jeudi 1 juin 2023

Selon Alain Dettinger, « [… les artistes béninois] ne sont pas suffisamment reconnus dans leur propre pays »

Dans une déclaration au cours de l’interview accordée à notre rédaction


’’Miwakonou’’ est le Salon international du Dessin de presse et de l’humour. Il s’est tenu du 3 au 7 mai 2023 à ’’Igbalè’’, la Maison de la Bande dessinée et de l’image. Cet espace se situe au quartier de Womey Sodo, à Cocotomey, dans la commune d’Abomey-Calavi, au Bénin. ’’Miwa konou’’ a donné lieu à une exposition d’œuvres de caricature. Sept caricaturistes béninois en étaient les auteurs. L’association, ’’Bénin-dessin’’, réunit des membres de cette corporation des dessinateurs de presse. Elle était à l’origine de l’événement. Alain Dettinger y était un invité. Il est un grand amateur d'œuvres de dessin et un galeriste français. En marge de sa visite de l’exposition, il a accepté de répondre aux questions du reporter du blog d’informations culturelles, ’’Stars du Bénin’’, affilié au bi-hebdomadaire, ’’Le Mutateur’’. Alain Dettinger y déplore l’intérêt réduit dont sont l’objet les artistes caricaturistes dans leur pays. Avant d’aborder cette préoccupation, le galeriste français laisse découvrir son activité … 


De gauche à droite, Alain Dettinger et Alexandre Kossoko, un caricaturiste ayant participé au ''Miwa konou''


Stars du Bénin : Bonjour Alain Dettinger. Vous êtes le promoteur, dans la ville de Lyon, en France, de la galerie, ''Dettinger-Mayer'', qui s'occupe d'art contemporain et d'art tribal, ce second art qu'il est convenu de désigner par l’art premier. Qu’est-ce que vous y exposez, comme œuvres d'art ?


Alain Dettinger : Bonjour. Je suis ravi de votre accueil, ici, aujourd'hui, au Bénin. Il est vrai que je m'occupe de cette galerie d'art depuis plus d'une trentaine d'années. Du 2 juin au 1er juillet 2023, elle tient l'exposition, ''Lune de miel'', à Lyon, en France. 


L'affiche de l'exposition, ''Lune de miel'', de Lyon, en France

C'est une passion qui m'anime depuis presque mon adolescence. Je programme des expositions, régulièrement, qui sont beaucoup plus axés sur le dessin sur papier. Et, depuis quelques années, je séjourne en Afrique parce que je m'intéresse aussi à pas d'artistes africains dont je fais la promotion.



Pourquoi cet intérêt pour le dessin sur papier, plutôt que pour la peinture ?


Il est vrai que, depuis un bon nombre d'années, je présente les artistes, une sélection d'artistes qui font beaucoup plus le travail sur papier, qui me semble plus pertinent, plus sensible, plus pointu, plus profond que la peinture où il y a des touches qui sont un petit peu plus larges.


Et, c'est vrai que c'est ce qui m'anime depuis bien longtemps. D'ailleurs, la prochaine exposition que je vais montrer, au mois de juin, qui porte le nom de Béatrice Elso, est un travail essentiellement sur papier. Particulièrement, elle pratique un travail plus extraordinaire, c'est-à-dire qu’elle dessine sur papier et qu’elle découpe ces petits personnages dessinés qu'elle assemble dans des boîtes. Donc, c'est quelque chose d'assez étonnant.



Dans votre galerie, on se sent pleinement en contact avec le monde, parce que vous exposez les œuvres qui viennent non seulement des pays de l'Afrique mais, aussi, des pays des autres continents du monde, notamment, de l'Europe, de l'Amérique et de l'Asie. Quel est l'objectif que vous poursuivez à travers cette diversité des œuvres que vous exposez ?


Je me passionne de toutes les cultures du monde depuis plusieurs années. J'ai beaucoup voyagé à travers le monde. Ces voyages m'ont permis de rencontrer des populations du bout du monde, avec des cultures et des créations différentes. C'est ce qui m'a amené, petit-à-petit, à m'intéresser à toutes ces populations du bout du monde et de montrer un peu leurs œuvres, que cela soit des œuvres anciennes ou contemporaines. Entre autres, dans les pays d’Afrique, je m'intéresse, non seulement aux artistes dessinateurs mais, aussi, aux photographes.


 

Comment s’est effectuée votre rencontre avec l’art ? Etait-ce par curiosité ou par passion ?


Cela devrait être, forcément, par passion ; on ne peut pas exercer cette activité si l’on n'en a pas la passion. C'est quelque chose qui m'est arrivé très tôt. Je m'intéressais, déjà, à l'art depuis mon adolescence. Pendant cette période de ma vie, je visitais les galeries de ma ville, Lyon ; j'étais très curieux d'aller voir ce qui se passait.


À l'époque, j'étais encore étudiant et, ma passion, c'était de sortir du lycée et d'aller visiter les galeries, d’aller voir les artistes qui étaient présentés, et tout cela m'a motivé. Aussi, j'ai toujours été un bon élève, en dessin, à l'école, ce qui a fait que j'ai convaincu mes parents, un jour, à aller à l'école des beaux-arts de Lyon où j'ai fait quand même quelques années.


Ces années m'ont permis de connaître l'histoire de l'art et de m'y intéresser, ce qui fait que j'ai été plus motivé pour la suite.

 


Puisque vous venez régulièrement au Bénin et que vous travaillez avec des artistes béninois, avez-vous des projets pour ce pays ?


Il est vrai que je m'intéresse, depuis quelques années, aux artistes béninois. Ce qui me navre, souvent, c'est que ces artistes-là ne sont pas suffisamment reconnus dans leur propre pays et, que, malheureusement, ils sont davantage reconnus à l'étranger que dans leur propre pays. Ce que j'aimerais, c'est que des galeries puissent être aussi beaucoup plus développées au Bénin.



Alain Dettinger, découvrant certaines œuvres en compagnie d'Hector Sonon, président de ''Bénin-dessin''.


Défendre et promouvoir ces artistes seraient, quand même, une des grandes priorités, aussi. J'espère que ces quelques mots pourront animer d'autres passions.

Propos recueillis par Herman Sonon

lundi 29 mai 2023

Dominique Zinkpè brille pour le Bénin

Avec  la délibération du ’’Loewe foundation craft prize’’


Dominique Zinkpè est un artiste contemporain béninois. Ses actions ou leurs résultats surgissent et font parler de lui. Sa dernière réalisation concerne la proclamation des résultats du prestigieux ’’Loewe foundation craft prize’’. Cette dénomination se traduit en français par le ’’Prix de l’Artisanat de la fondation Loewe’’. L’événement de la proclamation officielle s’est produit  le 16 mai 2023 à New-York, aux Usa. L’occasion du décernement de ce prix, d’un niveau mondial, à une Japonaise a permis de distinguer le Béninois.


Dominique Zinkpè, posant, à l' ''Isamu Noguchi garden museum'', à côté de son œuvre, ''The watchers'', promue à sa "mention spéciale", à la remise du ''Loewe foundation craft prize'', à New York - Crédit photo : www.craftprize.loewe.com.

«La seconde mention spéciale revient à Dominique Zinkpè pour son œuvre ’’The Watcher[s]’’ ». L’information, capitale, pour le Bénin, qu’annonce, depuis la seconde moitié du mois de mai 2023, le site Internet de ’’Loewe’’, la marque espagnole mondialement connue du luxe, un site dédié au ’’Prix de l’Artisanat’’, qu’elle a initié depuis 2016. ’’Le journal du Luxe’’ publie la même information en ces termes : « Le Craft Prize 2023 a été remporté par Eriko Inazaki, artiste céramiste japonaise. […] Le jury a également décerné deux mentions spéciales aux artistes Dominique Zinkpè (Bénin) pour sa sculpture The Watchers et à Moe Watanabe (Japon) pour son œuvre Transfer Surface réalisée à base d’écorce de noyer ».



Un parcours sélectif


Dominique Zinkpè a reçu cette « mention spéciale » à travers sa sculpture murale, ’’The watchers’’, ’’Les veilleurs’’, en français, selon la traduction de l’artiste. Ce résultat est élogieux pour l’artiste contemporain béninois. Il est l’achèvement d’un processus particulièrement laborieux. Selon Pierre Corneille, dans ’’Le cid’’, « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». 


En juillet 2022, la fondation ’’Loewe’’ a lancé, à travers le monde, son appel à candidatures annuel. Il était destiné aux « artisans professionnels de plus de 18 ans évoluant en solo ou au sein d'un collectif ». C’était pour la 6ème édition du ’’Prix de l’Artisanat’’.


Ceux-ci devaient développer une démarche artistique dans leur processus créatif. D’autres conditions leur étaient imposées comme le révèle le site Internet évoqué précédemment. Il s’agissait, pour l’artiste, de « s'inscrire dans un domaine des arts appliqués tels que la céramique, la reliure, l’émaillage, la bijouterie, la laque, le métal, les meubles, le cuir, les textiles, le verre, le papier, le bois, etc. ». La création avait l'obligation d' « être une œuvre originale […]  faite à la main entièrement ou partiellement ». Une autre contrainte : l’œuvre devait avoir été créée « au cours des cinq dernières années ». Il était nécessaire pour elle d' « être [unique] en [son] genre. Elle devait  « n'avoir jamais remporté de prix ». Enfin, il s’imposait que l’œuvre « [démontre] une intention artistique ».


De telles conditions n’ont pas empêché Dominique Zinkpè de soumettre sa candidature au ’’Prix de l’Artisanat’’. Selon lui, il l’a fait à travers une galerie sud-africaine promouvant certaines de ses créations. L’appel à candidatures s’est clos en octobre 2022. L’artiste contemporain béninois a vu ’’The watchers’’ compter parmi les 2700 œuvres en compétition. Le lauréat devait remporter 50.000 euros.



Du Comité d’Experts


En janvier 2023, un Comité d’Experts d’une dizaine de personnalités s’est réuni à Madrid, en Espagne. Il se composait de connaisseurs triés sur le volet dans le monde entier. Ce sont : Andrew Bonacina, Conseiller artistique chez ’’Loewe’’ et commissaire indépendant, Antonia Boström, Directrice d’expositions au ’’Victoria and Albert Museum’’ de Londres, Hyeyoung Cho, Secrétaire générale de la ’’Korea craft and design foundation’’, Andile Dyalvane, Céramiste et finaliste du ’’Loewe foundation craft prize’’ 2022, Sara Flynn, Céramiste et finaliste du ’’Loewe foundation craft prize’’ 2017, Myungtaek Jung, Designer de meubles et finaliste du ’’Loewe foundation craft prize’’ 2022, Wolfgang Lösche, Responsable des Expositions et des salons à la chambre des métiers et de l’artisanat de Münich, Juha Martilla, Directeur de la maroquinerie de ’’Loewe’’, Mary Savig, Commissaire chargée de l’artisanat au ’’Smithsonian american art museum rewick gallery’’ de Washington Dc et Anatxu Zabalbeascoa,  Critique d’architecture et de design du journal ’’El pais’’. Celle-ci était la Secrétaire exécutive de ce Comité.

Il avait pour mission de présélectionner les 30 meilleures œuvres, sur les 2.700 reçues.



Des 30 finalistes


En février 2023, le Comité des Experts a rendu publique la liste des 30 finalistes attendus. Parmi les élus, il y avait : 6 Japonais, Ai Shikanji, Eriko Inazaki, Kenji Honma, Maki Imoto, Moe Watanabe et Shinji Nakaba, 5 Sud-coréens, Healim Shin, Inchin Lee, Jaiik Lee, Kyouhong Lee et Woosun Cheon, 3 Américains, le collectif, Aranda / Lasch & Terrol Dew Johnson, Liam Lee et Tanya Aguiñiga, 2 Australiens, Prue Venables et Johannes Kuhnen, 2 Chinois, Dong Han et Wanbing Huang, 2 Danois, Kaori Juzu et Lene Bødker, 2 Français, Claire Lindner et Kristin McKirdy, 1 Argentine, Mabel Irene Pena, 1 Belge, Nathalie Doyen, 1 Britannique, Keeryoung Choi, 1 Espagnole, Luz Moreno Pinart, 1 Géorgien, Giorgi Danibegashvili, 1 Indienne, Maina Devi, 1 Sud-africaine, Jana Visser, et le Béninois, Dominique Zinkpè.

Les œuvres de cette liste de créateurs a été transmise à un jury de 13 membres pour la sélection finale.



Des membres du jury


Le jury était constitué d’un autre écrin de personnalités spécialisées. Ce sont : Jonathan Anderson, Directeur créatif de ’’Loewe’’, Naoto Fukasawa, Concepteur et directeur du ’’Japan folk crafts museum’’ de Tokyo, Olivier Gabet, Directeur du Département d’art du Musée du Louvre de Paris, Dahye Jeong, Lauréate de la 5ème édition du ’’Loewe foundation craft prize’’, Hongnam Kim, Présidente du ’’National trust ok Korea’’, Président d’honneur de la Fondation ’’Loewe’’, Magdalene Odundo, Céramiste, Wang Shu, Architecte et juré du prix ’’Pritzker’’, Deyan Sudjic, Essayiste et directeur du ’’Design museum’’ de Londres, Benedetta Tagliabue, Architecte et lauréate du prix ’’Riba Stirling’’, Abraham Thomas, Conservateur d’architecture contemporaine, design et arts décoratifs au ’’Metropolitan museum of art (Moma) de New York, Patricia Urquiola, Architecte et conceptrice industrielle, et Anatxu Zabalbeascoa, Critique d’architecture et de design du journal ’’El pais’’. Celle-ci était la Présidente du jury.


Le 16 mai 2023, à New York, elle a proclamé le nom de la lauréate de la 6ème édition du ’’Loewe foundation craft prize’’, Eriko Inazaki, pour son œuvre, ’’Metanoia’’, et celui des deux « mentions spéciales » dont Dominique Zinkpè. Depuis le 17 mai, toutes les œuvres finalistes sont en exposition au musée, Isamu Nogucho garden, à New York. Cette exposition prend fin le 18 juin 2023. L'exposition virtuelle en est aussi consultable sur le site Internet, ''The room''



Au-delà d’une réaction …


Jean-Michel Abimbola, ministre du Tourisme, de la culture et des arts, a fait connaître sa satisfaction. Il l’a communiquée sur la page ’’Facebook’’ du département ministériel. C’était deux jours après la distinction de Dominique Zinkpè à New York. « Nous saluons la performance de Dominique Zinkpè […]. Il mérite toute notre admiration », s’est réjoui le ministre.


Le caractère international et prestigieux de la reconnaissance par le ’’Loewe foundation craft prize’’ de l’artiste contemporain béninois, ne devrait-il pas susciter l’intérêt particulier du chef de l’Etat, le Président Patrice Talon ? Jean-Michel Abimbola ne devrait-il pas en réaliser le lobbying auprès de la première autorité du Bénin ? Le ministre de la Culture gagnerait à faire concrétiser une telle action. Le Président béninois continue de montrer son engagement pour la monétisation du tourisme. Cette détermination présidentielle s’en manifeste par la promotion et la valorisation de l’excellence artistique du Bénin.


Arrêter, à la page ’’Facebook’’ du ministère de la Culture, la satisfaction du Bénin face à la performance, à l’international, de Dominique Zinkpè, ne serait pas nouveau. En 2019, il y a eu moins que cela. Oswald Homéky était ministre de la Culture, à l’époque. L’écrivain béninois, Florent Couao-Zotti, s’était vu décerner le Prix Roland Jouvenel par l’Académie française, le 20 juin 2019. Le roman, ’’Western tchoukoutou’’, en était le fondement. Cet exploit n’a pas fait l’objet d’une distinction honorifique de la part du chef de l’Etat. Oswald Homéky n’avait, semble-t-il, pas senti l’intérêt de ce type de lobbying auprès du Président Patrice Talon.



Des impressions de Dominique Zinkpè


Dominique Zinkpè s’est prononcé sur sa distinction par le ’’Loewe foundation craft prize’’. « J’en suis très content, très heureux », a-t-il manifesté. « C’est une reconnaissance mondiale qui vous rassure ; elle m’encourage à continuer à travailler », a-t-il humblement commenté. L’épanouissement de l’artiste contemporain se justifie. 


Sa main artisanale voit sa puissance manifestée par la fondation ’’Loewe’’, sur le site Internet qu’elle a consacré au ’’Prix de l’Artisanat’’. « Le jury a sélectionné l'œuvre pour sa réinterprétation sculpturale des croyances traditionnelles et la vision de l'artisanat contemporain qu’elle transmet », explique-t-elle. Elle analyse l’œuvre, ’’The watchers’’ comme « une imposante sculpture murale aux détails minutieux réalisée à partir de bouts de bois indépendants ». 


La fondation ’’Loewe’’ en affirme la symbiose entre la performance artisanale de Dominique Zinkpè et la sauvegarde intemporelle d’un aspect d’ordre spirituel du patrimoine artisano-artistique béninois. « L’assemblage des petites figurines [’’Ibéji’’] fait écho à la croyance [’’Yoruba’’] traditionnelle selon laquelle l’être humain est appelé à renaître », conclut-elle.

Marcel Gangbè-Kpogodo