« […] le métier de sculpture vivante n’a
rien à voir avec la prostitution »
Suite à sa prestation
en tant que sculpture vivante, le jeudi 21 novembre 2013, au vernissage de l’exposition
« Rêve flou » de Laudamus, Mirabelle Lontchédji, exubérante et
passionnée, a accepté de nous livrer son âme …
Stars du Bénin : Mirabelle, tu as été le modèle de cette soirée de vernissage de
l’exposition « Rêve flou » de Laudamus. On t’a vue, exposée au
public. Quelles sont tes sentiments, surtout que tu as dû te laisser regarder
par le public, sous toutes tes facettes ?
Mirabelle
Lontchédji : Je suis très très contente. Actuellement, les mots me
manquent vraiment pour m’exprimer ; cela m’enchante beaucoup, cela
m’emporte beaucoup de voir qu’à travers moi, un artiste-plasticien arrive au
moins à mettre en valeur la femme, c’est-à-dire, la beauté féminine et tout ce
que la femme africaine, la femme noire a de plus cher en elle. Je suis très
très contente et très très émue.
Pour accepter d’être
une sculpture vivante, c’est-à-dire, une jeune femme qu’on va couvrir de
peinture, il faut quand même avoir un peu de courage pour accepter de se
laisser regarder par tous … Où puises-tu cette force pour avoir un tel
courage ?
D’abord, que
mettez-vous dans « courage » ? On parle de courage à quelqu’un
quand cette personne se force à faire quelque chose ; je ne me force pas à
faire de l’art, l’art est en moi. Même en me regardant, même en parlant, on
voit l’art à travers moi. Je ne parlerai pas de courage pour exposer mon corps
ou pour exposer l’art ou les œuvres de quelqu’un mais, je parlerai plutôt
d’audace. Il y a une différence, même si on l’ignore : ce n’est pas du
courage, c’est de l’audace ; je suis l’art, je ne fais pas de l’art.
Tu penses donc qu’être
une sculpture vivante, c’est être une artiste …
Oui, parce que, sans la
sculpture vivante, je ne pense pas que l’auteur des œuvres pourra faire
grand’chose. En réalité, l’artiste même, je pense que c’est la sculpture
vivante car c’est cela qui éveille l’auteur dans ses sensations et dans tous
ses états.
Comment fait-on pour
devenir un modèle pour artiste ou une sculpture vivante ?
(Rires). Je viens de
vous dire précédemment que je ne faisais pas de l’art mais que j’étais l’art ;
je n’ai rien fait pour devenir modèle ou sculpture vivante. Laudamus a vu en
moi un modèle, je n’ai pas fait des efforts pour cela, il peint juste à travers
moi et à travers mes poses.
Quel est ton métier
d’origine ?
Je suis comptable, j’ai
fini, j’ai soutenu. Là, je n’ai pas encore un travail en comptabilité comme ce
que j’ai appris à l’origine. Mais, l’art m’emporte vers un autre chemin. Et, si
je devais choisir entre la comptabilité, métier d’école ou d’université et
l’art, un domaine que j’aime tant, j’aurais aimé faire l’art.
Pourquoi ?
Parce qu’on ne force
pas quelqu’un à faire ce qu’il ne veut pas, puisqu’on se sent mieux dans ce que
l’on veut et on le fait mieux que de le faire parce qu’on nous force à le
faire. La comptabilité ou les études, je les ai faites pour mieux m’exprimer
dans la vie, cela me permet aujourd’hui de parler et de réfléchir comme une
intellectuelle mais, l’art, je l’aime ; je pense que je vais plus me
donner à l’art qu’au métier de comptable ou de financier.
Tu as fait la
comptabilité pour répondre à la volonté de tes parents ?
En fait, nous, les
Africains, on ne demande pas ce que nous voulons faire, ce qui nous plaît, mais
on nous dit d’aller à l’école, d’étudier ; voilà la différence. Si, réellement,
les parents pouvaient prendre les enfants dès leur bas âge et leur demander ce
qu’ils cultivent en eux, ce qui les passionnent, cela leur ferait un peu
plaisir.
De quelle manière
penses-tu pouvoir exprimer ta vocation artistique ?
La sculpture vivante,
c’est très beau ; je ne pense pas qu’il y aura encore d’autres procédés
pour exprimer ma vocation artistique. Vous me voyez dans d’autres procédés ?
On va me prendra en photo, me peindre mais, dès que tu présentes la sculpture
vivante qui montre tout ce qu’il y a de si beau sur le corps d’une femme, je
pense que c’est plus cher : il est impossible de l’emmener, impossible de
la toucher ; la personne sera très émue et très frappée de regarder … Vous
l’avez remarqué tout à l’heure, il n’y a pas meilleure manière. Je pense que
Laudamus a trouvé la meilleure solution en mettant de la sculpture vivante dans
les choses ; on voit tellement de tableaux, on voit tellement de photos,
mais la sculpture vivante, c’est très rare, cela ne se voit pas comme cela et,
vous le savez.
Y a-t-il longtemps que
tu prêtes ton corps pour être une sculpture vivante ?
Je peux dire qu’il y a
longtemps que je le fais ; je travaillais en cachette avec Laudamus pour
ses œuvres, vraiment en cachette. Mais, il a décidé de me faire sortir
maintenant parce qu’il voit sûrement que l’heure a sonné pour que les gens
regardent enfin, en live ou en face, ce qu’il met à travers ses tableaux.
Comme viviez-vous la
sculpture vivante en cachette ?
Laudamus faisait ses
peintures en cachette de la manière suivante : je suis là, il regarde, il
prend la pose et il peint. Il ne peut pas se lever du jour au lendemain pour le
faire, il faut nécessairement une sensation qui l’éveille ou une pose qui
l’anime …
Qu’est-ce qui te plaît
tant que cela dans la sculpture vivante ?
Ce qui est en moi, je
ne peux pas te dire si cela me plaît ou pas, je suis née comme ça, je suis née
avec ça ; même dans mon âme, dans mon intérieur, je vis l’art, cela ne
peut que me plaire, ce n’est pas un objet que je suis venue arracher, je suis
née comme ça ! Cela me plaît tant qu’il faudra et quand il le faudra.
Comment Laudamus t’a
trouvée ?
Vous entrez dans une
question un peu délicate. Il m’a vue et, je pense que les conditions dans
lesquelles il m’a vue, c’est lui qui m’a rehaussée. J’avais l’art en moi mais
je l’ignorais, il m’a montrée que j’avais l’art en moi et que je suis née pour
l’art. La manière dont il m’a vue, je pense que c’est une question un peu privée.
Peut-il exister un
sentiment d’amour entre l’artiste et son modèle qui est le sculpture
vivante ?
Impossible ! C’est
impossible. D’autres artistes pourraient le faire, mais c’est impossible chez
Laudamus. Lui, sa spécialité, c’est de peindre le corps de la femme, c’est de
voir la femme. Si, jusqu’à ce jour, personne n’a encore eu à se plaindre de
lui, c’est que c’est vraiment impossible. Il n’est pas comme ça, ça ne pourra
pas arriver, c’est vraiment impossible. Je ne pourrai pas parler au nom des
autres, mais je le ferai au nom de mon chef et de moi : c’est carrément impossible
qu’un sentiment d’amour naisse entre nous.
S’il n’y a pas de
sentiment d’amour entre vous, y a-t-il parfois des tentatives d’attouchements,
des tentatives de relations sexuelles ?
Non, jamais ! Il
n’y en a pas eu, jusque-là et, il n’y en aura pas ; le travail, c’est le
travail, le monde des sentiments, c’est le monde des sentiments, c’est deux
choses carrément à part.
Ton ami ou ton
compagnon sait-il que tu fais la sculpture vivante ?
Oui, j’ai un ami qui
sait que je fais la sculpture vivante ; il ne dit rien, il approuve, il
aime bien, parce qu’il aime aussi l’art. Parfois, il est un peu jaloux de voir
que mon corps est comme ça ; il dit souvent : « Ce que moi, je vais
toucher, tu l’exposes … » Mais, ça lui va. Vous connaissez la jalousie des
jalousie des hommes, mais il essaie de s’en sortir.
Quels sont tes projets
d’avenir ?
Evoluer vraiment dans l’art.
Si seulement l’art pouvait évoluer au Bénin, cela me ferait vraiment plaisir.
Evoluer, voyager encore plus et faire connaître au monde entier ce que la femme
africaine cache en elle, car nous cachons beaucoup de choses que nos cultures
ne nous permettent pas de faire sortir, de valoriser ; il est temps que
cela se fasse.
Ne penses-tu pas que si
la femme fait sortir ce qu’elle cache cela risque de la dévaloriser ?
Non, je ne le pense
pas. Bien au contraire. Tu exposes le corps féminin, tout le monde applaudit,
tout le monde aime mais personne n’a touché, je ne pense pas que cela soit
dévalorisant. Au contraire, en exposant la beauté féminine comme cela, beaucoup
d’hommes, beaucoup de gens aimeraient la toucher. Et, tant qu’ils ne l’ont pas
fait, tu auras toujours de la valeur devant ceux-ci. Cela n’a rien à voir avec ’’dévaloriser’’.
Il ne sert à rien de cacher son corps sous un pantalon ou sous un pagne et de
passer son temps à passer d’homme en homme. Je pense que c’est cela qui est plus
se dévaloriser que d’exprimer la beauté.
Penses-tu que la
culture africaine est compatible avec la sculpture vivante ?
Oui, parce que, dans l’ancien
temps, on voyait nos grand-mères qui mettaient des perles, le Blanc ne connaît
pas les perles. Avant, c’était caché et c’était pour le mari seul ;
aujourd’hui, non, nous pouvons les exposer parce que les perles ne veulent pas
dire la valeur de la femme, elles montrent plutôt la beauté féminine, comment
est-ce que la femme africaine a tellement de rondeurs ; on nous qualifie à
l’extérieur de femmes-jarre. La femme africaine est une femme de beauté,
certaines disent qu’elle a une forme coca-cola ou une forme marmite, parce que
notre forme est recherchée et si cela est ainsi, c’est parce que nos mères
avaient l’habitude de mettre des perles et cela fait ressortir la forme des
hanches. Aujourd’hui, avouons que celui qui voit une sculpture vivante avec des
perles et des formes est un homme, il sera séduit, mais, cela ne veut dire qu’il
va toucher cela, ce n’est pas sûr qu’il y touche. Je crois que la sculpture
vivante est vraiment compatible avec notre culture ; ceux qui sont encore
dans la culture purement béninoise ou purement africaine s’en indigneront mais
cela n’a rien à voir avec incompatibilité de cultures et présentation de
valeurs béninoises ou de valeurs africaines. C’est vraiment à rehausser, c’est
vraiment à aimer et c’est beau ! C’est beau de voir qu’en Afrique, nous
avons tout ceci que nos parents cachaient, tout ceci que nos parents se
disaient appartenir à leur mari. Je suis désolé, le métier de sculpture vivante
n’a rien à voir avec la prostitution, comme les gens le disent.
Après une séance de
sculpture vivante, comment tu gères les nombreuses personnes qui te font la
cour ?
Ce sont des
admirateurs, plutôt …
Des admirateurs qui ont
vu la beauté de ton corps et qui pourraient rêver d’aller plus loin avec toi …
Je suis désolé, le
travail n’entre pas dans ce cadre et puis, je n’ai pas encore rencontré quelqu’un
qui ait eu envie d’aller plus loin, après avoir vu mes œuvres, car le travail,
c’est le travail et, cela dépend du visage que tu donnes à la personne qui est
en face de toi.
As-tu un mot de fin ?
J’aimerais vraiment
dire « merci » à vous tous, à vous tous qui êtes venus nous soutenir,
et j’espère vous revoir prochainement. J’en serais très très ravie. J’aimerais
aussi demander aux personnes qui voudraient faire avancer l’art au Bénin de le
faire, car nous le méritons ; l’art béninois mérite d’être envoyé à l’extérieur
et d’être plus connu. Quant aux artistes béninois, les gens les prennent pour
des chiffons, des torchons mais, en réalité, ils cachent en eux des secrets que
nous devons valoriser ; la valorisation des cultures africaines nous
ferait du bien. Merci à vous tous.
Propos recueillis par
Marcel Kpogodo