En prélude au lancement de l'ouvrage le samedi 14 février 2015
L’écrivain Béninois
Daté Atavito Barnabé-Akayi vient de publier, aux éditions Plumes Soleil, à Cotonou, son tout premier roman étiqueté Errance : chenille de mon cœur. Roman
de facture sociale et sentimentale. L’œuvre de Daté se présente comme un miroir
reflétant les mutations d’une société en ébullition. Plusieurs thématiques
captent l’attention de tout lecteur averti. Après ma lecture passionnée de
l’œuvre de mon contemporain Daté Atavito Barnabé-Akayi, j’ai eu quelques frissons
pour le genre littéraire romanesque qui ne m’a jamais accroché jusque-là.
D’aucuns parleront d’influences. C’est positif d’avoir ses ancêtres à côté de
soi. Senghor l’avait chez les gens de son canton proche. Moi aussi. Daté
m’influence par ce roman de type nouveau où les personnages sont connus de tous,
même des Zémidjans de Cotonou. Et, parlant de personnages-personnes, on peut
citer, pêle-mêle, Florent Couao-Zotti, Habib Dakpogan, Romain Hounzandji, Roger
Koudioadinou, Jean-Paul Tooh-Tooh, Dieudonné Oténia, Kangni Alem, Guy Ossito
Midiohouan, Pierre Médéhouègnon, Barthélémy Abidjo , Apollinaire Agbazaou, Anicet
Mègnigbéto, Kam Sophie Heidi, Amour Gbovi, Français Mensah (Rip), et tout le Beuverie club de Cotonou ( Jérôme Tossavi, Samirath Alidou, Marcel Kpogodo, Tanguy Agoï, pour
ne citer que ceux-là). Tous ont trouvé leur place dans ce roman où plusieurs
voix se mêlent comme dans un concert de jazz. Parlant de Chenille : errance de mon cœur, c’est une symphonie de propos
humoristiques, qui frise le dilatoire non-ennuyeux. En ce sens, il faut
rejoindre Okri Pascal Tossou qui qualifie, en note préventive, l’œuvre de Daté
de caméra-social projetée sur des faits sociaux esthétiquement en Saniath.
Jérôme Tossavi |
Délimité sur 196
pages sans chapitres organisés, Errance :
chenille de mon cœur est d’abord un cahier intime, une sorte de
journal autoportrait d’un personnage érotique à la quête de sensations et de la sexualité la plus inouïe.
Oui, je dis bien sexualité. Car le poète-romancier Daté ne va pas se démarquer
de cette thématique qui apparaît en toile de fond de son œuvre abondante. La
femme, encore la femme, toujours la femme. C’est de cela qu’il s’agit avec les
nombreuses aventures amoureuses que l’héroïne Saniath a entretenues, tout le
long de la prose narrative. Revenons à la diégèse qui touche tous les angles de
notre société (Cybercriminalité, système éducatif béninois pourri, dérèglement
énergétique incarné par la SBEE, Société Béninois d’Energie Electrique, le
drame politique tel que vécu sous les tropiques où fleurissent les fausses
promesses de nos dirigeants assoiffés de politique). Il s’agit de Saniath,
jeune élève campée dans la peau d’une fille pubère vite émancipée qui se laisse
emporter par tous ses désirs. Deux urgences poussent notre héroïne en errance.
La première, sa passion démesurée de publier coûte-que-coûte le roman de sa vie, sous l’influence de son pseudo-psychologue, elle est sonnée de remplir au jour
le jour un cahier (journal) qui fera l'objet de publication à la suite de toutes
les aventures et mésaventures connues.
La deuxième, convaincre son professeur
de français de son amour envers sa personne. Sur les traces de son éducation,
elle rejette certaines contraintes familiales trop rugueuses pour elle et pour
ses autres frères et sœurs. En ce sens, elle se plaint constamment de sa mère
qui constitue pour elle une calamité et pas forcément un bel exemple à copier.
Grandie et élevée dans le cocon familial, Saniath bravera toutes les
intempéries pour « écouter son cœur » contre celui de sa mère qui
déteste les amitiés non évangéliques. D’abord, elle affiche sa haine voilée
contre tous ses frères et sœurs sauf Joseph, son frère cadet, le seul qui
la comprend mieux que les autres. Ensuite, sa grogne se dirige vers Moustapha,
le mari de sa sœur aînée Léontine qui vocifère une méchanceté sans nom envers sa
belle-sœur Saniath et son beau-frère Joseph. Enfin, Saniath, comme je l’avais
dit plus haut, n’aime pas sa mère. Elle la trouve trop complexée et assez
maladive. Ici se pose avec acuité le problème du voisinage et de l’affection
parentale muée en infections comportementales.
L’errance comme clichées d’émotions
La trajectoire
de Saniath se limite à ses amis- et Dieu même sait qu’elle en a à foison- et à son
professeur de français qu’elle « adore » en passant par son
psychologue. Au départ, c’était un amour confidentiel pour cet enseignant que
Saniath adore. Mais, après, elle finira par déclarer ouvertement ses sentiments à
son professeur de français. On peut lire ceci à la page 66 du roman :
« Je crois sincèrement que je vous
aime, pardon, j’aime votre cœur. Je veux vous appartenir, éternellement. C’est
fou comme je suis comblé les dimanches soirs et surtout quand nous sommes lundi.
Du simple fait que je vais vous voir, non, pardon je vais suivre votre
cours ». On ne peut plus clair. Saniath aime son prof et trouve du
plaisir à être en sa compagnie. Elle regrette même que son prof soit un homme
marié. A maintes reprises, elle a pointé son doigt accusateur sur maman Erasmus qui est la femme du
prof-amant. Dans le même viseur, Saniath partage son cœur avec une kyrielle de
petits amis. La liste est un peu longue. D’abord, c’est avec Léopold que sa
quête sentimentale a débuté. Mais, très vite, Boni, un don juan né, broutera
dans le jardin intime de Saniath qui condamne la routine de Léopold qui
n’adopte que les mêmes positions tout le temps. Eric, séducteur du quartier,
fera jaser Saniath qui ne respire que par lui. Son voyage, au nord, dans le but
de finir en beauté ses études sera aussi fructueux en amour : sur son
chemin, elle rencontre Akim qui l’emportera dans son cœur jusqu’au quartier
Jéricho, vons des Assemblées de Dieu.
Derrière le rideau de l’errance
Les maux sont ainsi
égrenés par le prosateur de Chenille :
errance de mon cœur. Saniath Zamba n’est qu’un prêt-mot pour dénoncer les
caprices d’une société en ruine. Quelques micro-récits méritent qu’on s’y
attarde. Le récit sur Feu François Mensah n’est qu’une autodérision sur une jeunesse capable mais traumatisée
par la drogue et l’alcool. Parle narrateur (ici François Mensah
serait le précurseur du rythme ''Soyoyo''. Et, quand on parle de ''Soyoyo'', on se
souvient très vite du groupe emblématique ''Panthère Noire'', incarné par Robinson
Sipa emporté aussi par la drogue, en dépit de l’immensité de son talent non
négociable), il faut célébrer François autour de l’alcool pour lui assurer le
paradis, entendu que toute sa vie n’a été qu’alcool et cigarette. Le micro-récit
sur les enseignants-vautours qui quémandent des heures de vacations dans tous
les sens est aussi accrocheur. Ces enseignants capables de corriger les copies
des élèves sous l’échangeur de Godomey, meurent si on leur arrache une classe.
Derrière cette satire se dégage toute la problématique de notre système
éducatif enrhumé. Et, Daté est bien placé pour le dire vu sa casquette
d’enseignant. Plus loin, il faut noter le discours pamphlétaire qui parsème le
roman : la verve du prosateur contre les romanciers n’est pas gratuite.
Pour Daté, le roman est un genre humiliant capable d’être exécuté par tous. Par
contre, la poésie est bien noble. Il s’en prend vertement à tous les écrivains
qui pissent l’orgueil et la goinfrerie en se prenant pour Dieu. Et, le centre de
la terre. En filigrane, il toise (je parle de Daté) son propre orgueil (l’un
des personnages du roman, Bruno Ahossi, dira ouvertement que Daté serait
infréquentable et contagieux) mais préfère la modestie réservée, selon Daté,
aux tarés. L’autre charge pamphlétaire notée dans le roman est le discours religieux
axé sur un Dieu nul et inutile qu’il faut gommer de toutes les prières (c’est
Saniath qui parle. Mais paradoxe pour paradoxe, Saniath est une évangéliste
issue des arcanes de l’Eglise des Amoureux du Christ). Les autres grognes se
résument aux discours féministes qui campent la femme dans une position attentiste (et là,
c’est Samirath Alidou qui fustigera cette thèse via la bouche de Saniath). Tout
baigne pour celui qui sait attendre semble nous dire l’auteur de Chenille : errance de mon cœur, qui
trace les nouveaux sillons d’une écriture romanesque engagée. En attendant de le lire et de le relire, je convie les lecteurs passionnés à la découverte
de ce roman qui fera date dans la littérature béninoise.
Le
mérite d’une plume
Le langage parfois
débridé du prosateur n’est pas à oublier. Volontairement, l’auteur transfère des
sms-Kifs dans son récit. Des
interjections tirées du langage argotique fleuve pointillent le roman pour
laisser choir dans nos tympans l’émotion vive du personnage évoluant dans un
cadre spatio-temporel illimité. On a du mal à la saisir en plein vol dans ce
récit où le chronotope converge vers des récits enchâssés. Le rire sournois et
sarcastique de Daté est aussi bien perceptible derrière tout ce récit qui côtoie
le style du one man's show, à la façon d'Elmaleh Gad. Pour un coup d’essai
romanesque, ce fut un coup de maître pour ce roman qu’on peut qualifier de
roman des réseaux sociaux, entendu que bon nombre d’extraits y sont déjà postés
bien avant la parution de l'ouvrage attendu des paisibles lecteurs d’ici et
d’ailleurs.
Jérôme Tossavi
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