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samedi 17 mars 2018

Charly Djikou, l’appel suppliant au ’’dialogue’’ salvateur entre Gouvernement et enseignants


Dans le cadre d’une exposition au Centre culturel chinois


Depuis le samedi 24 février 2018 se tient au Centre culturel chinois de Cotonou une exposition permettant à quatre artistes plasticiens béninois de faire valoir le fruit de leur inspiration concernant un sujet très simple : le ’’dialogue’’. Particulièrement, l’un d’entre ces créateurs, le sculpteur sur pierre, Charly Djikou, fait de cette situation de démonstration une opportunité pour s’inviter dans l’actualité du débrayage prolongé dans le monde de l’éducation ; par le biais d’une de ces œuvres, il appelle le Gouvernement et les enseignants à fumer le calumet de la paix pour que le pire soit évité à notre pays.

De gauche à droite, ''Awakpokpo'' et Charly Djikou
« ’’Awakpokpo’’, je l’ai fabriquée spécialement, à Savè, pour inviter le Gouvernement et les enseignants à s’entendre, afin que l’année scolaire soit sauvée ». Les yeux pathétiques, tournés vers le soleil comme s’il le suppliait de chasser, de sa lumière, les ombres de la grève, Charly Djikou, embrassant ’’Awakpokpo’’ de ses grosses mains d’ouvrier de la pierre, comme accroché à une bouée de sauvetage, s’exprime depuis l’entrée de la cour principale du Centre culturel chinois de Cotonou, où se déroule une exposition qu’il anime, avec trois de ses collègues artistes contemporains, depuis le 24 février 2018, sur le thème du ’’dialogue’’.
« Les artistes plasticiens ont leur mot à dire dans la société, au même titre que les hommes politiques, la société civile et les travailleurs », justifie l’artiste, enfonçant sa logique d’engagement : « Il faudrait utiliser le chemin du dialogue, car c’est lui qui apporte la paix, la compréhension, l’écoute de l’autre », avant de conclure : « Les artistes écrivent l’histoire de la civilisation d’un peuple, c’est ce qui me pousse à tenir compte de la crise que nous traversons au Bénin ».
Selon Charly Djikou, ’’Awakpokpo’’, le titre de l’œuvre porte-flambeau de son actuelle exposition au Centre culturel chinois de Cotonou, signifie ’’ensemble’’, en langue nagot. ’’Assemblée’’ est alors l’explication circonstancielle que sélectionne, de ce mot, en langue nationale, ce maître de la pierre, pour une très récente création qui matérialise une grande réunion, par les nombreux visages à la bouche ouverte, jalonnant tous ses côtés, ce qui fait, au décompte, pas moins d’une douzaine de personnages embarqués dans une concertation stratégique, peut-être celle entre les ministres représentant le Gouvernement Talon et les secrétaires généraux des centrales, des confédérations syndicales et des regroupements des syndicats d’enseignants. Surprise : un personnage, en bas, se trouve piétiné par tous les autres ! « C’est le sage », interprète Charly Djikou, «  il supporte tout, ce pour quoi il doit avoir le dos large », sanctionne-t-il. Ce sage est-il le Président de la République, Patrice Talon, que l’artiste appelle à l’acceptation de l’inacceptable, pour éteindre la crise scolaire actuelle ?


Irrésistible exposition

En réalité, ce maître de la pierre profite de l’exposition intitulée ’’Dialogue’’ pour prendre en otage, dans certains de ses espaces stratégiques, le Centre culturel chinois : à l’entrée principale, six œuvres, parmi lesquelles ’’Awakpokpo’’, se déploient autour d’une sorte de piscine décorative, deux autres ornent une autre entrée, celle de la résidence du maître des lieux, pendant que deux autres concèdent un message aux visiteurs voulant accéder au hall du Centre, d’autres encore vous assistent dans ce hall et, dans la galerie proprement dite, les toutes dernières vous surprennent par l’inattendu du message que les a chargés de transmettre leur père.
Si ’’Awakpokpo’’ est taillée à partir de la pierre extraite de la Cité aux trois mamelles, Savè, un matériau d’une « nature belle » dont le sculpteur laisse des parties intactes, vu sa dureté, sa résistance, sa « morphologie compacte », sa beauté à la finition, les autres pièces émanent de la pierre de la Commune de Dassa, des régions de Dan, dans le zou, ou d’Idadjo, à Ouèssè. Lorsque ces pierres de différentes origines contribuent à évoquer le ’’dialogue’’, l’artiste dénonce certaines circonstances de la vie qui le compromettent : ’’Akowé I’’ et ’’Akowé II’’ rejette le port hautain et vaniteux de l’intellectuel, qui l’amène à se bloquer à son entourage, ’’Ta vo I’’ et ’’Ta vo II’’, la vacuité intellectuelle, spirituelle, qui débouche sur la prétention, un objet de conflits avec les autres, ’’Zèle du roi’’, la même prétention, mais relevant de la promotion à un poste, l’état donnant lieu à de la vantardise, ’’Grande gueule’’, le comportement de celui qui « dit tout sans rien dire de concret », achève l’artiste.
Et, les quatorze autres sculptures  doivent aussi être vues, de quoi s’abreuver, d’une part, de l’expression des bons thèmes chers à Charly Djikou : le masque ’’guèlèdè’’, la belle tradition ancestrale, la force sociale de la mère, les valeurs du brassage, de la convivialité, du vivre ensemble, de la vie communautaire, de la sagesse, ces qualités qui, notamment, garantissent le dialogue. D’autre part, il est important de viter une telle exposition, afin de constater la capacité du sculpteur à la représentation de faits, de sentiments, de personnages.


« Je suis pierre … »

Charly Djikou manifeste de la familiarité, de la proximité, une profonde intimité avec la pierre, ce qui l’amène à ne pas la travailler extérieurement ni superficiellement ; à l’aide du burin, du marteau, de la meule avec disque diamanté, il lui dicte son inspiration, la lui inflige, la dompte de façon à lui imprimer le message qu’il lui tient à cœur de partager avec le public, il la sort de la nature, la magnifie et le rend désirable ; elle n’est donc plus un matériau, mais une partenaire, une amante et, finalement, une épouse avec qui il fait corps pour développer une vision de conquête du monde par son ’’modèlement’’, son façonnement, sa sculpture. Ainsi, fondu en elle, il est elle, d’où cette sourde déclamation : « Je sors d’une pierre. Donc, je suis pierre, je m’exprime en pierre, avec la pierre, pour la pierre. Donc, je suis la pierre, je ne peux qu’être pierre ».
De la même manière qu’elle se donne, se fusionne à lui, recevant de lui des semences d’inspiration, qu’elle développe et qu’elle enrichit, qu’elle immortalise, pour la gouverne de la postérité, il lui fait allégeance, comme à Dieu, de quoi lui imprimer son génie, de même que de puissants gènes plus qu’identificateurs.
Et, une telle symbiose avec la pierre, une communion si productive d’une analyse aussi pointue qu’inattendue de la vie, Charly Djikou avoue fièrement qu’elles ne sont nullement accidentelles, vu qu’elles viennent de son sang profond, ce qui l’amène à la référence à l’un de ses ascendants, son arrière-grand-père, à l’origine, fabricateur de meules de pierre, un outil, une unité de production, une entreprise qu’il a mise en place pour satisfaire le besoin de la population d’Agbangnizoun en écrasement de céréales. C’est ainsi que l’aïeul prophétisa, à partir d’une conviction qu’il fit vérité, d’où sortit le patronyme ’’Djikou’’ : « Dji na o kou o, axi na djè ! », ce qui signifie : « Même si la saison est mauvaise, le marché s’animera ! ». Ainsi, définitivement, existe, dans la Commune indiquée, du Département du Zou, le marché ’’Djikou Sèto’’, s’animant tous les cinq jours. Comme, alors inspiré par la veine ancestrale, Charly Djikou entretient de grands projets pierreux pour Savè, en dehors d’une initiative, lancée et tenue, du 12 au 17 février 2018, pour créer une relève certaine en sculpture de pierre.

Marcel Kpogodo

samedi 11 avril 2015

Deux "sorciers" dans le ''Cénacle expérimental'' de Charly d'Almeida

Entrée dans l’intimité de deux jeunes créateurs


Vue sur deux jeunes espoirs des arts plastiques au Bénin, le 8 avril dernier, à la veille du vernissage de l’exposition tenant lieu de restitution de la résidence de création, le ’’Cénacle expérimental’’, mise en place par l’artiste peintre béninois, Charly d’Almeida,  ; ils fusionnent par une force de caractère peu commune : des ’’sorciers’’, pour leur entourage qui s’habitue très peu à eux …


Ils sont considérés par leurs proches familiaux comme des ’’sorciers’’, étant donné leur résistance à se faire envahir par une atmosphère extérieure peu plaisante, peu épanouissante, une situation de deuil, en l’occurrence ; devant les larmes ambiantes, ils gardent les yeux secs, ruminant intimement leur douleur, s’extrayant de l’hypocrisie exigée par les règles de la comédie humaine, s’économisant tout comportement futile, inutile, incapable de contrer, de conjurer la fatalité. Devant un tel anticonformisme mal reçu, ils ne sont que des sorciers.
Achille Adonon, en pleine création, le 3 avril dernier ...
L’un est peintre, l’autre l’est aussi, mais il se fait découvrir sous une autre facette de sculpteur-récupérateur. La résidence de création, de formation et d’échanges, dénommée ’’Le cénacle expérimental’’, tenue du 1er au 9 avril derniers, à l’initiative de Charly d’Almeida, est le cadre ayant permis d’entrer dans l’intimité de leur psychologie.
L’un, d’une taille un peu légèrement au-dessus de la moyenne, malingre, la simplicité d’un regard pétillant de consistance, il reçoit de bons effluves d’inspiration sous l’effet d’une musique gospel distillée dans ses oreilles par les écouteurs de son téléphone portable. L’autre, de taille modeste, dreadlockeux, le sourire facile, mais le regard ferme. Un contraste entre ces deux personnalités, une opposition qui n’est qu’apparente, quand elles nous donnent l’occasion de les pénétrer. Donc, en plus de déployer un caractère commun de sorcier, ils sont de la vingt-huitaine et ont travaillé sur la guerre, au ’’Cénacle expérimental’’.
Le premier déploie ce thème à son niveau étroitement social, à travers une toile portant justement le titre, ’’Le choix’’, une peinture aussi sombre, aussi mélancolique, que l’état d’âme quotidien de ce jeune artiste : du gris-cendre, du jaune sombre, du noir … Et, ces couleurs, confie-t-il, c’est la relation de son enfance difficile, lui qui est né en Mauritanie, d’un père mécanicien d’avion, qui a choisi de se faire élever par son oncle maternel, qui a fait ses premiers bancs d’école à Savè, dans un environnement social où les ressortissants de l’ethnie fon sont l’objet d’une haine séculaire rappelant les durs moments des guerres de conquête des rois d’Abomey. Victime collatérale lointaine, il n’arrivait pas à s’exprimer ou, si cela était possible, cela se passait avec des ressortissants aboméens,  comme lui ; on le détestait sans qu’il ait fait quelque chose à quelqu’un. C’est ainsi qu’il présente le ton d’une guerre au Bénin entre les localités : « Les fon ne s’entendent pas avec les Idaatcha à cause du passé, cela constitue un frein au développement et est attisé par des parents qui ont mal éduqué leur progéniture ; ils lui inculquent cette mentalité de la mésentente, ce qui est un véritable fléau social », éclaircit-il.  « J’expose le monde en mouvement, les vibrations que je ressens au sein de mon environnement », explique-t-il, comme pour renforcer l’analyse de son premier tableau : selon lui, au Bénin, la guerre se tient aussi dans les familles, entre des frères qui, par tous les moyens, se disputent l’héritage paternel.
Toutes ces guerres, il use d’une démarche très précise pour les révéler : ses matériaux favoris sont des lacets et des résidus de charbon, ces seconds qui lui rappellent fortement l’ambiance culinaire de son environnement d’enfance, ce qui montre une profonde inspiration de cet artiste de son vécu personnel. Pour lui, Charly d’Almeida est un modèle depuis toujours, un repère à atteindre et à dépasser, sa manière de lui rendre hommage de l’inspirer constamment et de lui avoir donné une ouverture à travers le ’’Cénacle expérimental’’.
Dans ses deuxième et troisième toiles, la liberté, sujet de la résidence de création, trouve une place d’impératrice. La première, intitulée ’’Horizon’’, livre deux facettes de la liberté, comme sur une pièce d’argent : la première décline le jour comme la propre expression de cette liberté où l’être humain peut aller et venir, travailler, se livrer à ses différentes occupations, ce que permet le soleil, la lumière qu’il dégage. La seconde restitue tout le contraire à travers la nuit qui met tout le monde au repos.
Avec le tableau intitulé ’’Ordonnance’’, il y a l’expression des limites à la liberté.



L’autre …

Pierre Mahoussi Ahodoto
Quant à l’autre artiste, le second des deux, il est bâti à peu près dans la même matière intellectuelle que le premier qui a renoncé au baccalauréat, après deux tentatives infructueuses. Lui n’a pu même atteindre cette étape, ce qui ne constitue guère pour lui un handicap, armé qu’il est aussi de la rage de dénoncer la guerre ; il se livre à cette vision ponctuelle par le montage artistique d’armes de guerre, à qui il définit la mission de la destruction psychologique de la guerre : des Akm 5 et 10. Ses matériaux en sont les sachets, les toiles cirées, les récipients en plastiques qui ne sont plus utilisés. Il les récupère, les brûle, les modèle de façon à leur imprimer les formes qu’il veut : d’un côté, deux pistolets, d’un autre, des sculptures toutes en noir, qu’il décrit comme des corps humains déformés, éclopés par les guerres. Mais, reconnaît-il, dans cette violence qu’il dénonce s’exerce la sienne propre, celle qu’il commet par l’étape cruciale de la brûlure incontournable du plastique, ce qui dégage une fumée noire destructrice de la couche d’ozone. Très vite, il trouve un facteur de consolation : la récupération de tous les éléments en plastique, non biodégradables par-dessus tout, constitue une action salvatrice de l’environnement.

L’un est Achille Adonon, l’autre, Pierre Mahoussi Ahodoto.


Marcel Kpogodo