jeudi 6 mars 2025

Quand Charly d’Almeida innova avec “Les souvenirs de ma bouche”

Dans le cadre d'une certaine exposition


“Les souvenirs de ma bouche” est une exposition qui a duré trois mois. Elle s’est tenue à la galerie, ’’Gallery Charly’’, à Cotonou. Une conférence de presse avait permis de découvrir l'événement. Elle a eu lieu le 8 février 2025 au site indiqué. Cet échange avec les journalistes a montré une réalité fondamentale. Il s’agit de la portée faciale d’originalité de la démarche de travail de Charly d’Almeida. Il est un artiste contemporain béninois.


''Paroles profondes'', de Charly d'Almeida, qui avait été présentée à l'exposition, ''Les souvenirs de ma bouche''


Des tôles battues à des formes concaves pour aboutir à des bouches entrouvertes. Le parcours d’une démarche artistique de récupération dont le fonctionnement a été abordé à la conférence de presse de présentation de l’exposition, ’’Les souvenirs de ma bouche’’, qui s’est déroulée le samedi 8 février 2025, à la ’’Gallery Charly’’, au quartier de Zongo, à Cotonou, et qui a été co-animée par l’artiste contemporain béninois, Charly d’Almeida, et le curateur de l’exposition, Steven Coffi Adjaï.


Les formes circulaires représentent à la fois des yeux et des bouches. L’artiste intègre également d’autres métaux à résonance, tels que des gongs, des spirales ou des roulements de moto et de voiture. « Cette forme a été pour lui une révolution. Au-delà des assemblages de matériaux qu’il utilisait dans ses sculptures, il a voulu créer une forme qui lui est propre », précise le curateur.


Charly d’Almeida se souvient que cette forme ronde était déjà présente dans ses premières peintures des années 1990. « Nous avions organisé un atelier à Allada, dans le village du Roi Kpodégbé, avec des artistes plasticiens comme Edwige Aplogan, Dominique Zinkpè et Sokey Edorh du Togo. Mes premières peintures, réalisées dans ce village, étaient esquissées avec beaucoup de ronds. Au départ, ces formes représentaient l’œuf, symbole de la vie. Puis, leur sens s’est métamorphosé lorsque j’ai commencé la sculpture métallique. C’est une métaphore où je suis passé de l’œil à la bouche », raconte-t-il.


La bouche, au centre de l’exposition, ’’Les souvenirs de ma bouche’’, est, donc, l’aboutissement d’une démarche séculaire. Elle s’est affermie sur plus de trois décennies. Aujourd’hui, cette démarche se matérialise par quatre séries d’œuvres qu’a montrées l'exposition “Les souvenirs de ma bouche”. Elles variaient entre des procédés de peinture, de sculpture et d’assemblage de métaux.


La série, “Paroles profondes”, mettait en scène différentes bouches composées de manière très singulière. Certaines sont trouées, d’autres, consistantes, et d’autres, encore, sans ouverture. « Les bouches trouées reflètent les paroles flatteuses, qui ne sont pas destinées à produire un impact sur la communauté. Celles qui sont consistantes, comportant des matières, représentent les paroles qui perdurent dans le temps, influencent et nous construisent. Les bouches sans ouvertures symbolisent les paroles silencieuses, car il n’existe pas que le verbe pour exprimer une parole », explique Steven Coffi Adjaï.


Quant à la série, “Prestesses”, elle succédait à celle des “Paroles profondes”. Elle donne la parole aux femmes de pratique de la religion du vodoun de la société béninoise, évoquant les “Tangninnon” et les “Yalatchè”. « Une prêtresse n’est pas faite pour proférer des paroles négatives. Sa bouche bénit. C’est aussi une invitation à réfléchir au rôle de nos prêtresses », affirme Steven Adjaï. Ces œuvres se caractérisent par des traits féminins visibles : des tresses sur la tête, des gestes et des mouvements dans l’expression artistique.


Dans la série, “Les rêves de Dodji”, l’artiste présentait le personnage de Dodji, un prénom qui signifie “Espoir” ou “Espérance” en langue du mina ou de l’éwé. Elle explore les rêves du personnage, que l’artiste invitait le public à découvrir.


Concernant la série, “Cadences”, elle reflète l’expérience de danseur de Kaléta de Charly d’Almeida. Les peintures, empreintes d’humour et de gestuelles, célébraient ce masque à travers une explosion de couleurs. Pour Steven Coffi Adjaï, ce projet “était aussi une forme de mémoire culturelle, une lutte contre l’amnésie.


Genèse et concept

“Les souvenirs de ma bouche” est le fruit d’un ensemble d’histoires, de réflexions, de choix et de concepts. Son premier jet commence en 2023. « L’histoire de cette exposition remonte à la série “The Love of Word” (L’amour des mots), qui est l’un des premiers jets de ce projet. Une série dont une paire de pièces a participé à l’exposition diptyque, “Art du Bénin d’hier à aujourd’hui, de la restitution à la révélation” », selon Steven Coffi Adjaï. Après cette étape, une pièce intitulée “Mémoire de l’œil” a été conçue en 2023 et présentée lors de l’exposition, “Hommage à la sculpture contemporaine de Cotonou”, à la ’’Septième gallery’’, de Cotonou. En 2024, les réflexions ont évolué vers un concept qui s'inspire de la sagesse orale du Bénin.


Ce concept théorique et narratif de l’exposition repose sur deux proverbes de la langue du fon : « É non yi amlon min ha dlo kou to a ». Ceci signifie « Nul n’accompagne le rêveur dans son sommeil» et « Min dé toun amlon éé minwè dlo dé or éaa », pour « Nul ne sait dans quel sommeil se trouve le rêve ». « Le rêve est un élément très important dans la création. On a l’idée d’une pièce, on la pense. Mais, il faut parfois savoir regarder la matière que l’on veut utiliser et imaginer des formes qui n’ont jamais existé. Ces moments de rêve, dans l’acte de création, ne sont pas uniquement liés au sommeil. On peut faire un rêve éveillé, percevant les formes qui nous intéressent, qui nous habitent », a expliqué Steven Coffi Adjaï.


Les œuvres exposées sont également le reflet de l’amour de l’artiste pour sa mère. Charly d’Almeida confie qu’elle lui a toujours enseigné le poids des mots et la fragilité de la parole. « J’ai voulu parler de la bouche, montrer que la parole est très sacrée. Chez nous, on dit : “A djro nan do ho o, anan lilè dè azon tinwé”, [traduit de la langue du fon], ’’Avant de faire sortir une parole de sa bouche, il faut remuer sept fois la langue’’, parce que cette parole qui unit le monde et les cultures peut aussi engendrer une guerre si elle est mal placée », expliqua-t-il.


Léandre Houan