De son nom complet, Cosme Michel Pinheiro Odjougbélé, l'artiste-musicien salsero béninois, Michel Pinheiro, originaire de Pobè, qui, depuis 1992, s'est retrouvé à renforcer sa carrière musicale en Côte d'Ivoire où le feu Mamadou Doumbia l'a beaucoup aidé, ancien Chef d'orchestre du très engagé Tiken Jah Fakoly, il a accepté de se confier à nous, parlant de son troisième album, en double ('' Bénin'', pour notre pays, et ''Hommage à Mamadou Doumbia'', pour la Côte d'Ivoire), à lancer très prochainement, et du concert qu'il donnera à Cotonou. Cela ne l'empêche pas de développer une langue acerbe contre le système culturel au Bénin.
''Bénin'', parce que, comme je tourne beaucoup, j'ai remarqué que les gens ne connaissent pas le Bénin à l'étranger, ça veut dire que nos ambassadeurs ne font pas leur travail comme il faut, parce que quand tu parles du Bénin, on te demande : "Cest où ?", et je leur dis qu'on a le Nigeria, le Togo, le Niger et le Burkina comme frontières, et c'est ça qui m'a motivé à écrire un morceau pour inviter les gens à venir connaître le Bénin, quand même. C'est aussi parce que j'aime mon pays. Aussi, je dois préciser que l'album "Bénin"comportera dix titres et deux qui sont consacrés au Bénin : "Bénin" et "Monsieur le Président". Par rapport au second titre, nous sommes citoyens de ce pays et nous devons contribuer à la marche de ce pays; quand les choses ne vont pas, il faut qu'on puisse au moins les dénoncer, quand ça va, qu'on puisse dire que ça va.
Michel Pinheiro est donc un artiste engagé politiquement ...
Nous sommes tous engagés politiquement .... (Gros rires).
Vous êtes en train de prendre position ...
Je ne prends pas position, je n'ai rien contre qui que ce soit, mais, seulement, je constate. Moi, je n'ai pas de parti; que ce soit un Nordique ou un Sudiste, pourvu que ce soit un Béninois qui soit au pouvoir, moi ça m'est égal, qu'il fasse bien le travail, que le peuple puisse jouir bien, et qu'on ne cherche pas à aller traverser la mer pour mourir dans la Méditerranée. C'est juste ça. On a tout! On a tout en Afrique pour vivre heureux. Mais, c'est parce que nous avons des gouvernants qui ne font pas bien le travail qu'on est dans la merde, que les gens sont obligés de se chercher et ça coûte la mort à certains. Je pense que nous sommes à cinquante ans presque d'indépendance; si nous faisons le bilan, il est négatif, partout en Afrique, ce n'est pas qu'au Bénin. Voilà un peu; on ne peut pas rester insensibles à ça, c'est pas normal.
A part les thèmes sur le tourisme et sur la dénonciation du Changement, quels sont les autres que vous abordez dans cet album ?
Il y a un morceau qui parle de l'inconscience des intellectuels noirs, en général, surtout de nous qui partons et qui ne voulons plus revenir; ce titre s'appelle "E ma gba gbé ilé" : "N'oubliez pas d'où vous venez", qui est un appel aussi en même temps à la diaspora pour apporter sa pierre à la construction de l'Afrique, parce que nous critiquons les gouvernants, mais, qu'est-ce que nous aussi nous faisons ? Si les Etats-Unis se sont construits, si la France s'est construite, c'est parce que les fils de ces pays sont partis et sont revenus avec des connaissances; quand on va acquérir des connaissances, qu'on revienne en faire profiter la pays. C'est très important. A part ça, j'ai repris "Paysan" qui était sur mon premier album. Comme je le dis, les paysans sont de braves gens qui font un travail énorme; c'est grâce à eux que vous et moi nous sommes là, s'ils ne produisent pas, on ne peut pas manger. Et, je leur rends hommage, à travers ce titre. Il y a un autre du vieux Mamadou Doumbia, que j'ai repris, qui s'appelle "Djokadjo", qui parle du palu, qui est un exorcisme au palu et au sida. C'est un peu ça ... Vous découvrirez le reste de l'album ...
Vous intervenez dans combien de langues sur l'album "Bénin" ?
J'utilise le yoruba puis le dioula.
Dans un album destiné au Bénin, vous chantez en dioula ?
Il n'y a que la salsa sur cet album ?
Sur cet album, il y a du mandingue dans le morceau "Touré", "Monsieur le Président", c'est du reggae, "E ma gba gbé ilé", c'est de la musique de recherche. Mais, l'album est dominé par la salsa, comme d'habitude.
Apparemment, depuis 2008, il y a rupture avec Tiken Jah Fakoly, puisque vous n'êtes plus son chef d'orchestre ?
Il n'y a pas rupture. Par rapport à ma carrière solo et aux engagements que je sens venir, et puis, quand on est au pouvoir tout seul pendant un certain temps, , ça devient de la routine; de 1996 jusqu'en 2008, c'est beaucoup! A un moment donné, je me suis dit qu'il faut qu'on passe le flambeau à quelqu'un d'autre. On s'est réunis, entre nous musiciens, on a désigné quelqu'un d'autre pour être le chef d'orchestre. Moi, je suis là comme tout autre. Comme ça, je peux m'éclipser, m'occuper de moi; quand je ne suis pas là, on n'en sent pas le poids.
Qu'est-ce que vous avez pu capitaliser comme expérience, après avoir travaillé aux côtés de Tiken Jah Fakoly qui est aujourd'hui une star mondiale ?
Je tourne sur toutes les scènes du monde, et c'est une très grande expérience; je côtoie d'autres grands de la musique et je visite d'autres pays, d'autres peuples. Donc, les mentalités, ce n'est pas la même chose, on apprend beaucoup. Je me souviens que quand on est allés en Nouvelle-Calédonie, il y a quelque chose qui m'a marqué, c'est leur attachement à la culture, à la tradition, parce que, quand vous arrivez, on vous emmène, c'est comme si vous venez dans un village, et vous allez d'abord voir les maîtres de terre, on vous présente au chef du village, qui vous reçoit et vous lui donnez des présents, et il vous dit : "Soyez les bienvenus chez nous !". Ce que nous, on a perdu en Afrique, les gens l'ont, quelque part, conservé. Franchement, ça a tapé tout de suite ma conscience et je me suis dit qu'on est en train de s'éloigner de notre culture, pensant que c'est mauvais, alors qu'on a beaucoup de choses de très bien, qu'on doit garder dans notre culture. Donc, j'ai acquis beaucoup de choses que je ne peux pas étaler.
Mon projet, c'est la sortie du nouvel album et le concert, le 12 décembre au Centre culturel français de Cotonou, auquel je convie tous les Béninois, tous les mélomanes; venez me soutenir, puisque l'artiste n'est rien sans les mélomanes.
Vous avez déjà eu l'occasion de vous produire au CCF. Quelle est la particularité du prochain spectacle ?
Le prochain spectacle représente mon album, celui intitulé "Bénin". Donc, il y aura des titres des anciens et du nouvel album que je vais présenter au public.
Pour le spectacle du 12 décembre, serez-vous accompagné d'un orchestre ?
C'est un groupe que j'ai monté pour m'accompagner ce jour-là. Il y a certains avec qui j'ai travaillé pour mon dernier concert au CCF; c'est à un pianiste que j'ai demandé de monter quelque chose pour moi, pour ce concert.
A part l'orchestre, aurez-vous la main forte de quelques artistes béninois?
Il y aura ma filleule Méola, le groupe Tèriba et d'autres artistes à découvrir sur place.
Etant de l'autre côté de la rive, vous avez peut-être un regard critique sur ce qui se fait dans le domaine de la musique au Bénin. Quelles sont vos appréciations ?
Dans la musique béninoise, nous avons un patrimoine culturel très vaste, très riche, et il y a pas mal de choses qui se font et qui sont très bien. Et, avec l'avènement des studios, je pense que c'est en tâtonnant qu'on arrive à trouver la bonne voie. Malheureusement, il n'y a pas une politique culturelle dans ce pays; je l'ai toujours dit : ce n'est pas voter 1 milliard de francs pour le Fonds d'aide qui vent dire qu'on fait quelque chose à la culture. Depuis combien d'années vote-t-on 1 milliard pour la culture ? Qu'on me dise quel acte concret on a posé qui puisse faire voir aujourd'hui que c'est le Fonds d'aide à la culture qui a réalisé cela. C'est dommage que nous soyons au Bénin et que le seul espace où on peut s'exprimer, c'est le Centre culturel français. Pourquoi ne pas avoir un Centre culturel béninois ? Pourquoi on vote 1 milliard pour le Fonds d'aide à la culture, et qu'il n'y a pas de structure de distribution digne de ce nom dans ce pays ? Donc, il faut s'arracher les cheveux chaque fois qu'on fait un album ! C'est parce qu'on aime qu'on continue de le faire ! Des fois, je me demande s'il y a un ministère de la culture dans ce pays, et si on pense à la jeunesse de ce pays; c'est à travers la culture qu'on forme sa jeunesse. La culture embrasse tout, la musique, la poésie, le théâtre, tout. Et, il faut avoir un espace pour s'exprimer. Ce n'est pas les Français qui vont continuer à faire notre travail pour nous, après 50 ans d'indépendance !
Un mot sur l'album "Hommage à Mamadou Doumbia" ?
Il se compose aussi de 10 titres, dont 8 du vieux Mamadou Doumbia, que j'ai repris, plus deux titres de moi-même que je mets sur l'album, c'est-à-dire "Touré" en rythme mandingue et "E ma gba gbé ilé" en yoruba, que je mets en Côte d'Ivoire, parce que ça s'adresse à tout le monde; on cherchera à comprendre. On dit souvent que "quand quelque chose te fait mal, tu le dis dans la langue de ta mère".
Pour ces 8 titres de Mamadou Doumbia, est-ce une marque de reconnaissance ou un hommage en son honneur ?
C'est tout cela à la fois, parce qu'il a été pour beaucoup dans ma carrière. Aujourd'hui, si je joue du trombone, c'est grâce à lui.