samedi 11 avril 2015

Deux "sorciers" dans le ''Cénacle expérimental'' de Charly d'Almeida

Entrée dans l’intimité de deux jeunes créateurs


Vue sur deux jeunes espoirs des arts plastiques au Bénin, le 8 avril dernier, à la veille du vernissage de l’exposition tenant lieu de restitution de la résidence de création, le ’’Cénacle expérimental’’, mise en place par l’artiste peintre béninois, Charly d’Almeida,  ; ils fusionnent par une force de caractère peu commune : des ’’sorciers’’, pour leur entourage qui s’habitue très peu à eux …


Ils sont considérés par leurs proches familiaux comme des ’’sorciers’’, étant donné leur résistance à se faire envahir par une atmosphère extérieure peu plaisante, peu épanouissante, une situation de deuil, en l’occurrence ; devant les larmes ambiantes, ils gardent les yeux secs, ruminant intimement leur douleur, s’extrayant de l’hypocrisie exigée par les règles de la comédie humaine, s’économisant tout comportement futile, inutile, incapable de contrer, de conjurer la fatalité. Devant un tel anticonformisme mal reçu, ils ne sont que des sorciers.
Achille Adonon, en pleine création, le 3 avril dernier ...
L’un est peintre, l’autre l’est aussi, mais il se fait découvrir sous une autre facette de sculpteur-récupérateur. La résidence de création, de formation et d’échanges, dénommée ’’Le cénacle expérimental’’, tenue du 1er au 9 avril derniers, à l’initiative de Charly d’Almeida, est le cadre ayant permis d’entrer dans l’intimité de leur psychologie.
L’un, d’une taille un peu légèrement au-dessus de la moyenne, malingre, la simplicité d’un regard pétillant de consistance, il reçoit de bons effluves d’inspiration sous l’effet d’une musique gospel distillée dans ses oreilles par les écouteurs de son téléphone portable. L’autre, de taille modeste, dreadlockeux, le sourire facile, mais le regard ferme. Un contraste entre ces deux personnalités, une opposition qui n’est qu’apparente, quand elles nous donnent l’occasion de les pénétrer. Donc, en plus de déployer un caractère commun de sorcier, ils sont de la vingt-huitaine et ont travaillé sur la guerre, au ’’Cénacle expérimental’’.
Le premier déploie ce thème à son niveau étroitement social, à travers une toile portant justement le titre, ’’Le choix’’, une peinture aussi sombre, aussi mélancolique, que l’état d’âme quotidien de ce jeune artiste : du gris-cendre, du jaune sombre, du noir … Et, ces couleurs, confie-t-il, c’est la relation de son enfance difficile, lui qui est né en Mauritanie, d’un père mécanicien d’avion, qui a choisi de se faire élever par son oncle maternel, qui a fait ses premiers bancs d’école à Savè, dans un environnement social où les ressortissants de l’ethnie fon sont l’objet d’une haine séculaire rappelant les durs moments des guerres de conquête des rois d’Abomey. Victime collatérale lointaine, il n’arrivait pas à s’exprimer ou, si cela était possible, cela se passait avec des ressortissants aboméens,  comme lui ; on le détestait sans qu’il ait fait quelque chose à quelqu’un. C’est ainsi qu’il présente le ton d’une guerre au Bénin entre les localités : « Les fon ne s’entendent pas avec les Idaatcha à cause du passé, cela constitue un frein au développement et est attisé par des parents qui ont mal éduqué leur progéniture ; ils lui inculquent cette mentalité de la mésentente, ce qui est un véritable fléau social », éclaircit-il.  « J’expose le monde en mouvement, les vibrations que je ressens au sein de mon environnement », explique-t-il, comme pour renforcer l’analyse de son premier tableau : selon lui, au Bénin, la guerre se tient aussi dans les familles, entre des frères qui, par tous les moyens, se disputent l’héritage paternel.
Toutes ces guerres, il use d’une démarche très précise pour les révéler : ses matériaux favoris sont des lacets et des résidus de charbon, ces seconds qui lui rappellent fortement l’ambiance culinaire de son environnement d’enfance, ce qui montre une profonde inspiration de cet artiste de son vécu personnel. Pour lui, Charly d’Almeida est un modèle depuis toujours, un repère à atteindre et à dépasser, sa manière de lui rendre hommage de l’inspirer constamment et de lui avoir donné une ouverture à travers le ’’Cénacle expérimental’’.
Dans ses deuxième et troisième toiles, la liberté, sujet de la résidence de création, trouve une place d’impératrice. La première, intitulée ’’Horizon’’, livre deux facettes de la liberté, comme sur une pièce d’argent : la première décline le jour comme la propre expression de cette liberté où l’être humain peut aller et venir, travailler, se livrer à ses différentes occupations, ce que permet le soleil, la lumière qu’il dégage. La seconde restitue tout le contraire à travers la nuit qui met tout le monde au repos.
Avec le tableau intitulé ’’Ordonnance’’, il y a l’expression des limites à la liberté.



L’autre …

Pierre Mahoussi Ahodoto
Quant à l’autre artiste, le second des deux, il est bâti à peu près dans la même matière intellectuelle que le premier qui a renoncé au baccalauréat, après deux tentatives infructueuses. Lui n’a pu même atteindre cette étape, ce qui ne constitue guère pour lui un handicap, armé qu’il est aussi de la rage de dénoncer la guerre ; il se livre à cette vision ponctuelle par le montage artistique d’armes de guerre, à qui il définit la mission de la destruction psychologique de la guerre : des Akm 5 et 10. Ses matériaux en sont les sachets, les toiles cirées, les récipients en plastiques qui ne sont plus utilisés. Il les récupère, les brûle, les modèle de façon à leur imprimer les formes qu’il veut : d’un côté, deux pistolets, d’un autre, des sculptures toutes en noir, qu’il décrit comme des corps humains déformés, éclopés par les guerres. Mais, reconnaît-il, dans cette violence qu’il dénonce s’exerce la sienne propre, celle qu’il commet par l’étape cruciale de la brûlure incontournable du plastique, ce qui dégage une fumée noire destructrice de la couche d’ozone. Très vite, il trouve un facteur de consolation : la récupération de tous les éléments en plastique, non biodégradables par-dessus tout, constitue une action salvatrice de l’environnement.

L’un est Achille Adonon, l’autre, Pierre Mahoussi Ahodoto.


Marcel Kpogodo 

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