Depuis le vernissage du
vendredi 30 octobre 2015
En fin d’après-midi, le
vendredi 30 octobre 2015, le Centre ’’Arts et cultures’’ de Lobozounkpa a tenu le
vernissage d’une exposition d’un genre particulier, liée aux revenants. Bruce
Clarke, Christelle Yaovi et Stéphane Pencréac’h, les trois artistes concernés,
ont ainsi mis à l’actif de leur inspiration, un peu plus d’une quarantaine de
fruits d’une réelle curiosité, après un mois de résidence.
Bruce Clarke, Kouvito et Stéphane Pencréac'h |
Accueil par un
personnage tout en fer, tout en noir pur. L’air d’un robot. Du Rémy Samuz tout
craché et, c’est l’arrivée au Centre ’’Arts et culture’’, trois peintures
murales circonscrivant stratégiquement tout l’espace, en un rectangle qui
encadre le regard et le parcours du visiteur. Jusqu’au 30 janvier 2016, ces 3
peintures murales, 2 installations, 10 œuvres en impression numérique de personnages
debout et 18 œuvres en toiles, peuvent être vues par le public, à ce Complexe
culturel de Lobozounkpa, sis Quartier Atropocodji, dans l’Arrondissement de
Godomey, de la Commune d’Abomey-Calavi, dans la ruelle du Complexe scolaire, ’’La
Plénitude’’. Le vernissage de cette exposition dénommée ’’Kouvito’’, ’’Revenants’’,
en langue fon, s’est effectué, le vendredi 30 octobre dernier, devant un grand
nombre d’invités parmi lesquels des responsables d’espaces culturels, des
artistes de tous genres, notamment, et des hommes de médias. Dominique Zinkpè,
Directeur exécutif du Complexe culturel, a patronné le lancement de la visite.
Les trois artistes, au cours de leurs échanges ... |
Bruce Clarke,
Christelle Yaovi et Stéphane Pencréac’h ont montré un premier niveau de
manifestation de leur particularité artistique, à travers la peinture murale
que chacun d’eux a réalisée, sans oublier la déambulation, au cours de la
soirée du vernissage, d’un personnage vivant, peint en ’’Kouvito’’ par le
marquage sur son corps, à l’acrylique, grâce à l’art de Bruce et de Stéphane,
des traits du squelette, lui donnant l’allure d’un vrai mort vivant, d’un
fantôme : Marius Bâjidé Dakpogan n’a pas voulu ne pas être de la fête.
... avec le public |
Premièrement, Stéphane
Pencréac’h se fait signaler, à l’entrée dans le Centre ’’Arts et cultures’’. Dès
que le visiteur franchit le 2ème portail, il remarque, à sa droite,
une prise en charge artistique de la façade haute et droite du mur, représentant
désormais comme un espace de plage, dans une technique de mise en perspective.
Selon l’auteur de cette réalisation, il s’agit de la matérialisation d’une
plage symbolique du départ massif des bras valides des pays côtiers de l’Afrique,
vers l’Europe et les Amériques. Tout un réveil des trois siècles du commerce triangulaire.
Visite de l'exposition ... |
Tout au fond, la
deuxième peinture murale capture le regard. Du Bruce Clarke. Elle attire et
soustrait vers elle. Le personnage, les deux mains en arrière, le corps tendu
en avant, danse peut-être. C’est selon la lecture du visiteur. C’est l’antichambre
vers l’atelier de travail de ce créateur, la salle d’exposition de la dizaine
des ’’personnages debout’’ du même Bruce Clarke. Et, la réelle logique du ’’Kouvito’’. Maintenus
dans cette position grâce au vertical panneau en toile relevant d’une
impression numérique suspendue par du fil au plafond, ces personnages, hommes,
femmes, enfants, tous sexes confondus, célèbrent leur résurrection des
entrailles d’un génocide de 1994 puissamment meurtrier, mais dont Bruce Clarke
maintient la mémoire, eux qui constituent un million de condamnés dont la
vérité sur les conditions de la disparition reste réservée à un cercle
restreint de privilégiés, ce qui horrifie l’artiste anglo-sud-africain.
.... par le public |
En revenant sur ses pas
comme si l’on voulait sortir du Centre, la troisième peinture murale, celle-ci,
de la Franco-béninoise, Christelle Yaovi. Elle a exploité le mur latéral de la
bibliothèque pour livrer ses mots intimes, par un texte entièrement écrit à l’encre
de Chine, intitulé, ’’Body trip’’, ’’Revenante vivante’’, en français (Texte à lire en annexe). Une
véritable confession de la ’’résilience’’, d’un cheminement qui lui est
interne, du parcours ordinairement humain de naissance, de rencontre des
réalités aussi bien dures qu’absurdes de la vie, pour finir par renaître dans
une espérance absolument rayonnante. « […] j’ai choisi de vivre, debout en
habit de lumière », conclura-t-elle, en ’’kouvito’’ positive, ne ménageant
aucun répit au visiteur et le lançant instantanément dans l’une de ses deux installations,
à quelques petits mètres du mur : le ’’Body trip’’ 2, dans un espace bien
délimité. L’essentiel de l’œuvre est un dispositif sur bois que de nombreuses
lames parcourent, que nous soyons au sol ou au sommet du support. Et, tout
près, un avertissement sentencieux, un appel, semble-t-il à l’humilité : « Poussière
tu es, poussière tu retourneras ».
Les peintures murales de Stéphane Pencréac'h ... |
Empreint de la force d’une
telle suggestion, le visiteur aborde, en toute sérénité, la caverne d’Ali Baba,
la galerie d’exposition d’une alternance de surprenantes toiles des trois
anciens résidents. Du côté de Christelle Yaovi, la technique de l’acrylique et
du collage fait son chemin à travers les œuvres, même lorsque certains dessins
sont réalisés à l’encre de Chine.
... et de Bruce Clarke |
Cette démarche honore pas moins de 17 œuvres réparties
entre les trois salles de cette galerie et son atelier de travail. Stéphane
Pencréac’h, lui, occupe, de ses 6 toiles, l’essentiel de la salle 1 d’exposition,
développant un procédé artistique unique, celui de l’acrylique sur pagne.
Innovant. Avec Bruce, la première salle d’exposition resplendit de deux
revenants, deux ’’hommes debout’’, par les œuvres ’’Muted response’’ et ’’A
place in history’’. Dans la salle 3, deux catégories de toiles : deux peintures
de ces personnages-revenants, le ''Fantôme de la mer'' 1 puis le ''Fantôme de la mer'' 2, un hommage, selon l'auteur, aux personnes perdues dans les immigrations vers l'Europe, et deux photos brouillées d’une longueur verticale
de la même facture que celles de l’impression numérique, ’’Fantôme de la terre’’
1 et ’’Fantôme de la terre’’2 ; A voir absolument !
Marcel Kpogodo
Texte
de Christelle Yaovi :
Body trip - Body trip revenant - Revenante vivante
Présentation murale du texte de Christelle Yaovi |
Body trip, le voyage
vivant du corps.
De mon corps, du corps
du nouveau-né, de la petite fille, du petit garçon
Du corps féminin, du
corps masculin, du yin, du yang.
La lumière fut et le
cri jaillit. Voici le voyage … L’obscurité de notre humanité nous emporte.
Cache-cache nous tient, nous broie. Voici le bal des faux-semblants, des âmes
perdues, des mots assassins, d’une mort lente, d’une agonie sans fin. Voici la
brûlure qui vide l’âme, rend l’esprit fou. Ce corps assassiné, les entrailles
en feu, le cœur à l’arrêt … Voici la solitude abyssale rendue au néant, au
gouffre d’avant-création.
Le voyage demeure avec
le corps meurtri mutilé assassiné. Survivre jour après jour, des instants
douloureux se laissant traverser vivants. Il faut se rendre à l’évidence, la
vie reste la plus forte tapie de lumière. Demeurer au milieu du ko, au cœur du
corps sanguinolent, les entrailles en bataille, les genoux flottants, s’agrippant
à son propre pardon … Miracle chante, danse … Ecroulement des paravents, des
représentations, déchirement du voile des apparences. Cette capacité d’aimer nous
cheville au corps, aucune renonciation à l’horizon, une dévotion se meut, le
corps devient plus fort à l’endroit de la cassure, le corps se bat, cicatrise,
guérit, pardonne, s’apaise puis danse à nouveau, une danse de corps jumeaux en
transe qui se noie dans la lumière de jouissance puissante d’énergie. Corps violon
pour boire l’éternité, les yeux dans les yeux … Voici la présence, qu’as-tu
fait à ta vie ? Qu’a-t-on fait à ta vie ? Assassinée ? Mutilée ?
Sacrifiée ? Niée ? Soldée ? Naître à ce qui est, choisir de
vivre, choisir d’aimer, choisir la résilience … J’ai été assassinée et j’ai
choisi de vivre, debout en habit de lumière.
Going home.
Christelle Yaovi, 2015.