mercredi 22 juin 2016

« […] on n’a aucun intérêt à rater ce rendez-vous unique de la poésie », dixit Jérôme Tossavi

Dans le cadre de l’organisation de l'édition 2016 de la ’’Nuit poétique’’


La ’’Nuit poétique’’, un événement annuel dédié à la poésie, s’est véritablement imposé, dès sa première édition, en 2015. Jérôme Tossavi, le jeune dramaturge et poète béninois, qui en est le concepteur, aborde la tenue de la 2è, dès juillet prochain, à travers cette interview qu’il a accepté de nous accorder.  

Jérôme Tossavi
Journal ''Le Mutateur'' : Bonjour Jérôme Tossavi. Vous êtes le Directeur du Festival, ’’Nuit poétique’’, prévu pour avoir lieu le 9 juillet prochain, à l’Institut français de Cotonou. Qu’avons-nous au menu des artistes poètes ?

Jérôme Tossavi : La ’’Nuit Poétique’’ est une nuit de grande révélation poétique qui donnera la parole aux artistes poètes de tous les cabanons. Nuit de grande fièvre poétique à nulle autre pareille, cette soirée offrira au public qui fera le déplacement un panel de menus faits de musique, de paroles chantées et portées au dos de la poésie d’engagement, qui sera à l’honneur. Ainsi dit, une quinzaine de poètes confirmés sont attendus sur la grande scène de la ’’Nuit’’, pour porter leur parole silencieuse, dans le creux de la fontaine nuptiale. A cette foire de la poésie sont attendus aussi des musiciens de renom pour tailler la pierre dans la verve poétique des poètes qui arpenteront la scène de la ’’Nuit Poétique’’. Cette soirée de performance poétique redorera ses lettres de noblesse à l’événement, à travers le grand spectacle vivant autour des corps-poèmes concoctés, depuis la première génération de poètes jusqu’à la dernière, dans notre pays. Ce spectacle, d’une durée de 20 minutes, nous fera voyager dans la prairie de la poésie béninoise, engagée depuis Paulin Joachim (le père-ancêtre de la poésie d’ici) jusqu’à Daté Atavito Barnabé-Akayi, en passant par les grandes voix telles que Kakpo Mahougnon, Jean-Marc-Aurèle Afoutou, Fernando d’Almeida, Louis-Mesmin Glèlè, pour ne citer que celles-là. La scène sera ensuite ouverte aux poètes confirmés qui passeront, à tour de rôle, dans la fontaine de la ’’Nuit’’, pour déclamer leurs propres textes, sur des notes musicales assurées par le plus grand flûtiste au Bénin, Meschac Adjaho, en compagnie de sa bande. En somme, on n’a aucun intérêt à rater ce rendez-vous unique de la poésie, vu le plat de résistance qui y sera servi.



Quels éléments d’originalité voyez-vous par rapport à la 1ère édition de la manifestation qui a eu lieu en 2015 ?

Déjà, cette deuxième édition gagne en beauté et en originalité par rapport à la première édition qui n’était qu’une édition-test, pour jauger la sensibilité poétique du peuple béninois. Fort heureusement, le public a répondu très favorablement à cet appel et a même émis le vœu que ce rendez-vous soit trimestriel. La première marque d’originalité, pour cette deuxième édition, repose sur l’aspect théâtral de la soirée dont la direction artistique est confiée au metteur en scène professionnel, Patrice Toton, qui proposera des plans de scènes, aussi bien pour la troupe de comédiens qui jouera les morceaux choisis, que pour les poètes qui porteront eux-mêmes leurs poèmes. La deuxième marque d’originalité de la soirée repose sur la forte participation de poètes d’horizons. Une forte participation qui a découlé de l’appel à textes lancé par nos soins pour recueillir des poèmes et des poètes pour la ’’Nuit’’. Nous sommes étonnés de la forte masse de textes poétiques que les poètes du monde entier nous envoient et des demandes des poètes à participer à cette ’’Nuit’’ de tous les rêves. A ce jour, la France, le Sénégal, le Togo, le Cameroun et même la Chine frappent à notre porte pour ne pas rater ce rendez-vous, ce qui nous donne l’élan de ne jamais abandonner ce projet qui prend l’allure d’un grand festival international.  La troisième et dernière marque d’originalité de cette édition est l’aspect thématique imprimé à toute la soirée. En effet, cette édition est placée sous le signe de la Poésie et de l’engagement. Tous les textes qui seront lus, chantés, déclamés au cours de la soirée tourneront autour de ce thème unique. Les poètes invités y travaillent fortement, pour ne pas quitter cette gamme exigée par le Festival.



Comment vous battez-vous pour le financement de l’événement?

Un événement de cette envergure a besoin forcement d’un gros budget pour sa parfaite réussite. Mais, le pays étant ce qu’il est, nous n’avons pas pu totaliser de grands moyens pour porter ce rêve. Nous nous sommes battus pour attirer le regard de l’exécutif vers ce projet salvateur à travers le Fonds d’aide à la culture qui nous a alloué une cagnotte minimale pour la réalisation de ce projet qui nécessite néanmoins un budget conséquent. Nous remercions nos partenaires, l’Institut Français du Bénin, qui a accepté de mettre son cadre à notre disposition pour abriter la ‘’Nuit’’, l’Association Katoulati, pour l’accompagnement artistique, les poètes de tous les cabanons, pour l’acceptation d’exploitation de leurs œuvres, à des fins de promotion. 

L'affiche de l'événement
Selon vous, comment se porte la poésie béninoise, à l’heure actuelle ?

La poésie béninoise s’essouffle en dépit des talents fertiles qui pointent à l’horizon. Le pays compte beaucoup de jeunes poètes de forte fièvre poétique mais qui abandonnent le combat d’édition de recueils trop sportifs. Aucun éditeur n’est prêt à mettre de l’argent dans ce projet audacieux qui n’est aucunement rentable. Des recueils de poèmes de grande défaillance naissent rarement à compte d’auteurs pour enterrer la poésie. Une fois que ces recueils sont publiés, il n’y a pas de canaux de diffusion et de promotion, si bien que le poète se déguise en vendeur ambulant de sa poésie qui n’intéresse personne, car, il faut l’avouer, la poésie est d’ailleurs une affaire personnelle et est vite taxée d’hermétique par la masse laborieuse qui lit tout sauf ce genre littéraire. Cet essoufflement est dû, à notre avis, au manque criard d’événements et de canaux devant assurer sa vulgarisation. La fibre poétique déserte le forum au grand désarroi du slam, mal défriché par la plupart des jeunes qui s’y adonnent. Preuve palpable de l’échec de notre système scolaire qui ne donne plus le goût de la poésie aux apprenants, à travers ces séances de récitation poétique qui égayaient les cœurs et suscitaient des vocations, dans un passé récent.



En matière de poésie au Bénin, quels sont vos faits d’armes ?

Je travaille à redonner à la poésie béninoise toutes ses lettres de noblesse. Je sais que j’y parviendrai après de lourds moments de sacrifices et de critiques, vu que les voix ne sont jamais unanimes lorsqu’il s’agit de discuter de la littérature, dans notre pays. ’’La Nuit poétique’’ que j’organise, par le biais de l’Association dont j’assure la direction, ’’Mignon-Tourbillon’’, répond à ce vœu de redimensionner la poésie d’ici et d’ailleurs sur les rails de la grande émotion et de la grande passion. Mon  rêve, en initiant ce projet, c’est de faire du Bénin la capitale de la poésie mondiale. Et, à cette deuxième édition, je suis pleinement satisfait de mes objectifs, vu la forte pression des demandes de participation qui fusent de toutes parts. 



Un appel au public ?

Nous invitons toutes les bonnes volontés à soutenir l’événement ’’Nuit Poétique’’, qui est un patrimoine national, au même titre que le Fitheb (Festival international de théâtre du Bénin, Ndlr) et d’autres événements qui repositionnent le Bénin sur l’échiquier mondial. J’invite le public à ne pas manquer le rendez-vous du 09 juillet 2016 qui fera de la ’’Nuit’’, la soirée de tous les rêves.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo

jeudi 9 juin 2016

Le Ministre Ange N’Koué échappe aux artistes à la base

Au cours d’une manifestation en deux temps
(Les manifestants menacent de revenir très vite à la charge)


Ce petit matin du mercredi 8 juin 2016 a vu, notamment, se dérouler, au Ministère du Tourisme et de la culture, une manifestation de la part de plusieurs artistes béninois. Il s’agissait pour eux de revendiquer une implication des acteurs culturels dans les réformes en cours dans ce Département ministériel. Mais, Ange N’Koué n’a pas accédé à la volonté des manifestants de descendre écouter leurs revendications.

Patrice Adandédjan, devant la presse, après l'étape de la Présidence
« Oui aux réformes, mais sans les acteurs culturels, non », « Ma culture, je me dois de la protéger contre les vautours ». Le message fortement suggestif, en lettres blanches, vertes et jaunes, lisible sur deux bâches d’un fond rouge frappant, présenté avec, derrière elles, des dizaines de manifestants réunis sur une cour dallée, en biais gauche à la façade intérieure du Ministère du Tourisme et de la culture, à Cotonou, en cette fraîche matinée du mercredi 8 juin 2016, pour une revendication pure et simple : rencontrer le locataire des lieux, le Ministre Ange N’Koué, pour lui dire, de vive voix, leur exigence de le voir faire entrer les acteurs culturels dans le système de conception des réformes, concernant le secteur des arts et de la culture. Mais, celui-ci n’a pas cédé à cette attente puisque, pendant que les manifestants se faisaient remarquer bruyamment, il s’est tranquillement infiltré dans sa 4x4 noire de fonction et a quitté les lieux, pour se rendre en Conseil des Ministres.  

Les représentants des manifestants face à la délégation ministérielle
Les manifestants en question étaient des artistes, tous secteurs confondus, et sans étiquette organisationnelle : des artistes à la base. Ils ont réalisé leur présence dans ce lieu public par un tintamarre musical fait de chants révolutionnaires et de danses, rythmés par des sons de fanfare, de tam-tam et d’un morceau de rail faisant office d’un gong que quelqu’un battait de manière très stridente. Tout d’un coup, stratégique interruption du vacarme profondément perturbateur des activités des fonctionnaires dont un certain nombre était juché aux vitres des fenêtres de leur bureau. En effet, un peu avant le départ d’Ange N’Koué, vient de faire son apparition Richard Sogan, Secrétaire général du Ministère (Sgm), qui portait la tête d’une petite délégation de 3 personnalités dont Francis Zogo, le Directeur du Fonds d’aide à la culture (Fac). « On ne peut pas faire des réformes dans le coton sans les cotonculteurs ; nous demandons juste deux minutes au Ministre pour écouter nos revendications et nous repartons », s’est alors écrié Patrice Adandédjan, artiste de la musique traditionnelle et l’un des meneurs du mouvement. Face au représentant du Ministre exigeant une orthodoxie dans la méthode de revendication des manifestants, et sollicitant qu’ils montent pour discuter en salle de conférence, leur porte-parole se montre négativement preneur, évoquant les humiliations antérieures faites par Ange N’Koué, dans des circonstances où ils avaient accepté de se soumettre à la même demande.

Les manifestants, au Ministère de la Culture
Devant cette fin de non recevoir, le Sgm et sa petite équipe quittent les lieux, ce qui fait reprendre le tintamarre musical mais, plus fortement, jusqu’à ce que, de manière plus ou moins remarquable, le Ministre de la Culture quitte son lieu de travail. Face à l’évidence de ce départ, cessation de la musique, concertation rapide des têtes de pont et, diffusion rapide de la nouvelle stratégie : aller rattraper Ange N’Koué à la Marina, quitte à même rencontrer Patrice Guillaume Athanase Talon, le Chef de l’Etat, pour se plaindre à lui du fait que son Ministre les exclue des réformes en cours.

L'atmosphère, bien que tendue, était très festive
Dissolution donc de la masse des manifestants, qui, au fil des minutes, avait considérablement grossi.
En un tournemain, les artistes en colère, qui avaient, en majorité, des engins, s’auto-transportent et, les voilà à la Présidence de la République. Cette fois-ci, pas de bruit, ni de musique ni de chants ; les lieux, même à leur devanture, imposent une véritable solennité que les manifestants, flairant le signe, décident de ne pas troubler. Nous sommes à la façade extérieure droite de la Marina, quelques petits mètres avant le premier poste de filtrage des entrants ; la barrière dressée des gardes ferme une entrée étroitement contrôlée.

A la Présidence de la République
Des négociations sont lancées entre les représentants des manifestants et un des soldats, très affable, réitérant à ses vis-à-vis la nécessité de suivre une procédure avant de se pointer sur ce genre de lieu. Comme alerté très discrètement, un des responsables des militaires, en tenue de sport, fait son apparition. D’une grande jovialité, il rassure les représentants des artistes en colère et leur tient le même langage, en contrepartie de quoi il reçoit l’évocation de l’inertie des procédures administratives pendant qu’Ange N’Koué cuisine ses réformes dans son bureau, ce que, notamment, Patrice Adandédjan juge inacceptable, et l’adrénaline semble vouloir remonter à la surface quand la sérénité du militaire en tenue de sport calme et rassure. Par ailleurs, les négociations continuent pour donner la chance aux manifestants d’entrevoir le très célèbre Sieur Patrice Guillaume Athanase Talon que ceux-ci considèrent comme le dernier recours. Sur ces entrefaites survient, d’une voiture banalisée dont il bondit comme un chat, Tétédé Idjouola, le Chef de la Garde républicaine, taille modeste, carrure solide, sourire aux lèvres, semblant bien connaître Patrice Adandédjan. Visiblement, cet artiste n’est pas un intrus dans la maison Marina. Nouveaux propos de manifestation de l’impossibilité pour les artistes de rencontrer le Chef de l’Etat. La concertation restreinte des porte-parole avec le patron de la sécurité présidentielle accouche d’un fin de non recevoir distillée dans le sourire par le militaire. Le rassemblement est donné et l’annonce est faite d’une rencontre, dans l’après-midi, entre ceux-ci et Tétédé Idjouola, pour harmoniser les points de vue, d’où la levée du siège de la devanture extérieure de la Marina. Et, on promet avec véhémence de revenir à la charge, tant qu’Ange N’Koué n’aura pas montré son engagement à associer les artistes à la construction des réformes au Ministère du Tourisme et de la culture.

Marcel Kpogodo




Le film d’une manifestation particulière



7h30 - 8h10 : Rassemblement progressif des manifestants sur la façade intérieure du Ministère de la Culture

8h10 : Début du jeu d’un orchestre bruyant alliant instruments modernes et traditionnels : fanfare, tam-tam, gong, notamment. Chansons révolutionnaires. Certains manifestants sont habillés de rouge, d’autres ont leur tricot, exprès, à l’envers. Etant artistes, ceux-ci utilisent leurs moyens de travail que sont l’orchestration, les chants et les danses, pour se faire entendre. Perturbation littérale de l’atmosphère sonore des lieux.

8h26 : Apparition du Sgm, Richard Sogan, en compagnie, notamment, de Francis Zogo, Directeur du Fonds d’aide à la culture. Négociations chaudes avec Patrice Adandédjan, très intraitable : « Le Ministre ou rien … ». Menaces d’aller chez le Chef de l’Etat, à la Marina.

8h30 : Départ de la délégation ministérielle.

8h32 : Compte-rendu bref aux manifestants et reprise du tintamarre, avec des pas de danse plus endiablés et une musique plus forte, comme pour marquer une certaine exaspération. Le groupe des manifestants s’élargit de dizaines de nouveaux arrivants.

8h36 : Départ d’un véhicule officiel 4x4 noir de plaque bleue, vraisemblablement celui du Ministre de la Tourisme et de la culture. Tintamarre plus intense, vacarme musical de plus en plus assourdissant.

8h44 : Cessation de la musique et des chants, pour une concertation rapide. Prise de la décision du départ pour la Présidence de la République, sans bruit aucun et avec les moyens de bord dont dispose chacun, pieds ou engin : consigne des organisateurs.

8h46 : Départ effectif, vidage de la cour intérieure.

9h02 : Positionnement des manifestants sur l’espace latéral droit de la devanture de la Marina, l’Institut français de Cotonou leur faisant face. Discrétion absolue. Calme. Discipline. Discussions entre les meneurs du mouvement et un militaire ayant pris le devant des négociations. Incompréhensions, de part et d’autre, exprimées dans une courtoisie et une sérénité hors du commun.

9h21 : Arrivée de Tétédé Idjouola. Discussions avec Patrice Adandédjan ; les deux hommes se connaissent. Réaffirmation par le cadre militaire de la fin de non recevoir, il faudra prendre d’autres dispositions plus traçables pour rencontrer le Chef de l’Etat.

9h26 : Rassemblement général des manifestants par leurs représentants. Apport de l’information aux artistes. Prévision d’une rencontre des responsables avec Tétédé Idjouola, à 15h.

9h30 : Démobilisation officielle de la manifestation, repli ordonné vers le Stade de l’Amitié, pour une plus grande liberté de concertation.

9h33 : Débriefing sur le parking de l’Institut français de Cotonou.

9h34 : Interview des meneurs à la presse : soupçons évoqués par Patrice Adandédjan de corruption nocturne de certains aînés et de têtes de pont de la famille des artistes, ce qui justifierait leur absence à la manifestation. Motivation de la manifestation du mercredi 8 juin par des correspondances vaines envoyées au Ministre Ange N’Koué. Demande du limogeage par l’intervenant de cette personnalité pour la remplacer par un acteur du secteur des arts et de la culture. Disparition progressive et totale des manifestants.

10h10 : Arrivée et entrée dans le Palais du discret mais impressionnant cortège de Son Excellence Patrice Guillaume Athanase Talon, Président de la République, Chef de l’Etat, Chef du Gouvernement.

10h15 : Arrivée de l’artiste Eléphant Mouillé sur un terrain dégarni de la plupart des manifestants ; il va aux nouvelles.


M. K.