mardi 29 mai 2018

« Stop ! » : le sculpteur Marius Dansou s’insurge et surprend


Dans le cadre de sa nouvelle exposition

L’espace culturel ’’Le Centre’’ accueille depuis le vendredi 25 mai 2018, une exposition collective dont le vernissage a été effectué. Intitulé ’’Our ephemeral struggles’’, il est le résultat d’une trentaine de jours de résidence, ce qui a abouti à la présentation au public de leur travail par Ahmed Hamidi, Ardhy Massamba et Marius Dansou, ce troisième ayant particulièrement frappé par le caractère atypique de son installation.

L'installation ''Stop''
Un cimetière, 17 pierres tombales noires surmontées, chacune, d’un drapeau et, sur certains tombeaux, soit un gros point d’interrogation blanc, soit un crâne en bronze, en aluminium ou en bois, le gris du sol de support de cet arsenal renforçant l’atmosphère lugubre qui prend possession des esprits. « Stop ! », l’installation signée ’’Marius Dansou’’, qui aura surpris, impressionné et suscité mille questions, dans le début de la soirée du vendredi 25 mai 2018, au cours du vernissage de l’exposition collective dénommée ’’Our ephemeral struggles’’, présentée par ses collègues Ahmed Hamidi, Ardhy Massamba et lui, ce qui s’est tenu au ’’Centre’’ de Lobozounkpa, à Godomey, dans la Commune d’Abomey-Calavi.
« A tout seigneur, tout honneur » ! Au premier rang, à gauche, deux tombeaux sont surmontés du drapeau togolais, le premier sur lequel est posé un crâne en bois, et qui s’achève, à la base, par une durée de vie, le second, affublé d’un point d’interrogation et finissant, en bas, par une année, 1966 avec un « à » laissant espérer comme une seconde année, de clôture. Selon Marius Dansou, ces deux tombeaux sont ceux respectifs des dictateurs qui se sont succédé au pouvoir, de père en fils, plus précisément, Eyadéma Gnassingbé, déjà décédé, d’où la période achevée de vie et, le crâne, en bois, pour montrer le caractère féroce d’un régime autocratique de près d’une quarantaine d’années. Quant au fils, Faure Gnassingbé, né en 1966, il a pris la relève de son père, à sa mort, dès 2005, et il continue d’exercer le pouvoir, ce qui justifie le point magistral d’interrogation matérialisé sur le tombeau : non seulement il est vivant, mais son régime perdure, à la grande indignation des Togolais épris de liberté et de démocratie.
Dans le même schéma de légation dynastique du pouvoir se succèdent la République démocratique du Congo (Rdc) et le Gabon avec, respectivement, Laurent Désiré Kabila, décédé en 2001 et, son fils, Joseph Kabila, toujours aux commandes du pouvoir et s’y arc-boutant désespérément alors que son mandat est achevé depuis décembre 2017, puis d’Omar Bongo Ondimba, mort en 2008, et de son fils, Ali Bongo, toujours aux affaires. Dans les deux cas de pays indiqués, un crâne de matière différente trône sur la tombe des pères présidents défunts : de l’aluminium pour le Congolais et du bronze pour le Gabonais, de quoi montrer, selon l’artiste installateur, les degrés divers de possession de ressources du sous-sol et du pillage politique de la grosse manne financière émanant de la vente de ces matières premières aux pays industrialisés.

Marius Dansou, dans ses explications sur l'installation ''Stop !''
La colère de Marius Dansou par rapport à ce système de fonctionnement des dictatures en Afrique est dure et incommensurable, tenace. Ainsi, plusieurs autres pays aux dictateurs célèbres entrent dans son viseur de dénonciation, même s’ils ne sont plus au pouvoir : Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, décédé depuis 1993, et Blaise Compaoré, chassé de la présidence en 2014, sans perdre de vue, notamment, l’Angolais Jose Eduardo dos Santos qui a passé la main, en 2017, après une élection présidentielle. Pour le créateur, c’est après le décès de certains ex-dictateurs toujours vivants que leur tombeau pourrait se voir libérer du point d’interrogation inquisiteur, ayant été doté d’une puissance plus forte que l’œil de Caïn de la Bible. En effet, ces despotes, restés en vie, devraient être amenés à rendre compte de leur gestion calamiteuse lorsqu’ils étaient aux affaires. Par conséquent, ’’Stop !’’ est continuelle tant que des dictateurs resteraient au pouvoir et vivants, à charge, alors, à Marius Dansou, comme il l’a promis, d’élargir le cimetière de l’installation à chaque nouveau despote, déchu ou décédé.


Le Bénin : cas problématique

Dans l’installation ’’Stop !’’, dix-sept pays, en tout et pour tout, aux dictateurs respectifs morts, s’accrochant au pouvoir ou déchus, ont été épinglés par Marius Dansou. Mais, surprise, le Bénin, hors de la nasse ! Pourtant, ce pays est reconnu comme avoir traversé dix-sept années d’un régime dictatorial, de 1972 à 1989. Dans son analyse de cette exclusion, Marius Dansou trouve l’autocratisme de type marxiste-léniniste, vécu par les Béninois, trop mou, peu remarquable pour retenir l’attention, de même que cette dictature s’est exercée dans un pays aux ressources limitées du sous-sol, ce qui donne, pour l’artiste, une ampleur moindre à la prévarication financière qui, dans d’autres Etats africains, a atteint une hauteur digne de frapper les esprits. Cependant, un oubli de la part de Marius Dansou : une dictature, quelle que soit sa taille, quel que soit le degré de sa force de nuisance, draine, dans son sillage, un cortège de morts, de torturés, de victimes de camps de concentration, d’exilés à l’équilibre familial et social dévasté, le moyen de toucher du doigt des séquelles indélébiles qui font qu’une dictature ne peut jamais être autre chose qu’une dictature ; elle mérite donc d’être prise en compte partout où ele a pu faire ses tristes preuves, la vie humaine étant irréductible et indivisible.


Virage à 360°

Marius Dansou, dans ses résultats de travail, sans la trace du moindre fer à béton, le matériau de prédilection, qu’il a toujours assujetti à sa guise ? Inimaginable jusqu’à la soirée du 25 mai 2018 où il a donné à voir l’installation ’’Stop !’’. Apparemment, un tournant décisif dans sa démarche de travail, où le bois était beaucoup plus au rendez-vous, un bois finement travaillé et coloré avec, à la clé, un regard sur la politique africaine, un intérêt pour ce système, une décharge violente sur l’exercice de la dictature dans la plupart des pays de ce continent. Volonté de jouer, désormais, un rôle d’engagement pour le bonheur des populations ou caprice ponctuel généré par une volonté d’anticonformisme, de manifestation de la différence, vu une certaine lassitude de toujours faire la même chose ? Par ’’Stop !’’, Marius Dansou vient de donner d’une nouvelle voix, enclenchant inévitablement la continuation avec une habitude de sa part d’une absence d’adaptation à l’ambiance ordinaire du fonctionnement des arts et de la culture au Bénin. Un signal, donc, pour orienter vers une réponse, même si la résistance du ’’Stop !’’ dans la durée nous édifierait de manière plus fiable. Toute l'exposition ''Our ephemeral struggles'' peut être visitée jusqu'au 28 juillet 2018.

Marcel Kpogodo

jeudi 17 mai 2018

Le self-made young à la voix armée


Parcours d'une valeur désormais incontournable

En concert, au ''Centre'' de Lobozounkpa, en août 2017
Un grand pragmatisme. Un pragmatisme, apparemment, trop grand, réellement incroyable pour son âge, au vu de la mentalité en vogue dans le Bénin d’aujourd’hui, chez les personnes âgées, au niveau des adultes, dans la gent féminine, dans l’univers des jeunes de sa génération : si l'on n'est pas né avec une cuillère en or dans la bouche, il n'y a pas de ''fouettage'' psychologique pour se dresser dans le champ des bénédictions octroyées à chaque vivant par Dieu, si l'on ne dispose pas d’opportunités, il n'y a pas d’initiative pour s’en donner, si l'on n'a pas de chance, il n'y a pas de combat pour se l’arracher, si l'on n'a pas d’ouvertures de la vie, il n'y a pas de réflexions pour les conquérir, si l'on n'a pas de recrutement dans la fonction publique, on ne cherche pas une inspiration pour l’espoir d’un mieux-être, si l'on ne trouve pas un emploi salarié plus ou moins bien rémunéré, on n'analyse pas ses potentialités professionnelles pour s’auto-employer, si l'on ne dispose pas de crédit pour lancer une petite entreprise, on ne lève pas les bras pour commencer un business à rien de frais. 

Toutes ces postures, toutes ces pesanteurs psychologiquement arriérantes, aliénantes et handicapantes, développeuses du chômage, provoqueuses de l’anti-développement, il les a toutes défiées, vaincues. S’il a pu, sans état d’âme, le faire, réaliser ce qu’il faut qualifier d’un exploit, c’est, semble-t-il, parce qu’il a vu le jour dans l’année de l’éclosion du renouveau démocratique en ex-Union des Républiques socialistes soviétiques (Urss), au Bénin et, entre autres, en Europe de l’Est : 1990. Plus précisément, le 24ème jour du mois de janvier. Une constance : un génie naît souvent sous un signe historique particulier.

A vingt-huit ans seulement, rigoureusement sonnés, il a compris qu’il fallait sortir des sentiers battus de l’attente du bonheur qui se réalise de l’extérieur. Et, il l’a exercé. Une véritable trempe, donc ! Le voilà, alors, désormais, un pratiquant de la parole, qui s’en est fait un as, un esprit qui, dans sa langue maternelle d’une nature profondément humoristique, fait rire en traitant les situations ordinaires relatives au quotidien des Béninois.

A l’origine, il s’est fait Technicien supérieur en Audiovisuel, depuis 2014, résultat de ses études à ’’Vidéo Leader’’, à Cotonou, après avoir, successivement obtenu, quelques années auparavant, un Baccalauréat, en 2010, un Probatoire, en 2009, au Togo et, notamment, un Brevet d’Etudes du premier cycle (Bepc), en 2006.

« Ose devenir qui tu es ! », a intimé André Gide, ce qui l’aura sûrement amené à tourner casaque par rapport à la profession à laquelle le destinait sa formation. D’ailleurs, sa mère étant femme de scène, le sang, les gènes auront dicté une loi d’airain. Par conséquent, il suit le même sillage professionnel que sa génitrice mais, à sa manière !

Il parle plus qu’il ne chante, il profère surtout, il déclame, il soumet l’agencement circonstanciel qu’il réalise des mots et des phrases, à une inspiration soucieuse de déstabiliser les tares de la société, les malaises des liens interpersonnels, les méandres noirs des relations politiques entre l’Occident et l’Afrique, la force des travers multiples qui rendent délétère la vie humaine. Il le pratique depuis un temps si important qu’à l'heure actuelle, il s’est fait le maître d’une voix armée ! Le résultat de tant de mois et d’années de luttes, de souffrances, de sacrifices, d’endurance, de persévérance.

Aujourd’hui, cette voix ardente, ardue, hardie, tonne, se déploie, subjugue le public, à travers les espaces de spectacles, à Cotonou, à Lomé et, en mai 2018, a émerveillé à Abidjan, au Marché des arts du spectacle d’Abidjan (Masa) ; elle se met au service de causes sociales telles que la lutte contre le mariage forcé, le combat contre les violences faites aux femmes. Dans son pays, l’Espace ’’Mayton’’, ’’Le Centre’’ d’Atropocodji, le ’’Parking bar’’, l’Institut français de Cotonou, notamment, ont savouré la finesse de ses jeux de mots, le créatif de ses parodies, l’adresse de ses mises en musique, la justesse de son observation du fonctionnement de la société moderne. ’’Aquarelle de couleurs’’, ’’Femme de sable’’, ’’1960’’, ’’Enagba’’,’’ Vrai leader de demain’’, ’’Sursaut patriotique’’, ’’Bénintovi’’ (Featuing avec Mamba noir), ’’Enongnin vévé’’ (Featuring avec Chokki) : quelques morceaux phare de son répertoire.

Au fil de l’expérience de la scène par cet artiste de la parole, tant de réalités ont changé, ont connu de l’amélioration : se fait seul face à Dieu, dans les coulisses, et non plus devant le public, son incontournable prière d’avant entrée en scène, se réduit comme une peau de chagrin le nombre de ses accompagnateurs instrumentistes, son art exigeant qu’on mette plus en vue l’individuel de la voix que le collectif de la musique. Son effervescence intellectuelle, ses tournures comiques, ses vues décalées l’imposent comme le pape de son genre artistique et, cette voix qui déchire, qui emballe n’est personne d’autre qu’Indra-Das Baktha Nounagnon, alias Gopal Das, slameur en langue goun, de son état, qui s’est construit par lui-même : un vrai self-made young à qui des morceaux désormais mythiques concourent à affecter respect et prestige, place de choix dans le slam au Bénin : ’’Hagbè’’, ’’Hounvi’’, ’’Sassigbé’’.

Marcel Kpogodo