C'est un livre d'une qualité particulière qui a été lancé, le samedi
1er mars 2014, en milieu d'après-midi, sous la grande paillotte de l'Institut
français de Cotonou. "Eden d'ébène", cet ouvrage du journaliste,
animateur et chroniqueur culturel, Jasmin Ahossin-Guézo, revendique une saveur
particulière de vengeance positive, une vengeance calmement proférée, à l'aide
de 60 souffles chaleureusement inspirés, à l'aide de 60 souffles profondément
vécus de l'intérieur de la psychologie du jeune écrivain.
Il prend bien son temps, Jasmin
Ahossi-Guézo, à travers "Eden d'ébène", son premier livre, qu'il a
lancé le samedi 1er mars dernier et qu'on se procure déjà, dans les librairies
de la place. 5000 francs pour ce bijou de catalogue poétique, cela relève d'un
véritable cadeau, un livre confortable, par la page de couverture, déjà, au
regard et au toucher, d'un fond noir plein d'espérance, vu les couleurs rouge
et indigo qui parsèment ce fond, matérialisant les éclaircies prometteuses du
Noir portant encore durement les stigmates du viol de son identité par deux
femmes, véritables épouses de gerfauts, l'esclavage et la colonisation, sans
oublier, dans l’encadré rectangulaire gauche de cette même page de couverture,
un dessin de Thierry Oussou, jumeau de circonstance de l’auteur, ce dessin
d’une simplicité magistrale, réhabilitant ce Noir qui, tout d’un coup, par la
magie de l’espérance, du négro-optimisme, est crayonné en blanc. Tout un
symbole pour montrer que la réhabilitation du Noir par la nouvelle génération
de la littérature poétique béninoise ne souffrira d’aucun surcroît
d’imagination ! Et Thierry Oussou donne ainsi un ton auquel il restera
fidèle, tout le long du livre, dessinant comme les enfants dont il est nostalgique,
à ses dires, de l’innocence.
Il prend bien son temps, Jasmin
Ahossin-Guézo, le volubile qui, dans ses ardentes chroniques sur
"Weekend-matin", laissent se chevaucher les mots, marqué par un temps
d'une précarité essentielle, lui qui, métamorphosé en un narrateur homodiégétique,
dans le paradis qu'il veut pour le Nègre, qu'il voit d'ailleurs pour lui,
souffle, souffle 60 fois, lentement, prudemment mais certainement, durement,
imposant presque au Nègre de comprendre que son heure est venue, celle, en page
18 du livre, de la foi en la prospérité, de la prospérité, de la croissance
économique, du développement ... : « [...] C'est que je crois tant qu'il fera
jour dans ce jardin d'éden, ce jardin ébène où j'inaugure le geste enfanteur :
je croque la pomme en égérie sacrificielle d'un poème nouveau pour qu'il ne
soit mal écrit ... »
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Jasmin Ahossin-Guézo |
Oui, son temps, il le prend à merveille,
le jeune Jasmin Ahossin-Guézo, laissant planer un suspens doux, par les cinq pages
liminaires qu’il donne à savourer, de sa note à une pensée personnelle qu’il
soumet sur son expérience de l’aventure poétique, en passant par deux pages
successives de dédicace et de remerciements, puis par l’avant-poème de cet
autre magicien du verbe pragmatique, le monument, Albert Tévoèdjrè, - comment
l’a-t-il négocié ? – et il termine l’aventure par un dessin très oussouien
de lui, un portrait d’une image trop mûrie de lui, comme si
l’artiste-plasticien avait décelé qu’il était en avance sur son temps. Closant
le système d’Eden d’ébène, il s’accroche
à cet autre meilleur dans sa catégorie, le géant Jérôme Carlos ; à travers
un ’’post-poème’’, celui-ci rend compte de la trop féminine inspiration du
jeune auteur de 27 ans, indiquant le renvoi par celui-ci du lecteur – un Noir,
de préférence - à la création par lui de sa propre gloire. Enfin, des ’’Fragments’’,
en une dizaine de pages, étalent des pièces poétiques, apparemment d’une
inspiration inclassable et donnant du poète l’image d’un insatiable de l’expression.
Des 60 souffles de Jasmin
En fait d’une soixantaine de souffles, l’observateur
regretterait de ne pas se délester d’un quelconque billet de cinq mille francs
pour lire de lui-même comment, concernant ''Eden d'ébène'' dont les pages sont aussi numérotées en langue fon, il s’agit plutôt d’un souffle en soixante pauses surréalistes !
Sous le couvert des Editions Chrysalide,
à Cotonou, ’’Eden d’ébène’’, ce long souffle, en 92 pages, manifeste soixante
arrêts, par une ambiance toute gâteau, par une atmosphère d’une douilletterie
savante, dans des thèmes de l’amour (poèmes 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 35, 36,
37, 39, 40, 41, 51, 53, 54, 55, 56) de la satiété sensuelle et sexuelle (poèmes
38, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50), du trépas destructible du Noir (poème 3), de l’espérance
(poèmes 1, 2, 4, 6, 16, 17, 19, 20, 21), de la symbiose de l’homme avec l’univers
(poèmes 7, 9, 11, 13, 22, 23, 25), de la libre vision du poète de l’existence
(poèmes 1, 7, 12, 15, 18, 34, 57, 58, 59, 60), de la mission cathartique du
poète (poèmes 4, 5, 10,14, 24, 26, 52), notamment.
A l’effet de l’expression de
son moi, le poète se joue des mots, excelle dans la manifestation de l’attente
déçue, sur des formules devenues usitées, travaillant à donner une nouvelle
vivacité sémantique aux sons : « […] j’élève l’encre » (p. 20),
pour « je lève l’ancre », « L’âme chevillée au cœur … » (p.
20), pour « L’âme chevillée au corps », « Et le mot en corps, en
vie » (p. 24), pour « […] le mot encore en vie », « mots
divers » concurrence « mots dits vers », et « langue de l’être »
rudoie « langue de lettres » (p. 24), de même que « C’est une
âme qui n’est » (p. 25) a expulsé « C’est une âme qui naît », et
que « choses inentendues » éveillait en vain vers « choses
inattendues », entre autres.
Remplissant, par ailleurs, la formalité initiale
des images fortes, des métaphores, des hyperboles explosives, des
allitérations, des assonances et, notamment, d’un langage de l’intelligible, d’un
verbe surchauffé par les transes d’une inspiration abondante, débordante,
forte, le poète, à la manière d’André Gide, dans L’immoraliste, plie le langage à ses exigences et cisèle les
expressions, combine les mots à son gré, les agence, sous le couvert du système
de non-règles, traduit tout simplement le tréfonds de ses sensations, vêtus d’habits
césairiens. Ainsi, pour un premier recueil de poèmes, Jasmin Ahossin-Guézo
montre, en douceur, une fougue poétique révélant un talent d’écriture dont l'avenir révèlera le niveau de consistance.
Un oubli ?
En quatrième de couverture d' ''Eden d'ébène'', un texte resplendissant sur l'ouvrage. Sans auteur. Un oubli ou ainsi voulu par l'éditeur ? Bien malin qui démêlera ce qui peut sembler un écheveau.
Marcel Kpogodo