lundi 8 septembre 2025

Mélinda Fourn-Houngbo et Charly d'Almeida, une nouvelle démarche artistique

Dans le cadre de l’exposition, ’’Et même les restes’’

L’Espace Culturel Le Centre a accueilli le vernissage de l’exposition, ’’Et même les restes’’. Mélinda Fourn-Houngbo et Charly d'Almeida en sont les deux artistes exposants.L'événement s’est tenu le vendredi 29 août 2025 au quartier de Lobozounkpa. Il se situe à Godomey, dans la commune d’Abomey-Calavi, au Bénin. Les œuvres exposées révèlent une démarche artistique originale et résolument expérimentale.


De gauche à droite, Mélinda Fourn-Houngbo, Berthold Hinkati et Charly d'Almeida, au vernissage de l'exposition, ''Et même les restes''


Des arêtes de poisson et des spatules comme matériaux principaux de création. La marque d’une nouvelle approche artistique dans laquelle s’inscrivent les artistes contemporains béninois, Charly d'Almeida et Mélinda Fourn-Houngbo, qu’ils ont présentée au début de la soirée du vendredi 29 août 2025, lors du vernissage de l’exposition collective, ’’Et même les restes’’, qui s’est déroulé à l’Espace Culturel Le Centre, sis quartier de Lobozounkpa, dans l’arrondissement de Godomey, de la commune d’Abomey-Calavi, au Bénin.

L’événement est l’aboutissement d’une résidence de recherche. Elle a duré trois semaines. L’un des résidents est Charly d'Almeida. Il est reconnu pour ses sculptures singulières en métal battu. Pour la résidence concernée, il a choisi de travailler avec des arêtes de poisson. « C'est la suite d’un travail que j'avais déjà amorcé auparavant », intervenait-il. « Je l’ai approfondie durant ces trois semaines de résidence au Centre », a-t-il continué. « Elle consiste à récupérer des arêtes de poisson pour incarner la résilience », précisait-il. Selon Steven Coffi Adjaï, curateur, les toiles exposées traduisent parfaitement cette recherche. Certaines œuvres, comme « Les restes », une série de trois tableaux, en témoignent. Le visiteur y découvre la tête du poisson et son squelette. Le corps absent symbolise l’animal disparu et la vanité de l’existence. « Le poisson, même pollué, cherche sa nourriture, c’est la résilience », commente-t-il. Charly d'Almeida présente surtout des toiles peintes à l’huile, travaillées au couteau. Les couleurs dominantes sont le rouge, le vert, le bleu et le noir. La technique utilisée permet de donner un relief fossile aux compositions exposées. Ces œuvres traduisent la persistance du vivant dans les traces et la matière. Elles prolongent un travail plus ancien désormais revisité avec une intensité nouvelle.



Entre mémoire et héritage


Mélinda Fourn-Houngbo était la co-résidente de Charly d’Almeida. Elle a choisi les spatules comme matériau central d’expression. Elle s’inspire de techniques artisanales ouest-africaines. Il s’agit du tissage et de la céramique. Ses sources en sont des souvenirs d’enfance et la découverte d’un musée. Sa visite de l’Espace Culturel Le Centre a également orienté sa démarche. « Le choix vient de ma première visite au Musée de la Récade », confie-t-elle. L’un des espaces d’exposition fait apercevoir neuf spatules en bois. Elles sont recouvertes de cendre ou brûlées puis associées à du métal. « Sur ces neuf spatules, j’ai entrelacé, collé et cloué du métal ». La série s’en intitule ’’Et même des restes il peut en sortir’’. La technique, proche du tissage, accentue la matérialité brute de ces objets. À côté, l’artiste propose aussi des écrits sur parchemin en plusieurs langues. On y lit des textes en fon, en français et en espagnol. L’œuvre, ’’Un jour je foulerai ta terre’’, illustre cette exploration intime. Elle est placée près de l’installation, ’’Réveille ma mémoire’’. Elle rend hommage à la famille. À travers ce poème adressé à sa grand-mère, l’artiste célèbre sa filiation.



Réception enthousiaste du public


Berthold Hinkati, Directeur de L'Espace Culturel Le Centre, s’est prononcé sur la réaction des visiteurs. « L’intérêt du public s’est porté fortement sur l’approche originale des deux résidents », a-t-il affirmé. Pour lui, Charly d’Almeida redonne vie aux arêtes, Mélinda Fourn-Houngbo, aux spatules ancestrales. Chacun réinvente ainsi des matières oubliées et les transforme en un outil de langage plastique.


Aperçu du public ayant fait le déplacement du vernissage

Leurs œuvres conjuguent mémoire, identité et renouvellement des formes artistiques locales. Présente, Lassissi Yassine, directrice des Arts visuels à l’Agence de Développement des arts et de la culture (Adac), a salué la rencontre des deux univers créatifs. Elle en a manifesté son grand enthousiasme. « C’est une joie de voir Charly, artiste confirmé, et, Mélinda, artiste émergente », partageait-elle. Elle a souligné leur regard croisé sur la mémoire, le patrimoine et la transmission. « Deux générations dialoguent, chacune offrant un prisme singulier mais complémentaire ». Elle s’est aussi réjouie de la participation active des jeunes à des ateliers.



Transmission et ateliers avec les jeunes


Durant la résidence, deux ateliers ont été animés pour initier des enfants. Charly d'Almeida a conduit le premier, produisant un tableau « Sans titre ». « Certains enfants hésitaient, mais ont trouvé un déclic créatif surprenant », raconte-t-il. « Leurs gestes rappelaient parfois ceux d’adultes confirmés dans la pratique ». L’artiste est persuadé que certains deviendront créateurs dans les prochaines décennies. Mélinda Fourn-Houngbo a guidé la production de deux œuvres collectives avec eux. La première, ’’Au milieu des rangées de perles’’, est un rideau enfilé. Elle associe bambou et noix de palme, révélant textures et odeurs naturelles. La seconde, ’’Réveille la mémoire’’, est une installation à partir de déchets. Des sachets d’eau, des tissus et des bassines brisées ont été recyclés en une œuvre participative. Trois tabourets entourent l’installation, évoquant l’espace intime de la cuisine. Sur le côté gauche, un petit fourneau diffuse l’odeur de la citronnelle. L’artiste insiste sur l’importance du caractère mouvant et sensoriel des œuvres. « Une œuvre vit et se transforme, comme le bambou qui se durcit », explique-t-elle. Pour elle, récupérer et transformer l’environnement sont un geste artistique fondateur. Selon Lassissi Yassine, cette démarche prolonge une logique de transmission essentielle. Elle rappelle l’exposition, ’’Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui’’, organisée en 2021. Une section y était dédiée à la jeune création et aux ateliers pratiques. « Ces expériences permettent d’ancrer la pratique artistique dans la jeunesse ». La résidence des deux artistes s’inscrivait donc dans cette continuité féconde.

Les trois œuvres produites avec les jeunes sont à découvrir à l’Espace Culturel Le Centre. De même, l’exposition, ’’Et même les restes’’, est ouverte jusqu’au 31 octobre 2025.

Léandre Houan




Encadré

Acteurs artistiques et visiteurs parlent de l'exposition, ’’Et même les restes’’

À la fin du vernissage de l'exposition, ’’Et même les restes’’, ''Stars du Bénin'' s'est rapproché de trois visiteurs. L'objectif était d'obtenir leur opinion sur l'événement.


Yassine Lassissi, Directrice des Arts visuels à l'Agence de Développement des arts et de la culture (Adac) du Bénin :

« C'est une joie de découvrir les deux artistes, un majeur qui est Charly, un artiste ancré au Bénin, et, l'autre, émergente, qui est Mélinda Fourn-Houngbo, une jeune femme franco-béninoise. Charly a pris le parti de présenter des peintures. Mélinda nous propose des sculptures réalisées à partir de spatules. Je pense qu'il y a une diversité, vous l'aurez compris, dans la création, les propositions artistiques que nous offrent ces artistes. Ces deux artistes ont un regard croisé et c'est cela que je trouve très intéressant.


Yassine Lassissi, au milieu de Berthold Hinkati et de Mélinda Fourn-Houngbo

Charly, je connais ses toiles depuis quelques années. Cela faisait un moment que je ne l'avais plus revu peintre, même s'il continuait de réaliser des peitures. C'est plutôt ses sculptures qui ont pris le pas, ces dernières années. Et, le voir, ici, revenir à la peinture, c'est assez intéressant. En plus, je trouve la thématique très pertinente puisque le titre de l'exposition est ’’Et même les restes’’.

Ici, l'artiste prend le parti de travailler les arêtes de poisson et, comme je lui demandais ce que cela évoquait pour lui, il a parlé de résilience. Quand j'ai vu ses toiles, tout de suite, ce qui m'est venu à l'esprit, c'est cette question du temps qui passe, de la vanité, du côté éphémère de la vie, de ce rappel que nous partirons tous un jour et que ce qui resterait, effectivement, c’est tout cela. C'est un sujet profond. Il mérite tout une dissertation philosophique autour de la vanité : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Par rapport à cette technique utilisée par l'artiste, on sent beaucoup de dynamisme dans sa peinture au couteau. Je suis particulièrement sensible au bleu parce que cette couleur me parle beaucoup. Donc, oui, je trouve cette nouvelle proposition de Charly très intéressante. Concernant Mélinda Fourn-Houngbo, je découvre son travail. Je ne la connaissais pas. Je suis ravie d'avoir remarqué son univers. Elle a pris le parti de travailler sur les spatules. C'est un objet qu'elle retrouve chez elle, à la maison ; sa mère l'utilisait. Elle se l'est approprié pour réaliser des sculptures. Ce qui m'a le plus marqué, c'est le rôle de la spatule : elle sert à cuisiner la pâte, donc, à nourrir. L'autre travail intéressant de l'artiste, c'est la peinture sur des parchemins. Ce choix rappelle une dimension ancienne de l'écriture. Nous avons quelque chose que j'espère qu'elle développera.

En voyant ces écritures de Mélinda Fourn-Houngbo, cela m'a posé la question de la mémoire. Ses parents sont béninois. Elle revient au Bénin. Il est intéressant qu'elle creuse cette question du retour. Le retour des siens mais aussi celui des Afro-descendants liés à notre histoire. Cela est d'actualité, surtout que le Bénin œuvre pour leur retour chez eux. Je lui ai demandé d'aller visiter Ouidah si elle ne l’a pas encore fait, de rencontrer également Ludovic Fadaïro qui en a fait un travail remarquable. Cet artiste majeur lui apportera beaucoup à ce propos.

Les deux artistes exposants ont aussi tenu un atelier avec des jeunes.

Cette initiative, comme vous le savez, est très importante dans la question de la transmission. Qu'il vous souvienne, lorsqu'on a organisé l'exposition, “Art du Bénin d'hier et d'aujourd'hui”, à la présidence de la République du Bénin, on avait une section dédiée à la jeune création, aux jeunes artistes, pour la transmission. On faisait des ateliers de pratique artistique initiés par des artistes qui se sont portés volontaires pour accompagner cette jeunesse dans la création et pour les initier à l'art.

Donc, cela est fondamental et salutaire à l'endroit de ces deux artistes qui ont partagé leur temps avec ces jeunes. Puisque ces jeunes deviendront les grands de demain, il faut les initier très tôt à la création artistique. Je suis très sensible à cela. Par ailleurs, on a également cette transmission qu'on va retrouver entre un artiste majeur et une artiste plus jeune qui est Mélinda.

C'est le lieu pour moi de remercier l'Espace Culturel Le Centre pour ce qu'il fait depuis plusieurs années : accompagner les artistes, les révéler et transmettre également. En effet, il implique la jeunesse dans les résidences artistiques des aînés à travers des ateliers pour la sensibiliser à la création artistique. Donc, vraiment, je salue ce travail formidable que fait Le Centre. Nous sommes partenaires également. Il reçoit des artistes en résidence que l'Adac pourrait proposer. Il nous a accompagnés dans le cadre du Mur du Port où nous avons mis des artistes en résidence chez lui où la directrice artistique les a accompagnés vraiment sur la technique du muralisme. C'est un partenaire important dont il faut saluer le travail, un travail qui s'inscrit pleinement dans la politique du gouvernement béninois qui, depuis 2016, a décidé de faire des arts, de la culture et du tourisme un levier de développement économique du Bénin ».



Steven Coffi Adjaï, Curateur de la ’’Gallery Charly’’ :

« Le poisson est revenu dans les œuvres de Charly d’Almeida dès 1992-1993. Cet animal, il l’a toujours associé à deux symboliques : la quête et l’abondance. Pendant au moins vingt ans, le poisson a continué d’habiter essentiellement ses peintures. Mais, dans le cadre de la recherche qu’il a menée à l’Espace Culturel Le Centre, le poisson a été utilisé comme prétexte pour aborder la notion de vanité. Il s’interroge : ’’quand l’animal poisson disparaîtra du monde, qu’est-ce qui restera ?’’.

En réalité, les poissons représentés dans les tableaux exposés, dans ’’Et même les restes’’, sont dépouillés, presqu’autopsiés. Charly d’Almeida en a extrait leur squelette. C’est également une métaphore de l’humanité : que restera-t-il de nous, humains, lorsque nous ne serons plus là ?

L’artiste associe aussi à cette démarche la notion de survivance et de résilience. Pour lui, le poisson, même dans un environnement pollué, parvient toujours à chercher sa nourriture. C’est un animal d’une grande résilience. Toutes ces réflexions ont nourri sa recherche intitulée, ’’Et même les restes’’. L’idée est que, même à partir de ce qui n’est que déchet ou rebut, la vie peut continuer. C’est une forme de renaissance, une invitation à brûler, à mourir puis à renaître à travers nos ossements.

Dans ses premières œuvres, les poissons étaient habillés : on voyait leur morphologie. Parfois, un squelette apparaissait en filigrane. Mais, les œuvres issues de cette résidence dévoilent clairement leur squelette. À un moment donné, Charly n’avait pas voulu « déshabiller » ses poissons, mais, ici, il a pris ce risque. Il parle d’un processus dont une des étapes s’est matérialisée dans ce projet mais ce n’est pas une fin en soi. Il va poursuivre cette recherche, peut-être en donnant une nouvelle apparence aux poissons, en rendant leurs ossements plus réalistes. C’est un processus entamé dans les années 1990 et qu’il continue d’approfondir. Ces œuvres en sont une conséquence tangible. »

Pour le lien entre Charly d’Almeida et Mélinda Fourn-Houngbo, à l’origine, nous avons discuté avec Charly du projet qu’il souhaitait développer à l'Espace Culturel Le Centre. Il apparaissait urgent pour lui d’approfondir sa quête autour du poisson. Nous avons alors mené une recherche sur les mythes et les légendes liés à cet animal dans certaines communautés béninoises, notamment, chez les Xwla et les Toffin. Quant à Mélinda, connaissant déjà son travail grâce aux recherches que j’ai effectuées sur son œuvre, j’ai souhaité que le poisson, utilisé par Charly comme prétexte, soit relié à une problématique mémorielle, d’où la thématique des restes. Et, quand on parle de restes, il s’agit de travailler avec ce qui a déjà existé pour continuer à écrire l’histoire. Dans ses sculptures, Charly assemble différentes temporalités. C’est ce processus qu’il poursuit dans cette recherche : mémoire, souvenirs, survivance, reste ».



Grâce Blessing Zannou, jeune participante à la résidence artistique des deux artistes, élève en 4ᵉ :

« J’étais heureuse parce que je ne savais pas comment préparer les couleurs primaires. M. Charly nous en a donné quelques-unes et nous a appris, par exemple, le blanc, le noir, le rouge, le jaune et le bleu.

Grâce Blessing Zannou

Nous avons également mélangé les couleurs. Par exemple, le rouge et le blanc donnent le rose. J’aime vraiment les couleurs et j’avais envie de savoir comment les préparer. Ils nous ont aidés à faire de jolis dessins. C’était vraiment bien. J’étais aussi contente parce que j’ai dessiné et je suis allée montrer mon travail à mes parents qui étaient heureux également ».



Durand Lafounlou, visiteur devant un tableau de Charly d’Almeida :

« Première chose : j’ai été totalement charmé par la beauté des tableaux. Ils reflètent véritablement le thème donné à cette exposition. L’artiste utilise un matériau original : l’arête de poisson. Sur ce tableau, devant lequel je me tiens, on distingue tout le squelette du poisson, avec la tête bien visible. On remarque également des flèches que l’artiste a dessinées et qui, selon ses explications, symbolisent le sens, l’orientation que chacun donne à sa vie. Les arêtes de poisson expriment aussi l’idée de résistance car, même après des années sous terre, elles subsistent.


Durand Lafounlou

Trois éléments m’ont profondément touché : la symbolique de l’arête comme métaphore de la persistance et de la résistance, le message de liberté et d’orientation personnelle suggéré par les flèches et l’esthétique du tableau. Un très bel agencement de couleurs s’en dégage : du noir, du rouge, du vert, du bordeaux, du blanc et quelques touches de bleu. Ce ne sont pas des teintes faciles à marier mais l’artiste réussit avec magie à les réunir pour offrir une image harmonieuse et agréable à contempler ».

Propos recueillis par Léandre Houan

vendredi 22 août 2025

Le vieux caïman divertit la population de Lobozounkpa

Dans le cadre d’un spectacle à l’Espace Culturel Le Centre


David Houétchénou est un artiste humoriste originaire du Bénin. Son pseudonyme est Le vieux caïman. Il a animé un spectacle de fou-rire. L’événement s’est tenu dans la soirée du samedi 26 juillet 2025. L’Espace Culturel Le Centre en était le lieu de déroulement. La population du quartier de Lobozounkpa et de ses environs y a massivement participé. Les sketchs de l’humoriste, tous thèmes confondus, ont amusé le public.


Aperçu du public, au cours du spectacle du Vieux caïman

Une chanson, à la gloire de l’alcool, dans une langue nationale du Bénin. Le préambule qu’a offert David Houétchénou, alias Le vieux caïman, humoriste béninois, lors du spectacle de fou-rire, qu’il a donné dans la soirée du samedi 26 juillet 2025 sur la terrasse lui servant de scène, à la devanture du ’’Musée de la Récade’’, situé au sein de L’Espace Culturel Le Centre, du quartier de Lobozounkpa, dans l’arrondissement de Godomey, de la commune d’Abomey-Calavi, au Bénin.

Il est debout, les cheveux et la moustache teints, les pieds nus. Il mène la chorale circonstancielle. Le public tape des mains, rit déjà et la soirée débute vraiment. L’artiste partage la scène avec six de ses collègues, dynamiques. Ce sont Biscotino, Général Barboza, Ipupa Capacité Zéro, Papisac 17, Tanti Hokloho et Adonest Tina la marquise. A l’état-civil, il y a, respectivement, Biscotin Raphaël Azon, d’abord. Ensuite, Abdel Bassith Barboza, Alexandre Hounga, Isac Tossiafodji, Germaine Akpovo et Ernestine Adomou incarnent des rôles. Le premier tableau s’inspire de l’ivresse et de ses situations extraordinaires.

« Y a-t-il des soulards ici ce soir ? », demande-t-il. « Non ! », répond la foule, amusée mais prudente dans ses réponses. « Y a-t-il des personnes qui aiment s’enivrer ici ? », insiste-t-il. Il s’approche d’une spectatrice : « Grande sœur, aimez-vous vous soûler ? ». Elle répond par la négative. « Merci », reprend-il. Un autre avoue timidement : « Je consomme de l’alcool modérément ».

Le vieux caïman conclut : « Il faut avoir suivi une formation pour se soûler ». Il raconte ensuite : « Un jour, j’ai tellement bu que j’ai perdu mon portable. Je l’ai cherché pendant deux heures avec sa propre lampe-torche ». Rires immédiats. Il reprend : « Après neuf bières, on m’a aidé à monter sur ma moto. Arrivé chez moi, je croyais la pousser mais je restais immobile. Ma femme dormait quand la moto est tombée sur moi. Les voisins sont venus m’aider après qu’elle les a appelés. En titubant, j’ai dit à mes enfants que la mort venait. Le lendemain, plus lucide, … j’ai recommencé. » Fou rire général. « Les ivrognes sont très intelligents … Du moins, ils le croient », poursuit-il.

Il parle ensuite de son frère, « professeur d’alcoolisme », dans le quartier. Ses motos ont un nom insolite. La première s’appelle ’’Akpô yé ton’’. Cela signifie « La souffrance des envieux », en langue du fon. La deuxième porte le nom, ’’Agbon nan kpéyéé’’. Cela signifie, dans la même langue béninoise, « Ils seront fatigués ». Les deux engins ont été volés. La troisième se nomme ’’Migbô’’. Cela veut dire « Cessez ! », dans la même langue évoquée précédemment. Elle est restée intacte à son domicile. L’artiste établit ainsi un lien entre le banditisme et l’ivrognerie chez les jeunes . Ces scènes montrent, avec humour, les conséquences inattendues de l’alcoolisme. Le vieux caïman se retire après des plaisanteries sur la foi et les prénoms. Il revient ensuite et joue une pièce en quatre actes.



Une grande leçon


La soirée continue avec une pièce de théâtre. Le vieux caïman la joue avec quatre de ses acolytes. Ce sont Adonest Tina la marquise, Papisac 17 et Tanti Hokloho. La scène s’ouvre sur des éclats de voix hors champ : « Si on ne réagit pas à vos commérages, vous manquez de respect ! ». La dispute se poursuit : « Continuez et je vous lancerai des cailloux dans cette maison ! ». Il entre du côté droit, vêtu d’un pantalon local et d’un T-shirt gris. À ses côtés se trouve son ami, Papisac 17, témoin des événements qui vont suivre. L’intrigue met en scène un mari autoritaire mais dominé par son épouse. Celle-ci, paresseuse, capricieuse, maltraite sa domestique. La servante, rusée et belle, séduit le mari pour se venger. Mensonges, manipulations et attitudes suggestives détruisent rapidement le couple. « Mesdames, vous êtes les maîtresses de votre foyer », prévient l’humoriste. « N’en laissez pas la gestion aux domestiques, elles peuvent prendre votre place ».

La pièce concernée a une histoire particulière. « Je l’ai écrite en 2008 et elle a remporté le premier prix au Festival ’’Ayessi’’, le 10 octobre 2010, au Hall des Arts, à Cotonou », précise-t-il.



’’Nukiko kèdè’’, rire pour se guérir

Pour Berthold Hinkati, directeur de l’Espace Culturel Le Centre, le spectacle d’humour répondait à un besoin. « Il vise les professionnels stressés et tous ceux qui veulent se détendre ». Il s’agit de l’initiative, ’’Nukiko kèdè’’. Elle a vu le jour en 2024.


En blanc, Berthold Hinkati, entouré par Le vieux caïman, à sa gauche, et ses acteurs 

Elle s’organise régulièrement et appartient à la programmation de l'Espace. Le spectacle dure d’une heure trente à deux, selon les artistes invités. Certains, bien connus, y sont passés. Il s’agit de Chromozom, Dragomir et d’Éléphant mouillé. L’annonce de la date du rendez-vous se fait souvent sur la page ’’Facebook’’ de l'institution. Le vieux caïman apprécie particulièrement cette initiative. « Avant, il y avait des salles de spectacles », justifie-t-il. « Aujourd’hui, beaucoup d’événements se tiennent dans des bars », continue-t-il. « Cela encourage l’alcoolisme. Ici, nous avons un divertissement sain », conclut-il. Il quitte sereinement la scène.

Léandre Houan / Marcel Kpogodo