Dans le cadre de trois
expositions tenues au Bénin
Mounia Youssef est une
photographe d’art, qui, à cheval entre le dernier trimestre de l’année 2017 et
le tout premier de 2018, a tenu pas moins de trois expositions avec, comme
point commun, la matérialisation de la vision chère à cette jeune femme à l’allure
de libellule : combattre pour rétablir chez le Noir la conscience de la liaison
de son authenticité à une réalité aussi banale que le cheveu crépu.
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Mounia Youssef |
Le cheveu crépu à
l’honneur par seize œuvres photographiques et une dizaine de posters. Le fruit
d’au moins six mois de shooting, ces séances-photo ayant, entre autres, permis
à Mounia Youssef, artiste photographe libano-togolaise, de mettre au jour
l’exposition intitulée, ’’l’Hair du Temps’’, qui s’est déroulée à l’Espace
’’Tchif’’ de Cotonou, du 24 novembre au 12 décembre 2017 et, de ce second mois
à février 2018, au Restaurant, ’’Le Lambi’s’’ de la Haie-vive, sis quartier
Cadjèhoun, toujours à Cotonou.
Au-delà de la
présentation au public, à l’époque, du résultat d’un travail de longue haleine,
cette corpulence délicate de femme a exposé une conviction, celle selon
laquelle le Noir, qu’elle préfère appeler Afro-descendant, doit, aujourd’hui,
se réapproprier les éléments physiques qui font son identité intrinsèque, et
qu’à travers l’histoire, ses ’’maltraiteurs’’ ont dégradés, dévalorisés en lui,
lui ont enlevés, à force de dénigrements, de préjugés, de rejet, notamment.
Parmi ceux-ci, il y a le cheveu crépu qui est lui, l’Afro-descendant. « Le
cheveu naturel a une place dans la société », affirme-t-elle. Et, ce n’est pas
au Bénin qu’elle a cultivé cette certitude, un pays dans lequel les citoyens
s’épanouissent en rejetant les normes de leur être culturel profond, pour
adopter celles venant de l’étranger, mais au Ghana où elle a eu l’occasion de
séjourner pendant une paire d’années.
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Quelques oeuvres photographiques de ''l'Hair du Temps'', à l'Espace ''Tchif'', en novembre 2017 |
Dans ce pays, elle a
touché du doigt la fierté avec laquelle les femmes manifestent la beauté de
leurs cheveux crépus, en les arborant, bien peignés sur leur tête, ce qui,
selon Mounia Youssef, a provoqué en elle le « déclic sur les cheveux naturels »
et qui l’a décidée à en faire un sujet de travail. Et, les dix posters qu’elle
a livrés à la délectation du public ont fait ressortir deux qualités
essentielles chez l’artiste : d’abord, celle d’une graphiste accomplie qui sait
disposer, positionner des conceptions originales, des couleurs fortes, des
objets d’un symbolisme expressif, des propos incitatifs, des slogans motivants,
un historique édifiant sur le mouvement ’’Nappy’’ de l’engagement des
Afro-descendants, par les actes, à retourner aux sources de leur richesse
physique spécifique, le cheveu crépu, principalement.
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''l'Hair du Temps'', au Restaurant ''Le Lambi's'' de Cotonou |
Ensuite, l’exposition a
permis de faire ressortir le caractère fortement et profondément militant de
Mounia Youssef, cela, de deux façons : premièrement, l’évocation de slogans
marquants, poignants d’incitation à la prise de conscience sur la nécessité
pour l’Afro-descendant, où qu’il se trouve, à travers le monde, de renouer avec
le cheveu crépu, l’élément de son être originel. Morceaux choisis : « Emancipate yourself from beauty
slavery », « My hair is my pride », « Your comb, your weapon ».
Deuxièmement, l’artiste
réalise la focalisation du public sur certains mots forts en relation avec le
fait pour l’Afro-descendant de renouer avec l’attribut de son être physique
réel qu’est le cheveu crépu, dévalorisé, à travers les siècles, les époques et
les années. A l’effet de la restauration de cet élément, des posters ont été
spécifiquement composés et renseignaient de manière synthétique sur le sens du
mot concerné : ’’Afro-descendant’’, ’’Unity’’, ’’Patrimoine’’,
’’Anticonformisme’’, ’’Réappropriation’’. De manière particulière, un poster a
été investi de l’intense mission de restituer deux réalités : l’historique de
la cause du cheveu ’’nappy’’ et le déroulement du laborieux processus ayant
permis à Mounia Youssef de lancer, sur les réseaux sociaux, un appel à
candidatures pour recruter des modèles devant poser pour les photos, d’en
retenir pas moins de 35 sur plus de 300 appelés.
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Aperçu du poster sur, notamment, le mouvement ''Nappy'' |
Et, elle a aussi, au
finish, livré au regard du public, un riche éventail de traitements du cheveu
crépu, de sa tresse à sa pousse libre, en passant par d’autres états inattendus
de sa valorisation, tels que la simple joie de vivre d’un visage à la tête
surmontée d’une tresse conséquente. En outre, une gestion commune pour toutes
les seize photos exposées, concernant la démarche de travail de l’artiste :
elles ont fait l’objet d’une « impression numérique sur papier photo ». Cerise
sur le gâteau : certaines notoriétés béninoises n’ont pas résisté à l’appel à
donner aux visiteurs de contempler leur chevelure extraordinaire, dans leur
caractère intrinsèque, mais s’adaptant au projet conçu par Mounia Youssef : le
slameur Kamal Radji.
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Mounia Youssef, en exposition au ''Centre'' de Lobozounkpa |
Par ailleurs, en
décembre 2017, des icônes moins palpables ont fait l’objet de l’intérêt de la
photographe-graphiste, dans le contexte de la deuxième édition des ’’Echos de
Lobozounkpa’’, un événement qu’a organisé ’’Le Centre’’, complexe culturel
situé à Atropocodji, dans l’Arrondissement de Godomey, de la Commune
d’Abomey-Calavi ; avec neuf autres artistes contemporains, elle y a traité le
sujet des Amazones, ces femmes guerrières ayant fait fureur dans le royaume du
Dahomey.
Avec cette exposition
collective, Mounia Youssef, à travers la longue plaque rectangulaire aux seize
photos en noir et blanc, qu’elle a fait valoir, l’amazone appartient à tous les
temps, même à l’époque contemporaine, face à un cheveu crépu qui apparaît
quatre fois, abondant sur une tête vue de dos et, de profil, tressé puis,
enfin, s’étalant court sur le côté d’une tête dont la moitié est perçue de
face. Une stratégie d’agencement de quoi rendre remarquable le cheveu crépu
comme l’élément pour matérialiser l’identité physique que rend véritablement
spécifique l’appartenance culturelle, ce cheveu qui ne peut évoluer en une
hirondelle unique : « Avec sa peau, ses
rondeurs, une amazone qui s’affirme affirme aussi son corps », appuie
l’artiste, concluant sans ambages : « Etre amazone, aujourd’hui, c’est
s’affirmer corporellement ».
Mounia Youssef, une
poigne de conviction
Incandescente par sa
vision pan-afro-descendantiste, rude par sa combativité et profonde dans son
endurance, Mounia Youssef entretient le contraste sur sa personne, de par ces
traits de caractère, avec une fine corpulence et un grand calme, une puissante
sérénité. Des atouts qui semblent l’avoir conduite à mener à bien le travail
impressionnant qu’ont demandé la conception, la préparation et la
concrétisation de l’exposition, ’’l’Hair du Temps’’ : entre autres, toutes les
sortes de va-et-vient, la communication pour recruter, par Facebook, des
candidats loméens et cotonois pour les photos, des postulants voulus
afro-descendants, métis avec des cheveux naturels, le travail sur les 35
retenus, leur maquillage, la location de studios-photo pour les séances de
shooting, l’étalement de sa disponibilité pour l’adapter à celles de ses élus.
En frais début de la
trentaine, Mounia Youssef fera retenir par l’histoire qu’en 2008, elle entre au
devenu célèbre, prestigieux et crédible Institut supérieur des métiers de
l’audiovisuel (Isma) de Cotonou, au Bénin, pour une formation en Journalisme
audiovisuel. Trois ans après, sa Licence professionnelle conquise, elle se fait
autodidacte en Photographie avec, comme source d’acquisition des précieuses
connaissances, Internet et, elle s’enferme dans une activité intense dans le
domaine : « Plus on pratique, on devient meilleur », a-t-elle compris. Puis, de
2013 à 2015, elle fait l’option du Ghana pour une nouvelle formation en
’’Multimedia design’’. Depuis, son savoir-faire, en Photographie alliée au
Graphisme, se demande abondamment, de toutes parts.
Voilà une réelle
efficacité technique fondée sur une pugnacité à toute épreuve, et ce ne serait
pas l’élancée Mounia Youssef, si cela devait s’en arrêter là : « Le
militantisme, cela fait partie de ma vie », confie-t-elle. Ceci aide à
comprendre qu’elle ne se contente pas d’exécrer, mais elle passe à l’action
pour bouter dehors ce qui, pour elle, semble pouvoir nuire au fonctionnement
harmonieux de la société, de l’africaine, en particulier. Conséquence :
s’indignant des dégâts de plusieurs ordres que causent les produits chimiques
sur le cheveu afro-descendant qui est rendu artificiellement lisse par le
défrisage, s’horrifiant de la richesse dépouilleuse de l’Afrique, que cela
génère pour les occidentaux concepteurs de ces produits, s’offusquant de la
dépersonnalisation de l’Africain désormais condamné à s’approprier les
standards européens de la beauté au détriment des siens, elle se révolte par
l’exposition ’’l’Hair du Temps’’ dont elle a décliné le but, simple : «
contribuer à ce que cela change, à ce que tombe ce complexe d’infériorité que
montrent les Afro-descendants, sensibiliser » sur comment ces produits « gâtent
le corps » et sur comment le système commercial mis en place « enrichit ceux
qu’il ne faut pas ». Une amazone des temps modernes.
Et, ce n’est pas fini !
Ce qui l’épanouirait : « appartenir à une équipe technique pour tenir des
conférences sur tout ça … ». Prête à aller plus loin, elle précise pouvoir
faire de la « sensibilisation porte-à-porte ». Une telle détermination a une
bonne justification : Mounia Youssef, de couleur métis de peau, ne laisse rien
voir de son esprit, de son âme intrinsèquement africains, authentiquement
afro-descendants : « Je me considère africaine, c’est général, c’est global ;
je suis née en Afrique, j’ai grandi en Afrique, mon histoire, ma vie sont ici,
de même que mon cursus scolaire et le décollage de ma carrière ! »,
laisse-t-elle émerger d’elle, non sans une pointe de chaleur dans la voix. « Ma
mission continue » pour « valoriser la beauté black, avoir l’inspiration pour
la révélation de la beauté africaine », clôt-elle.
Marcel Kpogodo