Dans le cadre d’une
exposition au Centre culturel chinois
Depuis le samedi 24
février 2018 se tient au Centre culturel chinois de Cotonou une exposition permettant
à quatre artistes plasticiens béninois de faire valoir le fruit de leur
inspiration concernant un sujet très simple : le ’’dialogue’’.
Particulièrement, l’un d’entre ces créateurs, le sculpteur sur pierre, Charly
Djikou, fait de cette situation de démonstration une opportunité pour s’inviter
dans l’actualité du débrayage prolongé dans le monde de l’éducation ; par
le biais d’une de ces œuvres, il appelle le Gouvernement et les enseignants à
fumer le calumet de la paix pour que le pire soit évité à notre pays.
De gauche à droite, ''Awakpokpo'' et Charly Djikou |
« ’’Awakpokpo’’,
je l’ai fabriquée spécialement, à Savè, pour inviter le Gouvernement et les
enseignants à s’entendre, afin que l’année scolaire soit sauvée ». Les
yeux pathétiques, tournés vers le soleil comme s’il le suppliait de chasser, de
sa lumière, les ombres de la grève, Charly Djikou, embrassant ’’Awakpokpo’’ de
ses grosses mains d’ouvrier de la pierre, comme accroché à une bouée de
sauvetage, s’exprime depuis l’entrée de la cour principale du Centre culturel
chinois de Cotonou, où se déroule une exposition qu’il anime, avec trois de ses
collègues artistes contemporains, depuis le 24 février 2018, sur le thème du
’’dialogue’’.
« Les artistes
plasticiens ont leur mot à dire dans la société, au même titre que les hommes
politiques, la société civile et les travailleurs », justifie l’artiste,
enfonçant sa logique d’engagement : « Il faudrait utiliser le chemin
du dialogue, car c’est lui qui apporte la paix, la compréhension, l’écoute de
l’autre », avant de conclure : « Les artistes écrivent
l’histoire de la civilisation d’un peuple, c’est ce qui me pousse à tenir
compte de la crise que nous traversons au Bénin ».
Selon Charly Djikou, ’’Awakpokpo’’,
le titre de l’œuvre porte-flambeau de son actuelle exposition au Centre
culturel chinois de Cotonou, signifie ’’ensemble’’, en langue nagot. ’’Assemblée’’
est alors l’explication circonstancielle que sélectionne, de ce mot, en langue
nationale, ce maître de la pierre, pour une très récente création qui
matérialise une grande réunion, par les nombreux visages à la bouche ouverte,
jalonnant tous ses côtés, ce qui fait, au décompte, pas moins d’une douzaine de
personnages embarqués dans une concertation stratégique, peut-être celle entre
les ministres représentant le Gouvernement Talon et les secrétaires généraux
des centrales, des confédérations syndicales et des regroupements des syndicats
d’enseignants. Surprise : un personnage, en bas, se trouve piétiné par
tous les autres ! « C’est le sage », interprète Charly Djikou,
« il supporte tout, ce pour quoi il doit avoir le dos large »,
sanctionne-t-il. Ce sage est-il le Président de la République, Patrice Talon,
que l’artiste appelle à l’acceptation de l’inacceptable, pour éteindre la crise
scolaire actuelle ?
Irrésistible exposition
En réalité, ce maître
de la pierre profite de l’exposition intitulée ’’Dialogue’’ pour prendre en
otage, dans certains de ses espaces stratégiques, le Centre culturel chinois :
à l’entrée principale, six œuvres, parmi lesquelles ’’Awakpokpo’’, se déploient
autour d’une sorte de piscine décorative, deux autres ornent une autre entrée,
celle de la résidence du maître des lieux, pendant que deux autres concèdent un
message aux visiteurs voulant accéder au hall du Centre, d’autres encore vous
assistent dans ce hall et, dans la galerie proprement dite, les toutes
dernières vous surprennent par l’inattendu du message que les a chargés de
transmettre leur père.
Si ’’Awakpokpo’’ est taillée
à partir de la pierre extraite de la Cité aux trois mamelles, Savè, un matériau
d’une « nature belle » dont le sculpteur laisse des parties intactes,
vu sa dureté, sa résistance, sa « morphologie compacte », sa beauté à
la finition, les autres pièces émanent de la pierre de la Commune de Dassa, des
régions de Dan, dans le zou, ou d’Idadjo, à Ouèssè. Lorsque ces pierres de
différentes origines contribuent à évoquer le ’’dialogue’’, l’artiste dénonce
certaines circonstances de la vie qui le compromettent : ’’Akowé I’’ et
’’Akowé II’’ rejette le port hautain et vaniteux de l’intellectuel, qui l’amène
à se bloquer à son entourage, ’’Ta vo I’’ et ’’Ta vo II’’, la vacuité
intellectuelle, spirituelle, qui débouche sur la prétention, un objet de
conflits avec les autres, ’’Zèle du roi’’, la même prétention, mais relevant de
la promotion à un poste, l’état donnant lieu à de la vantardise, ’’Grande
gueule’’, le comportement de celui qui « dit tout sans rien dire de
concret », achève l’artiste.
Et, les quatorze autres
sculptures doivent aussi être vues, de
quoi s’abreuver, d’une part, de l’expression des bons thèmes chers à Charly
Djikou : le masque ’’guèlèdè’’, la belle tradition ancestrale, la force
sociale de la mère, les valeurs du brassage, de la convivialité, du vivre
ensemble, de la vie communautaire, de la sagesse, ces qualités qui, notamment,
garantissent le dialogue. D’autre part, il est important de viter une telle
exposition, afin de constater la capacité du sculpteur à la représentation de
faits, de sentiments, de personnages.
« Je suis pierre
… »
Charly Djikou manifeste
de la familiarité, de la proximité, une profonde intimité avec la pierre, ce
qui l’amène à ne pas la travailler extérieurement ni superficiellement ; à
l’aide du burin, du marteau, de la meule avec disque diamanté, il lui dicte son
inspiration, la lui inflige, la dompte de façon à lui imprimer le message qu’il
lui tient à cœur de partager avec le public, il la sort de la nature, la
magnifie et le rend désirable ; elle n’est donc plus un matériau, mais une
partenaire, une amante et, finalement, une épouse avec qui il fait corps pour
développer une vision de conquête du monde par son ’’modèlement’’, son façonnement,
sa sculpture. Ainsi, fondu en elle, il est elle, d’où cette sourde
déclamation : « Je sors d’une pierre. Donc, je suis pierre, je
m’exprime en pierre, avec la pierre, pour la pierre. Donc, je suis la pierre,
je ne peux qu’être pierre ».
De la même manière qu’elle
se donne, se fusionne à lui, recevant de lui des semences d’inspiration,
qu’elle développe et qu’elle enrichit, qu’elle immortalise, pour la gouverne de
la postérité, il lui fait allégeance, comme à Dieu, de quoi lui imprimer son
génie, de même que de puissants gènes plus qu’identificateurs.
Et, une telle symbiose
avec la pierre, une communion si productive d’une analyse aussi pointue
qu’inattendue de la vie, Charly Djikou avoue fièrement qu’elles ne sont
nullement accidentelles, vu qu’elles viennent de son sang profond, ce qui
l’amène à la référence à l’un de ses ascendants, son arrière-grand-père, à l’origine,
fabricateur de meules de pierre, un outil, une unité de production, une
entreprise qu’il a mise en place pour satisfaire le besoin de la population d’Agbangnizoun
en écrasement de céréales. C’est ainsi que l’aïeul prophétisa, à partir
d’une conviction qu’il fit vérité, d’où sortit le patronyme ’’Djikou’’ :
« Dji na o kou o, axi na djè ! », ce qui
signifie : « Même si la saison est mauvaise, le marché s’animera !
». Ainsi, définitivement, existe, dans la Commune indiquée, du Département du
Zou, le marché ’’Djikou Sèto’’, s’animant tous les cinq jours. Comme, alors
inspiré par la veine ancestrale, Charly Djikou entretient de grands projets
pierreux pour Savè, en dehors d’une initiative, lancée et tenue, du 12 au 17
février 2018, pour créer une relève certaine en sculpture de pierre.
Marcel Kpogodo