mercredi 14 octobre 2015

De grosses divergences sur le Théâtre national chez Boni Yayi

Au cours d’une rencontre avec les acteurs culturels à la Présidence de la République


Dans la matinée du lundi 12 octobre 2015, Boni Yayi a reçu, à la Marina, les acteurs culturels, au sujet du dossier du Théâtre national. Cette séance de travail s’est révélé l’occasion pour les hôtes du Chef de l’Etat de montrer au grand jour leurs contradictions internes.

De gauche à droite, Paul Hounkpè et Boni Yayi
’’Théâtre national’’, ’’Maison de la culture’’, ou ’’Maison des artistes’’ ? Bâtir une infrastructure de 1000, 1200 ou 3500 places ? Retenir, comme site de construction de l’édifice, l’espace derrière le Ministère de l’Agriculture, celui derrière l’Office national d’imprimerie et de presse (Onip) ou celui de 3 hectares, situé dans la zone du Plm Alédjo ? Voilà les trois niveaux de mésentente qui ont ouvertement opposé les acteurs culturels invités, le lundi 12 octobre dernier, par le Chef de l’Etat, à une concertation, à la Salle du peuple du Palais de la Marina. Pendant ce temps, Boni Yayi n’a pas manqué de faire comprendre à ses interlocuteurs qu’au lieu de 3 milliards de Francs Cfa, initialement prévus pour financer le Projet, ce serait désormais une cagnotte de 6 milliards qui serait mobilisés, à raison d’1 par le Budget national, 2 par un partenaire à identifier et, enfin, 3 par la Banque internationale pour le développement (Bid), ce dernier fonds étant déjà disponible.
En réalité, la rencontre indiquée avait été initiée par le premier des Béninois pour communiquer avec le club restreint des présidents des fédérations d’associations d’artistes, afin qu’il leur soit montré par Paul Hounkpè, Ministre de la Culture, la maquette ayant été réalisée du Théâtre national, et qui aurait déjà été vue par le Conseil des Ministres, le but en étant de recueillir les analyses de ces représentants des artistes, vu la vision de large concertation développée par le Président de la République, à toutes les étapes de la conduite de la construction de l’infrastructure.
Mais, faisant perdre toute sa valeur au fondement de cette réunion, les artistes, d’abord, mal informés, se sont présentés en un nombre important, suscitant l’étonnement de Boni Yayi qui croyait devoir avoir affaire à un groupe restreint, pour des discussions plus efficaces. Ensuite, des responsables de fédérations d’associations ont étalé au grand jour leurs divergences face, notamment, au choix du site de construction de l’édifice et au nombre de places qu’il devrait comporter. Conséquence prévisible : Boni Yayi s’est vu dans l’obligation de reporter la séance à une date ultérieure, le temps que de nouvelles concertations entre les concernés viennent davantage concilier les points de vue, surtout qu’une mission de la Bid est annoncée pour séjourner dans le pays, dès le 23 octobre prochain, pour en connaître davantage sur le déroulement du Projet. En attendant cela, un délai de 72 heures a été concédé par le Chef de l’Etat pour que soient aplanies les opinions paradoxales concernant les points cruciaux que sont le site à exploiter pour la construction et le nombre de places de l’infrastructure d’ordre culturel, entre autres.



Le G 113, un groupe anarchique ?

Près de deux heures avant l’entrée du Chef de l’Etat, dans la Salle du peuple du Palais de la Marina, un groupe de danseurs de la musique traditionnelle, portant le sceau du G 113, ont tenté de s’illustrer négativement. D’abord, ils ont voulu enfreindre aux exigences sécuritaires en s’obstinant à porter une casquette d’une couleur orange avec, au fronton, le nom du Groupe. L’agent en civil, envoyé pour résoudre ce problème, a dû user d’une fermeté sans égale, pour les faire plier. Ensuite, Léon Hounyè, Président du G 113, par des applaudissements discordants relayés par les siens, a tenté de semer le désordre, en cherchant à perturber une concertation qui, à son goût, durait trop et qui avait mobilisé, en retrait, au fond de la grande Salle, la quasi-totalité des présidents de fédérations d’associations, alors que ceux-ci étaient en discussion avec le Ministre Paul Hounkpè. Une fois encore, il a fallu déployer une stratégie de communication bien mûrie, à l’actif de l’homme de théâtre, Tola Koukoui, pour faire échec à une telle manœuvre. Cette situation a causé une grande indignation chez Koffi Adolphe Alladé, Président d’une fédération d’associations de danseurs de la musique traditionnelle. Difficilement, il a pu ramener à la raison Léon Hounyè qui, verbalement, lui tenait durablement tête. Face à une telle ambiance d’imbroglio, n’est-il pas temps pour les artistes et leurs dirigeants d’associations de prendre langue afin que de tels incidents, préjudiciables à leurs intérêts, soient évités ?

Marcel Kpogodo  

mercredi 7 octobre 2015

Des installations décalées à l’Institut français de Cotonou

Dans le cadre de la 3ème édition de la ’’Nuit blanche’’


Tous les compartiments de l’Institut français de Cotonou grouillaient d’un monde réellement abondant, dans la soirée du samedi 3 octobre 2015. La ’’Nuit blanche’’, dans son effervescence, a permis d’assister à de nombreuses performances d’artistes plasticiens, certaines d’entre elles s’étant révélé plus que frappantes.
Youchaou Kiffouly, dans sa performance osée
Youchaou Kiffouly baignant dans un lit puant d’ordures, Rémy Samuz porté par une petite équipe, tous le visage grillagé, prestant, Sika, armée d’une longue canne, déambulant, imposante, Eric Médéda, alias Doudou, le corps tout en chaînes, posant, le visage apitoyé, sur le sort du monde, Sébastien Boko, sculptant sur bois, en direct, sans oublier beaucoup d’autres performances en sons et en dessins avec, en prime, à l’animation, l’inusable Sergent Markus et, surtout, Anicet Adanzounon ! Des présentations qui ont réussi à provoquer des sensations fortes, au niveau du public ayant fait le grand déplacement et n’oubliant pas de se nourrir et de se désaltérer intensément. Le menu de la ’’Nuit blanche’’, qui s’est déroulée à l’Institut français de Cotonou, de 20 h à des moments plus que tardifs de la nuit, le samedi 3 octobre 2015. 

Anicet Adanzounon, homme de théâtre, à la programmation musicale de la ''Nuit blanche''
En dehors de ces installations se profilaient d’autres, silencieuses, à l’instar de ’’Rendez-vous climat’’, ayant entièrement occupé l’Espace Joseph Kpobly, animée par une dizaine d’artistes : Hector Sonon, Charles, Moufouli Bello, Totché, Sitou, Psycoffi, Prince Toffa et, notamment, Sébastien Boko dont l’installation monopolisait le regard.
D’abord, l’artiste plasticien, Youchaou Kiffouly, vivant et travaillant à Porto-Novo, a frappé par son incursion dans un réalisme hyperbolique, noyé qu’il était dans un tas d’ordures et poussant le comble jusqu’à lécher, avec une apparente satisfaction, le contenu de ce qui était supposé être le contenu rougeâtre d’une couche de femme en menstruations. Très élégamment habillé d’un costume et d’une cravate, il s’enroulait le corps de ce qu’il appelait ’’le drapeau du monde’’. Et, le personnage qu’il jouait se dénommait ’’l’élu rêveur’’, qu’il a décrit comme un homme politique prêt à toutes les bassesses pour conquérir l’électorat, d’où le léchage de l’intérieur de cette couche. « Après son élection, il n’y a plus rien … », conclut le performeur, critiquant l’abandon de l’environnement à lui-même, alors qu’il avait focalisé les débats, avant des consultations électorales. Selon lui, sa démarche est un appel au recyclage des ordures, relatant l’exemple de l’Allemagne où chaque type d’ordure a sa poubelle ; il considère, alors, l’ordure comme de ’’l’or dur’’ dont l’homme, s’il s’organisait bien, pourrait tirer largement des bénéfices de tous ordres. « Je vais me laver rapidement », souffle-t-il, lui-même, à part lui, exaspéré et excédé par la saleté ambiante dans laquelle il a dû se vautrer, pour réussir son jeu.

Rémy Samuz et consorts
Avec Rémy Samuz et son équipe, visiblement mis en scène par l’artiste plasticien, Marius Dansou, il fallait assister à ’’Contradictions’’. « Les gens s’en foutent complètement des changements climatiques parce que leur production leur apporte de gros moyens, les enrichissent, ils sont aveuglés par leurs désirs … », lance violemment Rémy, quelques minutes après s’être débarrassé du masque de grillage qui fermait le visage des membres de son équipe et de lui, lui qu’on portait sur une planche et avec qui le groupe opérait des arrêts bien calculés, impressionnant le public par cet accoutrement facial peu ordinaire et suggestif.
Sika
En outre, dans ’’Moi’’, Sika, artiste multidimensionnelle, a aussi ému par la prestance d’une démarche qu’elle a menée, venue de nulle part, une sorte de long sceptre enfermé dans son poing gauche ou droit, selon les besoins de l'équilibre, le visage altier, des yeux brillants et un sourire vivant, semblant défier l’adversité. L’absurdité du jeu : cette allure de reine s’effritait, au fur et à mesure qu’elle avançait, de la cafétéria de l’Institut français, vers son couloir gauche faisant l’allée de bureaux. En effet, elle tombait et se relevait fièrement, se plongeait dans une boue rouge, opportunément étalée … Le corps recouvert d’un tissu rouge scintillant laissant néanmoins percevoir des jambes sexy dont la curiosité vers les parties intimes s’écourtait par une culotte noire, Sika continuait à rire et à défier, affrontait les railleries de deux personnages doutant de sa capacité à surmonter des obstacles qui donnaient l’impression d’être ceux de la vie courante. Cette modestie dans le vêtement exprimait, selon son analyse, un appel au naturel, au rejet de l'artificiel. A la fin du parcours initiatique de la souffrance et de la victoire sur elle, le public pouvait l’approcher et lui peindre ce qu’il voulait sur le corps, l’occasion d’attouchements défoulants du désir suscité par la beauté d’un corps ferme. Beaucoup de courageux se sont alors fait plaisir. « ’’Moi’’ est une exhortation à vivre notre vraie personnalité, à oser vivre sa nature, à oser être soi-même, au-delà de toutes les critiques », définit Sika. « Cette performance exprime qui je suis, et montre qu’il est possible de vivre sa nature », continue-t-elle. Et, ce ’’qui je suis’’ dépend de ce que chaque membre du public a pu lire d’elle à partir du spectacle qu’elle a livré, si généreusement. Par ailleurs, la phase où tous devaient barioler son corps a trouvé sa justification : « Quand vous êtes vous-mêmes, Vous aurez toujours besoin des autres, ils laisseront leurs empreintes dans votre vie … », débute-t-elle, avant de s’arrêter définitivement, cette fois-ci, vêtue d’une élégante et moulante robe blanche : « Tout dépend de ce que vous en faites, vous … »
Eric Médéda, alias Doudou
De plus, chez Doudou, toute une question déblaie le thème de sa performance : « A qui la liberté ? ». Elle lui sert de tremplin pour fustiger le trop plein de lois et d’institutions comme la famille, le mariage et la religion, qui privent l’être humain de sa liberté originelle. Prouvant cela, c’est enchaîné dans l’essentiel de son corps qu’il a déchaîné la curiosité de la foule qui le suivait, pas pour pas. Eric Médéda, très touché par ce qu’il stigmatisait, portait un visage d’un pathétisme un peu trop tiré par les cheveux, mais qui a réussi à rendre compte de la désolation de son esprit.
Sébastien Boko, à l'oeuvre ...
Se rapportant particulièrement à lui, comme s’il avait décidé de révéler le secret de la fabrication de ses sculptures alimentant la performance silencieuse de l’Espace Kpobly, Sébastien Boko, à l’entame de la ’’Nuit blanche’’, s’est lancé dans un travail musculaire sans pareil, durant toute la soirée. Armé d’une pioche, il taillait ardemment dans un tronc d’arbre long et intact et, plus de deux heures d’acharnement après, une forme humaine debout, à la tête surmontée d’une crête, démontrait que la vigueur du sculpteur aux nombreux galons de consécrations, avait été payante. Plus tard, ayant complètement repris ses esprit et, déambulant vers l’Espace Kpobly, il n’avait qu’une plainte, faiblement exprimée, du bout des lèvres : il se sentait faible. Donc, cette vigueur était bien celle d’un homme …

Marcel Kpogodo