Dans le cadre de sa
nouvelle exposition
L’espace culturel ’’Le
Centre’’ accueille depuis le vendredi 25 mai 2018, une exposition collective
dont le vernissage a été effectué. Intitulé ’’Our ephemeral struggles’’, il est
le résultat d’une trentaine de jours de résidence, ce qui a abouti à la
présentation au public de leur travail par Ahmed Hamidi, Ardhy Massamba et
Marius Dansou, ce troisième ayant particulièrement frappé par le caractère
atypique de son installation.
L'installation ''Stop'' |
Un cimetière, 17
pierres tombales noires surmontées, chacune, d’un drapeau et, sur certains
tombeaux, soit un gros point d’interrogation blanc, soit un crâne en bronze, en
aluminium ou en bois, le gris du sol de support de cet arsenal renforçant
l’atmosphère lugubre qui prend possession des esprits. « Stop ! »,
l’installation signée ’’Marius Dansou’’, qui aura surpris, impressionné et
suscité mille questions, dans le début de la soirée du vendredi 25 mai 2018, au
cours du vernissage de l’exposition collective dénommée ’’Our ephemeral
struggles’’, présentée par ses collègues Ahmed Hamidi, Ardhy Massamba et lui,
ce qui s’est tenu au ’’Centre’’ de Lobozounkpa, à Godomey, dans la Commune
d’Abomey-Calavi.
« A tout seigneur,
tout honneur » ! Au premier rang, à gauche, deux tombeaux sont
surmontés du drapeau togolais, le premier sur lequel est posé un crâne en bois,
et qui s’achève, à la base, par une durée de vie, le second, affublé d’un point
d’interrogation et finissant, en bas, par une année, 1966 avec un
« à » laissant espérer comme une seconde année, de clôture. Selon Marius
Dansou, ces deux tombeaux sont ceux respectifs des dictateurs qui se sont
succédé au pouvoir, de père en fils, plus précisément, Eyadéma Gnassingbé, déjà
décédé, d’où la période achevée de vie et, le crâne, en bois, pour montrer le
caractère féroce d’un régime autocratique de près d’une quarantaine d’années.
Quant au fils, Faure Gnassingbé, né en 1966, il a pris la relève de son père, à
sa mort, dès 2005, et il continue d’exercer le pouvoir, ce qui justifie le point
magistral d’interrogation matérialisé sur le tombeau : non seulement il
est vivant, mais son régime perdure, à la grande indignation des Togolais épris
de liberté et de démocratie.
Dans le même schéma de
légation dynastique du pouvoir se succèdent la République démocratique du Congo
(Rdc) et le Gabon avec, respectivement, Laurent Désiré Kabila, décédé en 2001
et, son fils, Joseph Kabila, toujours aux commandes du pouvoir et s’y
arc-boutant désespérément alors que son mandat est achevé depuis décembre 2017,
puis d’Omar Bongo Ondimba, mort en 2008, et de son fils, Ali Bongo, toujours
aux affaires. Dans les deux cas de pays indiqués, un crâne de matière
différente trône sur la tombe des pères présidents défunts : de
l’aluminium pour le Congolais et du bronze pour le Gabonais, de quoi montrer,
selon l’artiste installateur, les degrés divers de possession de ressources du
sous-sol et du pillage politique de la grosse manne financière émanant de la
vente de ces matières premières aux pays industrialisés.
Marius Dansou, dans ses explications sur l'installation ''Stop !'' |
La colère de Marius
Dansou par rapport à ce système de fonctionnement des dictatures en Afrique est
dure et incommensurable, tenace. Ainsi, plusieurs autres pays aux dictateurs
célèbres entrent dans son viseur de dénonciation, même s’ils ne sont plus au
pouvoir : Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire, décédé depuis 1993, et
Blaise Compaoré, chassé de la présidence en 2014, sans perdre de vue,
notamment, l’Angolais Jose Eduardo dos Santos qui a passé la main, en 2017,
après une élection présidentielle. Pour le créateur, c’est après le décès de
certains ex-dictateurs toujours vivants que leur tombeau pourrait se voir
libérer du point d’interrogation inquisiteur, ayant été doté d’une puissance
plus forte que l’œil de Caïn de la Bible. En effet, ces despotes, restés en vie,
devraient être amenés à rendre compte de leur gestion calamiteuse lorsqu’ils
étaient aux affaires. Par conséquent, ’’Stop !’’ est continuelle tant que des
dictateurs resteraient au pouvoir et vivants, à charge, alors, à Marius Dansou,
comme il l’a promis, d’élargir le cimetière de l’installation à chaque nouveau despote,
déchu ou décédé.
Le Bénin : cas problématique
Dans l’installation ’’Stop !’’,
dix-sept pays, en tout et pour tout, aux dictateurs respectifs morts,
s’accrochant au pouvoir ou déchus, ont été épinglés par Marius Dansou. Mais,
surprise, le Bénin, hors de la nasse ! Pourtant, ce pays est reconnu comme
avoir traversé dix-sept années d’un régime dictatorial, de 1972 à 1989. Dans
son analyse de cette exclusion, Marius Dansou trouve l’autocratisme de type
marxiste-léniniste, vécu par les Béninois, trop mou, peu remarquable pour
retenir l’attention, de même que cette dictature s’est exercée dans un pays aux
ressources limitées du sous-sol, ce qui donne, pour l’artiste, une ampleur
moindre à la prévarication financière qui, dans d’autres Etats africains, a
atteint une hauteur digne de frapper les esprits. Cependant, un oubli de la
part de Marius Dansou : une dictature, quelle que soit sa taille, quel que
soit le degré de sa force de nuisance, draine, dans son sillage, un cortège de
morts, de torturés, de victimes de camps de concentration, d’exilés à
l’équilibre familial et social dévasté, le moyen de toucher du doigt des
séquelles indélébiles qui font qu’une dictature ne peut jamais être autre chose
qu’une dictature ; elle mérite donc d’être prise en compte partout où ele
a pu faire ses tristes preuves, la vie humaine étant irréductible et
indivisible.
Virage à 360°
Marius Dansou, dans ses
résultats de travail, sans la trace du moindre fer à béton, le matériau de
prédilection, qu’il a toujours assujetti à sa guise ? Inimaginable jusqu’à
la soirée du 25 mai 2018 où il a donné à voir l’installation ’’Stop !’’.
Apparemment, un tournant décisif dans sa démarche de travail, où le bois était
beaucoup plus au rendez-vous, un bois finement travaillé et coloré avec, à la
clé, un regard sur la politique africaine, un intérêt pour ce système, une
décharge violente sur l’exercice de la dictature dans la plupart des pays de ce
continent. Volonté de jouer, désormais, un rôle d’engagement pour le bonheur
des populations ou caprice ponctuel généré par une volonté d’anticonformisme,
de manifestation de la différence, vu une certaine lassitude de toujours faire
la même chose ? Par ’’Stop !’’, Marius Dansou vient de donner d’une
nouvelle voix, enclenchant inévitablement la continuation avec une habitude de
sa part d’une absence d’adaptation à l’ambiance ordinaire du fonctionnement des
arts et de la culture au Bénin. Un signal, donc, pour orienter vers une
réponse, même si la résistance du ’’Stop !’’ dans la durée nous édifierait
de manière plus fiable. Toute l'exposition ''Our ephemeral struggles'' peut être visitée jusqu'au 28 juillet 2018.
Marcel Kpogodo
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