Dans un univers de
personnages qui amenuisent la pourriture sociale
Aureil Patrick Bessan
utilise la nature pour contribuer à corriger les maux de tous ordres, qui y
fragilisent la vie. Ce qu’il faudrait retenir d’une incursion qu’il a bien
voulu permettre dans son monde, celui dans lequel s’épanouissent son travail et
le fruit de ce qu’il en sort quotidiennement : des personnages peu
conventionnels, eux qui s’incarnent par le souffle de vie, qu’il leur donne,
lui, leur dieu, pour une mission simple qu’il leur assigne : témoigner du
mauvais quotidien du monde, en faire prendre conscience aux hommes et,
notamment, éterniser des pistes de résolution de ces problèmes.
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Patricorel devisant avec l'ex-guerrier |
Aureil Patrick Bessan
entoure affectueusement, de l’un de ses bras, Dana, cette femme laborieuse, un
bébé au dos, le visage noir d’ébène, desséché par le soleil ardent de ses
parcours, entouré d’un voile avec, sur la tête, un colis dont l’élément qui
ressort le plus est une natte, les lèvres arrondis, dans le récit de ses
malheurs ; le signe qu’elle est très éprouvée. Selon lui, elle a
courageusement pris ses jambes à son cou, fuyant son pays en guerre et, la
voilà réfugiée au Bénin, à Cotonou, dans une maison du quartier d’Agla; le bras
très consolateur dont il la protège, porteur d’une bonne chaleur humaine, la
réconforte.
Lui, dans un cadre
qu’il a bâti à sa personnalité intrinsèque, celle de titulaire d’une Maîtrise
en Histoire de l’Art et qui dédie sa vie à l’art contemporain, lui que sa métamorphose
réussie en un artiste récupérateur a transformé en Patricorel, est très
familier de ce monde dans lequel évolue l’infortunée Dana qu’il connaît
profondément, pour l’avoir faite de ses mains !
En effet, l’élément de
base du visage de Dana est une bouteille renversée, ses yeux, son nez et ses
lèvres d’un arrondissement figé ont été conçus selon une technique dont seul le
jeune créateur a le secret, sans compter que ses membres sont aussi de la
bouteille, pendant que la consistance de son corps est tenue par du tissu.
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Patricorel posant avec Dana |
Dans un atelier de
travail gardant l’allure d’une salle de concertation, d’autres compagnons de
Dana exposent leur histoire, leurs expériences de la vie, celles-ci sont
diverses, variées, touchantes, impressionnantes, intéressantes, révélatrices ;
des portraits, accrochés au mur, exhibent fièrement leur visage en feuille
d’arbre séchée, à l’allure d’un masque de ’’kaléta’’, et leur abondante
chevelure en lamelles de tissu. Certains personnages ont un corps de bois,
habillé d’un ample tissu hollandais tant prisé par les Africains, d’autres ont
la tête coiffée du chapeau traditionnel dont ils ont la mission de rappeler et
de promouvoir l’existence : le ’’gobi’’, son sommet peut être tourné du
côté où l’on le souhaite. Comme Dana, d’autres ont le visage de bouteille, à
l’instar de l’ancien guerrier qui, du dehors, accueille tout nouvel
arrivant ; géant, d’une robustesse de bois, il fait la fierté de
Patricorel, vu un signe plus que fort, très remarquable de sa renonciation à la
guerre : le canon de son long fusil, de bois aussi, est baillonné d’un
morceau de tissu ; son très ample survêtement délavé en dit long sur une
certaine odyssée périlleuse, de même que son foulard de barbouze, sur les
tueries que la tête qu’elle attache ont pensées et que ses mains, désormais
inexistantes, ont exécutées.
Concernant cette
assemblée qu’il veut instructive pour le public, le discours de Patricorel,
matérialisé à plusieurs niveaux du mur de l’atelier, se révèle d’une
grande simplicité : « Les œuvres d’art donnent les mêmes leçons que les
grands livres classiques » ; à l’en croire, toutes ces sculptures
portent l’histoire d’une démarche de
travail, à nulle autre pareille. Et, pour arriver à ce résultat, aucun objet n'est acheté, tout est récupéré en situation de jet, d'abandon ou d'attente d'une situation de destruction.
Une diversité de
matériaux
Serait-il exagéré de l’appeler
’’l’artiste-bouteille’’ ? Il n’y a aucun doute que non, puisque les
bouteilles de vin et de tous les genres sont le premier matériau qu’il utilise,
ce qui lui permet, surtout, de camper des visages. Pour lui, la facilité pour
la bouteille de se casser témoigne de sa fragilité qui traduit celle de
l’espèce humaine, frappée par la maladie, la vieillesse et la mort. Et, il
arrive à Patricorel de concevoir une œuvre d’art de bouteille en gigogne,
c’est-à-dire qui laisse voir une bouteille incluse dans une autre, d’où, pour lui,
la fragilité de l’humain est contenue dans celle du monde, ce qui lui permet d’attirer
l’attention, par cette œuvre, sur la double fragilité.
D’un visage à un statut
social plus que difficile, c’est celui de réfugié que servent à l’artiste à
restituer les feuilles sèches, les feuilles mortes, même les feuilles
incomplètes : « Je les maintiens telles qu’elles sont et j’y colle de
petits papiers pour donner une forme complète au visage », explique-t-il,
tout en continuant : « Les feuilles mortes sont le résultat de
plusieurs faits de maltraitance : le piétinement des hommes, les bestioles
qui les attaquées dans leur état vert et le pourrissement ; c’est le cycle
de vie des réfugiés qui sont jetés sur les routes et livrés à la pauvreté par
la guerre. Chaque feuille morte représente un réfugié », finit-il.
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Patricorel en pleine conférence ... Pas de dérangement, s'il vous plaît ... |
Parlant de la guerre,
un autre fléau de notre époque, Patricorel lui consacre tout un discours de
rejet par son exploitation artistique du bois récupéré de la nature ambiante.
Ses explications permettent de comprendre, à ce propos, qu’il prend ce matériau
dans la rue, n’importe où, le garde tel quel et l’abandonne, plus ou moins en
vue, jusqu’au moment où une inspiration subite lui suggère un message adapté à
la forme qu’il présente. Après cela, il peut y travailler en y perçant des
trous, en y mettant des clous, ce qui symbolise
les coups de fusil, les coups de canon, qui tonnent au cours des
guerres. Ainsi, les visages qui se profilent, spontanément, incarnent, reconstituent,
selon l’analyse de l’artiste, « toutes les personnes ayant perdu la vie au
cours d’une guerre » ; ces œuvres sont, pour lui, un tremplin, pour
passer un message de paix ». C’est de cette manière que le personnage
emblématique, structuré de bois, qui accueille les visiteurs arrivant à son
atelier, tient un fusil bâillonné, purement et simplement
De la bouteille au bois
en passant par le tissu et la feuille morte, des personnages se font jour,
grâce au savoir-faire d’un artiste qui sait associer des matériaux accessoires,
secondaires tels que la peinture, le feu, la colle, le stylo, qui contribuent à
achever, à affiner les œuvres d’art, à en effectuer la finition.
De la bouteille au bois
en passant par le tissu et la feuille morte, ce sont des objets délaissés,
abandonnés, jetés en pleine nature, sur des dépotoirs sauvages d’ordures, dans
des ateliers, que Patricorel prend à lui, récupère, traite, sur lesquels il
travaille avec ardeur, ferveur et avec une incandescence, une chaleur
spirituelle. C’est ainsi que cet artiste exerce l’art de la récupération, dans
le but de faire passer un message fort, celui qui consiste pour lui à
s’insurger contre la surconsommation, en vogue à l’époque contemporaine. Selon
Patricorel, elle a un impact dangereux sur l’environnement, par le rejet massif
de déchets de toutes sortes dans la nature.
Une résurrection par
les mots
La nouvelle vie que
crée et développe Patricorel par les objets-ordures dont il libère, dont il
assainit l’environnement, se concrétise, d’une part, par des personnages dotés
d’une histoire à but de militantisme et, d’autre part, à travers les mots qu’il
agence, qu’il met en harmonie pour évoquer, restituer et immortaliser
l’histoire de l’objet qu’il a sauvé. De la capacité du labeur manuel à la
production du texte ’’récupératif’’, le poète d’artiste-bouteille exerce un art
poétique prenant la dimension ’’chair’’ que le créateur suprême a donnée au
verbe. Par le texte, la sculpture est pourvue, en bonne et due forme, de l’esprit,
d’où une résurrection totale.
Bons faits d’arme
A peine arrivé dans le
monde des artistes récupérateurs, remarqué par l'acteur culturel français Jean-Pierre Puyal, Patricorel, par un savoir-faire
méticuleusement mené et par l’originalité de sa démarche de travail, s’est vu
donner l’occasion de tenir des expositions hors du Bénin. D’abord, du 2 au 30
août 2017, il montrait son travail à la ’’Cave coopérative’’ de Condom, un centre
de fabrication de vin, dans le Département du Gers, non loin de la ville de
Toulouse, en France. Là, les bouteilles étaient à l’honneur puisqu’elles furent
le fondement de l’exposition. Un mois plus tard, dans le même pays, il était au
Château de Cassaigne. Enfin, le Centre culturel ’’Cavéa’’, à Valence-sur-Aise, a aussi accueilli son travail, sur le thème
des réfugiés, ce qui a offert à Patricorel l’opportunité de faire valoir
bouteilles, bois et feuilles dans un processus de résurrection artistique.
Comme projet, dans l’immédiat,
l’artiste entend réaliser, à but de sensibilisation, une exposition de rue, à
Agla, son quartier d’habitation, « pour permettre à tout le monde d’avoir
accès à mon art », précise-t-il.
Marcel Kpogodo