vendredi 27 février 2015

Patrick Idohou bientôt en guerre contre les opérateurs Gsm

« […] nous allons bloquer des activités qui ne vont pas entrer dans les normes prévues par les textes en vigueur »


Le 8 mars 2013, Patrick Idohou prenait les rênes de la Direction de la Promotion artistique et culturelle (Pac). Environ deux années après, beaucoup d’actions ont été menées, ce dont il fait le bilan, à travers cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, n’oubliant pas, dans son propos, de menacer les sociétés de Gsm, en déphasage, à travers leurs activités d’ordre culturel, avec les normes de la Dpac.

Patrick Idohou
Stars du Bénin : Bonjour Patrick Idohou. Vous êtes le Directeur de la Promotion artistique et culturelle (Pac). Vous avez été nommé à ce poste, depuis le 6 mars 2013, en Conseil des Ministres. Quelles sont vos impressions, maintenant que vous allez bientôt boucler deux années à ce poste ?

Patrick Idohou : Je voudrais sincèrement vous remercier pour l’attention très particulière que vous accordez à la chose culturelle, en général, et pour la Direction de la promotion artistique et culturelle, en particulier.
Je pense qu’après bientôt deux années d’exercice à la tête de l’une des structures les plus importantes du Ministère en charge de la Culture, nous nous rendons compte que la tâche n’était pas aussi facile, comme on l’imaginait, parce que nous venons du secteur privé et, nous sommes venus dans le secteur public pour diriger des acteurs privés. Et, là, cela devient très compliqué, parce que ce sont des personnes avec qui nous avons été de tout temps et, ce que nous pensions de tous ceux-là, la gestion des ressources humaines, que ce soit sur le plan administratif ou sur le plan social, par rapport à ces acteurs, ce n’était pas ce qu’on imaginait. Je crois que, jusque-là, nous avons pu imprimer une nouvelle détermination à cette Direction au niveau de laquelle un nouveau souffle vient de naître, d’où l’importance de cette Direction est ancrée dans la tête de tous les acteurs culturels, parce qu’il y a bon nombre de choses que nous sommes en train de faire pour redonner vie à cette Direction.

En réalité, en quoi consistent vos fonctions, en tant que Directeur de la Promotion artistique et culturelle ? Quel est votre cahier de charges ? Quelles sont vos obligations ?

Avant même de parler de cahier de charges, je voudrais stipuler que c’est l’Etat béninois qui est le principal promoteur du développement de la chose culturelle au Bénin et, le Ministère de la Culture, de l’alphabétisation, de l’artisanat et du tourisme en est l’organe central. Il stimule et coordonne les activités de tous les secteurs du développement qui y contribuent. Le Ministère en charge de la Culture a confié d’importants volets à la Direction de la Promotion artistique et culturelle et, au titre de ceux-ci, il s’agit de stimuler et de promouvoir la création artistique et culturelle sur le plan national et international, de diffuser la culture béninoise au plan international, de développer la recherche culturelle, de réglementer l’organisation des activités de production et de diffusion artistique et culturelle, d’inciter nos opérateurs économiques nationaux et internationaux du secteur privé aussi bien que du secteur public, pour le financement des activités artistiques et culturelles, de mettre sur pieds un fonds documentaire fiable afin de créer une banque de données pour nos acteurs culturels.


En vous passant le témoin, votre prédécesseur, M. Constant Nouatin, vous avertissait, en disant : « Le public de la Dpac est exigeant ». De quelle manière avez-vous constaté la véracité d’une telle affirmation ?

Je crois que c’est après des années d’expérience qu’il a pu affirmer cela ; je crois qu’il a parfaitement raison, étant donné que, sur le plan du vécu quotidien de la gestion de la chose artistique et culturelle, en ce qui concerne, d’abord, les artistes, ils sont réellement exigeants de même que les promoteurs et les organisateurs d’événements culturels. D’une manière ou d’une autre, ils attendant beaucoup de la Direction de la Promotion artistique et culturelle, dans un premier temps, en ce qui concerne le financement de leur activité, la réglementation du secteur, parce qu’aujourd’hui, beaucoup se plaignent du fait qu’il y ait beaucoup d’intrus dans le secteur artistique et culturel, sur le plan national ; il est tout à fait normal qu’il y ait plus de sérieux dans ce secteur, qu’il y ait une réglementation qui puisse permettre qu’on puisse trier le bon grain de l’ivraie. Et, c’est à cela que nous nous attelons depuis un certain nombre de mois.


A votre prise de service, le 8 mars 2013, vous avez promis « de voir ce qui est en train d’être fait pour avancer », de « revoir ce qui a été fait pour mieux avancer », d’« identifier et de mettre en œuvre ce qui peut encore se faire, toujours pour avancer ». Qu’en est-il, aujourd’hui, après bientôt deux années de fonction ? Avez-vous réussi à concrétiser votre vision de l’ ’’avancement’’ ?

Merci beaucoup pour cette question. Je crois qu’en ce qui concerne ce qui se faisait avant notre prise de fonction, je vais évoquer trois volets, par rapport à ceux sur lesquels la Direction de la Promotion artistique et culturelle agit : les artistes, les événements et les promoteurs.
Les artistes, si je prends leur cas, je crois que la gestion artistique, au plan national, ainsi que la reconnaissance artistique, était plus ou moins liée à la délivrance de l’Attestation d’artiste ; c’est ce que nous avons observé jusque-là où les artistes étaient reconnus pour une période de six mois, à travers un document délivré par la Direction de la Promotion artistique et culturelle. Je crois que, sur le plan international, quand les artistes présentent un tel document, cela ne mettait pas réellement en valeur notre Etat, cela ne démontrait pas le sérieux et le professionnalisme qui caractérisent notre Direction. Pour corriger cet état de choses, nous avons instauré la Carte professionnelle d’artiste ; c’est une carte biométrique qui sera le document officiel que nos artistes pourront brandir, non seulement sur le plan national mais, aussi, international. Cette carte aura une période de validité de deux ans et sa délivrance est assujettie à l’autorisation et à la validation par un Comité d’étude de dossiers déposés par les artistes. Dans ce Comité, nous avons les cadres de l’administration du Ministère en charge de la Culture, ainsi que des acteurs culturels ; je voudrais parler des présidents de fédérations et de certaines personnes-ressources.
En dehors des artistes, nous nous sommes penchés également sur les événements culturels ; nous avons constaté qu’il y a beaucoup d’événements culturels qui sont organisés, de façon éparse, sans un suivi réel. Et, pour effectuer le suivi de tous ces événements sur toute l’étendue du territoire national, nous avons instauré la délivrance d’agréments aux associations. Donc, désormais, il est indubitable que toute association qui doit être subventionnée par le Ministère de tutelle ou dont les activités doivent être autorisées par lui, doivent recevoir l’agrément de la Direction de la Promotion artistique et culturelle, qui n’est que l’agrément du Ministère de la Culture. Et, nous n’avons pas corsé, pour cette phase expérimentale, parce que, pour obtenir l’agrément, l’association doit avoir une année d’existence, avoir un objet explicite lié à la promotion artistique et culturelle, démontrer son insertion au Journal officiel, déposer la photo des trois premiers responsables, fournir le rapport annuel des activités menées et la quittance d’une somme dix mille francs, versée au Trésor public. Je crois que, dès que ces documents sont constitués, il y a le Comité d’étude et de délivrance des agréments qui siège, de façon trimestrielle, pour voir les organisations qui remplissent les critères et leur délivrer leur agrément.
Cela va nous permettre un tant soit peu d’avoir une idée plus ou moins claire de tous ceux qui opèrent dans ce secteur. Il est vrai qu’aujourd’hui, parmi les documents demandés pour l’obtention de l’agrément, on n’a pas mis l’accent sur le Rib (Relevé d’identité bancaire, Ndlr), l’Ifu (Identifiant fiscal unique, Ndlr), sur le siège social de ces associations, parce que, pour le renouvellement, nous allons passer de département et département, pour constater l’effectivité de l’existence physique de celles-ci. Nous allons un peu plus corser les critères et les à fournir pour l’obtention de l’agrément, parce que, comme il s’agit d’une phase expérimentale, nous ne sommes pas venus pour empêcher les gens d’opérer dans le secteur culturel mais, c’est de les aider à se conformer à la réglementation, à se conformer à ce qui se fait dans les autres pays ; pour soumette des projets sur le plan international, il faut suivre des canevas donnés, si on n’est pas habitué à eux, c’est difficile pour nos promoteurs et nos responsables d’associations d’y arriver. C’est cet état de choses que nous essayons de corriger en insistant sur le fait que toutes les associations doivent avoir la reconnaissance du Ministère en charge de la Culture.
Le dernier volet concerne les promoteurs culturels qui, d’une manière ou d’une autre, sont considérés par les artistes comme des commerçants ; il est vrai que ceux-ci sont appelés, aujourd’hui, à nous aider à industrialiser la culture béninoise, parce que, de plus en plus, on parle des industries culturelles et, il n’ya qu’eux pour aider le Bénin à s’élever et à se développer sur ce plan. Et, nous avons allégé également les conditions d’obtention de la carte de promoteur culturel à tous ceux qui exercent déjà dans le milieu, à ceux qui s’y intéressent
C’est ce que nous sommes en train  de faire pour améliorer le vécu quotidien des acteurs culturels, sur toute l’étendue du territoire national.


Vous voulez donc dire que l’avancement a un contenu vraiment concret … Au vu de tout ce que vous avez partagé avec nous, qu’est-ce qu’on peut retenir de votre bilan, après bientôt deux années à la Dpac ?

En dehors des réformes, nous avons réussi à obtenir du Gouvernement béninois l’organisation, de façon trimestrielle, de méga-concerts ; ce sont des plateformes de rencontres, d’échanges, de promotion, de diffusion des œuvres de tous nos artistes. Les plasticiens s’y retrouvent pour la décoration, de même que les musiciens traditionnels, modernes et tradi-modernes, les comédiens, les hommes de Lettres, ... C’est ce qui nous a permis, lors de l’organisation du concert pour la célébration de la troisième année du second mandat du Chef de l’Etat, d’obtenir une augmentation substantielle du milliard culturel ; c’est au cours de cette manifestation que le Président de la République, vu la qualité de l’organisation, vu la qualité des acteurs mobilisés, des instruments et de tout ce que nous avons déployé sur le terrain, s’est dit qu’il était temps d’aider les acteurs culturels et, il a pris l’engagement de faire passer le milliard culturel au tri-milliard, ce qui est prévu pour être effectif, à partir de cette année 2015. Cela fait partie des acquis ; ce ne sont pas des acquis directs, mais ce que nous faisons, au moins, impacte, aujourd’hui, le secteur de la culture, au plan national. Cela augure d’un bon avenir pour nos acteurs culturels.


Donc, votre Direction aussi émarge au Milliard culturel ?

En réalité, la Dpac n’émarge pas au Milliard culturel, mais elle est une direction technique qui a son mot à dire, également, dans la gestion du Milliard culturel, étant donné que le Directeur que je suis est Administrateur dans le Conseil. Donc, il arrive quand même à orienter les choix opérés par rapport aux projets, aux acteurs à accompagner.


Qu’avez-vous à dire, justement, par rapport à la programmation des activités culturelles, au cours d’une année, par la Direction de la Promotion artistique et culturelle ?

Nous avons constaté, lors de notre prise de service, qu’il n’y avait pas un répertoire des acteurs culturels, qu’il n’y avait pas un agenda culturel, qu’il n’y avait pas des documents statistiques pouvant nous permettre de réellement faire des projections, à court, moyen et log termes, pour accompagner le développement de la chose culturelle au Bénin. Et, au titre de l’année 2014, notre objectif a été de tout faire, étant donné qu’on avait déjà balisé le terrain où il y a des agréments aujourd’hui, pour réglementer les associations, de mettre au point des arrêtés pour la délivrance de cartes professionnelles pour les artistes ainsi que pour les promoteurs culturels. C’est un premier pas. Le deuxième que nous devions franchir, au cours de la même année, était le recensement des acteurs culturels sur toute l’étendue du territoire national de même que celui des événements culturels ; je voudrais parler des événements majeurs sur lesquels on peut positionner des étrangers, pour faire le développement touristique et culturel à la fois. Nous avions aussi pour objectif de mettre au point l’agenda culturel. Donc, à partir de 2015, la Direction de la Promotion artistique et culturelle, en partenariat avec le Portail culturel du Bénin, doit sortir le répertoire des acteurs culturels ainsi que l’agenda culturel, pour la saison artistique 2015, parce que, sur le plan national comme international, beaucoup s’adressent à nous pour avoir l’agenda culturel, pour savoir qu’est-ce qu’il y a à faire au cours de tel mois, sur quelle activité les gens pourront se déplacer pour venir visiter le pays et en profiter pour aller sur des événements phare ; il nous faut, absolument, pour nous conformer à ce qui se fait au sein de l’Uémoa aujourd’hui.
Pour avoir une synergie des actions culturelles sur les pays de l’Uemoa, il nous faut absolument un répertoire, non seulement des acteurs culturels, mais, aussi, l’agenda culturel, pour la saison artistique 2015. Nous nous attelons à cela et, ce sera, bientôt, une chose effective.


Que pensez-vous des acteurs culturels qui vous accusent de ne pas valider le déroulement de leur événement, au cours d’une année ?

Je ne pense pas que ce soit une réalité. Jusque-là, nous n’avons pas commencé à bloquer l’organisation d’événements sur l’étendue du territoire national ; il est vrai qu’il revient à la Direction de la Promotion artistique et culturel de réglementer le secteur culturel d’autoriser ou d’annuler l’organisation de spectacles ou d’événements, mais, jusque-là, nous n’avons pas commencé à empêcher la réalisation d’événements, étant donné que nous sommes toujours dans la phase d’information et de vulgarisation des prérogatives dédiées à la Dpac, parce que des structures, sans le savoir, agissent dans l’illégalité. Quand nous prenons l’exemple de nos sociétés de Gsm sur place, elles organisent des événements majeurs, mais qui ne sont pas autorisés par notre Direction ; beaucoup se disent qu’une fois qu’elles ont l’autorisation du Bubédra, qui n’est que celle liée à l’exploitation des œuvres artistiques, ils croient qu’elles ont celle de production de spectacles, mais il ne s’agit pas de l’autorisation du Ministère en charge de la Culture. Nous sommes en train de faire un travail de sensibilisation et, c’est à partir de cette année 2015, que nous allons commencer, réellement la répression, que nous allons bloquer des activités qui ne vont pas entrer dans les normes prévues par les textes en vigueur.


On vous a vu vous impliquer personnellement dans l’organisation de certains événements, notamment, les obsèques de GG Vikey. Comment cela se passe, cumulativement avec vos fonctions de Dpac ?

Je crois que c’est le Gouvernement béninois qui a décidé de rendre un hommage digne à l’un des chantres de la musique béninoise et africaine, reconnu sur le plan international et, c’est la toute première activité que j’ai organisée après ma prise de service. Il est de bon ton, quand l’Etat béninois décide de réaliser ce genre de manifestations d’ordre culturel, que le Ministère de la Culture s’en charge et, la direction technique habilitée à mettre en application la stratégie du Gouvernement, est la Direction de la Promotion artistique et culturelle. Ceci nous a conduit à associer, non seulement la famille du Feu GG Vikey, mais, aussi, les acteurs culturels, les fédérations d’artistes, de façon à constituer un Comité national d’organisation, sous la supervision du Ministre de la Culture. C’est de cette manière que les obsèques de l’artiste défunt et les cérémonies ont été organisées, de commun accord avec toutes les parties prenantes.

Cela a été un succès, de même que l’organisation de l’élection du représentant du monde artistique et culturel au Conseil économique et social, et de celles respectives des différents représentants des artistes au Conseil d’administration du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb). Quel est votre secret ?
Tout réside dans le sens de leadership et de management de chaque personne. Je me base beaucoup sur le sens de ces qualités que possède le Ministre Jean-Michel Abimbola qui arrive à rassembler, de façon incontestable, tout le monde, autour de sa vision ; je voudrais parler des acteurs culturels. J’essaie de copier ce sens de management et de l’adapter à la gestion de tout ce que nous organisons au sein de cette Direction.
Je crois que c’est pour la première fois qu’on a pu organiser des élections pour la désignation du représentant des acteurs culturels, devant siéger à la cinquième mandature du Conseil économique et social, sans heurts. Cela a été possible grâce à la prise, à temps, des arrêtés devant réglementer le secteur de la Culture ; toutes les associations ayant envoyé des délégations devant constituer le corps électoral, pour toutes les élections qui ont eu lieu, sont des associations agréées par la Dpac et, c’est ce qui a permis d’éliminer les associations, les structures qui, d’une manière ou d’une autre, ont été créées, de par le passé, à des fins inavouées ; c’est pour corriger ce genre de choses.
Nous avons aussi faire du lobbying auprès des acteurs culturels, pour que toutes ces consultations électorales se déroulent dans de très bonnes conditions.


Abordant un autre volet, nous constatons que vous êtes pratiquement tout le temps en voyage pour des événements culturels à l’extérieur. Qu’est-ce que cela apporte au Bénin ?

En 2013 et en 2014, je n’ai pas beaucoup voyagé ; jusque-là, j’ai effectué deux voyages sur le plan international, le dernier remonte au mois de mars 2014 où, en ma qualité de Président du Conseil d’administration de l’Ensemble artistique national, je devais aller voir, de façon substantielle, comment le Ballet national représente notre pays sur l’échiquier international. C’est à ce titre que j’ai effectué un  séjour d’une semaine à Diya, qui est une province du sud de l’Espagne. Ceux qui sont habitué aux réseaux sociaux et à nos chaînes de télévision ont vu le professionnalisme qui a caractérisé la participation effective du Ballet national à des festivals internationaux. Cela relève de notre compétence, parce que la promotion artistique et culturelle ne se limite pas au Bénin ; il faut valoriser nos acteurs culturels, nos artistes, notre richesse culturelle, sur le plan international. C’est en cela que nous avons effectué ce voyage, pour appuyer, d’un sceau particulier, l’Ensemble artistique national, pour pouvoir faire, les années à venir, des propositions concrètes à l’Etat béninois pour appuyer, de manière plus soutenue, la promotion de notre registre culturel, sur le plan international.


Nous avons l’impression qu’en matière de succès de la culture béninois à l’international, il n’y a que le Ballet national. Quel en est votre avis ?

Je ne pense pas qu’il n’y ait que le Ballet national, il y a des actions éparses que nous ne parvenons pas à capitaliser. Prenons l’exemple des Ensembles artistiques ’’Towara’’, ’’Super anges hwendo na bua’’, ainsi que des ’’As du Bénin’’ ; je crois qu’il y a un certain nombre de groupes, les ’’Gangbé brass band’’, en l’occurrence, qui effectuent beaucoup de voyages, un certain nombre de groupes qui valorisent notre culture, qui sont dans des réseaux, aujourd’hui, parce que pour parler de la valorisation de la culture béninoise, il faut avoir des tourneurs. Ce sont eux qui positionnent les acteurs, les artistes dans des réseaux et, c’est ceux-ci qui peuvent diffuser les artistes en Europe, en Asie, un peu partout. Et, ce qui nous manque, aujourd’hui, ce sont de véritables tourneurs, des gens qui sont dans des réseaux donnés pour pouvoir imposer nos artistes ; pour réussir à le faire, il faudrait que les artistes aient des productions exportables, il faudrait que nous ayons des productions réellement désirées, qu’il y ait des consommateurs des œuvres créées par nos artistes, sur le plan international, parce que si nous n’arrivons pas à adapter nos œuvres artistiques pour qu’elles soient plus ou moins exportables, consommables sur le plan international, cela va être difficile que des artistes de renom, au plan national, soient consommés à l’international. C’est ce que notre grande sœur, Angélique Kidjo, a compris très tôt et, elle fait notre fierté. Si on prend son exemple, en Afrique, elle fait partie des baobabs, des dépositaires de la promotion de la culture de notre pays sur l’échiquier international. Et, c’est ce que nous demandons à nos artistes : cultiver plus le live, de cultiver plus le régionalisme et de laisser tomber le snobisme, de laisser tomber le fait de copier les autres tout le temps, parce que notre richesse culturelle, notre richesse patrimoniale est vraiment dense, il y a beaucoup à tirer de cela pour valoriser notre culture sur le plan international.


Vous êtes un entrepreneur culturel très connu, par rapport au Concours national d’art scolaire (Conaasco) et à l’Espace ’’Adjadi’’ qui effectue ses activités à Cotonou. Cela montre que vous avez évolué dans le privé. Maintenant que vous exercez dans le secteur public, à travers votre poste, l’adaptation est-elle aisée ? Aimez-vous l’ambiance qui prévaut autour de vous ?

L’adaptation a été très très difficile, parce que, vous savez, quand vous êtes du secteur privé, c’est un autre mode de management ; quand tu diriges ton entreprise, tu es le seul responsable et tu décides. Quand tu n’as pas des résultats par rapport à tes collaborateurs, tu es en mesure de mettre fin à votre collaboration, tu es en mesure d’arrêter le contrat de collaboration et, cela ne peut pas se passer dans l’administration où il y a une réglementation, où une fois que les fonctionnaires sont couverts par la loi, par la législation du travail, ils se disent qu’on ne peut pas les radier, même s’il existe des dispositions de sanctions dans les textes. Ce n’est pas aussi facile de les prendre : pour un employé, on connaît les horaires de travail, de 8h à 12h30, en matinée et, de 15h à 18h30, en après-midi ; difficilement, on arrive à ressentir l’amour du travail bien fait, il y a aussi la lourdeur administrative. Malheureusement, quand vous arrivez avec la fougue du secteur privé pour booster un peu les choses, vous êtes très mal vu, vous êtes très mal compris. Cela a été très difficile pour ma première année à la Dpac ; à un moment donné, presque tous mes collaborateurs se plaignaient parce qu’ils n’arrivaient pas à s’adapter à mon rythme de travail, ils n’arrivaient pas à se donner comme je l’espérais. Finalement, d’une manière ou d’une autre, on n’a pas été contaminé, mais on a appris à faire avec, pour ne pas trop heurter la sensibilité des uns et des autres, afin d’apporter le résultat qu’on attend de nous, ce pour quoi on a été nommé, ce pour quoi on a été amené pour diriger cette structure.


Concernant votre vie privée, quelle est votre situation matrimoniale ?

Je suis marié et père de quatre enfants, deux garçons et deux filles.


Une question classique : comment vous organisez-vous entre votre travail et la maison ? Avec toutes ces activités que vous menez, cela vous permet-il de vopus occuper correctement de votre famille ?

J’ai une épouse qui est plus ou moins du milieu et qui maîtrise les contraintes liées à cette responsabilité ; elle s’y est préparée. Nous arrivons à conjuguer les efforts pour que l’éducation des enfants ne puisse pas en recevoir un coup, par rapport à cette fonction que nous occupons aujourd’hui ; on arrive quand même à gérer.


Avez-vous un appel à lancer aux artistes, aux acteurs et aux promoteurs culturels ?

Je voudrais rappeler à tous les acteurs culturels béninois que Monsieur Patrick Idohou est du secteur privé et que, tôt ou tard, il y retournera ; je suis arrivé pour apporter un grain de sel à la maison ’’Culture’’, pour améliorer les conditions de vie et de travail de tous les acteurs culturels, toutes tendances confondues. Donc, notre intérêt ne sera pas d’annihiler, de mettre fin à des intérêts des acteurs culturels ou de bouleverser la bonne marche et l’évolution de certains ; tout ce que nous entreprenons comme réformes, c’est dans l’intérêt général de tout le monde, parce que, aujourd’hui, un certain laxisme a été observé, de par le passé, par rapport à la gestion de la chose culturelle, il était temps que l’Etat prenne ses responsabilités pour réglementer réellement ce secteur, pour avoir une idée claire de tous ses acteurs, et que ce soit ceux-ci qui soient accompagnés. Pour que nous puissions parler d’industrie culturelle, il faudrait d’abord que nous fassions l’auto-évaluation de la gestion de la chose culturelle, au plan national, pour voir venir des perspectives d’avenir, pour améliorer les conditions de vie et de travail de tous les acteurs, toutes tendances confondues. Je voudrais les rassurer que tout ce que nous faisons, ce sera de concert avec les responsables des structures, des associations, des fédérations.



Propos recueillis par Marcel Kpogodo  

vendredi 13 février 2015

Jérôme Tossavi : Une lecture d' ''Errance chenille de mon coeur'' de Daté Atavito Barnabé-Akayi

En prélude au lancement de l'ouvrage le samedi 14 février 2015

L’écrivain Béninois Daté Atavito Barnabé-Akayi vient de publier, aux éditions Plumes Soleil, à Cotonou, son tout premier roman étiqueté  Errance : chenille de mon cœur. Roman de facture sociale et sentimentale. L’œuvre de Daté se présente comme un miroir reflétant les mutations d’une société en ébullition. Plusieurs thématiques captent l’attention de tout lecteur averti. Après ma lecture passionnée de l’œuvre de mon contemporain Daté Atavito Barnabé-Akayi, j’ai eu quelques frissons pour le genre littéraire romanesque qui ne m’a jamais accroché jusque-là. D’aucuns parleront d’influences. C’est positif d’avoir ses ancêtres à côté de soi. Senghor l’avait chez les gens de son canton proche. Moi aussi. Daté m’influence par ce roman de type nouveau où les personnages sont connus de tous, même des Zémidjans de Cotonou. Et, parlant de personnages-personnes, on peut citer, pêle-mêle, Florent Couao-Zotti, Habib Dakpogan, Romain Hounzandji, Roger Koudioadinou, Jean-Paul Tooh-Tooh, Dieudonné Oténia, Kangni Alem, Guy Ossito Midiohouan, Pierre Médéhouègnon, Barthélémy Abidjo , Apollinaire Agbazaou, Anicet Mègnigbéto, Kam Sophie Heidi, Amour Gbovi, Français Mensah (Rip), et tout le Beuverie club de Cotonou ( Jérôme Tossavi, Samirath Alidou, Marcel Kpogodo, Tanguy Agoï, pour ne citer que ceux-là). Tous ont trouvé leur place dans ce roman où plusieurs voix se mêlent comme dans un concert de jazz. Parlant de Chenille : errance de mon cœur, c’est une symphonie de propos humoristiques, qui frise le dilatoire non-ennuyeux. En ce sens, il faut rejoindre Okri Pascal Tossou qui qualifie, en note préventive, l’œuvre de Daté de caméra-social projetée sur des faits sociaux esthétiquement en Saniath.

Jérôme Tossavi
Délimité sur 196 pages sans chapitres organisés, Errance : chenille de mon cœur  est d’abord un cahier intime, une sorte de journal autoportrait d’un personnage érotique à la  quête de sensations et de la sexualité la plus inouïe. Oui, je dis bien sexualité. Car le poète-romancier Daté ne va pas se démarquer de cette thématique qui apparaît en toile de fond de son œuvre abondante. La femme, encore la femme, toujours la femme. C’est de cela qu’il s’agit avec les nombreuses aventures amoureuses que l’héroïne Saniath a entretenues, tout le long de la prose narrative. Revenons à la diégèse qui touche tous les angles de notre société (Cybercriminalité, système éducatif béninois pourri, dérèglement énergétique incarné par la SBEE, Société Béninois d’Energie Electrique, le drame politique tel que vécu sous les tropiques où fleurissent les fausses promesses de nos dirigeants assoiffés de politique). Il s’agit de Saniath, jeune élève campée dans la peau d’une fille pubère vite émancipée qui se laisse emporter par tous ses désirs. Deux urgences poussent notre héroïne en errance. La première, sa passion démesurée de publier coûte-que-coûte le roman de sa vie, sous l’influence de son pseudo-psychologue, elle est sonnée de remplir au jour le jour un cahier (journal) qui fera l'objet de publication à la suite de toutes les aventures et mésaventures connues. 
La deuxième, convaincre son professeur de français de son amour envers sa personne. Sur les traces de son éducation, elle rejette certaines contraintes familiales trop rugueuses pour elle et pour ses autres frères et sœurs. En ce sens, elle se plaint constamment de sa mère qui constitue pour elle une calamité et pas forcément un bel exemple à copier. Grandie et élevée dans le cocon familial, Saniath bravera toutes les intempéries pour « écouter son cœur » contre celui de sa mère qui déteste les amitiés non évangéliques. D’abord, elle affiche sa haine voilée contre tous ses frères et sœurs sauf Joseph, son frère cadet, le seul qui la comprend mieux que les autres. Ensuite, sa grogne se dirige vers Moustapha, le mari de sa sœur aînée Léontine qui vocifère une méchanceté sans nom envers sa belle-sœur Saniath et son beau-frère Joseph. Enfin, Saniath, comme je l’avais dit plus haut, n’aime pas sa mère. Elle la trouve trop complexée et assez maladive. Ici se pose avec acuité le problème du voisinage et de l’affection parentale muée en infections comportementales.



L’errance comme clichées d’émotions

La trajectoire de Saniath se limite à ses amis- et Dieu même sait qu’elle en a à foison- et à son professeur de français qu’elle « adore » en passant par son psychologue. Au départ, c’était un amour confidentiel pour cet enseignant que Saniath adore. Mais, après, elle finira par déclarer ouvertement ses sentiments à son professeur de français. On peut lire ceci à la page 66 du roman : « Je crois sincèrement que je vous aime, pardon, j’aime votre cœur. Je veux vous appartenir, éternellement. C’est fou comme je suis comblé les dimanches soirs et surtout quand nous sommes lundi. Du simple fait que je vais vous voir, non, pardon je vais suivre votre cours ». On ne peut plus clair. Saniath aime son prof et trouve du plaisir à être en sa compagnie. Elle regrette même que son prof soit un homme marié. A maintes reprises, elle a pointé son doigt accusateur sur maman Erasmus qui est la femme du prof-amant. Dans le même viseur, Saniath partage son cœur avec une kyrielle de petits amis. La liste est un peu longue. D’abord, c’est avec Léopold que sa quête sentimentale a débuté. Mais, très vite, Boni, un don juan né, broutera dans le jardin intime de Saniath qui condamne la routine de Léopold qui n’adopte que les mêmes positions tout le temps. Eric, séducteur du quartier, fera jaser Saniath qui ne respire que par lui. Son voyage, au nord, dans le but de finir en beauté ses études sera aussi fructueux en amour : sur son chemin, elle rencontre Akim qui l’emportera dans son cœur jusqu’au quartier Jéricho, vons des Assemblées de Dieu.




Derrière le rideau de l’errance

Les maux sont ainsi égrenés par le prosateur de Chenille : errance de mon cœur. Saniath Zamba n’est qu’un prêt-mot pour dénoncer les caprices d’une société en ruine. Quelques micro-récits méritent qu’on s’y attarde. Le récit sur Feu François Mensah n’est qu’une autodérision  sur une jeunesse capable mais traumatisée par  la drogue et  l’alcool. Parle narrateur (ici François Mensah serait le précurseur du rythme ''Soyoyo''. Et, quand on parle de ''Soyoyo'', on se souvient très vite du groupe emblématique ''Panthère Noire'', incarné par Robinson Sipa emporté aussi par la drogue, en dépit de l’immensité de son talent non négociable), il faut célébrer François autour de l’alcool pour lui assurer le paradis, entendu que toute sa vie n’a été qu’alcool et cigarette. Le micro-récit sur les enseignants-vautours qui quémandent des heures de vacations dans tous les sens est aussi accrocheur. Ces enseignants capables de corriger les copies des élèves sous l’échangeur de Godomey, meurent si on leur arrache une classe. Derrière cette satire se dégage toute la problématique de notre système éducatif enrhumé. Et, Daté est bien placé pour le dire vu sa casquette d’enseignant. Plus loin, il faut noter le discours pamphlétaire qui parsème le roman : la verve du prosateur contre les romanciers n’est pas gratuite. Pour Daté, le roman est un genre humiliant capable d’être exécuté par tous. Par contre, la poésie est bien noble. Il s’en prend vertement à tous les écrivains qui pissent l’orgueil et la goinfrerie en se prenant pour Dieu. Et, le centre de la terre. En filigrane, il toise (je parle de Daté) son propre orgueil (l’un des personnages du roman, Bruno Ahossi, dira ouvertement que Daté serait infréquentable et contagieux) mais préfère la modestie réservée, selon Daté, aux tarés. L’autre charge pamphlétaire notée dans le roman est le discours religieux axé sur un Dieu nul et inutile qu’il faut gommer de toutes les prières (c’est Saniath qui parle. Mais paradoxe pour paradoxe, Saniath est une évangéliste issue des arcanes de l’Eglise des Amoureux du Christ). Les autres grognes se résument aux discours féministes qui campent la femme dans une position attentiste (et là, c’est Samirath Alidou qui fustigera cette thèse via la bouche de Saniath). Tout baigne pour celui qui sait attendre semble nous dire l’auteur de Chenille : errance de mon cœur, qui trace les nouveaux sillons d’une écriture romanesque engagée. En attendant de le lire et de le relire, je convie les lecteurs passionnés à la découverte de ce roman qui fera date dans la littérature béninoise.


Le mérite d’une plume

Le langage parfois débridé du prosateur n’est pas à oublier. Volontairement, l’auteur transfère des sms-Kifs dans son récit. Des interjections tirées du langage argotique fleuve pointillent le roman pour laisser choir dans nos tympans l’émotion vive du personnage évoluant dans un cadre spatio-temporel illimité. On a du mal à la saisir en plein vol dans ce récit où le chronotope converge vers des récits enchâssés. Le rire sournois et sarcastique de Daté est aussi bien perceptible derrière tout ce récit qui côtoie le style du one man's show, à la façon d'Elmaleh Gad. Pour un coup d’essai romanesque, ce fut un coup de maître pour ce roman qu’on peut qualifier de roman des réseaux sociaux, entendu que bon nombre d’extraits y sont déjà postés bien avant la parution de l'ouvrage attendu des paisibles lecteurs d’ici et d’ailleurs.


Jérôme Tossavi