jeudi 19 novembre 2020

Une posture de monarque pour Patrice Talon à Lobozounkpa

Dans le cadre de l’exposition, ’’Carte blanche’’


Le vendredi 13 novembre 2020 s’est tenu le vernissage de l’exposition, ’’ Carte blanche’’, dans les espaces de démonstration du ’’Centre’’ de Godomey, sis quartier de Lobozounkpa à Atropocodji, dans la commune d’Abomey-Calavi. Mr Stone et Seencelor Labombe, les deux artistes de la soirée, ont présenté leurs œuvres de graffitis, de tags et, entre autres, de portraits. Parmi ceux-ci s’est laissé découvrir le Chef de l’Etat, Patrice Talon, en monarque du royaume du Danhomè.


De gauche à droite, un ''Egungun'' graffé et le Président Talon en un monarque du Danhomè

Une fresque politique valant le détour à travers, de manière bien reconnaissable, la représentation du Chef de l’Etat béninois, Patrice Talon, arborant un chapeau royal du Danhomè, une récade à l’épaule droite et la bouche prolongée de la pipe effilée du roi Béhanzin dans ses images d’exil ayant fait le tour du monde. Entre autres, l’une des œuvres patrimoniales fortes dont le public est appelé à aller se délecter pour le compte de l’exposition, ’’Carte blanche’’, dont le vernissage s’est déroulé dans la soirée du vendredi 13 novembre 2020 au ’’Centre‘’ de Godomey, situé à Lobozounkpa dans la commune d’Abomey-Calavi.  


Patrice Talon, ainsi rendu, laisserait croire que l’artiste qui en est l’auteur, Seencelor Labombe, dans son subconscient de création de la fresque, voyait plus l’autorité suprême en un monarque qu’en un président de la République, selon les repères que le dirigeant béninois aurait montrés de sa personnalité désormais connue de tous, après près de cinq années de gouvernance.


Il est important d’aller contempler l’inénarrable technique du fendu, en graffiti 3D, que le jeune créateur a exploitée, en favorisant l’impression que l’image présidentielle graffée prend les contours de l’intérieur d’un mur cassé. L’artiste rejette d’avoir vécu puis concrétisé l’inspiration selon laquelle le Président, à son corps défendant, s’est plus fait percevoir comme un monarque au règne absolu que comme un chef d’Etat. « Les graffeurs sont apolitiques », se défend-il. « Au final, tout le monde fait de la politique », continue-t-il, avant d’ouvrir son cœur : « Le choix du Président Talon en Béhanzin est lié à sa dévotion, à sa lutte pour vaincre ; il me rappelle le requin, l’emblème de Béhanzin. La volonté du Président est d’évoluer, sa mentalité est de vaincre. Et, ce qu’il dit, il le fait : regardez les voies, le bitumage, ses acquis ».


Et, doigtant les grands éclats de brique, rassemblés opportunément au bas de la fresque afin de perpétuer l’illusion du registre du mur cassé, Seencelor Labombe conclut sentencieusement : « Il faut plutôt allumer les bons côtés de la personne, pour évoluer ».

Seencelor Labombe, au cours de ses explications

Une transition comme pour mener les visiteurs vers d’autres travaux que le public féru ou non d’art visuel devrait regretter de ne pas aller savourer avant le 12 février 2021, la date de clôture de l’exposition, ’’Carte blanche’’. Ainsi, Seencelor Labombe pousse dans un véritable univers où il faudrait entrer, à pas feutrés, comme dans une chambre initiatique aux facteurs d’un patrimoine social et d’un autre, historique. D’abord, il faudra découvrir comment ses murs s’arment d’un développement personnel contagieux amenant au redimensionnement positif de l’action de ses sens et de ses organes naturels, et valorisant la maîtrise de soi, la patience et l’amour : « Quand on fait tout dans le bruit, on est perturbé », commente-t-il. Ensuite, la chambre proprement dite est réelle, une entrée-coucher autobiographique, avec ses éléments matériels constitutifs à découvrir, une fois de plus, dans leur magie à imprégner Seencelor Labombe du graffiti, une opportunité pour prendre connaissance du fondement psychologique ayant travaillé à faire de l’artiste ce dont il a toujours rêvé et qu’il est aujourd’hui, notamment, « un des meilleurs graffeurs d’Afrique », sans perdre de vue le carrefour très incontournable, chez l’adolescent d’antan, de l’amour. Enfin, Seencelor Labombe, il est souhaitable d’aller aussi le lire dans la restitution historique de l’unique reine du Danhomè : Tassi Hangbé ! Tassi Hangbé, la créatrice du corps des amazones, des femmes qui, à la base, comme elle, étaient ce que l’histoire commence à révéler : des chasseuses d’éléphants ! Et, le tag, le vandal, le graffiti simple, le graffiti 3D, de même que le lettrage se sont imposé comme des outils d’expression visant à communiquer en frappant par la force des effets.

 


Chez MrStone


Seencelor et MrStone ont associé leurs inspirations respectives, laissant se succéder leurs œuvres sur les murs d’exposition du ’’Centre’’ de Godomey. De son côté, le second détermine la visite par une expression spécifique d’un même engagement, celui de faire rayonner le patrimoine culturel et celui historique béninois. Dans le cas de la restitution de la vérité dans les faits du passé, MrStone se projette dans une révolte qui ne dit pas son nom en manifestant par le tag la réhabilitation de la généalogie réelle de la dynastie de l’ex-Danhomè, ce qui amènera le visiteur à comprendre dans quelles conditions il faudrait passer de 11 rois officiellement enseignés à 14 avec, en ajout, 3 maintenus dans les oubliettes. « Il faut connecter le peuple à son histoire », explique-t-il à ce propos. « Pour être connecté à son histoire, il faut la connaître », appuie-t-il.

MrStone, posant sur le fond d'une de ses oeuvres

Et, l’homme d’Etat béninois qu’il choisit reste Mathieu Kérékou pour une motivation frappante : « Le Général Kérékou a fait passer le Bénin de la révolution, de la dictature à la démocratie sans violences ; cette histoire m’a personnellement marqué ». L’admiration  de l’artiste débouche alors sur une vision : « Il faudrait ériger de lui un monument dans la ville de Cotonou afin d’informer sur son parcours ».


Par ailleurs, MrStone porte son intérêt sur le cultuel qu’il sauvegarde à proximité, déjà, du portrait présidentiel indiqué précédemment. Un signal fort ! Un appel ? Une interpellation, surtout qu’un artiste ne fait jamais rien par un pur hasard ? « Les ’’Egungun’’ sont nos revenants, les hommes de la nuit ; ils nous rappellent la culture endogène ». En outre, l’univers de l’artiste prend l’allure d’un ésotérisme profane qui excite la curiosité, constitué qu’il est de pictogrammes, de symboles scripturaux, de l’alphabet africain attaché à des pays bien déterminés, sans oublier qu’il démontre une manipulation adroite et esthétique des lettres de l’alphabet, qu’il architecture, d’où l’art du lettrage ! Une découverte à ne manquer sous aucun prétexte, bien avant le 12 février 2021, la date de la clôture de ’’Carte blanche’’ …


S’il y a un compartiment de la galerie du ’’Centre’’, qui fusionne les choix de Seencelor et de MrStone, c’est un espace ’’Bibliothèque’’, à parcourir à travers les différentes connaissances dont il donne l’occasion d’enrichir le visiteur sur l’art du graffiti et des techniques qui lui sont liées, à travers des livres, des catalogues et, notamment, des vidéos. Tout est mis en place pour une édification intellectuelle en théorie et en pratique ...

DJ Steven, à l'œuvre, dans les jardins du ''Centre'', au cours du vernissage ...

De façon globale, la lecture des différentes étapes de l'exposition s'est réalisée dans des conditions inédites d'une musique hip-hop d'un volume entraînant, une ambiante propice à l'environnement de travail des graffeurs, sous la direction de DJ Steven.

... pour un jeune public vivement intéressé


Marcel Kpogodo Gangbè

 


Impressions de visiteurs


Yaïwa Blaise Tchétchao, Directeur des Arts et du livre du Ministère du Tourisme, de la culture et des arts :

« Nous avons été agréablement surpris par le fait que la galerie du ’’Centre’’ a été métamorphosée par deux talentueux artistes du graffiti. Nos impressions en sont très bonnes. 

Y. Blaise Tchétchao
Nous sommes là pour représenter le Ministre du Tourisme, de la culture et des arts dans le cadre du vernissage de l’exposition, ’’Carte blanche’’. Franchement, c’était réellement ’’Carte blanche’’ ».  

 

 

Dieudonné Fanou, Responsable à la Communication du Centre culturel chinois :

« Dans l’ensemble, le travail est assez bien. Les artistes Seencelor et MrStone ont donné le meilleur d’eux-mêmes. J’admire bien le message véhiculé et le style dans lequel il est fait. Ce que j’ai compris comme leçon de cette exposition, c’est que, dans un premier temps, ils sont en train de sensibiliser les visiteurs par rapport à une thématique donnée : l’histoire du Bénin. 

Dieudonné Fanou
Dans un deuxième temps, c’est un appel à l’unité et à la culture de l’amour. Pour finir, ils sont en train de prôner une nouvelle forme d’expression artistique qu’est le graffiti qui n’est pas bien connu au Bénin mais qui est en train de faire son petit bonhomme de chemin. Grâce à eux, je pense que le graffiti a de beaux jours au Bénin ».

 

Vioutou Jennifer Houngbo, Mannequin :

« C’est une grande première. D’habitude, les œuvres des graffeurs, c’est sur les murs, c’est dans la rue. Mais, là, c’est en exposition. Je suis contente que cela se passe de cette manière. 

Vioutou J. Houngbo
J’espère que cela pourra continuer, ce qui nous fera découvrir, à travers d’autres expositions, les artistes graffeurs béninois et, Dieu sait qu’il y en a beaucoup à Cotonou ».

Propos recueillis par Marcel Kpogodo Gangbè   

mercredi 18 novembre 2020

4 jours pour de nouveaux fondements des arts et de la culture au Bénin

Dans le cadre de la conférence de presse qu’ont animée Ignace Yètchénou et son équipe de travail


Ignace Yètchénou, homme béninois de théâtre et cinéaste très connu, a tenu une conférence de presse le lundi 16 novembre 2020 à la salle Vip du Ministère du Tourisme, de la culture et des arts. Il était question pour la personnalité concernée d’aborder avec les journalistes la tenue d’un événement qui s’annonce d’ampleur : les journées de « réflexions et de plaidoyers pour un renouveau des arts et de la culture en République du Bénin ». A cet effet, il était entouré de ses collaborateurs et suivi par plusieurs invités, artistes et acteurs culturels.


Ignace Yètchénou, au cours de la conférence de presse


6 panels d’échanges, 5 ateliers de travail, 1 grande plénière, 1 séance de synthèse de tous les travaux et 1 grande soirée de gala. Le programme consistant préparé par Ignace Yètchénou, premier responsable des ''Films Togbo'' et ses collaborateurs afin de meubler les journées de « réflexions et de plaidoyers pour un renouveau des arts et de la culture en République du Bénin », du 23 au 26 novembre 2020 au palais des sports du Stade de l'
Amitié Général Mathieu Kérékou de Cotonou, d’une part, et le 11 décembre, d’autre part, pour ce qui concerne la soirée de gala. Apparemment, cet énorme cahier de charges s'organise pour amener le Bénin à un rayonnement artistique et culturel d'un niveau impressionnant, étant donné la pensée forte qui couve cette initiative: « Quand notre beauté se lèvera, celle des autres tremblera ».


A en croire Arcade Assogba, Coordonnateur adjoint du projet, à qui il est revenu de présenter les détails des sujets qui seront abordés pour le compte des assises indiquées, l’échafaudage scientifique et intellectuel s’appuie sur une quinzaine de personnalités prestigieuses à l’expertise et à la technicité rompues, telles que les Professeurs Dodji Amouzouvi, Didier N’Dah, Didier Houénoudé et Adrien Huannou, les cinéastes Ignace Yètchénou, François Sourou Okioh et Claude Balogoun, les acteurs du monde du théâtre, tels Alougbine Dine et Ousmane Alédji, de même que bien d’autres remarquables noms du secteur culturel à l’instar de Blandine Agbaka, Oslow Adjakidjè, Eric Gbèha, sans oublier Bertrand Mègblétho, Hector Houégban et Faustin Dahito ; elles sont chargées d’enrichir de leurs réflexions les panels respectifs et spécifiques prévus. Ils portent sur des thèmes variant des disciplines artistiques aux questions abordant les généralités sur les arts et la culture dans leurs relations avec le développement, l’industrie culturelle, le patrimoine culturel et l’économie culturelle.


Concernant les ateliers mis en place, ils porteront sur plusieurs thèmes : la mise en vue de la culture béninoise authentique, le fonctionnement de la vie associative dans l’univers culturel, les textes y régissant les activités, la question de la professionnalisation dans le même secteur et celle du financement des projets culturels.


En outre, pour Ignace Yètchénou, l’initiateur et le Coordonnateur de l’événement, pour des raisons de respect des mesures barrière en vue de contribuer à la lutte contre le coronavirus, seulement 150 invités sont appelés à prendre part aux travaux, eux qui sont des professionnels triés sur le volet, émanant de toutes les disciplines artistiques, de la presse culturelle, de l’administration et de la gestion d’espaces culturels, de musées, de l’univers religieux, de la chefferie traditionnelle, du monde universitaire, de l’expertise culturelle internationale, du mécénat et de l’administration culturelle.


De gauche à droite, Hector Houégban, Sophie Mètinhoué, Ignace Yètchénou, Kismath Baguiri et Arcade Assogba

Par ailleurs, les travaux sont prévus pour se conclure par une grande séance plénière le jeudi 26 novembre 2020, ce qui débouchera sur la mise au point d’un document, la synthèse des réflexions cardinales émises par les participants aux journées de « réflexions et de plaidoyers » pour sortir les arts et la culture béninois de l’ornière.


Quant à la seconde date phare des Journées, elle est celle du vendredi 11 décembre 2020 où une soirée de gala se tiendra à Cotonou pour présenter et remettre officiellement les résultats des assises aux autorités béninoises. Elle accueillera strictement 120 participants.



Le chaos ambiant, fondement de la genèse


« Notre âme et notre culture se portent très mal et, cela ne date pas d'aujourd'hui », a déclaré Ignace Yètchénou en introduction à un état des lieux catastrophique dans les arts et la culture au Bénin par le diagnostic qu’il en a réalisé et qui l’a poussé à initier un grand instrument intellectuel afin de contribuer à la trouvaille de solutions salvatrices. A prendre en compte ce qu’il a partagé au cours de la conférence de presse, dans le secteur du théâtre, il faut déplorer le manque de fonctionnement des troupes théâtrales, contrairement à un passé plus satisfaisant en la matière. Dans la musique, la grande production de spectacles a disparu pendant qu’au cinéma, les salles de projection de films sont désuètes et inexistantes, pour une situation d’absence de productions de qualité et, Ignace Yètchénou conclut avec véhémence, « C’est plus compliqué que ça ! », avant d’expliquer : les artistes du cinéma courent les dos d’âne des voies pavées afin de vendre par eux-mêmes leurs œuvres. Un constat dont l’amertume se traduit par la crispation du visage du conférencier : « L’artiste est devenu le type vulgaire, le type à la portée de tout le monde, le vulgaire qu’on voit dans la rue ! ». Puis, il ne tarde pas à situer les responsabilités de cette situation : « Nous-mêmes nous prêtons flanc à cela, nous ne savons pas que nous sommes des fétiches ». Par rapport aux arts plastiques, il a affirmé : « Les plasticiens travaillent pour l'extérieur ».


Continuant l’exploration de la tragédie que vivent les arts et la culture au Bénin, Ignace Yètchénou évoque, au niveau du ministère du Tourisme, de la culture et des arts, une inversion des charges, avec le tourisme qui prend le lead sur la culture et les arts, ce qui ne devait pas être le cas : « C’est la culture qui est l’élément que le tourisme viendra voir ». De plus, l’orateur a dénoncé le sur-place opéré par le ministre Ange N’Koué, le sport ayant pris le pas sur la culture avec l’avènement d’Oswald Homéky qui a avalisé « la mort du Fitheb (Festival international de Théâtre du Bénin, Ndlr », son « extinction complète ». Avec Jean-Michel Abimbola, « nous sommes redevenus nous-mêmes », affirmait-il, s’offusquant de la valse des ministres au département de la culture et de la nomination de personnalités peu qualifiées pour le diriger, contrairement à bien d’autres ministères.


Selon Ignace Yètchénou, devant tant de dysfonctionnements en plein régime de la Rupture, qui laissait attendre de l’assainissement, il se prit à rêver de voir une meilleure dynamique s’insuffler dans la chose artistique et culturelle au Bénin, ce qui l’a amené à des échanges avec des personnalités diverses, à des interventions sur des chaînes médiatiques avant que son ardeur ne s’éteigne quelque peu face au coronavirus avec son corollaire d’interdiction des activités culturelles. Mais, à l’en croire, cette situation ne l’a pas découragé pour autant et l’a plutôt amené à imaginer et à initier des assises reconverties en des Journées pour lesquelles il promet : « On ne se caressera pas dans le sens du poil ».

 

En outre, il entend faire de l’événement indiqué un ensemble d’instants, une opportunité pour les « hommes de la culture », qu’ils soient du secteur privé ou de l’administration publique, de même que pour les influenceurs de tous ordres, pour jouer une partition remarquable dans la restauration des arts et de la culture dans notre pays. « Qu’on nous fasse un peu confiance ! », s’est-il écrié à ce propos, appelant à la naissance d’une « société civile culturelle forte ».

Marcel Kpogodo Gangbè