mardi 6 octobre 2020

Giovanni Houansou prépare une véritable bombe artistique

Dans le cadre de la représentation expérimentale d’ ’’Il pleut des humains sur nos pavés’’


’’Il pleut des humains sur nos pavés’’, le titre de la nouvelle pièce du jeune dramaturge béninois, Sèdjro Giovanni Houansou, a fait l’objet, sous la mise en scène de celui-ci, d’une représentation expérimentale dans la soirée du vendredi 28 août 2020 à la Grande salle du Festival international de Théâtre du Bénin (Fitheb), à l’ex-Ciné Vog de Cotonou. Intense du début jusqu’à la fin des deux heures environ que le spectacle a duré, le public a assisté à une représentation explosive à l’image de ce que projette pour octobre 2020 le metteur en scène concerné.

Une séquence forte de la représentation 

Une scène aux caractéristiques d’un chaos multidimensionnel. L’indicateur de la profusion d’un message dont était amené à prendre connaissance le public ayant fait le déplacement de la Grande salle du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb), sis quartier de Guinkomey, à Cotonou, dans la soirée du vendredi 28 août 2020, pour le compte de la présentation de la version provisoire de la mise en scène par Giovanni Houansou de la pièce, ’’Il pleut des humains sur les pavés’’, dont il est aussi l’auteur.


Le titre de l’ouvrage en disait long sur l’atmosphère à laquelle il fallait s’attendre de la déconstruction de la sacralité de l’humanité et, cette tendance n’a fait que se confirmer par les différentes séquences qui se sont succédé de la mise en scène, surtout que, sur le fond d’un décor apocalyptique tapissé de feuilles de journaux, tout s’est lancé par l’intensité de la découverte par Leila, une artiste photographe et peintre, qui, arrivée au Katanga, se fait dérober son sac. Loin d’y compatir avec elle, Istanbul, le chauffeur qui la conduit dans les dédales de la ville, avec toutes les secousses routières que cela laisse découvrir, n’en est que blasé, surtout que l’insécurité, s’appuyant de violence, fait partie du quotidien des habitants. Hanifa Dobila et Fancy Carlos Zinsou réalisent l’incarnation de ces deux premiers personnages de l’entrée brusque dans un univers qui dépersonnalise d’une morale d’appui et de départ, comme celle appartenant à Leila.


De cette scène d’un double comique de mots et de situations à celle d’un drame familial, il n’y a que le temps d’un léger aménagement du décor pour voir se positionner le couple d’Idi, joué par Guy Ernest Kaho, un monument de la scène béninoise, et de Bineta, représentée par Carole Lokossou, un couple étant confronté à la fugue de sa fille muette, Adé, âgée de seize ans. Le mari exerce la profession de démolisseur, apparemment sous l’emprise d’une tension intérieure, du fait d’une conscience en désaccord mais qui n’est pas aussi forte pour empêcher l’exercice d’une profession qui fragilise les siens du même niveau social. Quant à la fugitive, elle vit une vraie romance dans un dialogue avec son amoureux, livré, à travers des voix off, assurant l’essentiel, aux fins de l’expression des sentiments appropriés, par les mimiques des amoureux, Tam et Adé la muette, incarnés, respectivement, par Guy Ernest Kaho, et par Akofa Ami Kougbénou.


Dans un autre univers, des policiers s’empêtrent dans une bavure qui se solde par la mort d’un innocent ; ce sont, entre temps, encore Hanifa Dobila et Fancy Carlos Zinsou, qui passent à ces deux rôles sordides, Akofa Ami Kougbénou, elle, se trouvant à vivre la force d’une policière intransigeante devant laquelle vient échouer l’affaire de la disparition d’Adé. Le jeu sur les mots est frappant. « Elle s’excuse de nous avoir mal parlé », ironise-t-elle, tournant en ridicule Bineta qui, soutenue par Leila venue porter plainte, finit par se rendre compte du rapport des forces en sa défaveur.


A toutes ces séquences s'organise celle inattendue et brutale de l’atmosphère d’un bar dans un milieu rugueux où la vulgarité et la criminalité sont monnaie courante. Carole Lokossou, dans le personnage du nom de Bara, est la maîtresse des lieux et impose sa forte masculinité qui tient comme en respect les hommes qui fréquentent le milieu, ceux parmi lesquels se trouve un redoutable chef de bande qu’incarne encore Guy Ernest Kaho. De même, une grande démolition s’opère dans le quartier mal famé afin de laisser place à des immeubles de haut standing sous l’influence de possesseurs de grands capitaux d’investissements.


La violence, la récurrence


L'affiche du spectacle expérimental

En réalité, ’’Il pleut des humains sur nos pavés’’ se révèle une pièce de théâtre qui porte comme un étendard la violence dans ses aspects verbal, physique, psychologique et même professionnel. Elle reste alors le sujet dont le destinateur est l’ensemble des personnages ou des circonstances qui ont besoin d’elle pour exister : les capitaux étrangers qui doivent rentabiliser les terres acquises, la pauvreté et le dénuement, la misère des démunis, ces facteurs qui conditionnent la survie de leurs victimes, la guérilla urbaine qui se déploie par l’instinct de conservation des pauvres qui s’extraient des froids calculs des riches, l’abus de pouvoir de la force publique puis l’esprit de résistance et de résilience des défavorisés sociaux motivés par la logique d’affrontement.


Par ailleurs, le destinataire de cette violence rassemble tous les personnages qui en profitent : le démolisseur Idi qui en tire ses revenus, Istanbul et Tam, les criminels, les chefs de bande, les forces de l’ordre et les citoyens de rien, comme Bara, y trouvent la condition sine qua non pour l’existence minimale. En outre, la pièce déborde d’adjuvants à ce système constitué qu’est la violence : le décor chaotique audacieux, le débarquement de Leila et de sa naïveté, le jeune chauffeur qui, dans la conduite de son véhicule, vit cette violence malgré lui, le professionnalisme d’Idi, la brutalité et l’abondante mobilité d’istanbul, l’excès de zèle des policiers et la forte personnalité de Bara. En matière d’opposants se profilent Tam et Adé qui, dans un environnement en permanence tendu, se battent pour une idylle de paille, de même que Leila et Bineta qui croient encore à l’efficacité de la force publique enfoncée dans une logique contradictoire de survie de ses intérêts.  


Ainsi, d’un bout à l’autre de son déroulement en projet sur scène, ’’Il pleut des humains sur nos pavés’’ se nourrit d’une violence multidimensionnelle que le metteur en scène, Sèdjro Giovanni Houansou, restitue par un bien flexible décor d’apocalypse avec, en toile de fond, une capacité de métamorphose ayant la puissance de faire intervenir une poignée de cinq comédiens afin de procurer vie et force à un nombre impressionnant de plus d’une douzaine de personnages : Leila, le conducteur, Idi, Bineta, Adé, Istanbul, les deux membres des forces de l’ordre, Tam, les deux fonctionnaires de police, Gobi et Bara, notamment. Ils ont illustré un jeu, pourvus d'un accoutrement pragmatique.


En définitive, aussi contradictoires qu’ils puissent paraître, la concentration et la profusion s’accordent pour définir l’Afrique contemporaine et moderne, dans une urbanisation qui s’occidentalise, ce que symbolisent le Katanga et Jonquet, deux zones de bidonvilles, à Lomé et à Cotonou, qui deviendront heureusement méconnaissables, en dépit du prix de victimes qu’il faudra en payer. 


En appoint à la réussite générale du jeu, la représentation théâtrale indiquée du 28 août 2020, relevant d’un projet de création qu’accompagnent l’Institut français de Paris et la Commission internationale du Théâtre francophone (Citf), Mickaël Todégo et Charles Ouitin, à la scénographie et à la lumière, ont si bien marqué de leur empreinte technique la représentation expérimentale de la pièce, ’’Il pleut des humains sur nos pavés’’, que l’impatience se crée d’arriver au 16 octobre 2020 afin de se délecter de la version finale de la mise en scène de Sèdjro Giovanni Houansou.

Marcel Kpogodo