Au cours d’une
manifestation en deux temps
(Les manifestants menacent
de revenir très vite à la charge)
Ce petit matin du
mercredi 8 juin 2016 a vu, notamment, se dérouler, au Ministère du Tourisme et
de la culture, une manifestation de la part de plusieurs artistes béninois. Il
s’agissait pour eux de revendiquer une implication des acteurs culturels dans les
réformes en cours dans ce Département ministériel. Mais, Ange N’Koué n’a pas
accédé à la volonté des manifestants de descendre écouter leurs revendications.
Patrice Adandédjan, devant la presse, après l'étape de la Présidence |
« Oui aux
réformes, mais sans les acteurs culturels, non », « Ma culture, je me
dois de la protéger contre les vautours ». Le message fortement suggestif,
en lettres blanches, vertes et jaunes, lisible sur deux bâches d’un fond rouge frappant,
présenté avec, derrière elles, des dizaines de manifestants réunis sur une cour
dallée, en biais gauche à la façade intérieure du Ministère du Tourisme et de
la culture, à Cotonou, en cette fraîche matinée du mercredi 8 juin 2016, pour
une revendication pure et simple : rencontrer le locataire des lieux, le
Ministre Ange N’Koué, pour lui dire, de vive voix, leur exigence de le voir
faire entrer les acteurs culturels dans le système de conception des réformes, concernant
le secteur des arts et de la culture. Mais, celui-ci n’a pas cédé à cette
attente puisque, pendant que les manifestants se faisaient remarquer
bruyamment, il s’est tranquillement infiltré dans sa 4x4 noire de fonction et a
quitté les lieux, pour se rendre en Conseil des Ministres.
Les représentants des manifestants face à la délégation ministérielle |
Les manifestants en
question étaient des artistes, tous secteurs confondus, et sans étiquette
organisationnelle : des artistes à la base. Ils ont réalisé leur présence
dans ce lieu public par un tintamarre musical fait de chants révolutionnaires
et de danses, rythmés par des sons de fanfare, de tam-tam et d’un morceau de
rail faisant office d’un gong que quelqu’un battait de manière très stridente. Tout
d’un coup, stratégique interruption du vacarme profondément perturbateur des
activités des fonctionnaires dont un certain nombre était juché aux vitres des
fenêtres de leur bureau. En effet, un peu avant le départ d’Ange N’Koué, vient
de faire son apparition Richard Sogan, Secrétaire général du Ministère (Sgm),
qui portait la tête d’une petite délégation de 3 personnalités dont Francis
Zogo, le Directeur du Fonds d’aide à la culture (Fac). « On ne peut pas
faire des réformes dans le coton sans les cotonculteurs ; nous demandons
juste deux minutes au Ministre pour écouter nos revendications et nous
repartons », s’est alors écrié Patrice Adandédjan, artiste de la musique
traditionnelle et l’un des meneurs du mouvement. Face au représentant du
Ministre exigeant une orthodoxie dans la méthode de revendication des manifestants,
et sollicitant qu’ils montent pour discuter en salle de conférence, leur
porte-parole se montre négativement preneur, évoquant les humiliations
antérieures faites par Ange N’Koué, dans des circonstances où ils avaient
accepté de se soumettre à la même demande.
Les manifestants, au Ministère de la Culture |
Devant cette fin de non
recevoir, le Sgm et sa petite équipe quittent les lieux, ce qui fait reprendre
le tintamarre musical mais, plus fortement, jusqu’à ce que, de manière plus ou
moins remarquable, le Ministre de la Culture quitte son lieu de travail. Face à
l’évidence de ce départ, cessation de la musique, concertation rapide des têtes
de pont et, diffusion rapide de la nouvelle stratégie : aller rattraper
Ange N’Koué à la Marina, quitte à même rencontrer Patrice Guillaume Athanase
Talon, le Chef de l’Etat, pour se plaindre à lui du fait que son Ministre les
exclue des réformes en cours.
L'atmosphère, bien que tendue, était très festive |
Dissolution donc de la masse des manifestants, qui,
au fil des minutes, avait considérablement grossi.
En un tournemain, les
artistes en colère, qui avaient, en majorité, des engins, s’auto-transportent
et, les voilà à la Présidence de la République. Cette fois-ci, pas de bruit, ni
de musique ni de chants ; les lieux, même à leur devanture, imposent une
véritable solennité que les manifestants, flairant le signe, décident de ne pas
troubler. Nous sommes à la façade extérieure droite de la Marina, quelques
petits mètres avant le premier poste de filtrage des entrants ; la
barrière dressée des gardes ferme une entrée étroitement contrôlée.
A la Présidence de la République |
Des négociations sont
lancées entre les représentants des manifestants et un des soldats, très
affable, réitérant à ses vis-à-vis la nécessité de suivre une procédure avant
de se pointer sur ce genre de lieu. Comme alerté très discrètement, un des
responsables des militaires, en tenue de sport, fait son apparition. D’une
grande jovialité, il rassure les représentants des artistes en colère et leur
tient le même langage, en contrepartie de quoi il reçoit l’évocation de l’inertie
des procédures administratives pendant qu’Ange N’Koué cuisine ses réformes dans
son bureau, ce que, notamment, Patrice Adandédjan juge inacceptable, et l’adrénaline
semble vouloir remonter à la surface quand la sérénité du militaire en tenue de
sport calme et rassure. Par ailleurs, les négociations continuent pour donner
la chance aux manifestants d’entrevoir le très célèbre Sieur Patrice Guillaume
Athanase Talon que ceux-ci considèrent comme le dernier recours. Sur ces
entrefaites survient, d’une voiture banalisée dont il bondit comme un chat,
Tétédé Idjouola, le Chef de la Garde républicaine, taille modeste, carrure
solide, sourire aux lèvres, semblant bien connaître Patrice Adandédjan.
Visiblement, cet artiste n’est pas un intrus dans la maison Marina. Nouveaux
propos de manifestation de l’impossibilité pour les artistes de rencontrer le
Chef de l’Etat. La concertation restreinte des porte-parole avec le patron de
la sécurité présidentielle accouche d’un fin de non recevoir distillée dans le
sourire par le militaire. Le rassemblement est donné et l’annonce est faite d’une
rencontre, dans l’après-midi, entre ceux-ci et Tétédé Idjouola, pour harmoniser
les points de vue, d’où la levée du siège de la devanture extérieure de la
Marina. Et, on promet avec véhémence de revenir à la charge, tant qu’Ange N’Koué
n’aura pas montré son engagement à associer les artistes à la construction des
réformes au Ministère du Tourisme et de la culture.
Marcel Kpogodo
Le film d’une
manifestation particulière
7h30 - 8h10 : Rassemblement
progressif des manifestants sur la façade intérieure du Ministère de la Culture
8h10 : Début du
jeu d’un orchestre bruyant alliant instruments modernes et traditionnels :
fanfare, tam-tam, gong, notamment. Chansons révolutionnaires. Certains
manifestants sont habillés de rouge, d’autres ont leur tricot, exprès, à l’envers.
Etant artistes, ceux-ci utilisent leurs moyens de travail que sont l’orchestration,
les chants et les danses, pour se faire entendre. Perturbation littérale de l’atmosphère
sonore des lieux.
8h26 : Apparition
du Sgm, Richard Sogan, en compagnie, notamment, de Francis Zogo, Directeur du
Fonds d’aide à la culture. Négociations chaudes avec Patrice Adandédjan, très
intraitable : « Le Ministre ou rien … ». Menaces d’aller chez le
Chef de l’Etat, à la Marina.
8h30 : Départ de
la délégation ministérielle.
8h32 : Compte-rendu
bref aux manifestants et reprise du tintamarre, avec des pas de danse plus
endiablés et une musique plus forte, comme pour marquer une certaine
exaspération. Le groupe des manifestants s’élargit de dizaines de nouveaux
arrivants.
8h36 : Départ d’un
véhicule officiel 4x4 noir de plaque bleue, vraisemblablement celui du Ministre
de la Tourisme et de la culture. Tintamarre plus intense, vacarme musical de
plus en plus assourdissant.
8h44 : Cessation
de la musique et des chants, pour une concertation rapide. Prise de la décision
du départ pour la Présidence de la République, sans bruit aucun et avec les
moyens de bord dont dispose chacun, pieds ou engin : consigne des
organisateurs.
8h46 : Départ
effectif, vidage de la cour intérieure.
9h02 : Positionnement
des manifestants sur l’espace latéral droit de la devanture de la Marina, l’Institut
français de Cotonou leur faisant face. Discrétion absolue. Calme. Discipline. Discussions
entre les meneurs du mouvement et un militaire ayant pris le devant des négociations.
Incompréhensions, de part et d’autre, exprimées dans une courtoisie et une
sérénité hors du commun.
9h21 : Arrivée de
Tétédé Idjouola. Discussions avec Patrice Adandédjan ; les deux hommes se
connaissent. Réaffirmation par le cadre militaire de la fin de non recevoir, il
faudra prendre d’autres dispositions plus traçables pour rencontrer le Chef de
l’Etat.
9h26 :
Rassemblement général des manifestants par leurs représentants. Apport de l’information
aux artistes. Prévision d’une rencontre des responsables avec Tétédé Idjouola,
à 15h.
9h30 :
Démobilisation officielle de la manifestation, repli ordonné vers le Stade de l’Amitié,
pour une plus grande liberté de concertation.
9h33 : Débriefing
sur le parking de l’Institut français de Cotonou.
9h34 : Interview
des meneurs à la presse : soupçons évoqués par Patrice Adandédjan de
corruption nocturne de certains aînés et de têtes de pont de la famille des
artistes, ce qui justifierait leur absence à la manifestation. Motivation de la
manifestation du mercredi 8 juin par des correspondances vaines envoyées au
Ministre Ange N’Koué. Demande du limogeage par l’intervenant de cette
personnalité pour la remplacer par un acteur du secteur des arts et de la
culture. Disparition progressive et totale des manifestants.
10h10 : Arrivée et
entrée dans le Palais du discret mais impressionnant cortège de Son Excellence
Patrice Guillaume Athanase Talon, Président de la République, Chef de l’Etat,
Chef du Gouvernement.
10h15 : Arrivée de
l’artiste Eléphant Mouillé sur un terrain dégarni de la plupart des
manifestants ; il va aux nouvelles.
M. K.
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