Dans le cadre d’une
impressionnante performance de l’artiste Eric Médéda
Le mercredi 1er
août 2018, le tronçon Carrefour du Calvaire de Fidjrossè-Espace culturel ’’Le
parking’’, à Cotonou, a été secoué par une performance atypique intitulée
’’Mots de l’esclave’’ et liée à la commémoration du cinquante-huitième
anniversaire des indépendances africaines. L’artiste peintre Eric Médéda,
appuyé par le performeur stylé Prince Toffa, a laissé voir une mise en scène
assez remuante.
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La férocité des indépendances octroyées à l'Afrique par l'Occident |
Un homme, jeune, rudement
enchaîné, le corps luisant d’une sueur collante, d’une vigueur certaine,
remarquable par une abondante barbe dont la noirceur forte s’harmonise avec
celle de sa peau cuisant sous le soleil en déclin, et avec celle du slip, son
seul vêtement, étroitement à la peau collée, est violemment tiré d’un bout de
la chaîne par un autre personnage, plus élancé, complètement et élégamment vêtu,
qui, à chaque coup dont il arrachait des pas au premier, s’écriait
furieusement, « C’est ça l’indépendance ! », cueillant,
périodiquement, à une chaîne de bonbon local communément appelé ’’Toffi’’,
l’amuse-gueule pour s’en délecter de manière visible. La performance-spectacle dénommée
’’Mots de l’esclave’’, donnant froid dans le dos, qui a mis en émoi, pendant,
plusieurs minutes, le tronçon Carrefour du Calvaire de Fidjrossè-Espace
culturel ’’Le parking’’, à Cotonou, drainant un beau monde hétéroclite, vers la
fin de l’après-midi du mercredi 1er août 2018, du fait du
cinquante-huitième anniversaire des indépendances dont le Bénin ouvrait le bal
de la célébration de celle des pays d’Afrique occidentale francophone,
anciennement colonisés par la France.
« Haaa !!!! »
était le cri que lançait douloureusement celui qu’on tirait et, qui,
visiblement, était un esclave. Le point de départ de sa souffrance s’est révélé
le carrefour de la Place du Calvaire du quartier de Fidjrossè de Cotonou où,
maintenu immobile par la chaîne ayant été enroulée à son cou et dont l’un des
bouts était attaché à un pieu métallique. Le personnage faisait dos au monument
blanc surmonté de la sculpture de Jésus crucifié, isolé du public par une
clôture.
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Eric Médéda, les chaînes difficilement surmontables de l'Afrique |
Visiblement, l’esclave,
qui n’était personne d’autre que l’artiste peintre et performeur Eric Médéda, tentait
de se défaire des chaînes qui entravaient son cou. En vain. Son expression
faciale libérait une souffrance apparemment insupportable. Brusquement surgit
un autre personnage à l’habillement assorti, dont les actes allaient l’imposer
comme le bourreau du premier ; il jeta aux pieds de sa victime une
pancarte blanche sur laquelle était écrit, en rouge : « Plus besoin
de liberté ». A la vue du nouveau venu, l’agitation de l’esclave
augmenta ; il s’accrochait aux chaînes qui lui servaient de collier comme
pour s’en libérer. Dans ses va-et-vient, il tomba, dos au sol, face à son
bourreau qui en profita pour manifester sa domination en lui posant lourdement
chaussé sur la poitrine et martela : « Plus besoin de
liberté ! », ce que l’esclave répétait chaque fois que l’autre
scandait la phrase du déni de liberté.
Ainsi, le maltraité donnait l’impression
de se comporter de cette manière dans le but de voir ses souffrances s’amoindrir,
ce qui ne se réalisait pas.
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Le périple douloureux de l'esclave, l'Afrique, vers une destination de jouissance par et pour l'Oocident |
Le contremaître, alors, contraignit sa victime à se
mettre sur ses pieds, d’où le début de son golgotha, lui qu’il tirait par la
chaîne, comme un chien en laisse, le provoquant par des mots cruels :
« C’est ça, l’indépendance ! ». Comme si la souffrance était le
prix de la situation d’autonomie tant convoitée. L’esclave était si secoué qu’à
l’’entrée de la place du Place du Calvaire d’où il sortait, il tomba, un peu
comme Jésus-Christ. Et, l’artiste, performeur aussi, Prince Toffa, dans son
rôle noir de l’impitoyable contremaître, arrachait régulièrement à celui-ci un
douloureux et pathétique « Haaa ! ».
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''Le parking'', le Golgotha artistique, lieu de synthèse et non de crucifixion |
De façon, il emmena son esclave, cahin-caha,
dans une perturbation circonstancielle de la circulation, chemin, dans un
espace culturel qui, depuis plusieurs mois, au cœur du quartier de Fidjrossè, développe
une émulation artistique : ’’Le parking’’. S’imposa alors un débriefing de
la performance-spectacle.
Décryptage d’un film de
calvaire
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Les artistes Médéda et Toffa, à l'heure de l'analyse de la performance avec le public |
En fond sonore, une
séquence de flûte d’un morceau de John Arcadius. Et, Eric Médéda, assis, à ses
aises, malgré une lassitude bien perceptible dans ses crache : « Si
tu ne sais pas où tu vas, tu dois savoir d’où tu viens », introduit-il
avant de questionner le public qui s’est spontanément suivi dans son parcours
golgothique typiquement de Fidjrossè : « L’histoire de notre pays
est-elle l’histoire de l’esclavage ou est-ce l’histoire connue ou celle que
nous a racontée le colon ? ». Sans attendre de réponse, il dénonce : « Dans nos
administrations, nous sommes un bon nombre de Noirs bien payés qui empêchent un
bon nombre de Noirs d’évoluer dans leurs activités ; l’hôpital de
référence n’en est plus un, tu y vas pour souffrir, de même que dans la maison
’’Justice’’, à cause de l’argent ». Puis, partiellement, il conclut :
« Nous avons 58 ans d’indépendance,
mais ce ne sont pas 58 ans de
liberté ; nous n’avons plus besoin d’indépendance, nous avons plus besoin
de liberté ». En outre, il livre une sorte de verdict : « Que
l’esclave, dans sa chaîne, se batte pour le bien-être de son
pays ! ».
1 appelle toujours 2
Le 1er août
2018, l’artiste béninois Eric Médéda, plus connu comme peintre, a effectué une
performance déambulatoire aux contours d’un pathétisme aigu, étant donné le
réalisme avec lequel, devenu, pour la circonstance, un bon acteur, il a incarné
le rôle de l’esclave. Et, de son côté, l’autre artiste, Prince Toffa, en
prenant au sérieux sa posture de contremaître cynique, a donné au parcours d’Eric
Médéda une allure de la marche du Christ vers le Golgotha, le lieu de sa crucifixion.
Contrairement au fils de Dieu, le jeune performeur a abouti à un discours
amenant la population à réfléchir sur le sens et sur la portée des
indépendances africaines : « La situation d’esclavage profite à tout
le monde pour effectuer tous les types de dépenses, alors nous dépendons tous
de l’esclavage ; l’Occident est esclave de l’Afrique et l’Afrique est
esclave de l’Occident : […] l’escroquerie aussi a pour base l’esclavage ».
Devant un propos aussi
politique, Eric Médéda donne l’impression de ne pas se cantonner à des
performances de moindre impact, lui qui, en matière de démonstration publique,
n’en est pas à sa première expérience, s’étant illustré, aussi, couvert de
chaînes, dans une performance esclavagiste qui avait fait sensation, dans la soirée
du samedi 3 octobre 2015, lors de la troisième édition de la ’’Nuit blanche’’,
initiée par l’Institut français de Cotonou, avec une déambulation intitulée ’’A
qui la liberté ?’’, ce qui lui avait permis de dénoncer l’oppression de la
liberté par les lois, la famille, le mariage et la religion.
De son côté, Prince
Toffa a apporté une contribution essentielle à l’expressivité de la performance,
jouant le rôle de l’esclavagiste à qui le rudoiement, la maltraitance de sa
victime ne faisaient pas froid aux yeux, incarnant, sûrement, l’Occident, l’ancienne
puissance colonisatrice, selon le pays africain concerné, une entité politique
qui, tout en chargeant de souffrances celui-ci, ne s’embarrasse pas de jouir de
ses richesses de tous ordres, d’où la scène du ’’toffi’’, mis en chaîne, mélangé
aux chaînes de l’esclave, et qu’il détachait allègrement comme si celui qu’il
faisait souffrir n’était pas un être humain. D’ailleurs, il poussait le cynisme
jusqu’à inviter le public à venir cueillir, comme lui, le ’’toffi’’, au cou de
l’esclave. En outre, apparemment, c'est volontairement qu'Eric Médéda n'est pas recouru à un homme de peau blanche pour incarner le rôle du dominateur, surtout que, depuis que les indépendances sont intervenues, l'Occident passe par le Noir pour garantir ses intérêts en Afrique, pour appauvrir, chaque jour, davantage, ce continent.
Avec ce courage de
création et de jeu, Eric Médéda semble vouloir marcher dans les pas de
déambulateurs artistiques béninois de poids et d’influence, tels que Meschac
Gaba, Dominique Zinkpè et, notamment, le metteur en scène Alougbine Dine. La verve,
qu’il développe actuellement, davantage structurée et aboutie, l’y aidera et le
déploiera plus loin et plus haut.
Marcel Kpogodo