mardi 25 septembre 2018

Daté Atavito Barnabé-Akayi : « […] on se rend compte de l’immensité de son ignorance au fur et à mesure qu’on s’approche de la Connaissance […] »


Suite à son dernier séjour parisien 

Quarantenaire tout frais, quarantenaire d’une réelle nouveauté avec le personnage qu’il est, vu que le lundi 24 septembre 2018 sonnait exactement le ’’jour pour jour’’ authentique de sa venue au monde, mais étant né un dimanche, Daté Atavito Barnabé-Akayi a accepté de s’ouvrir à notre Rédaction, la formulation de la demande de ses réflexions ayant été fondée sur la conquête par lui d’un Grand Prix, le second de l’année 2017, celui de la Meilleure fiche pédagogique, la sienne, proposée, mise en une évaluation internationale avec vingt-trois autres, au niveau de six pays de l’Afrique francophone. D’une part, succès, dans son métier d’enseignant, vulgarisateur, de vocation, de la connaissance liée à la discipline, respectivement dénommée ’’Français’’ et ’’Lettres’’, dans les collèges et les lycées du Bénin. D’autre part, lui échoit, vers la fin de la même année, la récompense littéraire la plus prestigieuse du Bénin : le Prix du Président de la République ! Avec ’’Le chroniqueur du Pr’’. Un brûlot subtil, un ton insidieusement acerbe, notamment, de la gouvernance politique au Bénin, en vigueur depuis avril 2016. Une rechute. Il avait déjà habilement tancé le prédécesseur de l’actuel Chef de l’Etat, avec ’’Les confessions du Pr’’. Un atypique, donc, dans un conformisme, dans un caractère conventionnel qui l’habite quotidiennement, en tant que fonctionnaire de l’Etat et père de famille. Un atypique, dans ses principes, dans sa capacité à vivre la littérature, à retracer son historicité : inévitablement, Daté Atavito Barnabé-Akayi aura été – sous la réserve d’une enquête sérieuse à mener – l’un des rares apprenants béninois de la classe terminale, de son époque, à avoir, son Baccalauréat en poche, sacrifié l’année suivante, par ses propres fonds, pour s’offrir le redoutable itinéraire de personnages comme ce que lui-même devient, les années aidant : Ad’jibid’ji, Mamadou Keita, Tiémoko, Bakayoko, entre autres, à Bamako, Sounkaré, Doudou, Penda, notamment, à Thiès, sans oublier les redoutables Ramatoulaye et Mame Sofi, le méprisable El-Hadj Mabigué, parmi tant d’autres, à Dakar. Le parcours du Dakar-Niger ! Dans ’’Les bouts de bois de Dieu’’ d’Ousmane Sembène. Daté se l’est donné, ce parcours, en a respiré les senteurs intimes de la route, des différents moyens de locomotion ! Un atypique, dans son dos qui reste droit, dans sa tête qui garde sa forme ordinaire, en dépit de ces différentes consécrations, en dépit de huit années d’un exercice littéraire intense, prolifique, qui le rend père d’une vingtaine d’ouvrages, tous genres confondus : théâtre, poésie, roman, nouvelle, essai, pédagogie, guide scolaire, … Cet atypique, ce conformiste, donc, cet insaisissable, a bien voulu nous accorder la présente interview, à son retour de Paris, en septembre 2018. Elle résonne d’une humilité, d’une densité devant faire école, laisser tâche d’huile …     

Daté Atavito Barnabé-Akayi, à Cotonou, au cours d'échanges à bâtons rompus

Le Mutateur : Bonjour Daté Atavito Barnabé-Akayi. Vous êtes Professeur de Français et de Lettres, et vous revenez d'un séjour en France que vous a valu un prix. De quel prix est-il question ?

Daté Atavito Barnabé-Akayi : « De nature, je n'aime pas les concours ; ça me laisse voir un grain de prétention et peut-être même de vanité. Mais, je conçois celui-ci autrement : c'est une manière de montrer au monde ce qu’on fait, une manière de se laisser critiquer. Or, moi, j'ai fondé ma vie sur la critique. Pour faire plus clair, c'est comme se laisser visiter par un CP (Conseiller Pédagogique, Ndlr) ou par un Inspecteur ou, simplement, c'est comme [se] laisser critiquer par ses élèves !
Je crois que j'ai bien envie de me jeter à l'eau.
Et, je crois que tous les collègues devraient participer : au pire (il n'est pas de pis, en réalité), ils prendront leurs 'malheureuses' fiches pour faire leurs cours.
J'espère me libérer après les examens et m'y consacrer. Je souhaite de même aux collègues ».

Voilà, en partie, le courriel que j’adressai au groupe géré par Roger Koudoadinou, le Président de l’Association des professeurs de français du Bénin (Apfb), qui fait relayer le vendredi 2 juin 2017 l’information selon laquelle un concours proposerait aux enseignants de français béninois de concevoir une fiche pédagogique pour leur classe et de la proposer à francparler-oif.org . C’était un message reçu le lundi 29 mai 2017 de Fanny Kablan, la chargée de projets pédagogiques et multimédias de la Fédération internationale des professeurs de français (Fipf).
Dénommé « Tour d’Afrique en 24 fiches », le concours a regroupé six pays africains francophones : le Bénin, le Congo (Rdc), la Côte d’Ivoire, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal. Il revenait à chacun de ces pays de dégager, dans un premier temps, quatre gagnants. Vous pouvez consulter les quatre gagnants béninois et leurs fiches sur ce lien-ci http://www.francparler-oif.org/concours-tour-dafrique-en-24-fiches-les-4-enseignants-beninois-laureats/ . 
Les Béninois ont puisé dans la banque de textes ( http://www.francparler-oif.org/1990-2015-25-ans-25-textes-de-lafrique-francophone-au-sud-du-sahara-et-de-locean-indien/), mise à notre disposition et ont pris pour appui des extraits d’auteurs comme Florent Couao-Zotti (’’Charly en Guerre’’), Véronique Tadjo (’’Loin de mon père’’), Ahmadou Kourouma (’’Allah n’est pas obligé’’), Sami Tchak (’’Place des fêtes’’). Les 4 enseignants béninois lauréats et les fiches qu’ils ont proposées rejoignent les autres pour former les 24 fiches (qui comprenaient le portrait du gagnant, le descriptif de l’activité, sa fiche pédagogique, sa fiche d’activités). Et, c’est parmi ces 24 fiches qu’un jury international a élu ma fiche meilleure.
C’est donc un Grand Prix attribué au concepteur de la meilleure fiche du Concours organisé avec le soutien de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif), du CAVILAM-Alliance française et avec l’aide des Commissions Afpa-Oi (Association des professeurs de français d’Afrique et de l’Océan Indien).
Comme prévu, le grand gagnant que je suis devenu, a joui d’un stage de deux semaines (13 août-24 août 2018) au CAVILAM-Alliance française de Vichy en France, durant l’été 2018, dans le cadre des Rencontres pédagogiques du CAVILAM – Alliance française, tous frais compris (transport aller/retour, stage pédagogique, hébergement en famille).



A quoi avez-vous alors consacré votre séjour en France ?

J’étais donc fondamentalement en France pour jouir de ce Grand Prix, à Vichy. Mais, j’en ai profité pour me familiariser, à Paris, avec Sami Tchak dont le texte m’a porté chance. En réalité, je le lisais sans le connaître physiquement. Kangni Alem, par le truchement du Festival malien d’Ibrahima Aya, me l’a fait rencontrer en février 2017. Mais, le temps nous a manqué pour refaire le monde et discuter. Nous avons promis de nous voir le vendredi 3 mars 2017 à Lomé, lors de l’hommage que l’Etat togolais lui consacrait. Nous nous y sommes vus sans pouvoir véritablement discuter. En mars 2018, au Livre de Paris Porte Versailles, la situation ne s’est pas vraiment améliorée. Or, sitôt que j’ai su que je serais en France à l’été 2018, je l’ai tenu informé avant que le Ministre de la Culture ne nous envoie à Paris en mars 2018.

Entre autres, de gauche à droite, Sami Tchak, Daté Atavito Barnabé-Akayi, une amie et l'écrivain Gauz
Aussi dois-je préciser que le chroniqueur LaRéus Gangoueus, rencontré au Salon du Livre de Paris, m’a consacré un entretien lors de ce séjour, après avoir publié trois articles sur mes œuvres : https://gangoueus.blogspot.com/2018/08/interview-de-lecrivain-date-atavito.html ; https://gangoueus.blogspot.com/2018/07/date-atavito-barnabe-akayi-le.html ; https://gangoueus.blogspot.com/2018/07/date-atavito-barnabe-akayi-errance.html 



En quoi les acquis de ce séjour de prix vous aideront à être davantage bon dans votre métier d'enseignant ?

On ne finit jamais d’apprendre. Et, quelles que soient les expériences acquises, on aura toujours à apprendre.  En réalité, dans le processus d’apprentissage, ce qui m’apparaît de plus en plus clair, est qu’on se rend compte de l’immensité de son ignorance au fur et à mesure qu’on s’approche de la Connaissance.
Mon séjour à Vichy peut être considéré comme des vacances de travail. J’ai suivi, comme le rappellent les diverses attestations signées de Damien Chabanal (Université Clermont Auvergne), de Michel Boiron (Directeur Général de Cavilam Vichy-Alliance Française) et de Grégoire Lasne (Directeur Adjoint Responsable du Département de Français Langue Etrangère) diverses formations, différentes conférences et une rencontre littéraire.
Je précise que le Cavilam se définit comme le Centre d’approches vivantes des langues et des médias, pour rappeler que les 62 cours intensifs que j’ai suivis sont, entre autres, appuyés par des outils audiovisuels et par une connexion Internet permanente sauf, peut-être, la rencontre littéraire avec l’auteur Abdelkader Djemaï.
Que ce soient les formations intitulées ‘Les outils numériques pratiques pour faciliter la vie du professeur’, ‘Créer des séquences pédagogiques à partir de documents authentiquement oraux’, ‘Créer des séquences pédagogiques à partir de documents authentiquement écrits’ ou ‘Lexique et grammaire en action’, que ce soient les séances « Découvertes » intitulées ‘Faire entrer les arts dans la classe’, ‘Enseigner le FLE avec des marionnettes’ ‘Activités théâtrales simples pour la classe’ ou que ce soit la participation aux conférences comme ‘La France et les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme (avec Christophe Rouge)’ ou ‘La culture : ce qu’elle nous fait, ce qu’on en fait (avec Jean-Marc Dépierre), les acquis de ce séjour sont énormes.
Au plan relationnel, j’ai été en contact avec plusieurs enseignants de divers degrés, de diverses nationalités d’Europe, d’Asie et, bien entendu, d’Afrique. J’ai vu des gens des deux Corées s’entendre et s’amuser ! Au plan pédagogique, je me souviens de Bachelard qui souligne que la science n’a que l’âge de ses instruments de mesure. Les conditions de travail et de vie de l’enseignant européen, tout le monde le sait, ne peuvent se comparer à ce qu’on continue de voir ici, au Bénin où, à l’heure de l’Approche Par Compétences, nous avons des établissements sans infrastructures scolaires (bibliothèques, médiathèques, vidéothèques, discothèques, laboratoires, équipements sportifs, …). Le système éducatif tend vraiment à la démocratisation de la Connaissance qui est pédocentrée, quand, nous autres, enseignants, ici, ne sommes guère guides.

De gauche à droite, Michel Boiron et Daté Atavito Barnabé-Akayi
Et, en tant qu’enseignant de français, ce qui frappe, ce sont les nombreuses possibilités qu’offre la Compétence disciplinaire N°1 : Communication orale : il suffit de se souvenir des usages qu’on puisse faire des documents filmiques, du journal télévisé, et même de la météo (Cf. Michel Boiron)… ! Les situations d’apprentissage convoquent véritablement tous les sens, le bon sens, y compris !
J’avoue avoir beaucoup appris, même si l’absence de connexion Internet et des Tic, dans nos classes et/ou dans nos bibliothèques, ici, saborde, sacrifie toute initiative innovante.
C’est ici que je remercie ma famille d’accueil Martine et Jacky Chaput.



L'année 2017 s'est révélé particulièrement brillante pour vous ; elle vous a vu remporter aussi le Prix du Président de la République, avec "Le chroniqueur du Pr". Vous sentez-vous particulièrement béni, chanceux ?

Chanceux, je le suis. Béni, je ne sais pas, car parler de bénédiction peut sous-entendre la présence d’un Dieu qui m’eût choisi parmi tant d’autres et m’eût béni et, dans ce cas, la question que j’aime à me poser : qu’ai-je fait, en particulier, pour mériter cette bénédiction ?
Je préfère m’intéresser à ce que je semble comprendre : la Chance. Je crois que je suis chanceux ou, alors, je veux bien parler comme Jacques Monod, quand il écrit, dans Le hasard et la nécessité, où il attribue à Démocrite : « Tout ce qui existe dans l'univers est le fruit du hasard et de la nécessité ».
J’ai eu de la chance mais la pièce elle-même la véhicule. J’ai eu de la chance d’avoir des lecteurs, des critiques, des aînés, des professeurs, des CP, des inspecteurs, des ministres et même du Président de la République, …, qui me soutiennent. Je remercie encore tous ces jurés qui m’ont lu et qui ont plébiscité cette pièce.



Comment parvenez-vous à être aussi bien un bon dramaturge qu'un bon professeur de Français ?

Il est le travail. Le travail perpétuel. J’ignore si je suis ‘bon’. Je crois plutôt que mon travail vient de ce que je suis convaincu que j’ai plus à donner qu’à recevoir de mon pays. Mais, à la vérité, je donne moins que mon pays le Bénin me le rend. Même si le véritable bilan se fait par le public, me rappelle l’Aîné Jérôme Carlos qui plaisante à dire qu’il susciterait une pétition contre ma plume si j’arrêtais d’écrire à 40 ans, je continue de dire, à plusieurs endroits, qu’autour de 40 ans, je ferai un bilan :
« Mais ce qui est certain, c’est que j’ai prévu d’arrêter d’écrire autour de 40 ans. Un arrêt pour faire le bilan de mes ouvrages. Ai-je évolué ? Ai-je contribué, d’une manière conséquente, au débat littéraire de mon pays ? Et, surtout, répondre à la question : ai-je encore quelque chose à dire ? Si la réponse est négative, je dois faire éteindre ma plume. Mais pour le peu de temps qu’il reste, je prévois d’embrasser d’autres genres tels que le roman, le conte, …
Profession de professeur ? Je préfère parler d’enseignant. Et, parlant d’enseignant, si j’arrive à poursuivre mes études, je crois savoir que l’avenir me réserve des surprises. Mais, mon métier
d’enseignant n’aura aucun avenir si, lors de mon bilan autour de mes 40 ans, je réalise que c’est un métier qui obstrue la voie pour m’épanouir et pour garder en sécurité ma petite famille. Mais, jusque-là, c’est un métier que j’ai choisi et qui me rend gai. » (in Apollinaire Agbazahou, Daté Atavito Barnabé-Akayi, Horizons osés et contagieux, Cotonou, Laha Editions, 2016, p.134).



Comment s'annonce, pour vous, l'année scolaire 2018-2019, en termes de projets ?

Parfois, moi qui ne suis pas fataliste, j’aime bien me laisser guider par le Vent !


Et si l'on vous demandait de prodiguer quatre conseils de réussite aux apprenants, en particulier, et à la jeunesse, en général ?

Pour être franc, je n’ai pas été un élève modèle. J’éviterai de donner, donc, des leçons. Il y a juste que mes professeurs et mes camarades de classe ou d’amphi, qui, pour la plupart, sont vivants, pour témoigner que j’arrivais parfois à m’illustrer avec de meilleures notes.
Mais, j’ai fait une remarque fondamentale : les apprenants contemporains manquent d’attention. Et, de plus en plus, ils brandissent les conditions difficiles des parents, comme un argument suffisant, pour ne pas travailler. Je crois que, justement, parce qu’on vient d’une famille modeste, on doit avoir beaucoup plus de raisons pour briller. Je pense, spécialement, à Aimé Césaire et à cette description de la machine à coudre, ’’Singer’’, de sa mère, dans Cahier d’un retour au pays natal.
Si je recommande à l’apprenant d’ouvrir tous les sens à l’enseignement que lui suggère le guide, à la jeunesse, je souhaite le travail, la persévérance, le sacrifice et la patience. Quand j’étais en Chine, j’ai cherché à saisir la psychologie des jeunes que j’ai côtoyés ; il y en a, sans doute, en Chine, qui rêvent de l’argent facile, mais ceux que j’ai interrogés sont plus préoccupés à servir la Chine au point qu’ils n’ont même pas le temps de se plaindre. Il faut que la jeunesse béninoise en arrive là ; il faut qu’elle en arrive à trouver des modèles en dehors des ploutocrates. Nous avons tous besoin d’argent, et Gandhi s’est fait bien clair : on a besoin du minimum pour être vertueux. Mais, la timocratie ne conduit nulle part. Ce n’est pas l’argent qui doit créer l’homme, c’est l’homme qui crée l’argent. Et, tant que notre vie se résumera à des machines à sous, on ne peut prétendre au développement. On doit éduquer la jeunesse à produire ; la consommation seule ne suffira jamais, qui nous rapproche d’ailleurs de l’animalité. Nous ne produisons rien et, c’est pourquoi, on doit privilégier, dans l’éducation, la production. Grâce à elle, on peut parvenir à l’autosuffisance et oser exporter pour tendre vers une balance commerciale harmonieuse.


Que pensez-vous qu'il puisse être fait pour une nouvelle année scolaire apaisée ?

Le rêve du Ministère de l’Enseignement secondaire, auquel j’appartiens, est de voir une année apaisée. Les députés, s’intéressant à la chose, ont opté pour un encadrement des débrayages. Je ne pense que les partenaires sociaux soient d’accord. Je ne pense pas non plus qu’ils veuillent paralyser le système éducatif : il suffit de jeter un coup d’œil en arrière pour se rendre compte qu’ils ont toujours œuvré à ‘sauver’ l’année scolaire in extremis. Je crois que, ce qui les dérangerait, c’est de constater une goutte de mépris à leur endroit ; je dirai même qu’ils se sont sentis dupés.
Il semble qu’ils aient accordé un moratoire au Gouvernement pour régler un certain nombre de points non négociables de la plateforme revendicative mais, à leur grande surprise, ils apprennent, comme tout le monde, ce que vous savez. J’espère que ne s’engagera pas un bras-de-fer entre les deux parties. Mais, ce que je veux bien croire, c’est que le Président de la République et l’actuel Ministre de l’Enseignement secondaire, quoi qu’on puisse dire, savent éviter le pire et sauront améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants car, à la vérité, les conditions sont déplorables.
Mais, ce qui me surprend souvent, c’est le mutisme de l’Association des parents d’élèves. On dirait que ses membres sont peu préoccupés par la vie de ceux qui prennent soin de leurs enfants.  Ce n’est pas le lieu de demander aux syndicalistes d’éviter l’influence du « diviser pour régner ». Ce n’est pas le lieu, non plus, de leur demander de s’unir pour la bonne cause : ils le savent mieux que quiconque.
En réalité, c’est une question qui me tient à la gorge car, depuis que j’enseigne, il est rare qu’on passe une année sans mouvements de grève. Dans mon roman Errance chenille de mon cœur (2014), je fais dire à un personnage cette analyse, qui n’est pas loin de ma position :
« Sans contester la plateforme revendicative, ni condamner la stratégie de presser le patronat à satisfaire nos exigences, je voudrais croire qu’on peut inventer d’autres méthodes pour avoir gain de cause, au-delà de la cessation de travail partielle. A voir de près, et en me basant sur le statut particulier de l’enseignant (peut-être faut-il encore apprécier la constitutionnalité de mes inquiétudes), je réalise que les 72 heures (et bientôt plus ?) de grève font plus de mal aux enseignants (qui sont aussi parents d'élèves) qu’à personne d’autre ! En temps normal, vu la pléthore des classes, les questions d’infrastructures, de scolarité, le manque de capital humain bref les conditions difficiles des situations d’apprentissage, l’enseignant a du mal à finir le programme et à apprêter l’apprenant aux bons réflexes des situations d’évaluation. Depuis l’année blanche d’avant 1990, les grèves chroniques ont ramené les apprenants à un tel niveau qu’il est difficile à une âme honnête d’en présenter un bilan positif (en tout cas, en ce qui concerne les apprenants).
Or, rappelle Jean Piaget, quand l’élève échoue, c’est l’enseignant qu’il faut fesser !
Je le répète : je n’ai rien contre l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants. Au contraire, il faut revoir le sort tragique du système éducatif, le dépolitiser par moments (puisqu’on ne peut pas toujours empêcher l’œil de l’exécutif de voir) pour des débats techniques sous l’esprit tutélaire des inspecteurs, des conseillers pédagogiques et des spécialistes en éducation. Au contraire, je martèle qu’il faut que le guide pédagogique soit heureux en vue de transférer cet heur sur chaque jeune cerveau auquel il a affaire dans sa classe et son environnement. Les grèves, telles qu’elles se sont déroulées jusque-là, y ont participé. Cependant, je voudrais qu’elles soient plus efficaces avec des dommages collatéraux moins nocifs. Car, comme beaucoup d’autres enseignants, j’accueille toujours avec peine quand à la fin, les responsables syndicaux qui ne sont pas forcément corrompus, disent : on va sauver l’année. Le recours au verbe sauver  n’est pas qu’hyperbolique ni métaphorique. C’est un verbe qu’il faut prendre surtout dans son sens dénotatif. Ce qui présuppose que ces responsables sont conscients que lorsqu’il est grève, le système éducatif – c’est-à-dire le développement – est en danger. En fait, qu’il soit apolitique ou non, l’enseignant n’est pas n’importe quel agent de l’État. Il est tel un président de la République respectable, muni d’un projet de société et soumis à un mandat déterminé. Qu’il ait bien réussi ou non, après son mandat, aucune prolongation n’est possible, en principe. Pourquoi alors s’infliger la torture de prolonger l’année scolaire, d’affronter quotidiennement les pluies diluviennes et les inondations de juin et de juillet, d’organiser comme précipitamment les examens de fin d’année à un moment où le système nerveux est épuisé et souhaite de belles vacances (quoique, hormis le repos et/ou le divertissement, ce soit la période par excellence pour remettre à jour ses connaissances) !
Mon rêve, tant que le patronat ne sera réceptif qu’à la menace des grèves, est que nous réfléchissions à ce que les responsables syndicaux délégués à la négociation nous amènent à faire pression sans risquer dangereusement d’abîmer le niveau intellectuel des apprenants, sans risquer de fabriquer des générations  sauvées, sans risquer de tester l’élasticité de l’année scolaire ni de réduire nos vacances. En conséquence, il faudra qu’on fasse grève sans jamais cesser d’administrer les cours. Et s’il faudra, malgré tout, invalider l’année scolaire, nous aurons au moins le sentiment d’avoir accompli notre mission de faire reculer l’ignorance. Dès lors, les délateurs ou les briseurs de grève qui estiment que la grève est un alibi pour prendre des pauses hebdomadaires en dehors du week-end, manqueront d’arguments : le débrayage ne peut être symptomatique de la paresse des enseignants. Et la question de défalcation se poserait en d’autres termes. Et parents d’élèves, et élèves (et même le gouvernement qui comprendrait plus d’un enseignant) sauront que la lutte des enseignants est la leur et ne vise nullement à instaurer le chaos ».

Propos recueillis par Marcel Kpogodo

jeudi 20 septembre 2018

« […] je suis artiste performeuse, vidéaste et auteure », se présente Cléophée Moser


A travers l’interview accordée à notre Rédaction

Cléophée Moser, une jeune artiste française qui a du souffle, s’est illustrée, dans la soirée du mercredi 5 septembre 2018, dans la communication, au public venu l’écouter, de plusieurs expériences de travail, qu’elle a menées au Cameroun et en République démocratique du Congo (Rdc), notamment, à travers plusieurs disciplines artistiques. L’événement s’est produit au ’’Centre’’ de Lobozounkpa, au quartier d’Atropocodji de l’Arrondissement de Godomey, dans la Commune d’Abomey-Calavi. Découverte de Cléophée Moser, un esprit aussi bien intense qu’aventureux …

Cléophée Moser, au cours de l'interview ...
Le Mutateur : Bonjour Cléophée Moser. Dans le cadre d’une résidence que tu as effectuée au ’’Centre’’ de Lobozounkpa, situé au quartier d’Atropocodji, tu as présenté, dans la soirée du mercredi 5 septembre 2018, les résultats d’un travail de création multidimensionnelle qui t’a conduite dans plusieurs pays africains avant le Bénin …


Cléophée Moser : Mi fon gandji a ? (Bonjour ! Comment vous portez-vous ? Ndlr) E na tchè nou mi gandji … (Merci beaucoup à vous …Ndlr) Kwabo do ’’Le Centre’’! (Bienvenue au ’’Centre’’ ! Ndlr).
Le mercredi 5 septembre a été inauguré un cycle d’interventions dont c’est le premier essai, qui a été pensé par Marion Hamard, la personnalité chargée de la direction artistique du ’’Centre’’. Il s’agit d’une formule qu’on a appelée ’’Artiste en présence’’. Donc, il a été question d’une rencontre artistique où l’on a invité le public à venir rencontrer l’artiste en personne, que je suis, qui a parlé de son travail. Cela s’est révélé une opportunité, à la fois pour le public d’amateurs d’art, pour un public non averti mais, aussi, pour d’autres artistes et pour des critiques d’art, de venir voir comment l’artiste percevait son propre travail et son processus créatif, et comment elle envisageait les différents thèmes sur lesquels elle travaille, et quels outils, quelles méthodes elle développe pour réaliser des œuvres qui portent sur les messages dans lesquels elle s’engage.

Cléophée Moser, au cours de l'exercice d'explication de son travail au public
Cela a eu particulièrement du sens de faire une intervention ’’Artiste en présence’’, dans mon cas, parce que je suis artiste performeuse, vidéaste et auteure, et que la part de relationnel et d’échanges avec le public constitue une partie très importante de mon travail et de ma recherche.
Le mercredi 5 septembre 2018, j’ai présenté plusieurs travaux différents, j’ai évoqué différentes disciplines artistiques : j’ai d’abord parlé de la performance comme un acte symbolique, de l’art vidéo comme un moyen de faire un art engagé qui touche le public et qui l’amène à s’interroger sur des problématiques qui sont celles que je soulève. J’ai parlé aussi des Rencontres internationales ’’KinAct’’ où j’ai été invitée, cette année, en tant qu’artiste, parce que j’ai sollicité les organisateurs de ce Festival pour qu’ils m’intègrent à la programmation. La manifestation du mercredi a été l’opportunité pour moi de parler, à la fois, de l’importance de choisir ses maîtres, c’est-à-dire ceux chez qui on entre dans l’atelier, ceux qui vont nous former, et d’expliquer aussi que c’est un engagement de ma part d’aller me former chez les meilleurs. Donc, souvent, cet objectif de qualité d’apprentissage m’amène vers le continent africain et, plus particulièrement, vers des créateurs spécifiques tels qu’Eddy Ekété qui m’a beaucoup appris, cet été.
Cela a été aussi l’occasion de parler des collaborations artistiques qui sont au centre de mon travail et j’ai emmené, petit à petit, cette conférence vers l’histoire de ce qu’on appelle l’art relationnel, c’est-à-dire les artistes qui utilisent aussi les relations humaines et les liens qu’ils nouent et qu’ils tissent avec les différents contextes et avec les humains avec lesquels ils travaillent, comme un laboratoire d’invention de nouveaux rapports entre êtres humains, qui permettent, en fait, de casser un tout petit peu le chaînon de la violence, qui nous enlise et qui nous fait stagner dans des relations stériles.
Pour le mercredi 5 septembre, il a été bon pour le public d’être venu parce qu’il fallait qu’il voie qu’il est important de profiter des artistes tant qu’ils sont vivants, pour comprendre le travail qu’ils entreprennent. Il est aussi intéressant pour d’autres artistes d’échanger sur la question d’ « artiste émergent », parce que, moi, je suis une artiste émergente, j’appartiens à une Agence, en France, qui défend, accompagne ce qu’on appelle les artistes émergents et fait leur promotion, c’est-à-dire les très jeunes artistes, ceux qui ne sont pas encore reconnus sur la scène internationale, n’ont pas encore de quote sur le marché international, ces artistes qui œuvrent, travaillent de façon professionnelle et qui ont besoin d’être accompagnés sur cette scène-là. C’est une agence qui n’a pas de frontières et qui s’intéresse aux artistes du monde entier. Donc, c’est intéressant pour les jeunes artistes de comprendre ce concept d’émergence et, finalement, comment on trouve le courage et quels outils, quelles méthodes s’offrent à nous pour nous imposer sur cette scène, en tout cas, pour nous faire une petite place.


Etant donné qu’il est difficile pour les êtres humains de se pratiquer et de travailler les uns avec les autres, comment avoir réussi à mobiliser plusieurs énergies artistiques, plusieurs artistes autour de toi ?

Je suis d’accord avec votre observation quand vous dites que les êtres humains ont peur d’aller les uns vers les autres. C’est vrai que c’est quelque chose qui va en empirant dans la société à mesure que le capitalisme et l’individualisme prennent plus de place sur la terre et endommagent une vision de la vie, plus communautaire, avec des liens plus forts. C’est quelque chose qui se sent un peu moins, ici, en Afrique de l’Ouest, mais qui est très présent en Europe ; on est très isolés les uns des autres, on a beaucoup de mal à rassembler des synergies autour d’un projet. Néanmoins, la solidarité se met énormément en place entre artistes parce qu’on en a besoin et, je pense que c’est un parti pris de mettre l’échange et l’invention de ces nouveaux rapports au cœur de notre création. C’est ce qui nous permet aussi de concrétiser notre vision d’un monde différent et de faire de nos relations le laboratoire de ce monde-là.
L’autre chose, c’est aussi que moi, j’ai commencé ma formation artistique pratique dans une école d’art en Angleterre où je me suis spécialisée dans la vidéo et l’art d’installation. Ce sont des pratiques qui nécessitent de créer, de rassembler des énergies, des forces autour de soi et de prêter aussi, soi-même, son énergie pour les projets d’autres, puisque ce sont des projets qui sont très difficiles à réaliser tout seuls. Donc, il y a une question de nécessité, aussi, à la base. Ensuite, je me suis formée à la réalisation dans le cinéma et l’audiovisuel en Estonie, à la ’’Baltik film and media school’’. Et, quand on est sur un plateau de tournage, on se rend compte que chaque film consiste à faire une œuvre collective. D’ailleurs, le statut d’un film, c’est d’être une œuvre collective, avec un partage des droits. Même si des rôles sont définis, même s’il y a un auteur, par exemple, un réalisateur, c’est vraiment grâce à une équipe et à un rassemblement de personnes qu’on va réussir à donner corps, à donner matière à ce rêve qui nous animait à la base.
Comme cela a été mon mode de formation, c’est quelque chose qui est resté dans ma pensée profondément. Il y a des temps, dans mon travail, qui sont des temps solitaires, comme n’importe qui. Déjà, je pense seule, avant toute chose, mais je suis nourrie, en permanence, à la  fois, du monde qui m’entoure, des artistes qui l’animent et, j’aime que mon travail fasse appel à d’autres plasticiens, dans un souci d’élévation collective où, ces œuvres qui sont les miennes, à la fin, montrent des collaborations et mettent le talent aussi des autres en avant et révèlent un tout petit peu des scènes artistiques.
C’est là où mon travail est à cheval entre le reportage, le documentaire et la création ; il y a beaucoup d’images et de vidéos que vous allez voir mercredi soir, qui contextualisent de façon très subjective, par exemple, une scène artistique, avec une entrée dans une fiction, mais qui rend hommage à cette scène qui la révèle sous le jour sous lequel moi, je l’ai vue. Donc, c’est un croisement de regards artistiques pour montrer les talents que moi, je vois aussi, les synergies, et montrer qu’on est un certain nombre d’artistes à avoir travaillé dans ce sens qui va ensemble, et que ce n’est pas une question de frontières, que ce n’est pas une question de séparations mais, plutôt, de rencontres, de croisement de regards, et qu’on est capable de s’embrasser quand on se retrouve au même endroit et qu’on crée ensemble. Et, je pense que le public reçoit cette énergie, je pense qu’il y a quelque chose qui entre, en ce moment-là, dans le corps du public, qui est intéressant, aussi, dans cette histoire d’invention de nouveaux rapports.


Pouvez-vous nous donner le nom de ces artistes avec lesquels vous avez collaboré ?

Bien sûr ! Ceux que nous avons eu l’occasion de découvrir, mercredi, à travers mon travail, c’est d’abord un groupe de danseurs, fameux, que j’ai rencontré au Cameroun, l’année dernière, et qui a participé à un film, à une fiction que j’ai écrite, qui est une performance dans l’espace public, qui suit le chemin d’une jeune fille. Le film s’appelle ’’Fauves’’. Donc, ces fauves, ce sont ces artistes-là ; je les ai découverts à Douala. 


Black Barby dans ''Fauves'' de Cléophée Moser - Court métrage
Comme moi, ils aiment agir dans l’espace public, ils aiment être en contact directement avec les habitants des villes, avec les usagers des villes ; ils utilisent leurs corps, des costumes, la danse, le mouvement, le geste libératoire, des actions parfois transgressives, pour venir questionner la population sur sa manière de percevoir la ville et les relations humaines qui se tissent à l’intérieur. Ce collectif est dirigé par un grand danseur qui s’appelle @LL ONE, qui est un chorégraphe de génie camerounais, qui touche à toutes les danses, qui prend l’espace public et qui encourage les artistes qui font partie de son collectif à s’emparer de l’espace qui est le leur, c’est-à-dire la ville dans laquelle ils habitent.


Cléophée Moser (à gauche), 'Mami Wata'', 'dans la performance ''Papi Wata'' - Crédit photo : Arthur Poutignat

On a aussi découvert le travail que j’ai réalisé en collaboration avec un artiste qui s’appelle Paty Masiapa ; il m’a invitée à le rejoindre dans une performance qu’il avait déjà faite, qui, pour moi, a été une expérience formidable. Paty Masiapa, qui est un très bon artiste plasticien, qui vit à Kinshasa en République démocratique du Congo, est aussi un grand musicien qui a réalisé une performance qui s’appelle ’’Papi Wata’’. En fait, il y effectue un déplacement, il utilise l’image de la divinité ’’Mami Wata’’ qui traverse, comme cela, les imaginaires d’Afrique équatoriale et des zones, en particulier, qui ont une présence littorale forte ou une présence fluviale ; c’est le cas pour la région du fleuve Congo.
Il a donc fait un déplacement de cette divinité, il l’a changée en homme et, il m’a invitée à le rejoindre dans cette performance. Pour moi, cela a été l’occasion d’entrer, cette fois, dans le travail d’un autre artiste, pas de faire entrer quelqu’un dans mon travail mais, moi, de me mettre à la disposition de cet artiste et de laisser le masque, que lui a inventé, prendre le dessus sur mon corps et trouver une façon juste d’interpréter ce que ce masque a raconté. C’est très beau parce qu’à la fin de cette collaboration, on voit qu’on est, tous les deux, dans une invention ; là, on touche à quelque chose de magnifique qui est une vraie œuvre collective où l’invention est spontanée, juste et, elle raconte un message qui s’est construit, sur le moment, entre deux personnes qui collaborent. Mais, ce travail part de la base de l’œuvre de Paty Masiapa ; on a vu, à travers la vidéo, qu’il a réalisé un travail magnifique de costumes, que, moi, j’ai eu, vraiment du plaisir à interpréter.



Cléophée Moser, dans le cadre de la performance ''Shopping-Shopping'', conduite avec l'assistance de Paty Masiapa - Crédit photo : Jean-Baptiste Joire
On a aussi parlé d’un exercice de performance, qui est connu dans le milieu des performeurs ; il m’a été proposé par le grand artiste, Eddy Ekété. Il est un plasticien et un performeur reconnu sur la scène internationale. Il a construit, avec le Collectif ’’Eza Possible’’, à Kinshasa, le Festival des Rencontres internationales de performeurs, ’’KinAct’’. C’est un projet dont le Collectif ’’Eza Possible’’, auquel Eddy Ekété appartient, est à l’origine. Moi, j’avais sollicité le Collectif ’’Eza Possible’’ et l’organisation du Festival ’’KinAct’’ pour apprendre. En ce moment, il y a eu aussi la Biennale de Kampala.
On se rend compte que ces ateliers d’artistes, ces espaces de formation qui s’ouvrent et qui sont reconnus sur la scène internationale, qui émanent du continent africain draguent et attirent des artistes du monde entier – cela a toujours été le cas - qui viennent apprendre auprès des maîtres.  
La scène de la performance, à Kinshasa, a quelque chose de brûlant, de très spécifique également et en rapport, dans le cadre du Festival ’’KinAct’’, avec l’espace public qui est vraiment exceptionnel. Moi, j’ai envie d’apprendre avec les meilleurs. Donc, j’ai fait appel au Collectif ’’Eza Possible’’ et, Eddy Ekété m’a fait réaliser une performance dont il est l’auteur, pendant ce Festival qui a été un vrai enseignement pour moi, parce que c’est une performance qui parle du déplacement et de la capacité de prendre le rôle de quelqu’un pour révéler aux habitants d’une ville la dimension performative et artistique que tous les habitants mettent en place.


Cléophée Moser, en personnage de vendeuse de pain, dans la performance, ''Lipa Yango Yo'' (Du pain pour tous) d'Eddy Ekété - Crédit photo : Mugabo Baritegera
Donc, c’est rendre hommage à la ville, à l’énergie de cette ville qu’est Kinshasa, en interprétant le rôle d’une vendeuse de pain, pour montrer l’ampleur charismatique, les stratégies performatives qu’elle emploie dans une optique commerciale et puis, pour me plier moi-même à cet exercice pour faire l’ expérience du travail de ces femmes qui marchent des kilomètres et des kilomètres avec du poids. Eddy Ekété l’enseigne très bien : la performance, c’est aussi une gestion de soi, une gestion spirituelle, une gestion mentale et, aussi, une performance physique, c’est-à-dire un effort et une énergie qu’il faut arriver à conserver.
Cette œuvre d’Eddy Ekété, je l’ai interprétée comme un exercice de performance, sous son enseignement.
On a aussi vu de l’art vidéo au féminin, des vidéos dont je suis auteur et qui impliquent que mon corps ou non m’appartient, ma personne ou non ; ces vidéos sont des moments où je passe le message de l’art engagé que je défends, qui est un art féministe qui revendique un certain nombre de changements dans les rapports entre les hommes et les femmes, entre êtres humains aussi. 


''Elles voix rouge'' - Vidéo de contestation - Crédit photo : Cléophée Moser

On a donc montré deux vidéos par rapport à cela, qui sont des vidéos féministes où je parle de mon engagement et des techniques que j’utilise pour mettre en images cet engagement. Ce sont des projets très personnels.


Quels sont tes rapports particuliers avec ’’Le Centre’’ de Lobozounkpa, à Atropocodji, ce lieu où tu as réalisé cette exposition audiovisuelle multidimensionnelle ?

J’ai découvert ’’Le Centre’’ qui est dirigé par l’artiste Dominique Zinkpè et soutenu par la Galerie Vallois ; il est installé ici, au Bénin, à Lobozounkpa, à Atropocodji. Il y a deux ans, quand j’étais en train de terminer mes études de Master 2, en « Art et Société », je me suis intéressé à cet endroit parce que j’ai découvert, d’abord, le travail des artistes. Et, c’est par le travail des artistes qui appartiennent un petit peu au cercle de Dominique Zinkpè mais, plus largement, des artistes qui sont originaires du Bénin et dont on voit les travaux sur la scène internationale, que j’ai découvert ces créateurs et puis ’’Le Centre’’ où ils sont régulièrement exposés, qui est aussi un espace de travail, de laboratoire, d’expérimentation, de rencontres entre ces artistes et la scène internationale, de confrontation avec le public, un espace de démonstration, un espace d’ateliers et puis un espace qui porte aussi un musée très important qui est ’’Le Petit musée de la Récade’’ sur les collections desquelles j’ai travaillé, dans le cadre de ma recherche.
Je suis tombée amoureuse de cet endroit, je suis tombée amoureuse de l’équipe qui le gère, des projets qu’il développe, de la manière avec laquelle cet endroit stimule la créativité des artistes, sa générosité, les moyens humains qui sont mis à disposition, et les exercices critiques que cet endroit nous propose, ce qui nous amène à méditer sur notre travail.
Donc, je suis d’abord venue ici en tant que chercheuse pour mettre à la disposition du ’’Centre’’ mon savoir-faire technique en audiovisuel pour réaliser des vidéos promotionnelles, mettre au service des artistes mes textes, mes écrits. En échange, ’’Le Centre’’ m’a donné énormément d’informations qui m’ont permis de rédiger un mémoire qui a été validé. Et puis, je suis revenue, cette fois, en tant qu’artiste créateur, en tant qu’artiste plasticienne pour présenter mon travail, le confronter au regard de mes contemporains, de mes pairs et de mes aînés, de mes grands frères, de mes grandes sœurs, que j’ai eu la chance d’étudier et, aujourd’hui, je viens avec beaucoup d’humilité leur montrer ce que j’ai su faire ces deux dernières années où ils m’ont vu marcher un peu dans le monde, m’essayer à concrétiser ma pratique artistique et à revendiquer une professionnalité, pour recevoir leur regard, entendre leurs retours, leurs conseils et bénéficier de leurs critiques, puisque c’est cela qu’on fait entre nous : on se donne des critiques constructives pour avancer et pour faire un travail qui touche, qui parle et qui arrive dans le sens de ce qu’on veut bouger dans le monde et dans les sociétés dans lesquelles on voyage.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo