Dans une interview qu’il nous accordée sur sa nouvelle démarche artistique
L’artiste dessinateur, peintre et plasticien béninois, Kaman Esso, de son
nom à l’état civil, Lucien Dénagan Houessou, se lance, depuis quelques temps,
dans une nouvelle tendance artistique, ce qu’il appelle la ’’démarche de la
feuille’’. Ainsi, il met un peu moins d’une vingtaine de toiles, réalisées dans
ce style, à la découverte du public. Ce serait de ce 15 décembre 2017 au
vendredi 16 février 2018 : deux mois donc pour s’approprier le nouveau
Kaman Esso …
Le Mutateur : Kaman Esso, bonjour à vous. Vous êtes artiste
plasticien. Depuis quelques mois, vous avez adopté une nouvelle démarche
artistique qui est celle de la feuille. Pouvez-vous décrire un peu de quoi il
s'agit ?
Kaman Esso : Bonjour monsieur le journaliste. Merci beaucoup. Je
suis artiste plasticien, dessinateur, en termes clairs. J'étais sur certaines
technicités, au départ, comme tout autre dessinateur. Je me suis dit qu'il
fallait quand même que je change, parce que j'ai pensé que notre culture est en
régression, au jour le jour ; chaque jour que le bon Dieu fait, notre
culture régresse parce que nous oublions d'où nous venons et nous aimons
toujours copier l'extérieur, pour ne pas jeter la pierre à qui que ce
soit !
Nous aimons toujours
copier l'extérieur, en ceci que nous avons été colonisés par une puissance et
nous croyons toujours que cette puissance est dominatrice sur nous. Cependant,
en scrutant un peu les horizons, j'ai compris que les anciens colonisateurs
sont des gens qui ne nous assujettissent plus ; s'ils avaient fait ça,
c’était au départ.
C'est que, nous-mêmes,
les Africains, nous nous sommes un peu oubliés parce que, le rapport de forces
étant, nous pensons toujours qu'ils sont au-dessus de nous. Mais, ces
colonisateurs ne l'ont jamais exprimé, à part peut-être par les actes, leurs
idées, leurs pensées, leur philosophie, par lesquels nous nous laissons
toujours influencer, en oubliant que nous avons, nous aussi, Africains, notre
philosophie ou nos philosophies, j'allais dire, en comptant sur le fait que nos
ancêtres avaient été conduits en esclavage.
Il aurait été temps que
nous nous ressaisissons, mais il me semble, à mon humble avis, que nous nous
sommes oubliés, ce pourquoi vous entendrez partout les gens dire que l'Afrique
est mal partie. En même temps, ils se plaisent à dire que nous avons perdu
l'histoire. Il y a beaucoup de gens qui le disent. Je n'apprends rien à
quelqu'un. Mais, est-ce que ce n'est pas pour nous ramener à comprendre ce que
nous sommes, parce que rien n'est dit par hasard ? Tout ceci était
écrit ; nous ne comprenons pas toujours …
C'est ce concept qui vous a conduit à la démarche de la feuille ?
Oui, c'est ce concept
qui m'a conduit à la démarche de la feuille.
Est-ce que vous pouvez un peu d'écrire cette démarche ?
Un jour, j'ai participé
à un atelier à ’’La Médiathèque des diasporas’’ avec des collègues artistes.
C'est là que l'idée m'en est venue, parce que j'avais perdu le fil de
l'actualité. De ma pensée, ce jour-là, je ne savais quoi dessiner ; je me
suis demandé : « Faut-il entrer dans le signal de l'abstraction ?
», alors que l’abstrait, c'est quelque chose qui me semble un peu rêveur. Ce
jour-là, je me suis dit : « Non, je ne vais pas faire l'abstraction
parce que c'est quelque chose qui ne me sied pas ». Beaucoup de camarades,
beaucoup d'amis m’ont dit : « Il faut faire l'abstraction, là, tu va
pouvoir vendre rapidement ».
Moi, le côté qui me
plaît toujours, c'est d'être dans le naturel, je préfère plus les choses de
chez moi, parce que l'abstraction vient d'ailleurs : c'est des gens qui
étaient déjà aisés chez eux, ils sont bien maintenant, ils peuvent rêver mais,
nous, en Afrique, est-ce qu'il faut qu'on continue de rêver ? Ce jour-là,
j'ai mis au moins 15 minutes avant de commencer à tracer ma toile. Alors,
qu'est-ce j'ai peint ? Le dessin j'ai même fait, l'organisateur l'a vu,
s'est approché de moi et a dit : « Cela, c'est une bonne idée que tu
as flanquée là ! ». Il m'a juste dit ce qu'il fallait ajouter et je l'ai
fait.
Or, j'ai dessiné juste quelque
chose et j'ai donné deux ailes et, c'est à partir de ces deux ailes-là que je
me suis demandé : « Est-ce que la feuille ne vole pas ? ».
Et, j'ai réfléchi un instant, j’ai tout rangé. Lorsqu’on a fini l’activité, on
a fait le vernissage et, je suis parti. C'est dès ce jour que j'ai commencé à
réfléchir. La nuit, je suis parti au lit et, je me suis dit : « Comment
? La feuille, la feuille … ». Alors, l'idée a commencé à venir ;
quelque chose m’a dit que la feuille est indispensable ; c'est un élément
incontournable. Et, qui dit ’’feuille’’ dit ’’alimentation’’ et ’’médicaments’’,
’’soin’’, en quelque sorte. Je me suis alors demandé s’il y avait quelque chose
qui était exempt de la feuille. Après y voir réfléchi, je n'ai rien eu, je n'ai
rien vu ; rien ne s’est présenté dans ma pensée, comme un élément qu'on
peut soustraire de la feuille. Quelque chose m'a dit : « Regarde un
peu derrière, à commencer par ce que Dieu a créé … ». C'est alors que je
me suis rappelé que Dieu a créé d'abord la verdure parce qu'il a pensé à
l'alimentation de l'homme, celui-ci ayant été créé en dernier. Et, une nouvelle
question m’est venue : « Est-ce que Dieu n'aurait pas pensé à ce dont
l'homme doit se servir pour son existence ? Et, le primordial, c'est quoi ? ».
J’'ai commencé à réfléchir, ce qui m’a permis de voir que le primordial, c'est
l'alimentation : il faut manger d'abord. Alors, « La nourriture vient
d'où ? ». J’ai répondu : « Effectivement, de la plante ! ».
Et, qui dit ’’plante’’ dit ’’feuille’’.
Alors, j'ai commencé
à réfléchir ; je l’ai fait longuement et, quand j’ai vu qu’il
faisait jour, je me suis levé. Ainsi, après d’autres réflexions et d’autres
questions, j'ai pris le crayon et j'ai commencé à tracer ; j'ai comparé la
feuille à certaines figures géométriques : la feuille ressemble à la forme
de la pyramide, en quelque sorte, si je peux m'exprimer ainsi. Alors, j'ai
tracé la pyramide et j'ai mis la feuille dedans ; j'ai compris que c'est à
peu près la même chose, il suffit seulement de remodeler le contour et on a
juste la pyramide, c'est-à-dire le triangle. J'ai ensuite donné la forme pyramidale
au triangle et, quelque chose m’a dit : « A partir de
maintenant, ne fais plus des dessins d’hommes directement ; si tu vas
faire des dessins d’hommes, c'est-à-dire d’êtres humains, il faut que tu les accompagnes
de dessins de feuilles, en leur donnant
la forme d'un homme, pour pouvoir expliquer les proverbes.
En définitive, que retenons-nous la démarche de la feuille ?
La démarche de la
feuille, c'est comme la peinture ordinaire,
c'est la même technique que j'utilise, je n'ai rien inventé, de ce côté. Tout
ce que j'ai voulu corriger, à mon niveau, c'est l'expression. Et, je me suis
dit que je ne pourrais pas être le seul là-dedans. C'est comme un atelier dans
lequel il y a un personnel et où tout le monde travaille ; chacun a sa
compétence Est-ce qu'il faut continuer à être polyvalent ? Non, il faut se
spécifier.
''Le guide'', une toile de Kaman Esso sur la démarche de la feuille |
Nous comprenons que la nécessité de spécification de votre pratique
artistique fait que, désormais, sur vos toiles, la feuille verte domine …
Oui, c'est ce que j'ai
commencé à faire depuis déjà deux ans, à peu près. Tout dépendra des dessins
que je voudrais faire. Admettons que je veuille raconter une histoire biblique,
par exemple, je ne peux pas mettre la feuille là-dedans, parce qu’il faut
respecter les normes des choses. Mais, pour ce qui vient de moi-même, de ma
propre création, étant donné que je suis dans la nature, je peux intégrer la
feuille à ma toile.
Désormais, je suis dans
la nature, je peins le naturel et, la participation de la feuille, dans mes
dessins, explique que rien n’est exempt de la feuille. Elle possède, non seulement des valeurs nutritionnelles, mais, aussi, elle est, en premier, très active dans la composition des médicaments, pour les soins, parce que la santé est avant toutes les choses ; tout se soumet à sa grande importance. J'ai commencé à peindre
la feuille comme le tremplin du résultat escompté dans mes travaux. En effet,
« un peuple sans histoire est un peuple qui se meurt », comme le
disent les autres. Nous, Africains, nous avons une histoire et, dans notre
histoire, nous avons aussi des expressions, des proverbes, j'allais dire, des
maximes.
Finalement, avec la démarche de la feuille quels sont les thèmes que vous
abordez ? Quel est le message que voulez faire passer ?
Au moment où j'avais
commencé à émettre ces idées-là, le régime actuel (Le Gouvernement Talon, Ndlr)
n'était pas encore là. A son arrivée, il a commencé à parler de la culture. Et,
qui dit ’’culture’’ ne peut passer outre mesure que par la nature. Si le régime
parle de culture, il ne le fait pas pour la forme, c’est sûrement parce que la
culture, c'est quelque chose que nous sommes en train de perdre ; c'est
par notre culture que nous pouvons évoluer.
Propos recueillis par Marcel Kpogodo, transcrits par Frumence Djohounmè et
corrigés par la Rédaction.