Pour une montagne qui a accouché d'une grosse souris
Les élections du vendredi 12 septembre dernier, celles comptant pour la désignation des représentants respectifs des comédiens, des metteurs en scène et des dramaturges dans le prochain Conseil d'administration du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb) n'ont pas pu se tenir. Dans la salle Vip du Ministère de la Culture, la tension était si vive, et on était au bord de l'affrontement entre membres de différents. C'est alors qu'Arsène Codo, Président du bureau de vote et actuel Conseiller technique juridique du Ministre Jean-Michel Abimbola, a mis un terme aux travaux. Etant sur les lieux, nous avons tendu notre micro à cette personnalité, de même qu'à trois hommes de théâtre : Nicolas Houénou de Dravo, Arsène Kocou Yémadjê et Alfred Fadonougbo. Ils éclairent, chacun, à sa manière, notre lanterne sur les tenants et les aboutissants du conflit ayant conduit à la suspension des travaux.
Arsène Codo, Président du bureau de vote et Conseiller technique juridique du Ministre de la Culture
Stars du Bénin : Bonjour M. Arsène Codo, vous êtes le Président du bureau de vote devant conduire l'élection des représentants des acteurs culturels du théâtre au Conseil d'administration (Ca) du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb). Nous vous voyons en train de sortir de la salle Vip du Ministère de la Culture, où devait se tenir le scrutin et d'où on entend un grand brouhaha. Que s'est-il passé?
Arsène Codo : Là, c’est un malentendu
entre les artistes ; certains disent que d’autres ne sont pas du théâtre …
De toute façon, nous, on a procédé à la vérification des mandats, on a
constaté. Maintenant qu’il y a un désordre impossible, nous sommes obligés de
suspendre les opérations et de rendre compte à l’autorité, quitte à
reprogrammer l’élection.
Est-ce que vous pouvez
nous décrire ce désordre, s’il vous plaît ?
En toute élection, il y
a des gens qui arrivent avec des intentions ; on a constaté que, là, il y
a des groupes organisés qui ne veulent pas de l’élection et qui sont en train
de faire du désordre. Et, comme nous, nous n’allons pas voulu aller à l’extrémité et
appeler la police pour vider les gens, et que nous avons toujours voulu du consensus,
c’est pourquoi, en tant que Président du bureau de vote, j’ai pris la
responsabilité de surseoir à la poursuite aux opérations, rendre compte à l’autorité
et faire une autre programmation.
Stars du Bénin : M. Nicolas de Dravo
Houénou, vous venez de sortir de la salle du déroulement des élections des
représentants du monde du théâtre au Conseil d’administration (Ca) du Festival
international de théâtre du Bénin. Que s’est-il passé ?
Nicolas de Dravo Houénou : Effectivement, nous sommes là pour les élections, en tant que
comédien, metteur en scène et directeur de troupe. C’est un secteur qu’il faut
quand même assainir, c’est un secteur qu’il faut amener à son émergence, comme
on a l’habitude de le dire. Mais, ce secteur est pris d’assaut par des gens qui
ne sont pas du métier.
Tout le monde est du
métier. Mais, comme j’ai souvent l’habitude de le dire, il faut qu’on arrive à
dissocier les arts de la culture, parce qu’on dit que l’art et la culture, cela
englobe tout. Les acteurs même, ceux-là qui vivent, qui travaillent, qui sont
présents dans le domaine doivent apprendre à se faire diriger ou à prendre en
mains ce que eux-mêmes sont en train de faire.
On constate que c’est
un mélange, un fourre-tout ; vous venez, vous allez, vous participez et
vous constatez que ceux qui sont des professionnels sont là et ce sont d’autres
personnes qui vont vous diriger, d’autres personnes qui ne sont pas de votre
secteur, je ne vais pas participer à ça. Je n’étais pas parti nécessairement pour
dire que si je n’étais pas responsable, que si je n’étais pas membre du Ca, ce
serait la fin du monde ; il faudrait que qui que ce soit qui participe à
ce vote, pour peu qu’il ait un beau projet, une bonne mentalité, une vision, je
crois que ça peut permettre de faire quelque chose. Le Fitheb a fait 20 ans et
on en est encore là à choisir et à pleurnicher sur les responsables, c’est
vraiment malheureux, c’est malheureux !
Nous sommes tous au
Bénin, on sait qui est comédien, qui est metteur en scène, qui est dramaturge.
« Ce n’est pas l’habit qui fait le moine », dit-on, mais quand on
voit le moine déjà, on sait que ça, c’est un moine. Quand vous êtes là et que
tout le temps, chaque année, ce sont les mêmes problèmes, on prend les mêmes,
on commence et, quelques jours après, on va commencer à dire que le Fitheb ne
marche pas, il vaut mieux commencer à faire une autre politique ; les gens
n’aiment pas démissionner dans ce pays, mais, moi, je dis qu’il vaut mieux qu’on
commence un jour à le faire et, ce serait mieux.
On a appris que vous
étiez candidat à siéger au Ca du Fitheb …
Oui, j’ai été candidat
pour représenter les metteurs en scène, mais, j’y ai renoncé parce que ce qui
devait commencer depuis neuf heures, on est à quatorze heures moins quinze et,
c’est maintenant qu’on veut démarrer, on en train de tirailler sur des choses
qui n’existent pas. Le décret est biaisé, il y a trop de choses à revoir, ce
qui m’a amené à me dire qu’il vaudrait mieux me retirer pour permettre aux
autres de continuer.
Le problème du décret
est que des gens décident à la place des acteurs ; les responsables des
fédérations ou des associations qui se sont réunis et qui ont validé ces
textes-là ne sont même pas là, maintenant, aujourd’hui, et ce sont les acteurs
qui sont là, ce sont quelques acteurs qui sont là. Ces responsables, ils
restent dans un bureau, on les réunit pour des journées de réflexion ou pour
des journées de sommeil, je ne sais pas, où ils écrivent, ils viennent, ils vous
plaquent ça et, c’est fini, vous, vous allez rester et subir cela.
Ce qui est même grave :
un metteur en scène ne peut pas être nécessairement membre d’une association,
un comédien ne peut pas être membre d’une association ; c’est vrai qu’il
faut réunir tout le monde, mais, je suis comédien, je ne suis pas appelé à
jouer rien que dans mon association. Cela veut dire que je ne suis pas
associativement comme ça et on ne peut pas me prendre pour m’imposer ce qu’il
faut faire. Un comédien qui est reconnu par le Ministère de la Culture est
libre de venir postuler, est libre de venir participer à une élection, alors
qu’on nous dit que vous serez représentés par une association, ou bien que
c’est une association qui va vous envoyer. Et, si, demain, je ne suis pas membre
de cette association mais que je suis comédien ? Non, il faut arrêter ça.
Arsème Kocou Yémadjê
Stars du Bénin : La salle devant abriter l'élection des représentants des hommes de théâtre dans le Conseil d’administration du
Fitheb se vide de plus en plus et, vous, vous êtes dehors. Que se passe-t-il ?
Arsène Kocou Yémadjê : La situation s’explique
par le fait qu’il y a une belle pagaille qui s’est organisée et que les
véritables hommes de théâtre qui sont dans la salle n’ont pas voulu laisser
faire la pagaille. Tout simplement, c’est de ça qu’il s’agit. Je suis venu ici
par curiosité. Excusez-moi, j’ai
pratiquement 17 ans de carrière théâtrale ; quand je regarde dans la
salle, je n’ai pas identifié beaucoup de comédiens et de metteurs en scène.
Pourtant, il s’agit d’élire un représentant des metteurs en scène et des
comédiens. Excusez-moi, je n’en ai pas identifié beaucoup. C’est une belle
pagaille, une très belle pagaille ; j’ai été heureux que des candidats aient
refusé de se faire élire dans des conditions pareilles et se soient retirés ;
c’est responsable !
Qui sont ces candidats
qui ont refusé de se faire élire dans de telles conditions ?
Nicolas Houénou de
Dravo et Alfred Fadonougbo ; je suis tout à fait d’accord avec eux.
Alfred Fadonougbo
Stars du Bénin : Nous avons appris que
vous étiez candidat à l’élection des représentants des acteurs du théâtre dans
le Conseil d’administration (Ca) du Festival international de théâtre du Bénin
(Fitheb), dans la catégorie des comédiens. Nous voyons une salle qui s’est
pratiquement vidée complètement des votants. Que s’est-il passé ?
Alfred Fadonougbo : Il faut dire que, quand
les membres du Comité d’organisation des élections ont lancé le processus, il y
a eu des interventions qui ont énuméré un certain nombre d’insuffisances par
rapport, d’abord, au libellé des agréments qui ont permis aux gens d’entrer
dans la salle, pour constituer le corps électoral. Et, en substance, il a été
relevé que ces agréments ne portent pas, de façon explicite, l’objet de ces
associations. Donc, on ne peut pas savoir si les associations qui ont mandaté ceux
qui entrent dans la salle en tant que votants sont effectivement dans le
domaine du théâtre. Et, même s’ils sont dans le domaine du théâtre, cela ne
règle pas le problème.
Concernant le deuxième
point, il y a des associations qui ont relevé qu’on ait mis ensemble les
dramaturges, les metteurs en scène et les comédiens, et que le corps électoral
qui a été constitué procède à l’élection de ces gens-là. Il s’est posé un
problème parce que le décret qui institue les nouveaux statuts du Fitheb n’a jamais
dit qu’il faut mettre tous ces corps ensemble ; le décret a bien dit que
les associations professionnelles se réunissent pour élire leurs représentants,
mais le décret n’a jamais dit qu’il faut mettre plusieurs domaines ensemble.
Si les promoteurs
culturels se sont mis entre eux pour élire leur représentant, si les
journalistes culturels se sont mis ensemble pour élire leur représentant,
pourquoi on ne ferait pas de même avec les autres corps de métier qui
concourent à la création d’une œuvre théâtrale ? Les comédiens, c’est un corps
responsable. Les metteurs en scène, c’est un corps responsable. Les
dramaturges, c’est un corps responsable. Ce sont des gens qui ont leurs
compétences. Et, s’ils doivent se faire élire, ce sont des gens qui doivent
être convaincus de la compétence de ceux qui vont les élire, de ce qu’ils sont,
de ce qu’ils représentent, ils doivent savoir s’ils sont membres du secteur.
En fait, un autre problème, c’est
que les acteurs culturels sont très minoritaires au sein du Conseil d’administration ;
sur les 15 personnes qui le constituent, il y en a 6 – si je compte les journalistes
culturels parmi les acteurs culturels et, je crois que je ne me trompe pas en
le faisant – le reste, ce sont des administratifs qui n’ont aucun intérêt
particulier, qui ne maîtrisent pas forcément les enjeux que portent les
nouvelles réformes, les enjeux du Fitheb.
Le Fitheb est tombé,
nous voulons le relever et, nous nous sommes associés à ces réformes-là, nous
avons soutenu le Ministre de la Culture en nous associant à ces réformes, et
nous n’entendons pas être là pour que ces réformes-là, qui sont bien parties,
commencent à avoir des couacs. Et, nous disons que les collaborateurs du
Ministre de la Culture ne nous écoutent pas forcément ou, du moins, ceux qu’il
écoute sont des gens qui ne sont pas bien aguerris, qui ne sont bien au fait
des problèmes, des réelles préoccupations des hommes de théâtre. Le D/Pac
(Directeur de la Promotion artistique et culturelle, Ndlr) décide d’écouter les
fédérations d’associations d’artistes, alors qu’il ne cherche pas à comprendre
si ceux qui sont dans ces fédérations connaissent réellement les vraies
questions qui se posent au niveau du théâtre.
A la suite de ce
problème qui a été soulevé, il y a eu beaucoup de remous, beaucoup d’interventions
et, le candidat Nicolas Houénou de Dravo, qui était candidat pour représenter
les metteurs en scène, a décidé de retirer sa candidature, ce que j’ai fait
aussi, et j’ai argumenté ma décision ; en substance, j’ai dit ceci : le
Rcb (Réseau des comédiens du Bénin, Ndlr), que j’ai représenté, d’abord, aux
Journées de réflexion, a fait un travail colossal ; nous avons pris
beaucoup de risques, nous connaissons les coups que nous avons reçus pour que
les réformes se fassent de façon responsable. Mais, si on laissait faire ces
élections-là ... ! parce que ceux qui étaient dans la salle, il faut l’avouer, on ne
les maîtrisait pas, on ne les connaissait pas … Nous sommes combien ?
Aujourd’hui, tout le
monde est comédien, tout le monde est metteur en scène, tout le monde est dramaturge ;
il faut arrêter cette pagaille-là ! Et, les autorités, les cadres du
Ministère ont dit d’écrire au Ministre pour dénoncer ces insuffisances et, nous
avons dit : « Non ! »
On ne peut pas continuer à écrire … Il faut que vous sachiez que nous ne
sommes pas d’accord. C’est ce qui s’est passé, ce matin.
En dehors de tout cela,
il y a eu quelqu’un qui n’a pas pu se contrôler et qui a voulu porter des
coups, cela a créé une pagaille. Ainsi, les gens ont été obligés de suspendre
cette séance qui devait procéder à l’élection des représentants des acteurs du
théâtre au Ca/Fitheb.
Mais, toute cette expérience
pose un problème, c’est celui de la volonté réelle des autorités du Ministère
de la Culture et des acteurs culturels que nous sommes, à vouloir faire des
réformes vraiment conséquentes, pour le Fitheb. C’est hyper important, il
faudrait que nous nous posions la question ! Et, il faut que le Ministre
instruise ses collaborateurs pour qu’ils associent les vrais acteurs du milieu
du théâtre ; ils les connaissent bien ! Si ces collaborateurs ne
veulent pas les associer, il n’a qu’à leur demander pourquoi.
Moi, je dis que c’est
eux qui sont responsables de ce qui s’est passé aujourd’hui ; il faut qu’on
en tire les leçons. Malgré tout, nous allons adresser une correspondance au
Ministre de tutelle pour faire le point de ce qui s’est passé aujourd’hui, pour
déplorer cela et lui dire que nous, nous étions engagés dans les réformes mais,
que, si cela continue comme cela, nous ne sommes plus partant. En effet, il
faut qu’on arrête, dans ce pays, de mélanger torchon et serviette.
Nous sommes une
corporation responsable et, nous devons être considérée comme telle. Vous
voyez, il y a des flics qui ont été commis ; les comédiens et les metteurs
en scène ne sont pas des gens violents. Mais, pourquoi on a été obligé d’appeler
des policiers ? Est-ce que ces responsables-là qui nous ont convoqués sont
bien outillés pour gérer les acteurs culturels que nous sommes ? Nous ne
sommes pas des gens violents ! Ceux qui ont amené la violence, ils n’ont
qu’à les chercher à les identifier. C’est important. Et, désormais, si on doit
relancer ce processus, il faut que cela se passe dans les normes ; tant qu’on
va amener des gens qu’on ne connaît pas, pour désigner des gens qui doivent
porter des combats responsables, on ne pourra que déplorer des situations de ce
genre. Il faut que les autorités et les acteurs culturels tirent les leçons de
la situation que nous avons vécue aujourd’hui. Je vous remercie.
Propos recueillis par
Marcel Kpogodo