Dans une interview exclusive
Elancée, teint d’or,
arborant un port altier, Christelle Yaovi, de famille de Souza, s’inscrit,
depuis peu, dans une logique de jet de ses projecteurs sur des inspirations
d’artistes béninois et étrangers. Dans le cas d’espèce, elle initiait, le 3
juillet 2015, à l’Agence ’’Air France-Klm’’ de Cotonou, l’exposition ’’Voyage
imaginaire’’ faisant valoir l’œuvre de Sœur Henriette Goussikindey. Une énergie
ainsi investie suscite, vis-à-vis de cette personnalité qu’est Christelle Yaovi
toute une curiosité très vite étanchée par cet entretien qu’elle a bien voulu
nous accorder. Il en ressort que la lumière constitue l’un de ses puissants
moyens d’action ….
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Christelle Yaovi |
Stars du Bénin : Bonjour Christelle Yaovi. Vous êtes une
artiste franco-béninoise. Pouvez-vous définir votre place dans les arts au
Bénin ?
Christelle
Yaovi : Je suis peintre ; je pense que
c’est le domaine que je préfère. Je suis plasticienne, puisque je fais aussi
des installations ; j’ai eu l’occasion de pouvoir le faire, en résidence,
avec Meshac Gaba, également, à Bakou, à Azerbaïdjan, où j’ai été invitée après
la Biennale, celle de Cotonou.
Je sculpte, je fais de
la photographie et j’écris, j’écris aussi beaucoup. D’ailleurs, lors de mes
expositions, quand je mets mes œuvres, j’écris sur les murs ; j’aime
beaucoup l’écriture (Voir des textes de l’artiste, à la fin de l’interview,
Ndlr).
Pouvez-vous
nous parler de votre passage à Azerbaïdjan ?
Au cours de la Biennale
du Bénin en 2012, il y a eu plusieurs artistes qui y ont participé, des Japonais,
des Brésiliens, des Sud-Américains, des Français, notamment, Daphné Bitchatch,
artiste française, qui a, elle-même participé à différentes expositions à
Azerbaïdjan, a parlé de mon travail qu’elle a découvert ici. C’est comme cela
que je me suis retrouvée à y être invitée pour réaliser une grande
installation.
Et,
comment c’était, à Azerbaïdjan ?
Moi, j’ai adoré.
D’abord, ce sont des gens qui vous accueillent de manière extraordinaire, qui
adorent les artistes et, c’est un pays controversé parce qu’on parle de
dictature, - mais, bon, nous sommes en Afrique, donc, nous savons de quoi nous
parlons … - mais qui investit énormément sur les artistes. Ils aiment recevoir
et, surtout, découvrir des artistes du monde entier. Donc, l’artiste
franco-béninoise que je suis, a été découverte et appréciée à sa juste valeur.
Comment
une artiste plasticienne, franco-béninoise, comme vous, exerce au Bénin ?
Comment travaillez-vous, dans ce contexte de double nationalité ?
Déjà, comme tu peux le
voir dans mon atelier, je participe à certains projets, mais dont je suis
souvent l’initiatrice, puisque j’ai créé ’’Le monde de Sica’’, qui a pour
concept de faire des expositions collectives, justement, pour prononcer le lien
entre les artistes, entre les œuvres, mais, aussi, toujours dans mon côté assez
spirituel de la chose, en me disant que « l’union fait la force » et
qu’on est tous ensemble, qu’on n’est pas si séparés. C’est quand même mon grand
concept.
Comme j’ai pu aussi
travailler avec ’’Air France’’, en présentant Sébastien Boko et Dina, j’initie
surtout des projets, entre autres, ’’Starting block’’, avec Meshac Gaba et
Thierry Oussou, ’’Le monde de Sica’’, avec Daphné Bitchatch, Diagne Chanel et
Dominique Zinkpè, d’une part et, Sébastien Boko et Dina, d’autre part. Mais,
voilà, c’est un travail très personnel. Comme on ne m’inclut pas souvent dans les
projets, je crée les miens, je vends lors des visites de mon atelier. L’édition
de mes propres catalogues permette aussi de faire connaître mon travail. C’est
à peu près comme cela que je fonctionne.
En
tant qu'artiste plasticienne, après nous avoir dit de quelle manière vous avez
commencé à peindre ou ce qui vous a amenée à ce métier, pouvez-vous décrire
votre démarche artistique ?
Ma démarche artistique?
En premier, je dirai que cela a été ma
thérapie, la peinture m'a permis d'exorciser la souffrance, la douleur de mon
héritage et ainsi garder un espoir envers et contre tout. C'était la première
étape.
Ma démarche artistique est constituée d'étapes. Je n'en avais pas conscience en
commençant.
Il y a cette première étape douloureuse, tourmentée, et l'étape suivante a été
d’entrer en contact avec les autres, mettre en lumière les différents liens,
autant dans la mémoire collective que le tragique collectif, ou dans l'histoire
de chacun d'entre nous.
Il y aura toujours une part de cette étape dans les suivantes.
Aujourd'hui, je commence l'étape où l'on sait en grande partie qui on est, où
on assume tout, et où on se met à nu, on met à nu aussi les autres.
Ma démarche est toujours un pas vers les autres, des pas, vers soi même ...
Les thèmes s'imposent et je les suis, mais avec toujours une grande liberté!
Art= Liberté. Avec une immense ouverture d'esprit, qui, d'une manière, entraîne
vers un hors thème, selon d'autres... Lors d'une résidence, je ne m'attache pas
trop au thème, je le rends extensible pour pouvoir laisser libre cours à ma
créativité.
Vous
dites qu’on ne vous inclut pas souvent dans des projets. Est-ce que cela veut
dire que l’univers des arts plastiques au Bénin ne vous accepte pas ?
Me rejeter ?
Non ; je ne suis pas la seule dans ce cas. Je pense que la première place,
qui est la place de choix, est faite aux hommes. Les hommes artistes, au Bénin,
sont reconnus bien plus facilement ; les femmes, elles, émergent. Et,
c’est plus compliqué pour les femmes, c’est franchement plus compliqué. Mais,
je dirais aussi que, par exemple, quand vous prenez le domaine des artistes
chanteurs ou autres, vous avez ceux qu’on mettra toujours sur le devant de la
scène et ceux à qui on ne va pas la laisser forcément accéder. Je pense que
c’est dans ce cas de figure que je me retrouve. Mon métissage est parfois un
handicap, parce que ma légitimité, du coup, d’être aussi Béninoise ne m’est pas
reconnue ; ce sont des moments où on me l’enlève. D’un seul coup, on se
dit : « Elle est un peu trop blanche … ». Et, même, il y a des
visites de projets qui viennent de l’Extérieur, où des Blancs, qu’ils soient Américains,
Français ou autre, ont jugé que je suis trop blanche pour représenter une artiste
béninoise. L’art contemporain est universel, il n’y a pas l’art contemporain
fait pour moi, béninois ou africain, français ou autre ; c’est de l’art
contemporain.
On stigmatise encore
les gens et, du coup, moi, je n’entre pas forcément dans des cases. Quand
quelqu’un dit, à propos de moi : « Tiens, je vais te présenter une
artiste béninoise ! ». On le dit comme ça et, moi, je rectifie
toujours, « franco-béninoise … ».
Cela
veut dire que votre côté européen, parlant de votre peau blanche, n’est pas un
avantage pour vous …
Pas toujours. Il l’est,
cela dépend où je me trouve. Que je sois en Europe ou en Afrique, par exemple, c’est
un avantage ou un handicap, selon les situations et, selon, aussi, la bonne ou
la mauvaise foi des gens.
J’ai l’impression qu’au
Bénin, les gens se diraient, en me voyant, la peau claire, l’air distingué, que
je suis trop à l’aise pour entrer dans certains projets. Et, de l’autre côté,
on se dirait que je ne suis pas assez dans la précarité pour bénéficier d’un
projet visant à faire sortir les artistes locaux de l’ombre …
De toute façon, j’ai
écrit un texte sur mon métissage. Au fait, c’est selon les gens, parce que le
métissage, ça dérange toujours. Quand vous prenez Obama, on dit qu’il est noir,
or il est métis. Il est métis, on est bien d’accord ? Et, pourtant, on te
dit qu’aux Etats-Unis, on s’obstine à dire qu’il est noir. Il est noir et
blanc, à la fois.
Finalement, ça dérange
les gens, parce que c’est une forme d’unité et de résilience ; on unit
plusieurs cultures, selon les différents métissages, les différentes couleurs,
les différents héritages, en une seule personne, la plupart des gens ne sont
pas à l’aise avec ça.
Moi, que j’aille bien
ou pas, que j’aie de l’argent ou que je n’en aie pas, vous n’allez pas le
voir ; c’est peut-être comme cela que j’ai été élevée où on est toujours
très fiers, avec beaucoup de dignité. Mais, comme tu le dis, les gens qui me
voient me perçoivent juste grande, avec une forme très distinguée. Du coup,
quand on me voit, on se dit : « Hum, celle-là, elle n’a besoin de
rien, donc elle n’a pas besoin de venir faire partie de ce projet … », « Celle-là,
elle en a tellement qu’elle ne va même pas nous regarder ... ». Et, il y a
des jeunes artistes qui, parfois, me disent : « Je n’ai pas osé venir
vous dire « bonjour » ou vous proposer quelque chose … ».
Moi, je dois respect à
toute personne qui me respecte. En
dehors de ça, il n’y a pas de grand, il n’y a pas de petit, on est tous faits
pour apprendre ; les aînés m’aident à quelque chose, je suis aînée de
certains, je suis là, je discute avec tout le monde, je ne fais pas de
snobisme, du tout ! On préfère me mettre cette étiquette, avant d’apprendre
à me connaître. On ne me donne aucun bénéfice du doute, puisque les gens estiment
que je suis trop belle pour être intelligente et talentueuse. C’est quand ils
se mettent à parler avec moi qu’ils se disent : « Ah, elle est belle,
mais elle a quand même aussi un cerveau … », parce qu’on aime dire que les
femmes qui sont belles n’ont pas de cerveau … Ils disent : « Ah non,
elle a aussi un cerveau, elle sait réfléchir, elle sait analyser et, elle est
aussi généreuse, elle est aussi très gentille et, à l’écoute, quand elle peut
rendre service, elle le fait ». Pour les gens, ça fait trop … Donc, je
suis trop …, pas assez … Enfin, voilà …
Pour
résoudre ce problème, vous ne vous enflammez pas, vous ne vous aigrissez pas,
vous mettez plutôt un système pour vous positionner, en créant des projets.
D’où vous vient cette faculté de dépassement ?
Je vais t’expliquer
cela le plus simplement possible. J’ai toujours eu la faculté de m’accrocher au
positif et non au négatif. Tout au long de ma vie, bien évidemment, depuis ma
plus tendre enfance, j’ai rencontré des personnes généreuses, attentionnées et
bienveillantes qui ont laissé leur empreinte, une empreinte si forte que mon
expérience avec les autres malveillants, méchants, assassins, dans leur
comportement, ne m’a jamais inspirée. Ma spiritualité, ma foi me permettent de
savoir que la vie met les pendules à l’heure, d’elle-même ; je n’ai donc
pas à me soucier de me venger. Du coup, je n’ai pas besoin d’être aigrie.
J’aime la lumière, je baigne dans la lumière, mes œuvres sont empreintes de
lumière, je suis une lumière, je cultive la lumière, même si ce n’est pas facile
tous les jours. De cultiver la lumière, d’être positive, d’évoluer dans la
bienveillance, permet de construire dans l’espoir et de transmettre l’espoir.
Pouvez-vous
parler un peu de votre vie de famille ? Etes-vous mariée ? Avez-vous
des enfants ?
Je suis divorcée avec
un fils qui aura bientôt 19 ans et que j’ai élevé seule, en grande partie.
Mais, je suis également la maman de 9 filles, mes sœurs.
Etant mère d'un garçon, pouvez-vous évoquer les
relations que vous entretenez avec votre fils?
Mon fils! Avant de pouvoir répondre, je me suis demandé si ce n'était pas
trop privé. Ça l'est.
Et, en même temps, je peux en parler un
peu.
Mon fils a un œil très critique, une critique que je qualifie de constructive.
J'aime qu'il puisse avoir sa propre vision. J'ai réussi une partie de mon rôle
de mère. J'ai toujours voulu qu'il exerce son œil sur le monde dans lequel il
vit, qu'il ne prenne jamais pour argent comptant ce qu'il entend, ce qu'il lit,
ce qu'on lui apprend et même ce que je peux lui dire. Il est vital d'apprendre
à nos enfants qu'ils ont un cerveau qu'ils doivent utiliser au maximum et
qu'ils doivent trouver leur propre vérité, car je pense qu'il existe autant de
vérités que d'humains dans l'univers.
Nous avons une grande complicité et un respect mutuel de notre
individualité.
Nous apportons beaucoup à nos enfants, mais ils nous apportent énormément
aussi, et mon fils est une vraie bénédiction!
Propos recueillis par Marcel Kpogodo
Textes
de Christelle Yaovi de Souza, illustrés de quelques œuvres significatives pour l'artiste
Il
paraît
Il paraît que je ne suis personne, ni noire, ni blanche, trop noire, trop
blanche...
Je suis noire, je suis blanche, je suis toutes les couleurs de l'arc-en-ciel...
Je suis Or, je suis
Sica... Je suis métisse, un mélange
harmonieux de tout ce que contient l'Univers.
Il paraît que je suis guenon et je me sais Reine en Héritage. Je suis Amazone,
guerrière Femme.
On me réduit à un vagin sur pattes, je me sais sacrée et habitée du Divin.
Nous sommes tous issus de la lumière! Les liens sont et demeurent envers et contre
tout. Toutes les étiquettes restent le bla bla des âmes perdues! Compassion
pour les âmes perdues ... Le bla bla n'est que du néant!
Christelle Yaovi de Souza
Merci
Merci c'est
rendre Grâce ... Un mantra de gratitude pour l'Amour, pour la Vie... Merci pour
tant de courage...
Les larmes de l'âme
Pleurer à l'intérieur ... Taire ses larmes, taire sa souffrance... L'âme
pleure... Les larmes de l'âme
Papa où t’es ?
Mon père est décédé, il m'a inspiré cet œuvre ... Il n'a pas été un bon
père, il reste mon père et la chanson de Stromae conte d'une certaine manière
une partie de notre histoire... Le titre a été une évidence ...
Animus
Crédit photos : Christelle Yaovi