dimanche 22 novembre 2020

Bardol Migan, une mise en scène à sensations

Dans le cadre de la lecture-spectacle de la pièce, ’’Démocratie chez les grenouilles’’


’’Démocratie chez les grenouilles’’ est la pièce qui a fait l’objet d’une lecture-spectacle le samedi 21 novembre 2020 au Centre culturel ’’Artisttik Africa’’ du quartier d’Agla Kangloè, à Cotonou. Dans sa mise en scène de l’ouvrage du dramaturge béninois de la nouvelle génération, Jérôme Tossavi, Bardol Migan a comme développé l’objectif de frapper le public.


De gauche à droite, grenouille mère et grenouille père, circonscrits dans leur mare

Trois temps rendus forts. Le résultat de la mise en scène qu’a effectuée Bardol Migan de la pièce de Jérôme Tossavi, ’’Démocratie chez les grenouilles’’, lors de la lecture-spectacle de l’ouvrage dans la soirée du samedi 21 novembre 2020 au Centre culturel ’’Artisttik Africa’’, à Cotonou.


Il a fallu au public d’en vivre la tension permanente à partir d’une scène mobile, instable, lui qui a concédé de vivre la pièce, dans son début et dans son dénouement, à l’extérieur de l’espace réservé à la représentation, et de suivre la force de son rythme dans la salle proprement dite de représentation de l’espace culturel concerné.


Elle était pourvue d’un décor pratique en deux étapes, l’estrade supérieure comprenant les pupitres de lecteurs et une corde d’accrochage de blouses de travail pour chercheurs, puis l’estrade inférieure présentant un logis aquatique rectangulaire, pour une histoire d’un fantastique comique : une mare assiégée se voit défendre par grenouille père et par grenouille mère poussés et réduits dans leurs derniers retranchements par des assaillants ayant précédé des chercheurs déterminés à circonscrire un virus dangereux transmettant une maladie de danse irréversible dont se trouve, contre toute attente, frappé le roi de la contrée, Barka qui en sort, tout prestige et toute dignité enfouis, obsédé d’en découdre sexuellement avec grenouille mère.


Finalement, le fameux virus au nom codé est identifié sans manquer de produire ses effets désastreux de danse sur le principal chercheur et son assistante, les cyclones, incarnés respectivement par Serge Dahoui et Perside Tanséla ; ils s’embarquent dans une démonstration où ils en arrivent à se dénuder sur scène jusqu’au niveau préoccupant et excitant de l’avant-sous-vêtement fatal. Une audace démontrant que Bardol Migan n’avait rien voulu faire à moitié.


La contamination des chercheurs-cyclones par le virus de la danse sonne comme la déconfiture d’un système extérieur obsédé de la domination des plus faibles dont les territoires de vie sont convoités à des fins politiques par les militaires. Il s’agit d’une déconfiture qui se positionne en un adjuvant de la résistance tenace, le sujet de la pièce, dont grenouille père et grenouille sont l’objet. Ces deux personnages, Fabrice Paraïzo et Armelle Nagoba, sur la scène, expérimentent, au cours de l’agression, un fait qui constitue un autre adjuvant de la résistance : leur confinement dans un coin de mare isolé, un réduit rectangulaire entouré d’une végétation essentielle et ceinturé par du plastique représentant le caractère aquatique du milieu, ce qui contribue à les cacher de leurs adversaires et à durcir leur engagement.


Une originalité matérielle de scène qui fait percevoir la créativité du metteur en scène, ne s’étant pas contenté de cette prouesse si expressive ; il a impulsé une force de lecture et une puissance de comportements à Carlaine Sèmadégbé, à l’état-civil, et au rescapé des différentes attaques destructrices, en même temps, la victime collatérale des assauts de tous ordres : en incarnation sur scène, Humbert Boko. Cet autre point d’adjuvant a donné le ton de l’atmosphère violente de la pièce en l’ouvrant dans l’anti-scène. C’est lui que choisit le metteur en scène pour faire rire sur l’état préoccupant du roi Barka sous l’emprise du virus de la danse.


A cet effet, la langue nationale béninoise adja sert de canal de communication entre les comédiens, donnant du relief à la défense maladroite du roi par le rescapé qui, dans sa logique de protection de l’honorabilité du monarque, présente l’autorité suprême comme son sosie ou comme un homme qui est « presque lui », déchaînant une hilarité bien nourrie du public.


Et, les chercheurs défaits, grenouille père et grenouille mère se trouvent libérés de leur blocus, puis leur bonheur se solde par leur mariage que le lecteur diffuse par les didascalies qu’il laisse connaître par le public, mais qui ne sont pas suivies de l’action symbolique et simple du passage annoncé de la bague au doigt de son épouse par l’élu. Négligence, oubli ou choix délibéré du metteur en scène ? Ce manque n’enlève rien à l’éloquence de la restitution d’un système complexe dans lequel le destinateur de l’action héroïque de grenouille père et de grenouille mère, qu’est l’instinct à la fois de survie et de conservation, les en laisse comme seuls destinataires de leur victoire.   

Marcel Kpogodo Gangbè  

jeudi 19 novembre 2020

Une posture de monarque pour Patrice Talon à Lobozounkpa

Dans le cadre de l’exposition, ’’Carte blanche’’


Le vendredi 13 novembre 2020 s’est tenu le vernissage de l’exposition, ’’ Carte blanche’’, dans les espaces de démonstration du ’’Centre’’ de Godomey, sis quartier de Lobozounkpa à Atropocodji, dans la commune d’Abomey-Calavi. Mr Stone et Seencelor Labombe, les deux artistes de la soirée, ont présenté leurs œuvres de graffitis, de tags et, entre autres, de portraits. Parmi ceux-ci s’est laissé découvrir le Chef de l’Etat, Patrice Talon, en monarque du royaume du Danhomè.


De gauche à droite, un ''Egungun'' graffé et le Président Talon en un monarque du Danhomè

Une fresque politique valant le détour à travers, de manière bien reconnaissable, la représentation du Chef de l’Etat béninois, Patrice Talon, arborant un chapeau royal du Danhomè, une récade à l’épaule droite et la bouche prolongée de la pipe effilée du roi Béhanzin dans ses images d’exil ayant fait le tour du monde. Entre autres, l’une des œuvres patrimoniales fortes dont le public est appelé à aller se délecter pour le compte de l’exposition, ’’Carte blanche’’, dont le vernissage s’est déroulé dans la soirée du vendredi 13 novembre 2020 au ’’Centre‘’ de Godomey, situé à Lobozounkpa dans la commune d’Abomey-Calavi.  


Patrice Talon, ainsi rendu, laisserait croire que l’artiste qui en est l’auteur, Seencelor Labombe, dans son subconscient de création de la fresque, voyait plus l’autorité suprême en un monarque qu’en un président de la République, selon les repères que le dirigeant béninois aurait montrés de sa personnalité désormais connue de tous, après près de cinq années de gouvernance.


Il est important d’aller contempler l’inénarrable technique du fendu, en graffiti 3D, que le jeune créateur a exploitée, en favorisant l’impression que l’image présidentielle graffée prend les contours de l’intérieur d’un mur cassé. L’artiste rejette d’avoir vécu puis concrétisé l’inspiration selon laquelle le Président, à son corps défendant, s’est plus fait percevoir comme un monarque au règne absolu que comme un chef d’Etat. « Les graffeurs sont apolitiques », se défend-il. « Au final, tout le monde fait de la politique », continue-t-il, avant d’ouvrir son cœur : « Le choix du Président Talon en Béhanzin est lié à sa dévotion, à sa lutte pour vaincre ; il me rappelle le requin, l’emblème de Béhanzin. La volonté du Président est d’évoluer, sa mentalité est de vaincre. Et, ce qu’il dit, il le fait : regardez les voies, le bitumage, ses acquis ».


Et, doigtant les grands éclats de brique, rassemblés opportunément au bas de la fresque afin de perpétuer l’illusion du registre du mur cassé, Seencelor Labombe conclut sentencieusement : « Il faut plutôt allumer les bons côtés de la personne, pour évoluer ».

Seencelor Labombe, au cours de ses explications

Une transition comme pour mener les visiteurs vers d’autres travaux que le public féru ou non d’art visuel devrait regretter de ne pas aller savourer avant le 12 février 2021, la date de clôture de l’exposition, ’’Carte blanche’’. Ainsi, Seencelor Labombe pousse dans un véritable univers où il faudrait entrer, à pas feutrés, comme dans une chambre initiatique aux facteurs d’un patrimoine social et d’un autre, historique. D’abord, il faudra découvrir comment ses murs s’arment d’un développement personnel contagieux amenant au redimensionnement positif de l’action de ses sens et de ses organes naturels, et valorisant la maîtrise de soi, la patience et l’amour : « Quand on fait tout dans le bruit, on est perturbé », commente-t-il. Ensuite, la chambre proprement dite est réelle, une entrée-coucher autobiographique, avec ses éléments matériels constitutifs à découvrir, une fois de plus, dans leur magie à imprégner Seencelor Labombe du graffiti, une opportunité pour prendre connaissance du fondement psychologique ayant travaillé à faire de l’artiste ce dont il a toujours rêvé et qu’il est aujourd’hui, notamment, « un des meilleurs graffeurs d’Afrique », sans perdre de vue le carrefour très incontournable, chez l’adolescent d’antan, de l’amour. Enfin, Seencelor Labombe, il est souhaitable d’aller aussi le lire dans la restitution historique de l’unique reine du Danhomè : Tassi Hangbé ! Tassi Hangbé, la créatrice du corps des amazones, des femmes qui, à la base, comme elle, étaient ce que l’histoire commence à révéler : des chasseuses d’éléphants ! Et, le tag, le vandal, le graffiti simple, le graffiti 3D, de même que le lettrage se sont imposé comme des outils d’expression visant à communiquer en frappant par la force des effets.

 


Chez MrStone


Seencelor et MrStone ont associé leurs inspirations respectives, laissant se succéder leurs œuvres sur les murs d’exposition du ’’Centre’’ de Godomey. De son côté, le second détermine la visite par une expression spécifique d’un même engagement, celui de faire rayonner le patrimoine culturel et celui historique béninois. Dans le cas de la restitution de la vérité dans les faits du passé, MrStone se projette dans une révolte qui ne dit pas son nom en manifestant par le tag la réhabilitation de la généalogie réelle de la dynastie de l’ex-Danhomè, ce qui amènera le visiteur à comprendre dans quelles conditions il faudrait passer de 11 rois officiellement enseignés à 14 avec, en ajout, 3 maintenus dans les oubliettes. « Il faut connecter le peuple à son histoire », explique-t-il à ce propos. « Pour être connecté à son histoire, il faut la connaître », appuie-t-il.

MrStone, posant sur le fond d'une de ses oeuvres

Et, l’homme d’Etat béninois qu’il choisit reste Mathieu Kérékou pour une motivation frappante : « Le Général Kérékou a fait passer le Bénin de la révolution, de la dictature à la démocratie sans violences ; cette histoire m’a personnellement marqué ». L’admiration  de l’artiste débouche alors sur une vision : « Il faudrait ériger de lui un monument dans la ville de Cotonou afin d’informer sur son parcours ».


Par ailleurs, MrStone porte son intérêt sur le cultuel qu’il sauvegarde à proximité, déjà, du portrait présidentiel indiqué précédemment. Un signal fort ! Un appel ? Une interpellation, surtout qu’un artiste ne fait jamais rien par un pur hasard ? « Les ’’Egungun’’ sont nos revenants, les hommes de la nuit ; ils nous rappellent la culture endogène ». En outre, l’univers de l’artiste prend l’allure d’un ésotérisme profane qui excite la curiosité, constitué qu’il est de pictogrammes, de symboles scripturaux, de l’alphabet africain attaché à des pays bien déterminés, sans oublier qu’il démontre une manipulation adroite et esthétique des lettres de l’alphabet, qu’il architecture, d’où l’art du lettrage ! Une découverte à ne manquer sous aucun prétexte, bien avant le 12 février 2021, la date de la clôture de ’’Carte blanche’’ …


S’il y a un compartiment de la galerie du ’’Centre’’, qui fusionne les choix de Seencelor et de MrStone, c’est un espace ’’Bibliothèque’’, à parcourir à travers les différentes connaissances dont il donne l’occasion d’enrichir le visiteur sur l’art du graffiti et des techniques qui lui sont liées, à travers des livres, des catalogues et, notamment, des vidéos. Tout est mis en place pour une édification intellectuelle en théorie et en pratique ...

DJ Steven, à l'œuvre, dans les jardins du ''Centre'', au cours du vernissage ...

De façon globale, la lecture des différentes étapes de l'exposition s'est réalisée dans des conditions inédites d'une musique hip-hop d'un volume entraînant, une ambiante propice à l'environnement de travail des graffeurs, sous la direction de DJ Steven.

... pour un jeune public vivement intéressé


Marcel Kpogodo Gangbè

 


Impressions de visiteurs


Yaïwa Blaise Tchétchao, Directeur des Arts et du livre du Ministère du Tourisme, de la culture et des arts :

« Nous avons été agréablement surpris par le fait que la galerie du ’’Centre’’ a été métamorphosée par deux talentueux artistes du graffiti. Nos impressions en sont très bonnes. 

Y. Blaise Tchétchao
Nous sommes là pour représenter le Ministre du Tourisme, de la culture et des arts dans le cadre du vernissage de l’exposition, ’’Carte blanche’’. Franchement, c’était réellement ’’Carte blanche’’ ».  

 

 

Dieudonné Fanou, Responsable à la Communication du Centre culturel chinois :

« Dans l’ensemble, le travail est assez bien. Les artistes Seencelor et MrStone ont donné le meilleur d’eux-mêmes. J’admire bien le message véhiculé et le style dans lequel il est fait. Ce que j’ai compris comme leçon de cette exposition, c’est que, dans un premier temps, ils sont en train de sensibiliser les visiteurs par rapport à une thématique donnée : l’histoire du Bénin. 

Dieudonné Fanou
Dans un deuxième temps, c’est un appel à l’unité et à la culture de l’amour. Pour finir, ils sont en train de prôner une nouvelle forme d’expression artistique qu’est le graffiti qui n’est pas bien connu au Bénin mais qui est en train de faire son petit bonhomme de chemin. Grâce à eux, je pense que le graffiti a de beaux jours au Bénin ».

 

Vioutou Jennifer Houngbo, Mannequin :

« C’est une grande première. D’habitude, les œuvres des graffeurs, c’est sur les murs, c’est dans la rue. Mais, là, c’est en exposition. Je suis contente que cela se passe de cette manière. 

Vioutou J. Houngbo
J’espère que cela pourra continuer, ce qui nous fera découvrir, à travers d’autres expositions, les artistes graffeurs béninois et, Dieu sait qu’il y en a beaucoup à Cotonou ».

Propos recueillis par Marcel Kpogodo Gangbè