intime de la cuisine. Sur le côté gauche, un petit fourneau diffuse l’odeur de la citronnelle. L’artiste insiste sur l’importance du caractère mouvant et sensoriel des œuvres. « Une œuvre vit et se transforme, comme le bambou qui se durcit », explique-t-elle. Pour elle, récupérer et transformer l’environnement sont un geste artistique fondateur. Selon Lassissi Yassine, cette démarche prolonge une logique de transmission essentielle. Elle rappelle l’exposition, ’’Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui’’, organisée en 2021. Une section y était dédiée à la jeune création et aux ateliers pratiques. « Ces expériences permettent d’ancrer la pratique artistique dans la jeunesse ». La résidence des deux artistes s’inscrivait donc dans cette continuité féconde.

Les trois œuvres produites avec les jeunes sont à découvrir à l’Espace Culturel Le Centre. De même, l’exposition, ’’Et même les restes’’, est ouverte jusqu’au 31 octobre 2025.

Léandre Houan




Encadré

Acteurs artistiques et visiteurs parlent de l'exposition, ’’Et même les restes’’

À la fin du vernissage de l'exposition, ’’Et même les restes’’, ''Stars du Bénin'' s'est rapproché de trois visiteurs. L'objectif était d'obtenir leur opinion sur l'événement.


Yassine Lassissi, Directrice des Arts visuels à l'Agence de Développement des arts et de la culture (Adac) du Bénin :

« C'est une joie de découvrir les deux artistes, un majeur qui est Charly, un artiste ancré au Bénin, et, l'autre, émergente, qui est Mélinda Fourn-Houngbo, une jeune femme franco-béninoise. Charly a pris le parti de présenter des peintures. Mélinda nous propose des sculptures réalisées à partir de spatules. Je pense qu'il y a une diversité, vous l'aurez compris, dans la création, les propositions artistiques que nous offrent ces artistes. Ces deux artistes ont un regard croisé et c'est cela que je trouve très intéressant.


Yassine Lassissi, au milieu de Berthold Hinkati et de Mélinda Fourn-Houngbo

Charly, je connais ses toiles depuis quelques années. Cela faisait un moment que je ne l'avais plus revu peintre, même s'il continuait de réaliser des peitures. C'est plutôt ses sculptures qui ont pris le pas, ces dernières années. Et, le voir, ici, revenir à la peinture, c'est assez intéressant. En plus, je trouve la thématique très pertinente puisque le titre de l'exposition est ’’Et même les restes’’.

Ici, l'artiste prend le parti de travailler les arêtes de poisson et, comme je lui demandais ce que cela évoquait pour lui, il a parlé de résilience. Quand j'ai vu ses toiles, tout de suite, ce qui m'est venu à l'esprit, c'est cette question du temps qui passe, de la vanité, du côté éphémère de la vie, de ce rappel que nous partirons tous un jour et que ce qui resterait, effectivement, c’est tout cela. C'est un sujet profond. Il mérite tout une dissertation philosophique autour de la vanité : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Par rapport à cette technique utilisée par l'artiste, on sent beaucoup de dynamisme dans sa peinture au couteau. Je suis particulièrement sensible au bleu parce que cette couleur me parle beaucoup. Donc, oui, je trouve cette nouvelle proposition de Charly très intéressante. Concernant Mélinda Fourn-Houngbo, je découvre son travail. Je ne la connaissais pas. Je suis ravie d'avoir remarqué son univers. Elle a pris le parti de travailler sur les spatules. C'est un objet qu'elle retrouve chez elle, à la maison ; sa mère l'utilisait. Elle se l'est approprié pour réaliser des sculptures. Ce qui m'a le plus marqué, c'est le rôle de la spatule : elle sert à cuisiner la pâte, donc, à nourrir. L'autre travail intéressant de l'artiste, c'est la peinture sur des parchemins. Ce choix rappelle une dimension ancienne de l'écriture. Nous avons quelque chose que j'espère qu'elle développera.

En voyant ces écritures de Mélinda Fourn-Houngbo, cela m'a posé la question de la mémoire. Ses parents sont béninois. Elle revient au Bénin. Il est intéressant qu'elle creuse cette question du retour. Le retour des siens mais aussi celui des Afro-descendants liés à notre histoire. Cela est d'actualité, surtout que le Bénin œuvre pour leur retour chez eux. Je lui ai demandé d'aller visiter Ouidah si elle ne l’a pas encore fait, de rencontrer également Ludovic Fadaïro qui en a fait un travail remarquable. Cet artiste majeur lui apportera beaucoup à ce propos.

Les deux artistes exposants ont aussi tenu un atelier avec des jeunes.

Cette initiative, comme vous le savez, est très importante dans la question de la transmission. Qu'il vous souvienne, lorsqu'on a organisé l'exposition, “Art du Bénin d'hier et d'aujourd'hui”, à la présidence de la République du Bénin, on avait une section dédiée à la jeune création, aux jeunes artistes, pour la transmission. On faisait des ateliers de pratique artistique initiés par des artistes qui se sont portés volontaires pour accompagner cette jeunesse dans la création et pour les initier à l'art.

Donc, cela est fondamental et salutaire à l'endroit de ces deux artistes qui ont partagé leur temps avec ces jeunes. Puisque ces jeunes deviendront les grands de demain, il faut les initier très tôt à la création artistique. Je suis très sensible à cela. Par ailleurs, on a également cette transmission qu'on va retrouver entre un artiste majeur et une artiste plus jeune qui est Mélinda.

C'est le lieu pour moi de remercier l'Espace Culturel Le Centre pour ce qu'il fait depuis plusieurs années : accompagner les artistes, les révéler et transmettre également. En effet, il implique la jeunesse dans les résidences artistiques des aînés à travers des ateliers pour la sensibiliser à la création artistique. Donc, vraiment, je salue ce travail formidable que fait Le Centre. Nous sommes partenaires également. Il reçoit des artistes en résidence que l'Adac pourrait proposer. Il nous a accompagnés dans le cadre du Mur du Port où nous avons mis des artistes en résidence chez lui où la directrice artistique les a accompagnés vraiment sur la technique du muralisme. C'est un partenaire important dont il faut saluer le travail, un travail qui s'inscrit pleinement dans la politique du gouvernement béninois qui, depuis 2016, a décidé de faire des arts, de la culture et du tourisme un levier de développement économique du Bénin ».



Steven Coffi Adjaï, Curateur de la ’’Gallery Charly’’ :

« Le poisson est revenu dans les œuvres de Charly d’Almeida dès 1992-1993. Cet animal, il l’a toujours associé à deux symboliques : la quête et l’abondance. Pendant au moins vingt ans, le poisson a continué d’habiter essentiellement ses peintures. Mais, dans le cadre de la recherche qu’il a menée à l’Espace Culturel Le Centre, le poisson a été utilisé comme prétexte pour aborder la notion de vanité. Il s’interroge : ’’quand l’animal poisson disparaîtra du monde, qu’est-ce qui restera ?’’.

En réalité, les poissons représentés dans les tableaux exposés, dans ’’Et même les restes’’, sont dépouillés, presqu’autopsiés. Charly d’Almeida en a extrait leur squelette. C’est également une métaphore de l’humanité : que restera-t-il de nous, humains, lorsque nous ne serons plus là ?

L’artiste associe aussi à cette démarche la notion de survivance et de résilience. Pour lui, le poisson, même dans un environnement pollué, parvient toujours à chercher sa nourriture. C’est un animal d’une grande résilience. Toutes ces réflexions ont nourri sa recherche intitulée, ’’Et même les restes’’. L’idée est que, même à partir de ce qui n’est que déchet ou rebut, la vie peut continuer. C’est une forme de renaissance, une invitation à brûler, à mourir puis à renaître à travers nos ossements.

Dans ses premières œuvres, les poissons étaient habillés : on voyait leur morphologie. Parfois, un squelette apparaissait en filigrane. Mais, les œuvres issues de cette résidence dévoilent clairement leur squelette. À un moment donné, Charly n’avait pas voulu « déshabiller » ses poissons, mais, ici, il a pris ce risque. Il parle d’un processus dont une des étapes s’est matérialisée dans ce projet mais ce n’est pas une fin en soi. Il va poursuivre cette recherche, peut-être en donnant une nouvelle apparence aux poissons, en rendant leurs ossements plus réalistes. C’est un processus entamé dans les années 1990 et qu’il continue d’approfondir. Ces œuvres en sont une conséquence tangible. »

Pour le lien entre Charly d’Almeida et Mélinda Fourn-Houngbo, à l’origine, nous avons discuté avec Charly du projet qu’il souhaitait développer à l'Espace Culturel Le Centre. Il apparaissait urgent pour lui d’approfondir sa quête autour du poisson. Nous avons alors mené une recherche sur les mythes et les légendes liés à cet animal dans certaines communautés béninoises, notamment, chez les Xwla et les Toffin. Quant à Mélinda, connaissant déjà son travail grâce aux recherches que j’ai effectuées sur son œuvre, j’ai souhaité que le poisson, utilisé par Charly comme prétexte, soit relié à une problématique mémorielle, d’où la thématique des restes. Et, quand on parle de restes, il s’agit de travailler avec ce qui a déjà existé pour continuer à écrire l’histoire. Dans ses sculptures, Charly assemble différentes temporalités. C’est ce processus qu’il poursuit dans cette recherche : mémoire, souvenirs, survivance, reste ».



Grâce Blessing Zannou, jeune participante à la résidence artistique des deux artistes, élève en 4ᵉ :

« J’étais heureuse parce que je ne savais pas comment préparer les couleurs primaires. M. Charly nous en a donné quelques-unes et nous a appris, par exemple, le blanc, le noir, le rouge, le jaune et le bleu.

Grâce Blessing Zannou

Nous avons également mélangé les couleurs. Par exemple, le rouge et le blanc donnent le rose. J’aime vraiment les couleurs et j’avais envie de savoir comment les préparer. Ils nous ont aidés à faire de jolis dessins. C’était vraiment bien. J’étais aussi contente parce que j’ai dessiné et je suis allée montrer mon travail à mes parents qui étaient heureux également ».



Durand Lafounlou, visiteur devant un tableau de Charly d’Almeida :

« Première chose : j’ai été totalement charmé par la beauté des tableaux. Ils reflètent véritablement le thème donné à cette exposition. L’artiste utilise un matériau original : l’arête de poisson. Sur ce tableau, devant lequel je me tiens, on distingue tout le squelette du poisson, avec la tête bien visible. On remarque également des flèches que l’artiste a dessinées et qui, selon ses explications, symbolisent le sens, l’orientation que chacun donne à sa vie. Les arêtes de poisson expriment aussi l’idée de résistance car, même après des années sous terre, elles subsistent.


Durand Lafounlou

Trois éléments m’ont profondément touché : la symbolique de l’arête comme métaphore de la persistance et de la résistance, le message de liberté et d’orientation personnelle suggéré par les flèches et l’esthétique du tableau. Un très bel agencement de couleurs s’en dégage : du noir, du rouge, du vert, du bordeaux, du blanc et quelques touches de bleu. Ce ne sont pas des teintes faciles à marier mais l’artiste réussit avec magie à les réunir pour offrir une image harmonieuse et agréable à contempler ».

Propos recueillis par Léandre Houan

jeudi 6 mars 2025

Quand Charly d’Almeida innova avec “Les souvenirs de ma bouche”

Dans le cadre d'une certaine exposition


“Les souvenirs de ma bouche” est une exposition qui a duré trois mois. Elle s’est tenue à la galerie, ’’Gallery Charly’’, à Cotonou. Une conférence de presse avait permis de découvrir l'événement. Elle a eu lieu le 8 février 2025 au site indiqué. Cet échange avec les journalistes a montré une réalité fondamentale. Il s’agit de la portée faciale d’originalité de la démarche de travail de Charly d’Almeida. Il est un artiste contemporain béninois.


''Paroles profondes'', de Charly d'Almeida, qui avait été présentée à l'exposition, ''Les souvenirs de ma bouche''


Des tôles battues à des formes concaves pour aboutir à des bouches entrouvertes. Le parcours d’une démarche artistique de récupération dont le fonctionnement a été abordé à la conférence de presse de présentation de l’exposition, ’’Les souvenirs de ma bouche’’, qui s’est déroulée le samedi 8 février 2025, à la ’’Gallery Charly’’, au quartier de Zongo, à Cotonou, et qui a été co-animée par l’artiste contemporain béninois, Charly d’Almeida, et le curateur de l’exposition, Steven Coffi Adjaï.


Les formes circulaires représentent à la fois des yeux et des bouches. L’artiste intègre également d’autres métaux à résonance, tels que des gongs, des spirales ou des roulements de moto et de voiture. « Cette forme a été pour lui une révolution. Au-delà des assemblages de matériaux qu’il utilisait dans ses sculptures, il a voulu créer une forme qui lui est propre », précise le curateur.


Charly d’Almeida se souvient que cette forme ronde était déjà présente dans ses premières peintures des années 1990. « Nous avions organisé un atelier à Allada, dans le village du Roi Kpodégbé, avec des artistes plasticiens comme Edwige Aplogan, Dominique Zinkpè et Sokey Edorh du Togo. Mes premières peintures, réalisées dans ce village, étaient esquissées avec beaucoup de ronds. Au départ, ces formes représentaient l’œuf, symbole de la vie. Puis, leur sens s’est métamorphosé lorsque j’ai commencé la sculpture métallique. C’est une métaphore où je suis passé de l’œil à la bouche », raconte-t-il.


La bouche, au centre de l’exposition, ’’Les souvenirs de ma bouche’’, est, donc, l’aboutissement d’une démarche séculaire. Elle s’est affermie sur plus de trois décennies. Aujourd’hui, cette démarche se matérialise par quatre séries d’œuvres qu’a montrées l'exposition “Les souvenirs de ma bouche”. Elles variaient entre des procédés de peinture, de sculpture et d’assemblage de métaux.


La série, “Paroles profondes”, mettait en scène différentes bouches composées de manière très singulière. Certaines sont trouées, d’autres, consistantes, et d’autres, encore, sans ouverture. « Les bouches trouées reflètent les paroles flatteuses, qui ne sont pas destinées à produire un impact sur la communauté. Celles qui sont consistantes, comportant des matières, représentent les paroles qui perdurent dans le temps, influencent et nous construisent. Les bouches sans ouvertures symbolisent les paroles silencieuses, car il n’existe pas que le verbe pour exprimer une parole », explique Steven Coffi Adjaï.


Quant à la série, “Prestesses”, elle succédait à celle des “Paroles profondes”. Elle donne la parole aux femmes de pratique de la religion du vodoun de la société béninoise, évoquant les “Tangninnon” et les “Yalatchè”. « Une prêtresse n’est pas faite pour proférer des paroles négatives. Sa bouche bénit. C’est aussi une invitation à réfléchir au rôle de nos prêtresses », affirme Steven Adjaï. Ces œuvres se caractérisent par des traits féminins visibles : des tresses sur la tête, des gestes et des mouvements dans l’expression artistique.


Dans la série, “Les rêves de Dodji”, l’artiste présentait le personnage de Dodji, un prénom qui signifie “Espoir” ou “Espérance” en langue du mina ou de l’éwé. Elle explore les rêves du personnage, que l’artiste invitait le public à découvrir.


Concernant la série, “Cadences”, elle reflète l’expérience de danseur de Kaléta de Charly d’Almeida. Les peintures, empreintes d’humour et de gestuelles, célébraient ce masque à travers une explosion de couleurs. Pour Steven Coffi Adjaï, ce projet “était aussi une forme de mémoire culturelle, une lutte contre l’amnésie.


Genèse et concept

“Les souvenirs de ma bouche” est le fruit d’un ensemble d’histoires, de réflexions, de choix et de concepts. Son premier jet commence en 2023. « L’histoire de cette exposition remonte à la série “The Love of Word” (L’amour des mots), qui est l’un des premiers jets de ce projet. Une série dont une paire de pièces a participé à l’exposition diptyque, “Art du Bénin d’hier à aujourd’hui, de la restitution à la révélation” », selon Steven Coffi Adjaï. Après cette étape, une pièce intitulée “Mémoire de l’œil” a été conçue en 2023 et présentée lors de l’exposition, “Hommage à la sculpture contemporaine de Cotonou”, à la ’’Septième gallery’’, de Cotonou. En 2024, les réflexions ont évolué vers un concept qui s'inspire de la sagesse orale du Bénin.


Ce concept théorique et narratif de l’exposition repose sur deux proverbes de la langue du fon : « É non yi amlon min ha dlo kou to a ». Ceci signifie « Nul n’accompagne le rêveur dans son sommeil» et « Min dé toun amlon éé minwè dlo dé or éaa », pour « Nul ne sait dans quel sommeil se trouve le rêve ». « Le rêve est un élément très important dans la création. On a l’idée d’une pièce, on la pense. Mais, il faut parfois savoir regarder la matière que l’on veut utiliser et imaginer des formes qui n’ont jamais existé. Ces moments de rêve, dans l’acte de création, ne sont pas uniquement liés au sommeil. On peut faire un rêve éveillé, percevant les formes qui nous intéressent, qui nous habitent », a expliqué Steven Coffi Adjaï.


Les œuvres exposées sont également le reflet de l’amour de l’artiste pour sa mère. Charly d’Almeida confie qu’elle lui a toujours enseigné le poids des mots et la fragilité de la parole. « J’ai voulu parler de la bouche, montrer que la parole est très sacrée. Chez nous, on dit : “A djro nan do ho o, anan lilè dè azon tinwé”, [traduit de la langue du fon], ’’Avant de faire sortir une parole de sa bouche, il faut remuer sept fois la langue’’, parce que cette parole qui unit le monde et les cultures peut aussi engendrer une guerre si elle est mal placée », expliqua-t-il.


Léandre Houan 

dimanche 21 avril 2024

‘’La bâtisse !?’’, une exposition à l'ordre du jour

Suite aux explications de la ’’Gallery Charly’’


’’La bâtisse !?’’ est une exposition qui a cours depuis décembre 2023. Elle a été initiée par l’artiste contemporain béninois, Charly d’Almeida. Elle a fait l’objet d’une présentation à la ’’Gallery Charly’’. L’événement s’est produit le vendredi 5 avril 2024. C’était à la galerie indiquée, du quartier de Zongo, à Cotonou. Steven Coffi Adjaï, le curateur de l’exposition, dirigeait l’explication aux journalistes. C’était en présence de l’artiste, pour une exposition fermée depuis le 8 avril. Cependant, elle se poursuit en privé.


De gauche à droite, Steven Coffi Adjaï et Charly d'Almeida, au cours des échanges avec l'auditoire ...


Une réelle combinaison d’oeuvres créées à des moments différents. La substance de ’’La bâtisse !?’’, telle qu’ont présenté l’exposition ainsi dénommée, Steven Coffi Adjaï, qui en est le curateur, et Charly d’Ameida, le créaleur des oeuvres concernées, à la séance d’échanges avec des journalistes et des artistes, qui s’est déroulée le vendredi 5 avril 2024, à la ’’Gallery Charly’’, la galerie d'art contemporain, sis quartier de Zongo, à Cotonou.


« L'exposition interroge le temps, un concept central dans l’œuvre de ce plasticien contemporain béninois », selon Steven Coffi Adjaï. Il a poursuivi : « Dans “La bâtisse !?” de Charly d’Almeida, nous avons pensé, théorisé le processus créatif comme une chose incomplète, un territoire en perpétuelle expansion, et une abîme qui épie le quotidien ».


Pour Charly d'Almeida, les œuvres exposées racontent son histoire. Elles décrivent son évolution, lui qui est passé de la peinture traditionnelle à des assemblages de métaux. « Je recherchais une sensation que la peinture n’arrivait pas à me donner, une sensation liée au toucher », a-t-il commencé. Il a achevé son propos : « Je voulais créer du volume en dehors des deux cadres d’un tableau ». Charly d'Almeida a atteint cette sensation tactile en manipulant les métaux, depuis lors. Il a continué à expliquer : « Quand je termine la création d'une œuvre et que je la revois plus tard, je me demande si cette pièce est achevée. Et là, j'arrive à avoir cette sensation que je recherchais ».



Concernant le narratif ...


De son côté, Steven Coffi Adjaï a fait comprendre le narratif. Il est spécifique à l'exposition, ’’La bâtisse !?”. Elle se compose de deux parties. Elles célèbrent le processus de création.


La série murale, "Les Piliers", ouvre la première. Les œuvres qui s’y trouvent ont été réalisées par l'assemblage de métaux. Elle exprime l'idée de fondation de toute construction, à en croire le curateur. A sa suite est visible la série intitulée “Les constructions”. « Elles sont issues de deux différentes pièces produites dans différentes temporalités » a informé Adjaï. « On ne commence pas une construction en pensant que ce que l'on fait sera inachevé ! », a-t-il fini.


La symphonie liant ces œuvres illustre bien le rôle que joue le temps dans la démarche de création. « Les écritures » est une série apparaissant en troisième position. Elle dévoile la plupart des matériaux qu'utilise Charly d'Almeida dans ses créations : freins d'engins, spirales, plaques métalliques, aux couleurs variées. Cette série symbolise le plan, le facteur essentiel de tout processus créatif. Elle invite le créateur à se remettre en cause, à auto-évaluer son travail afin d'avancer. La série, “Les constructions n°2”, aborde la regénération après la remise en cause. D'autres œuvres, regroupées sous ’’Les fragments’’, peuvent être découvertes à la “Gallery Charly”.



Pour une seconde partie ...


La seconde partie de ’’La bâtisse !?’’ s’annonce avec l'une des œuvres de la série, “Les piliers”. Elle rappelle les anciennes peintures de Charly d'Almeida, qu’il a revisitées et actualisées. « Vous retrouverez, dans ces tableaux, des thématiques comme la paix, les histoires, le voyage », affirme Steven Coffi Adjaï. Cette seconde scène de l'exposition s'achève avec la pièce maîtresse, “L'ancêtre”, réalisée, également, par l’assemblage de métaux. La parole s’y révèle par des ouvertures en métal, astucieusement agencées, des bouches, selon le curateur. Elles laissent des empreintes, au cours du temps. Elles traduisent le processus parolier par lequel on acquiert le statut de l'ancêtre. Charly d’Almeida inscrit ce cheminement dans le temps.


Concernant, en particulier, le temps de l'exercice de son métier par l’artiste, au bout de 36 ans de carrière, il ne prendra pas une retraite. Il promet, d’ailleurs, une nouvelle inspiration à travers une réflexion à venir. Elle interrogera les restes du temps. En attendant, les œuvres de l'exposition, "La bâtisse !?", restent ouvertes à la visite pour les collectionneurs et pour les amoureux des œuvres d'art, à la “Gallery Charly”.

Léandre Houan / Marcel Kpogodo