Dans le cadre d’une
exposition de fin de résidence
L’Espace ’’Tchif’’, à
Cotonou, a accueilli le vernissage d’une exposition particulière présentée par
la jeune artiste en formation, Madiana Kané Vieyra : ’’Retour de
résidence’’. Il s’est tenu le jeudi 24 mai 2018. Une quête finalement
identifiée et réussie, ce qu’il conviendrait de retenir du partage mural et
audiovisuel réalisé avec le public.
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Madiana Kané Vieyra |
Un personnage, esseulé,
qui se questionne et qui, en guise de réponse, s’ordonne un processus dans
lequel il évolue et à la fin duquel sa solitude se fait illusion.
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Tchif, dans sa présentation de l'exposition |
Le sens qu’il
serait possible de donner à l’enchaînement de dix-neuf pièces entrecoupées
d’une vidéo, un ensemble qu’il fallait explorer dans le sens de l’aiguille
d’une montre, à la galerie de l’Espace ’’Tchif’’, sis quartier Guinkomey, à
Cotonou, dans le début de la soirée du jeudi 24 mai 2018, pour une exposition dénommée
’’Retour de résidence’’ et présentée par l’artiste Madiana Kané Vieyra, et dont
le vernissage s’est révélé un grand succès, au vu de la masse et de la qualité
des personnes ayant fait le déplacement de l’événement, celles-ci parmi
lesquelles il fallait compter plusieurs artistes, de même que Francis Nicaise
Tchiakpè, alias Tchif, le maître des lieux, et José Pliya, Directeur général de
l’Agence nationale de Promotion des patrimoines et de développement du tourisme, accompagné de son épouse, et Christine Le Ligné,
Directrice de l’Institut français de Cotonou.
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De gauche à droite, José Pliya et son épouse |
Comme le titre de
l’exposition le laisse suggérer, celle-ci est le résultat d’une résidence de
création ; elle a duré un trimestre, elle qui a débuté en mars dernier et
qui s’est effectuée, en grande partie, dans les locaux de l’Espace ’’Tchif’’.
En réalité, fille d’un père bénino-martiniquais et d’une mère
franco-nigérienne, Madiana Kané Vieyra, étudiante en quatrième année à la Haute
école des arts du Rhin (Hear) à Strasbourg, en France, semble avoir bâti, de
toutes pièces, le parcours personnel de son premier séjour en terre béninoise.
Ainsi, l’intérêt de cette exposition dont elle gratifie le public jusqu’au
début du mois de juin 2018, réside dans la nécessité que tout le monde doit se
donner de découvrir la capacité de restitution philosophique de ce parcours par
cette artiste.
D’abord, six toiles, de
petit format, d’un alignement horizontal, plantent le décor. La gouache noire a
tracé un dessin évolutif où un personnage évoque un questionnement de
possession de soi, sur le papier de couverture kaki, dont la base est rendue
dure par la solidité d’un non perceptible ancien calendrier. Le dessiné est un
concentré servant à marquer la lourdeur de l’esprit du quêteur. Et, à chaque
étape, une légende situe ; celle-ci trouve sa traduction en langue
nationale fon. Puis, premier arrêt : « S’en aller ». Un poster
vertical aligne juste quelques mots, la grande partie du texte étant laissée à
l’inspiration de chaque visiteur.
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Aperçu de quelques oeuvres |
Reprise du
voyage : deux autres toiles, en verticale, plus deux autres, d’un fond
noir, comme si tout s’obscurcissait tout d’un coup !
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Une capture d'écran caractéristique de la vidéo (Crédit : Madiana Kané Vieyra) |
Deux autres toiles
verticalement positionnées manifestent le même fond de couleur. Et, une
éclaircie de taille, dans cette forêt où l’on cherche ce qu’on ne sait même
pas : un écran plasma décline une vidéo petitement libératrice.
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Idem (Crédit : Madiana Kané Vieyra) |
En fait,
il s’agit d’une quêteuse ! Confinée, serrée, mise à l'étroit, douteuse,
restreinte dans l’espace et, étrangement sexy … Deuxième arrêt :
« Chercher » ! Comme si ce qu’on avait fait jusque-là n’était
pas de « chercher ». Nouveau poster, de la même sensibilité d’avarice
de mots et d’ouverture à la générosité d’expression des membres du public.
Alors, comme un certain
résultat de l’affirmation d’une quête : trois nouvelles toiles, en
verticale et renforcées de couleurs, celles-ci qui s’enrichissent et varient
davantage avec les deux tableaux suivants, plus grands, plus fortes et plus
harmonieuses dans leurs autres couleurs : une gestation se prépare, une
délivrance … C’est confirmé ! Il s’agit bien d’une quêteuse, elle seule
dispose de l’art du don de la vie, ses formes, en tant que personnage, se font
plus précises. Dernier arrêt ! « Enfanter ». Du genre :
« Terminus, tout le monde descend ! ». Deux dernières toiles,
donc, avec plus de force dans les couleurs et plus de nombre dans les
personnages ; en force, la quêteuse, dévoilée, quelque peu, par la vidéo,
se développe, s’élargit, s’identifie à Mariana Kané Vieyra, ou à quelqu’une qui
lui ressemble, morte dans sa méfiance, dans ses doutes, dans ses incertitudes, dans
ses inquiétudes sur le Bénin, … La voilà qui renaît dans l’initiatique d’un
parcours, dans l’un de ces épanouissements auquel rien ne prédestinait la
quêteuse. Entourée, elle se meut vers des horizons de plus d’imprévus.
De la singularité
Traduire
systématiquement en langue fon les éléments de texte, exposés en légende aux
toiles présentées, produits par le monologue, par la voix intérieure du
personnage, relève véritablement d’une grande originalité de la part de la jeune
artiste contemporaine bénino-martiniquaise Madiana Kané Vieyra. Qui mieux qu’une
non habituée pouvait percevoir la nécessité d’en arriver à cet acte de richesse
linguistique, culturelle, dans un contexte où les natifs, les pratiquants au
quotidien de cette langue maternelle et de bien d’autres, à travers le Bénin,
la délaissent pour se noyer plus que profondément dans le français, et non même
pas dans l’anglais, afin de se faire une identité moderne ? Cette
créatrice aura ainsi frappé fort !
Par ailleurs, même si
se trouve très pratiquée la vidéo, à notre époque, dans les expositions d’art
contemporain, le processus autocentré, suivi par la créatrice pour mettre en
place la sienne impressionne : s’autofilmer par un caméscope après s’être
positionnée, enfermée, serrée dans un placard, gardant toute la sérénité
nécessaire pour produire un message fort par le clignement espacé des yeux, le
tapotement des doigts sur la peau, la prise d’une posture opportunément
suggestive, notamment, sont autant de faits montrant la capacité de Madiana
Kané Vieyra d’entièrement se prendre en charge, techniquement parlant. Quand on
imagine qu’elle a dû s’appuyer sur un certain scénario pour ordonner tout ce
système, qu’elle a dû faire valoir ses connaissances pour mettre au jour des
posters voulus sobres dans la parole, sans perdre de vue qu’elle a pu peindre à
la gouache noire, sur les tableaux de petit format, et à l’acrylique, sur ceux de
plus grande dimension, c’est qu’elle se positionne, avant la fin de sa
formation à la Hear de Strasbourg, comme une artiste qui pourra opérer dans le
théâtre, le cinéma, la littérature et, notamment, dans les arts plastiques, ce
qui la rend pleine de promesses pour des créations innovantes, dans un avenir
immédiat.
Marcel Kpogodo