jeudi 12 avril 2018

« [Il faudrait] essayer avec nous autres, demande Serge Ologoudou aux mécènes


Dans le cadre de la tenue de la cinquième édition du ’’Festin vocal’’

La cinquième édition du ’’Festin vocal’’, le Festival international des voix de femmes du Bénin, se profile à l’horizon. Nous en dit sur le programme prévu, le Directeur de l’Evénement, Serge Ologoudou. L’entretien, qu’il a bien voulu nous accorder, s’achève par un appel au soutien financier, qu’il lance aux mécènes.

Serge Ologoudou
Journal ’’Le Mutateur’’ : Bonjour Serge Ologoudou. Vous êtes journaliste culturel et promoteur culturel. Bientôt se tient le ’’Festin vocal’’. Pouvons-nous savoir ce qui est prévu pour cet événement ?


Serge Ologoudou : Merci pour l’opportunité que vous m’offrez. Le ’’Festin vocal’’, c’est le Festival international des voix de femmes du Bénin. Nous en sommes à la cinquième édition qui va se tenir du 24 au 28 avril 2018, ici, à Cotonou. Il y a plusieurs activités à mener. D’abord, il y a trois jours de formation, de perfectionnement en technique vocale ; ces trois jours seront encadrés par Annie Flore Batchiellilys qui est une grande chanteuse africaine, gabonaise d’origine. Elle est en même temps la tête d’affiche de l’édition.
Cette formation, ce seront trois jours de renforcement de capacités, c’est un Master class qui va regrouper un certain nombre d’artistes, des jeunes ou des moins jeunes, peu importe. Toutes celles qui sont intéressées à profiter de l’expérience d’Annie Flore Batchiellilys sont invitées à participer à ce Master class qui se déroulera du 24 au 26 avril, de 9h à 15h, à l’Institut français de Cotonou. En fait, il s’agit d’une dame qui chante depuis un bout de temps ; elle a déjà la cinquantaine, donc, elle n’est pas une petite dans le domaine.  
Ensuite, il y aura deux concerts : le premier, le 27 avril, à la Grande salle du Fitheb (Festival international de théâtre du Bénin, Ndlr), avec le Chœur polyphonique national, Assy Kiwa, Amy Mako de Parakou, Ayodélé et puis bien d’autres. Le 28 avril est prévu un deuxième concert qui sera, cette fois-ci, à l’Institut français de Cotonou avec, encore, le Chœur polyphonique national et, en première partie de la vedette du Festival, Annie Flore Batchiellilys, il y aura une révélation du nom d’Hermance Ellé ; elle est journaliste à l’Ortb (Office de radiodiffusion et télévision du Bénin, Ndlr) au journal parlé mais elle a pour passion la chanson. Elle a eu l’occasion de participer à ’’The voice’’ francophone cette année. Donc, elle sera la révélation et, son nom d’artiste, c’est Djayé.
Profitons de l’occasion pour parler du thème du Festival, qui est : « Les femmes dans l’environnement musical ». Il sera présenté par Marcel Padey. Ce sera la conférence inaugurale de tout le Festival, le mardi 24 avril.


Quelles sont les innovations de cette édition par rapport à la précédente ?

On veut mettre l’accent, surtout, sur les révélations, sur la détection de talents. Donc, nous sommes en train de lancer une activité dénommée ’’Première chance’’, où l’on aura à retenir une dizaine de jeunes chanteuses parmi lesquelles nous allons sélectionner trois que nous allons commencer à suivre, pour les autres éditions du Festival, histoire de les canaliser, de leur donner des notions de base pour que, d’ici à quelques années, elles puissent aussi évoluer dans leur carrière de chanteuses.


Pourquoi cette focalisation du Festival sur les femmes musiciennes chanteuses ?

D’abord, j’ai eu l’occasion de travailler avec plusieurs femmes artistes, entre autres, - paix à son âme ! – Zouley, et puis le trio Tèriba, surtout, un Groupe grâce auquel l’idée du Festival est née. Il faut rappeler que je l’ai fait connaître ici et à l’international. Je crois que le travail qui a été fait au niveau de ce Groupe, j’ai eu envie de le vulgariser. C’est pour cela que j’ai pensé mettre en place un Festival du genre.


L'Affiche officielle du ''Festin vocal''
Organiser un festival, par les temps qui courent, ce n’est pas facile. Est-ce que vous avez déjà tout bouclé pour la réussite de la cinquième édition du ’’Festin vocal’’ ?

Si tout dépendait de nous, tout serait bouclé. Mais, dans ce genre d’activités, il y a pas mal de partenaires, il y a pas mal de paramètres qu’on ne maîtrise pas forcément. Il s’agit, entre autres, du nerf de la guerre ; il faut que les bonnes volontés, les mécènes se manifestent.
Les sponsors, il n’y en a pratiquement pas puisqu’il n’y a pas de politique ni de loi qui favorise ce genre d’activité. On y va comme l’on peut, mais on a pris ce risque parce que l’année dernière, on n’a pas pu faire le Festival, tout simplement du fait qu’il y a des réformes en cours au Ministère du Tourisme, de la culture et des sports et que ces perturbations ne nous ont pas facilité la tâche. Mais, cette année, on s’est dit que si on doit attendre que ces réformes se mettent en place, on risque de perdre beaucoup de choses. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes jetés à l’eau, il faut le reconnaître, pour maintenir la crédibilité du Festival. Donc, nous sommes là, on attend, on garde l’espoir que le Ministère finira certainement par nous accompagner.
Je profite de ce créneau pour lancer aussi un appel au Ministère de la Culture, aux responsables et aux décideurs politiques, pour attirer leur attention sur le fait que l’Etat organise des événements, mais je crois que les privés, que nous sommes, aussi participent quand même de façon importante à animer les activités artistiques et culturelles dans le pays. Et, on doit tenir compte aussi de cet effort, de cette contribution que nous, privés, apportons au secteur culturel qui en a vraiment besoin.
A l’endroit des mécènes : c’est vrai qu’il y a des bonnes volontés, des privés qui veulent parfois accompagner le secteur mais ils n’ont pas toujours la garantie qu’il faut, il manque un peu de crédibilité. Nous leur lançons l’appel d’essayer avec nous autres et, certainement, ils vont voir la différence. C’est vrai, après cette édition, on va les approcher pour mieux leur expliquer notre démarche à nous, pour mieux leur expliquer l’intérêt de ce que nous faisons et, surtout, l’intérêt que, eux aussi, peuvent en tirer. Ce sont des points qu’il faudrait, à un moment donné, éclaircir, il nous faudrait sensibiliser les uns et les autres sur des choses à faire et comprendre que si on n’a pas une mutualisation des différentes énergies, on ne pourra pas faire avancer ce secteur.


A quel contact on pourrait vous joindre, si on était intéressé pour vous accompagner ?

Il y a un contact sûr qui est mon contact direct : le 97-30-03-44.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo

mercredi 11 avril 2018

Mounia Youssef, militante du cheveu crépu

Dans le cadre de trois expositions tenues au Bénin

Mounia Youssef est une photographe d’art, qui, à cheval entre le dernier trimestre de l’année 2017 et le tout premier de 2018, a tenu pas moins de trois expositions avec, comme point commun, la matérialisation de la vision chère à cette jeune femme à l’allure de libellule : combattre pour rétablir chez le Noir la conscience de la liaison de son authenticité à une réalité aussi banale que le cheveu crépu.

Mounia Youssef
Le cheveu crépu à l’honneur par seize œuvres photographiques et une dizaine de posters. Le fruit d’au moins six mois de shooting, ces séances-photo ayant, entre autres, permis à Mounia Youssef, artiste photographe libano-togolaise, de mettre au jour l’exposition intitulée, ’’l’Hair du Temps’’, qui s’est déroulée à l’Espace ’’Tchif’’ de Cotonou, du 24 novembre au 12 décembre 2017 et, de ce second mois à février 2018, au Restaurant, ’’Le Lambi’s’’ de la Haie-vive, sis quartier Cadjèhoun, toujours à Cotonou.
Au-delà de la présentation au public, à l’époque, du résultat d’un travail de longue haleine, cette corpulence délicate de femme a exposé une conviction, celle selon laquelle le Noir, qu’elle préfère appeler Afro-descendant, doit, aujourd’hui, se réapproprier les éléments physiques qui font son identité intrinsèque, et qu’à travers l’histoire, ses ’’maltraiteurs’’ ont dégradés, dévalorisés en lui, lui ont enlevés, à force de dénigrements, de préjugés, de rejet, notamment. Parmi ceux-ci, il y a le cheveu crépu qui est lui, l’Afro-descendant. « Le cheveu naturel a une place dans la société », affirme-t-elle. Et, ce n’est pas au Bénin qu’elle a cultivé cette certitude, un pays dans lequel les citoyens s’épanouissent en rejetant les normes de leur être culturel profond, pour adopter celles venant de l’étranger, mais au Ghana où elle a eu l’occasion de séjourner pendant une paire d’années.

Quelques oeuvres photographiques de ''l'Hair du Temps'', à l'Espace ''Tchif'', en novembre 2017
Dans ce pays, elle a touché du doigt la fierté avec laquelle les femmes manifestent la beauté de leurs cheveux crépus, en les arborant, bien peignés sur leur tête, ce qui, selon Mounia Youssef, a provoqué en elle le « déclic sur les cheveux naturels » et qui l’a décidée à en faire un sujet de travail. Et, les dix posters qu’elle a livrés à la délectation du public ont fait ressortir deux qualités essentielles chez l’artiste : d’abord, celle d’une graphiste accomplie qui sait disposer, positionner des conceptions originales, des couleurs fortes, des objets d’un symbolisme expressif, des propos incitatifs, des slogans motivants, un historique édifiant sur le mouvement ’’Nappy’’ de l’engagement des Afro-descendants, par les actes, à retourner aux sources de leur richesse physique spécifique, le cheveu crépu, principalement.

''l'Hair du Temps'', au Restaurant ''Le Lambi's'' de Cotonou
Ensuite, l’exposition a permis de faire ressortir le caractère fortement et profondément militant de Mounia Youssef, cela, de deux façons : premièrement, l’évocation de slogans marquants, poignants d’incitation à la prise de conscience sur la nécessité pour l’Afro-descendant, où qu’il se trouve, à travers le monde, de renouer avec le cheveu crépu, l’élément de son être originel. Morceaux choisis : « Emancipate yourself from beauty slavery », « My hair is my pride », « Your comb, your weapon ».
Deuxièmement, l’artiste réalise la focalisation du public sur certains mots forts en relation avec le fait pour l’Afro-descendant de renouer avec l’attribut de son être physique réel qu’est le cheveu crépu, dévalorisé, à travers les siècles, les époques et les années. A l’effet de la restauration de cet élément, des posters ont été spécifiquement composés et renseignaient de manière synthétique sur le sens du mot concerné : ’’Afro-descendant’’, ’’Unity’’, ’’Patrimoine’’, ’’Anticonformisme’’, ’’Réappropriation’’. De manière particulière, un poster a été investi de l’intense mission de restituer deux réalités : l’historique de la cause du cheveu ’’nappy’’ et le déroulement du laborieux processus ayant permis à Mounia Youssef de lancer, sur les réseaux sociaux, un appel à candidatures pour recruter des modèles devant poser pour les photos, d’en retenir pas moins de 35 sur plus de 300 appelés.
Aperçu du poster sur, notamment, le mouvement ''Nappy''
Et, elle a aussi, au finish, livré au regard du public, un riche éventail de traitements du cheveu crépu, de sa tresse à sa pousse libre, en passant par d’autres états inattendus de sa valorisation, tels que la simple joie de vivre d’un visage à la tête surmontée d’une tresse conséquente. En outre, une gestion commune pour toutes les seize photos exposées, concernant la démarche de travail de l’artiste : elles ont fait l’objet d’une « impression numérique sur papier photo ». Cerise sur le gâteau : certaines notoriétés béninoises n’ont pas résisté à l’appel à donner aux visiteurs de contempler leur chevelure extraordinaire, dans leur caractère intrinsèque, mais s’adaptant au projet conçu par Mounia Youssef : le slameur Kamal Radji.

Mounia Youssef, en exposition au ''Centre'' de Lobozounkpa
Par ailleurs, en décembre 2017, des icônes moins palpables ont fait l’objet de l’intérêt de la photographe-graphiste, dans le contexte de la deuxième édition des ’’Echos de Lobozounkpa’’, un événement qu’a organisé ’’Le Centre’’, complexe culturel situé à Atropocodji, dans l’Arrondissement de Godomey, de la Commune d’Abomey-Calavi ; avec neuf autres artistes contemporains, elle y a traité le sujet des Amazones, ces femmes guerrières ayant fait fureur dans le royaume du Dahomey.
Avec cette exposition collective, Mounia Youssef, à travers la longue plaque rectangulaire aux seize photos en noir et blanc, qu’elle a fait valoir, l’amazone appartient à tous les temps, même à l’époque contemporaine, face à un cheveu crépu qui apparaît quatre fois, abondant sur une tête vue de dos et, de profil, tressé puis, enfin, s’étalant court sur le côté d’une tête dont la moitié est perçue de face. Une stratégie d’agencement de quoi rendre remarquable le cheveu crépu comme l’élément pour matérialiser l’identité physique que rend véritablement spécifique l’appartenance culturelle, ce cheveu qui ne peut évoluer en une hirondelle unique : «  Avec sa peau, ses rondeurs, une amazone qui s’affirme affirme aussi son corps », appuie l’artiste, concluant sans ambages : « Etre amazone, aujourd’hui, c’est s’affirmer corporellement ».  


Mounia Youssef, une poigne de conviction 

Incandescente par sa vision pan-afro-descendantiste, rude par sa combativité et profonde dans son endurance, Mounia Youssef entretient le contraste sur sa personne, de par ces traits de caractère, avec une fine corpulence et un grand calme, une puissante sérénité. Des atouts qui semblent l’avoir conduite à mener à bien le travail impressionnant qu’ont demandé la conception, la préparation et la concrétisation de l’exposition, ’’l’Hair du Temps’’ : entre autres, toutes les sortes de va-et-vient, la communication pour recruter, par Facebook, des candidats loméens et cotonois pour les photos, des postulants voulus afro-descendants, métis avec des cheveux naturels, le travail sur les 35 retenus, leur maquillage, la location de studios-photo pour les séances de shooting, l’étalement de sa disponibilité pour l’adapter à celles de ses élus.
En frais début de la trentaine, Mounia Youssef fera retenir par l’histoire qu’en 2008, elle entre au devenu célèbre, prestigieux et crédible Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel (Isma) de Cotonou, au Bénin, pour une formation en Journalisme audiovisuel. Trois ans après, sa Licence professionnelle conquise, elle se fait autodidacte en Photographie avec, comme source d’acquisition des précieuses connaissances, Internet et, elle s’enferme dans une activité intense dans le domaine : « Plus on pratique, on devient meilleur », a-t-elle compris. Puis, de 2013 à 2015, elle fait l’option du Ghana pour une nouvelle formation en ’’Multimedia design’’. Depuis, son savoir-faire, en Photographie alliée au Graphisme, se demande abondamment, de toutes parts.
Voilà une réelle efficacité technique fondée sur une pugnacité à toute épreuve, et ce ne serait pas l’élancée Mounia Youssef, si cela devait s’en arrêter là : « Le militantisme, cela fait partie de ma vie », confie-t-elle. Ceci aide à comprendre qu’elle ne se contente pas d’exécrer, mais elle passe à l’action pour bouter dehors ce qui, pour elle, semble pouvoir nuire au fonctionnement harmonieux de la société, de l’africaine, en particulier. Conséquence : s’indignant des dégâts de plusieurs ordres que causent les produits chimiques sur le cheveu afro-descendant qui est rendu artificiellement lisse par le défrisage, s’horrifiant de la richesse dépouilleuse de l’Afrique, que cela génère pour les occidentaux concepteurs de ces produits, s’offusquant de la dépersonnalisation de l’Africain désormais condamné à s’approprier les standards européens de la beauté au détriment des siens, elle se révolte par l’exposition ’’l’Hair du Temps’’ dont elle a décliné le but, simple : « contribuer à ce que cela change, à ce que tombe ce complexe d’infériorité que montrent les Afro-descendants, sensibiliser » sur comment ces produits « gâtent le corps » et sur comment le système commercial mis en place « enrichit ceux qu’il ne faut pas ». Une amazone des temps modernes.
Et, ce n’est pas fini ! Ce qui l’épanouirait : « appartenir à une équipe technique pour tenir des conférences sur tout ça … ». Prête à aller plus loin, elle précise pouvoir faire de la « sensibilisation porte-à-porte ». Une telle détermination a une bonne justification : Mounia Youssef, de couleur métis de peau, ne laisse rien voir de son esprit, de son âme intrinsèquement africains, authentiquement afro-descendants : « Je me considère africaine, c’est général, c’est global ; je suis née en Afrique, j’ai grandi en Afrique, mon histoire, ma vie sont ici, de même que mon cursus scolaire et le décollage de ma carrière ! », laisse-t-elle émerger d’elle, non sans une pointe de chaleur dans la voix. « Ma mission continue » pour « valoriser la beauté black, avoir l’inspiration pour la révélation de la beauté africaine », clôt-elle.

Marcel Kpogodo