Dans
une interview accordée à notre rédaction
La
Fête de la Culture béninoise (FCB) s’est tenue le 19 février 2022, avec grand
succès. Dans le sillage de cet événement, Bonaventure Donou, alias Bobo D, qui
en est le principal initiateur, a accepté d’en discuter des suites au cours
d’une interview qu’il nous a accordée. Il ressort des considérations qu’il a
abordées que la misère des artistes musiciens est le cheval de bataille qu’il
est question d’enfourcher. Par conséquent, l’invité propose des solutions
concrètes à ce fléau …
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De gauche à droite, Bobo D, en compagnie de l'Administrateur du Fonds des Arts et de la culture (Fac), Gaston Eguédji, à la Fête de la Culture béninoise |
Stars
du Bénin : Bonjour Bonaventure Donou, plus connu sous votre pseudonyme
d’artiste musicien et de producteur, Bobo D. L’actualité culturelle retient
qu’en tant qu’acteur culturel, vous avez organisé la Fête de la Culture
béninoise (Fcb) le samedi 19 février 2022 à l’espace, ’’Le marin’’, situé à la
plage du quartier de Fidjrossè à Cotonou. Elle a réuni, à en croire vos
statistiques, plus de 250 personnes parmi lesquelles des artistes, tous
domaines confondus, et des acteurs culturels. Veuillez nous donner des détails
sur le déroulement de cette Fête. Quelles en ont été les différentes activités
?
Bobo
D : Bonjour, Marcel Kpogodo. Vous avez tout dit, dans la question.
Effectivement, nous avons organisé la Fête de la Culture béninoise, qui a été
inspirée par une réalité : la misère ambiante dans laquelle végètent les
artistes de ce pays.
C'est
l'artiste, Sèdami, qui m'a demandé d'organiser cette fête, qui débouche sur
l'installation par des artistes de quatre maquis qui seront, pour eux, une
activité génératrice de revenus.
Pour
en revenir aux différentes activités de la soirée, on l’a démarrée avec mon mot
de bienvenue aux artistes. Et, il y a eu des prestations d'artistes comme Sèna
Joy, Aline D, la Compagnie Momby, de Tonton J, de ’’Coffi Danger’’, et de Da
Yovo, Johnny Ahossi, Ebawadé, Sambiéni, Eliane Chagas, Josette Loupéda, Sèdami,
et le grand frère, Nel Oliver.
Nous
avons eu des temps forts de la soirée, très appréciés, sans oublier le passage
des ’’Super Anges’’ d’Alladé Coffi, avec ses danseuses, et le ’’Zangbéto’’ qui
faisait des démonstrations, avec sa métamorphose en tortue et en pigeon, la
prestation des ’’As du Bénin’’ de Stanislas Dègbo et de ses splendides
danseuses, sans oublier le ’’Guèlèdè’’, et la magnifique prestation des enfants
d’Oscar Allossè.
Nous
avons surtout apprécié, pour la première fois, au Bénin, l'union sacrée entre
des artistes de toutes les catégories : plasticiens, hommes et femmes de
théâtre, du cinéma, des musiciens et des chanteurs.
Mon
grand regret, c'est l'absence de mes grands frères, Sagbohan Danialou et Tola
Koukoui. Mais, je ne désespère pas qu'ils seront avec nous à la 2ème édition,
en 2023.
Quel
bilan pouvez-vous établir de cette manifestation que vous avez préparée de longue
date ?
Avant
d'en arriver à un bilan, il reste la mise en place des activités génératrices
de revenus pour les artistes : les maquis. Nous avons commencé à les créer
avec, en premier lieu, celui de Charles Momby le fils du professeur Momby ; il
est quasiment fini.
Concernant
votre question, nous tirons un bilan positif de cette 1ère édition. Cette Fête
de la Culture béninoise a réuni tous les artistes, toutes catégories
confondues, et, ceci, pour la 1ère fois, depuis 1960.
J'attire
votre attention sur le fait qu'il est difficile à un artiste de sortir 2000
Francs, aujourd'hui, pour assister à un regroupement et, pourtant, nous
devrions remercier nos frères artistes qui ont fait l'effort de sortir 10200
Frs, et, qui, au finish, ne sont pas déçus. Tous les artistes en redemandent, y
compris ceux qui nous avaient critiqués, au début.
La
Fcb est-elle une réjouissance de plus, entre artistes béninois ?
Pas
du tout ! La Fête de la Culture béninoise n'est pas une réjouissance de plus.
Celle-ci en est une qui réunit tous les artistes et qui a une particularité :
les maquis que nous allons offrir à certains artistes.
Quelles
sont les raisons qui vous ont poussé à organiser la Fcb ?
La
misère ambiante dans laquelle nous autres, artistes, végétons.
Au
cours de votre prise de parole, lors de la Fcb, le 19 février 2022, vous avez
déclaré : « Si nous pouvons nous amener, nous-mêmes, à travailler et à
commencer à nous assurer socialement, aussi à nourrir nos enfants, c’est déjà
assez, que d’attendre toujours […] un transitaire ou […] un douanier, ce que
nous appelons vulgairement des parrains … Mettons-nous ensemble ».
Quels
sont les problèmes que vous avez donc perçus et que vous pensiez résoudre en
organisant la Fcb ?
Le
problème que nous voulons résoudre, c’est bien ce que nous sommes en train de
faire, aujourd’hui. Quand on a fini d’observer le décès de nos frères qui sont
morts, tous, dans une misère sans nom, lequel on peut noter, aujourd’hui, qui a
laissé un compte en banque à moitié rempli ? Même le grand Tohon, qui a vu
passer dans ses mains plus d’un milliard de francs ! Cela fait mille millions,
hein ? Tohon en a gagné de l’argent mais, oui !
Mais,
maintenant, lesquels, parmi nos artistes défunts, ont laissé de l’argent, quand
on pense à Honoré Avolonto, à Assa Sika, tout récemment, qui était complètement
à la déchéance ? Et, il y en a d’autres ! Il y en a d’autres ! Il y en a
d’autres qui sont décédés et l’on pensait même qu’ils avaient une maison à
Porto-Novo. Mais, ils n’avaient rien … Suivez mon regard …
Nous,
nous pensons pouvoir en finir avec cela, pouvoir en finir avec la main toujours
tendue de l’artiste. Nous ne voulons plus que nos frères, artistes, continuent
de tendre la main. Il faut que cela cesse. Mais, pour que cela cesse, nous
devrons nous mettre au travail et avoir un job de substitution, ce que nous
allons pouvoir faire pour nourrir nos enfants, notre femme, notre petite famille,
et pouvoir être père de famille ou mère de famille. C’est ce que nous voulons
faire en cherchant à donner du travail à nos frères, comme ce que font tous les
artistes, pas seulement béninois, mais tous les artistes de la diaspora.
Dès
qu’ils arrivent en Occident, ils travaillent. Dès qu’ils arrivent en France,
ils travaillent. S’ils ne le font pas, qui va les nourrir ? Il n’y a pas de
douanier qui leur donnera un franc. Là-bas, s’ils ne gagnent pas de l’argent,
c’est fini pour eux. Ils sont tous obligés de travailler.
Moi,
particulièrement, j’étais transporteur, comme je l’ai souvent dit ; j’avais
cinq camions qui me permettaient de gagner de l’argent à mettre sur les
artistes béninois, en termes de production. Donc, il faudrait que nous
puissions travailler à côté puisqu’il n’y a plus de vente de Cd, le matériel
qui nous faisait gagner de l’argent. S’il n’y a plus de vente de Cd, combien de
concerts l’on fait par an ? Et puis, le secteur de la musique n’est pas
organisé. S’il l’était, il y aurait des tournées qui permettraient de nous
faire vivre. Mais, le secteur n’est pas du tout organisé !
Honnêtement,
il y a encore des choses à faire : s’il y a des promoteurs qui se mettaient en
place, aidés par le Fonds des Arts et de la culture, avec un cahier de charges,
bien élaboré, je pense qu’il y aurait des tournées et, nous pourrions passer de
ville en ville. En voilà un problème.
L’autre
problème : est-ce que le mélomane béninois consomme le produit du musicien
béninois ? C’est difficile, vraiment difficile ! On voit bien ce qui se passe
au Mali, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun ! Les mélomanes de ces pays
consomment les produits de leurs artistes, d’abord. En République démocratique
du Congo, vous n’allez pas faire venir un disque béninois et arriver à l’y
vendre. Ce sera difficile. Les mélomanes de ce pays ne voudront même pas
l’écouter. D’abord, ils ne comprennent pas notre langue. Tout cela est bien
compliqué pour nous.
Quand
nous observons que nos propres Disc jokers (Dj) vont télécharger les nouvelles
sorties de Koffi Olomidé sans jamais l’avoir vu ! Ils les téléchargent après
les avoir achetées et les jouent sans l’avoir vu. Tu es un artiste béninois, tu
apportes ton produit à un Dj pour qu’il le joue ; si tu ne lui donnes pas de
l’argent, il ne le fait pas. Il préfère jouer du Congolais ou du
’’coupé-décalé’’.
Le
mal est profond.
Votre
objectif a-t-il été atteint, en organisant la Fcb ?
Oui.
Avoir organisé cette fête, sans encombre, et, aujourd'hui, commencer la mise en
place des maquis sont une grande satisfaction pour notre Comité d’Organisation.
Avoir
déjà pu remplir la salle, connaissant les finances de nos frères, artistes,
montre que le Seigneur Shiva était à nos côtés. Notre objectif est atteint.
Pourquoi
avoir choisi les maquis comme l’activité dans laquelle doivent s’investir les
artistes béninois de la musique pour sortir de la misère ?
On
aurait pu choisir une autre activité génératrice de revenus, seulement que
cette idée des maquis est la mienne, car j'estime que quelqu'un qui tient un
maquis ne pourra pas laisser ses enfants retourner à l'école le ventre vide.
Comment
se fera le financement des maquis qui seront construits pour les artistes
musiciens ? Ceux-ci devraient-ils prévoir une quote-part, pour cela ?
Les
maquis seront, dans un premier temps, installés sur fonds provenant de sponsors
et de mécènes. Après le démarrage effectif des activités culinaires, la Sobébra
(Société béninoise de Boissons, Ndlr) se propose de rééquiper les locaux.
Nous
avons constaté l’absence du Ministre de la Culture à la Fcb. Pourquoi ne
l’avez-vous pas invité ?
Pour
la 1ère édition, nous avons préféré n'inviter aucune autorité politique.
Pourquoi
avoir fait cette option ?
Je
souhaiterais répondre à cette question, en tête à tête, avec Monsieur le
Président de la République.
Prévoyez-vous
d’autres éditions de la Fcb ? Si oui, selon quelle périodicité ?
La
fête de la Culture béninoise sera organisée tous les ans.
En
tant qu’acteur et observateur du fonctionnement de l’industrie musicale, que
pensez-vous qu’il faudra faire pour le rayonnement, à l’international, d’un
rythme fort et authentique de la musique béninoise, comme l’on le voit en Côte
d’Ivoire, avec le ’’Coupé-décalé’’, au Sénégal, avec le ’’Mbalax’’, au Nigéria
et au Ghana, avec l’ ’’azonto’’, entre autres ?
Voilà.
J'observe que nous sommes en train de rater le coche, dans cette affaire. Si
j'avais quelques conseils à donner, je demanderais aux autorités de commencer
par construire un grand conservatoire et un grand ’’music-hall’’, dans le Sud,
et, les mêmes infrastructures culturelles, dans le Nord. Ici, je mets l'accent
sur la formation des artistes, ce qui est primordial, pour notre secteur.
Parlant
d'un rythme authentique et fort, je l'ai toujours dit : nous n'aurons jamais
une place sur l'échiquier mondial tant que nous n'irons pas à l'unisson vers un
rythme. Et, le rythme existe déjà puisque, pour moi, Tohon a déjà commencé ce
travail. Mais, certains artistes béninois
n'ont pas suivi. Sans un rythme et une danse, pour le Bénin, notre pays
sera toujours à la traîne. Tous les pays de grande culture musicale se sont
installés à travers le travail à l'unisson de leurs artistes musiciens, comme
nous en voyons l’exemple dans l’ex-Zaïre, actuel Congo démocratique, et en côte d'ivoire.
Avez-vous
un mot de fin ?
Nous
allons entamer la préparation de la 2ème édition de la Fête de la Culture
béninoise, saison 2023. Je serai heureux de voir, à cette fête, ceux qui n'ont
pas pu se joindre à nous, lors de la 1ère édition.
Vive
la culture béninoise !
Propos
recueillis par Marcel Kpogodo Gangbè