Rencarts 2009
Soeur Goussikindé, une festivalière assez singulière : " [...] je compare un tableau à l'histoire d'une ville où chaque jour porte ses couleurs [...]"
Le mercredi 23 décembre 2009, à la clôture des Rencarts 2009, à la Place Lénine, notre découverte d'une Soeur religieuse peintre n'a pas cessé de nous intriguer et de nous pousser à lui tendre notre micro. C'est une femme pleine de ressources, bien pensante, à qui nous n'avons pas résisté à demander des précisions sur son double statut, avant d'aborder sa participation au Festival.
Journal Le Mutateur : Une soeur religieuse qui peint des tableaux, ce n'est pas trop courant. Est-ce qu'on peut mieux vous connaître ?
Soeur Goussikindé : Je m'appelle Henriette Marie Goussikindé, je suis Soeur de Saint Augustin, artiste-plasticienne de profession ....
Avez-vous été formée dans une école ?
Si, j'ai fait l'Ecole des Beaux-Arts au Cameroun.
Vous êtes Béninoise ?
Oui, je suis Béninoise.
Vous vivez de votre art ?
Si, je vis de mon art. L'amour pour ce que je fais m'amène à créer. Dès le départ, c'était un peu difficile, mais je faisais le dessin sur des nappes de table, je créais un peu tout ce qui peut être utile à mon milieu, à la société, dans le but de vivre et de faire vivre ma communauté.
Ne faites-vous que cela à longueur de journée ? N'avez-vous pas des activités liées à votre statut de Soeur, à accomplir, des activités de piété, des activités liées à l'église ? Comment parvenez-vous à concilier les deux ?
J'appartiens à une congrégation active, c'est-à-dire que les Soeurs, en plus de leur engagement dit communautaire, ont une profession qu'elles exercent, les unes enseignent dans les écoles, les autres sont infirmières, et d'autres aussi sont couturières, etc. Mais, moi, à mon niveau, je fais la peinture, j'ai un atelier et je peins à longueur de journée. Comme c'est ma profesion, j'ai un atelier à Bohicon ; et, le plus grand atelier, c'est à Bohicon, j'en ai un petit à Cotonou, quand je suis là, je travaille sur place.
Cela veut dire que ça ne gène pas vos activités ecclésiastiques ?
Cela ne gène pas, cela ne gène pas, sinon, moi, l'expérience faite jusqu'ici m'amène à pouvoir dire tout haut que ça ne gène pas, parce que, comme les autres, c'est la fonction que j'exerce au coeur de cette congrégation, et, on a des heures de prières d'ensemble ; tôt le matin, on va aux offices. Après l'office, je commence la peinture, je peins jusqu'à l'heure du milieu du jour. Après l'heure du milieu du jour, on a un repas ensemble. Après ça, nous avons la sieste. Après celle-ci, je continue à peindre. Et, souvent, par moments, je peins la nuit aussi ; j'ai, quelques fois, des tableaux déjà préparés à côté de mon lit, quand je sens l'inspiration, je donne quelques touches, le temps de continuer le lendemain.
On peut dire que vous avez une véritable vocation pour la peinture ....
Si, effectivement. J'ai vraiment une passion pour la peinture, parce que, pour moi, la réalisation des toiles, la recherche et l'équilibre des couleurs, je les note dans le fait que je compare un tableau à l'histoire d'une ville où chaque jour porte ses couleurs et, les couleurs, pour moi, ont une pulsion si profonde que, par rapport à votre état d'âme de la journée, les couleurs et la créativité ne sont pas les mêmes, les couleurs varient par rapport à ce que vous portez comme joies et peines et, votre pressentiment intérieur joue sur la toile que vous faites juste sur le tableau. Et, pour moi, aussi, c'est un métier très profond qui me permet d'entrer en intimité avec mon Dieu, parce que, après la méditation, ce que j'ai reçu comme force dans la prière me permet de créer sur la toile, et après, parfois, je m'étonne de mes réalisations, je me demande comment j'ai pu faire pour en arriver là ; pour moi, la peinture a un sens profond, la peinture, c'est l'être même, la peinture a une profondeur, une relation si mystique avec le créateur que l'être se perd, se confond et s'identifie à chaque touche de couleur qu'il étale sur la toile.
Merci ... Vous vous êtes investie pendant une semaine dans le Festival Rencarts, sur le thème "Assainissement". Comment vous avez réalisé ce thème à travers vos oeuvres ? Vous avez fait combien de toiles et, quels sont les différents messages que vous avez cherché à faire passer ?
J'ai peint, en tout, sept toiles. L'assainissement, c'est un thème que j'ai épousé, épousé, pour le rendre mien, parce que, aujourd'hui, nous avons beaucoup de choses à assainir dans notre vie, autour de nous, à assainir en nous. Autour de nous, ce n'est pas nouveau ; ce thème est d'actualité, nous avons à assainir notre environnement. Et, j'ai essayé de creuser un peu le thème, pour entrer un peu plus en profondeur. Le thème me dit tellement beaucoup, comme si c'est moi qui l'avais proposé. En abordant l'assainissement, dans mes tableaux, j'ai parlé du commerce florissant, il y a la mendicité, un domaine à assainir, j'ai parlé aussi du silence : le silence est d'or, où le trop, l'excès de langage ne construit pas, il y a des déchets à ce niveau, que nous devons enlever, il y a aussi des déchets au niveau des animaux qui ont aussi des droits, que nous immolons, surtout les weekends, pour des cérémonies; il suffit que notre condition de vie nous permette d'en immoler autant, et nous le faisons aisément, sans contrainte.
De tout ça, j'ai donné aussi comme titre à un de mes tableaux, "Les balayeuses", les balayeuses, en tant que femmes ; je m'exhorte d'abord, dans les titres que je donne, ce n'est pas une leçon que je donne à ma société, à mon environnement, mais c'est une interpellation d'abord personnelle. Et, cette interpellation, je l'étends vers les autres, pour quelle ne soit pas seulement mienne. Donc, un autre tableau a, comme titre, "La pensée positive" ; pensons positivement ...
Quel rapport avec l'assainissement ?
La pensée positive, selon moi, a un rapport avec l'assainissement, parce que, dans nos relations les uns avec les autres, avec nos frères, dans notre petite famille, c'est là que commence la société, c'est là que commence l'être ; pensons positivement, dans le but d'aider les autres à grandir, que chacun joue son rôle : père, mère, enfants ; si chacun pouvait jouer son rôle, tout irait mieux et tout tendra vers un milieu sain.
Par rapport à la pensée positive, qu'est-ce qu'il faut assainir ?
Cette idée rejoint un peu "le silence est d'or" ....
Vous pensez donc qu'il faut assainir notre manière de penser et notre manière de cultiver des idées noires ?
Oui, notre manière d'agir, notre manière d'être, qui constituent parfois une gêne pour les autres ; on vit comme si l'autre n'existe pas, on agit comme si l'autre n'a pas de sens. Tenir compte de l'autre, c'est très important pour moi et pour nous, dans la société ; l'autre, en tant qu'autre différent de moi, l'autre est une richesse et, accepter la différence est une bonne culture qui peut nous aider à aller de l'avant.
Avez-vous un dernier mot, pour faire le bilan de votre participation, cette année, à Rencarts 2009 ?
Faire le bilan, si j'ai un mot, c'est un appel à ce que Rencarts est à sa cinquième édition ...
Vous avez participé à toutes les autres éditions ?
Non, c'est le deuxième fois que j'y participe. Rencarts est à sa cinquième édition et, il serait bien, c'est mon souhait, à ce qu'il y ait des festivals qui réunissent des artistes, qui permettent de découvrir et de valoriser des talents, parce qu'il y a des talents en arts plastiques et, ces talents sont cachés dans leurs maisons, dans des quartiers. Et, le fait de les faire sortir, de les proposer à notre environnement, de les proposer au peuple, ça permet aussi aux artistes de créer davantage, et de se prendre beaucoupl plus au sérieux.
Propos recueillis par Marcel Kpogodo
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