Dans le cadre de la
3ème édition de la ’’Nuit blanche’’
Tous les compartiments
de l’Institut français de Cotonou grouillaient d’un monde réellement abondant,
dans la soirée du samedi 3 octobre 2015. La ’’Nuit blanche’’, dans son
effervescence, a permis d’assister à de nombreuses performances d’artistes
plasticiens, certaines d’entre elles s’étant révélé plus que frappantes.
|
Youchaou Kiffouly, dans sa performance osée |
Youchaou Kiffouly
baignant dans un lit puant d’ordures, Rémy Samuz porté par une petite équipe,
tous le visage grillagé, prestant, Sika, armée d’une longue canne, déambulant,
imposante, Eric Médéda, alias Doudou, le corps tout en chaînes, posant, le
visage apitoyé, sur le sort du monde, Sébastien Boko, sculptant sur bois, en
direct, sans oublier beaucoup d’autres performances en sons et en dessins avec,
en prime, à l’animation, l’inusable Sergent Markus et, surtout, Anicet
Adanzounon ! Des présentations qui ont réussi à provoquer des sensations
fortes, au niveau du public ayant fait le grand déplacement et n’oubliant pas
de se nourrir et de se désaltérer intensément. Le menu de la ’’Nuit blanche’’,
qui s’est déroulée à l’Institut français de Cotonou, de 20 h à des moments plus
que tardifs de la nuit, le samedi 3 octobre 2015.
|
Anicet Adanzounon, homme de théâtre, à la programmation musicale de la ''Nuit blanche'' |
En dehors de ces
installations se profilaient d’autres, silencieuses, à l’instar de ’’Rendez-vous
climat’’, ayant entièrement occupé l’Espace Joseph Kpobly, animée par une
dizaine d’artistes : Hector Sonon, Charles, Moufouli Bello, Totché, Sitou,
Psycoffi, Prince Toffa et, notamment, Sébastien Boko dont l’installation
monopolisait le regard.
D’abord, l’artiste
plasticien, Youchaou Kiffouly, vivant et travaillant à Porto-Novo, a frappé par
son incursion dans un réalisme hyperbolique, noyé qu’il était dans un tas d’ordures
et poussant le comble jusqu’à lécher, avec une apparente satisfaction, le
contenu de ce qui était supposé être le contenu rougeâtre d’une couche de femme
en menstruations. Très élégamment habillé d’un costume et d’une cravate, il s’enroulait
le corps de ce qu’il appelait ’’le drapeau du monde’’. Et, le personnage qu’il
jouait se dénommait ’’l’élu rêveur’’, qu’il a décrit comme un homme politique
prêt à toutes les bassesses pour conquérir l’électorat, d’où le léchage de l’intérieur
de cette couche. « Après son élection, il n’y a plus rien … »,
conclut le performeur, critiquant l’abandon de l’environnement à lui-même,
alors qu’il avait focalisé les débats, avant des consultations électorales.
Selon lui, sa démarche est un appel au recyclage des ordures, relatant l’exemple
de l’Allemagne où chaque type d’ordure a sa poubelle ; il considère,
alors, l’ordure comme de ’’l’or dur’’ dont l’homme, s’il s’organisait bien,
pourrait tirer largement des bénéfices de tous ordres. « Je vais me laver
rapidement », souffle-t-il, lui-même, à part lui, exaspéré et excédé par
la saleté ambiante dans laquelle il a dû se vautrer, pour réussir son jeu.
|
Rémy Samuz et consorts |
Avec Rémy Samuz et son
équipe, visiblement mis en scène par l’artiste plasticien, Marius Dansou, il
fallait assister à ’’Contradictions’’. « Les gens s’en foutent
complètement des changements climatiques parce que leur production leur apporte
de gros moyens, les enrichissent, ils sont aveuglés par leurs désirs … »,
lance violemment Rémy, quelques minutes après s’être débarrassé du masque de
grillage qui fermait le visage des membres de son équipe et de lui, lui qu’on
portait sur une planche et avec qui le groupe opérait des arrêts bien calculés,
impressionnant le public par cet accoutrement facial peu ordinaire et suggestif.
|
Sika |
En outre, dans ’’Moi’’,
Sika, artiste multidimensionnelle, a aussi ému par la prestance d’une démarche
qu’elle a menée, venue de nulle part, une sorte de long sceptre enfermé dans
son poing gauche ou droit, selon les besoins de l'équilibre, le visage altier, des yeux brillants et un sourire vivant,
semblant défier l’adversité. L’absurdité du jeu : cette allure de reine s’effritait,
au fur et à mesure qu’elle avançait, de la cafétéria de l’Institut français,
vers son couloir gauche faisant l’allée de bureaux. En effet, elle tombait et
se relevait fièrement, se plongeait dans une boue rouge, opportunément étalée …
Le corps recouvert d’un tissu rouge scintillant laissant néanmoins percevoir
des jambes sexy dont la curiosité vers les parties intimes s’écourtait par une
culotte noire, Sika continuait à rire et à défier, affrontait les railleries de
deux personnages doutant de sa capacité à surmonter des obstacles qui donnaient
l’impression d’être ceux de la vie courante. Cette modestie dans le vêtement exprimait, selon son analyse, un appel au naturel, au rejet de l'artificiel. A la fin du parcours initiatique
de la souffrance et de la victoire sur elle, le public pouvait l’approcher et
lui peindre ce qu’il voulait sur le corps, l’occasion d’attouchements
défoulants du désir suscité par la beauté d’un corps ferme. Beaucoup de
courageux se sont alors fait plaisir. « ’’Moi’’ est une exhortation à
vivre notre vraie personnalité, à oser vivre sa nature, à oser être soi-même,
au-delà de toutes les critiques », définit Sika. « Cette performance
exprime qui je suis, et montre qu’il est possible de vivre sa nature »,
continue-t-elle. Et, ce ’’qui je suis’’ dépend de ce que chaque membre du public
a pu lire d’elle à partir du spectacle qu’elle a livré, si généreusement. Par
ailleurs, la phase où tous devaient barioler son corps a trouvé sa
justification : « Quand vous êtes vous-mêmes, Vous aurez toujours besoin des
autres, ils laisseront leurs empreintes dans votre vie … »,
débute-t-elle, avant de s’arrêter définitivement, cette fois-ci, vêtue d’une
élégante et moulante robe blanche : « Tout dépend de ce que vous en
faites, vous … »
|
Eric Médéda, alias Doudou |
De plus, chez Doudou,
toute une question déblaie le thème de sa performance : « A qui la
liberté ? ». Elle lui sert de tremplin pour fustiger le trop plein de
lois et d’institutions comme la famille, le mariage et la religion, qui privent
l’être humain de sa liberté originelle. Prouvant cela, c’est enchaîné dans l’essentiel
de son corps qu’il a déchaîné la curiosité de la foule qui le suivait, pas pour
pas. Eric Médéda, très touché par ce qu’il stigmatisait, portait un visage d’un
pathétisme un peu trop tiré par les cheveux, mais qui a réussi à rendre compte
de la désolation de son esprit.
|
Sébastien Boko, à l'oeuvre ... |
Se rapportant
particulièrement à lui, comme s’il avait décidé de révéler le secret de la
fabrication de ses sculptures alimentant la performance silencieuse de l’Espace
Kpobly, Sébastien Boko, à l’entame de la ’’Nuit blanche’’, s’est lancé dans un
travail musculaire sans pareil, durant toute la soirée. Armé d’une pioche, il
taillait ardemment dans un tronc d’arbre long et intact et, plus de deux heures
d’acharnement après, une forme humaine debout, à la tête surmontée d’une crête,
démontrait que la vigueur du sculpteur aux nombreux galons de consécrations,
avait été payante. Plus tard, ayant complètement repris ses esprit et,
déambulant vers l’Espace Kpobly, il n’avait qu’une plainte, faiblement
exprimée, du bout des lèvres : il se sentait faible. Donc, cette vigueur
était bien celle d’un homme …
Marcel Kpogodo