samedi 28 novembre 2020

Opération réussie pour Eric Médéda, Marius Dansou et François Aziangué

Dans le cadre du projet d’ouverture des portes de leurs ateliers


De plus en plus, les artistes plasticiens ouvrent au public leur atelier de travail, leur espace de création, considéré comme mythique. Ainsi, les 7 et 8 novembre 2020, au quartier de Fidjrossè, à Cotonou, une opération de découverte de ce genre de site s’est opérée, embarquant dans un processus d’expression d’une qualité essentielle, la générosité, de la part d’Eric Médéda, de Marius Dansou et de François Aziangué …


Marius Dansou, dans ses explications ...    


Un véritable sens de professionnalisme. La tendance commune qui s’est dégagée de l’ouverture de leurs ateliers respectifs au public par les artistes plasticiens Eric Médéda, Marius Dansou et François Aziangué, les samedi 7 et dimanche 8 novembre 2020, tous, dans le quartier de Fidjrossè à Cotonou, de  10 à 18 heures.


D’abord, le samedi 7 novembre 2020, dans les environs de dix heures du matin, en venant du quartier de Houéyiho de Cotonou comme pour se rendre à un point reconnu de Fidjrossè : le ’’Calvaire’’. A l’entrée de la dernière rue à gauche avant cette étape, le prolongement de la première maison à droite s’ouvre sur un portail ordinaire qui, lorsqu’on l’ouvre, débouche sur une grande cour limitée par un mur, de part et d’autre, illuminé de tableaux d’art. Le temps de la contemplation des œuvres, Eric Médéda, armé de sa longue barbe soignée, fait son apparition, un grand rire accueillant à la bouche, orientant vers les trois compartiments successifs des ’’Ateliers Médéda’’, à commencer par la grande cour indiquée, une sorte de séjour qui fait office d’une salle d’exposition dans laquelle des toiles font clignoter leurs messages et attirent, frappent l’œil : des fonds noirs pour des tableaux blancs et des fonds blancs pour des toiles blanches. La substance du système ’’Médéda’’.

Eric Médéda

Selon l’artiste, l’espace concerné est capable d’abriter des causeries, des résidences de création et toutes les sortes d’activités dont les artistes et, notamment, les acteurs culturels sont à l’origine de l’initiative. Et, le cadre aménagé par Eric Médéda comporte une petite zone sableuse qui intrigue. « A certains moments, j’éprouve la nécessité d’être en contact avec la terre quand je travaille », s’en justifie le performeur qui, dans une allure qui rendent intraçables les influences de l’artiste, lui permettant de créer, a profité de l’opportunité de l’ouverture de son atelier au public pour donner des précisions sur sa démarche de travail.


A l’en croire, cette démarche se focalise sur l’humain et, dans le cas d’espèce, le confinement lié à la lutte contre la propagation du coronavirus lui a inspiré le fond noir des tableaux présentés au public au cours de la visite, ce fond noir dont il justifie la motivation. « Je décris les hommes face à eux-mêmes », explique-t-il, tout en précisant : « Le confinement total s’est présenté comme une occasion pour les artistes de révéler le nouveau monde ».


Quant au fond blanc, il se trouve assigner une fonction toute différente : « Il symbolise la conscience de l’humain face à la pandémie ; il s’agit pour moi de manifester ce qui n’est pas clarifié, l’inconscient face à cette pandémie. Pour moi, le fond blanc indique le neutre ». Cette clarification faite, le jaune, une autre couleur forte de ses toiles, se justifie aisément : « Puisque les vies dépendent les unes des autres, j’indique par ce choix de couleur cette dépendance que les êtres humains entretiennent les uns par rapport aux autres ». Dans de telles conditions, l’artiste valorise toute initiative prenant ses marques dans la mondialisation plutôt que dans l’individualisme. « Il faut une véritable complémentarité pour vaincre le coronavirus, le mal que nous avons en face ». Pour lui, cet objectif lui est inspiré de celui qui est lié au développement mondial, ce qui ne le fait pas dormir sur ses lauriers, ordonnant un questionnement : « Que ferons-nous après la pandémie ? Quel positif pouvons-nous en tirer pour améliorer notre vécu de tous les jours ? ».


En outre, les visiteurs désireux de satisfaire leur curiosité de l’identité de l’espace culturel qu’il est désormais convenu d’appeler ’’Les Ateliers Médéda’’, ont se repaître de toiles de l’artiste produites en 2017 et en 2018, notamment, elles qui ont été exposées dans un environnement particulièrement aménagé, propre et spacieux. « Cet espace favorise la liberté de circuler autour de l’œuvre », en commente l’un de ces visiteurs, prestigieux et reconnu, célèbre, fin connaisseur des réalités techniques d’une exposition, Ludovic Fadaïro, qui n’a pas manqué de proposer sa lecture du fond noir qu’a adopté Eric Médéda pour certains de ses tableaux : « La lumière se trouve dans le noir ; il faut la percer pour sortir de l’ignorance ».


Désormais, les ’’Ateliers Médéda’’ existent et il ne reste que les initiatives d’animation de la part d’Eric Médéda de même que les demandes d’exploitation des lieux par ses collègues pour donner vie, fonctionnement, animation et rayonnement à ces ’’Ateliers’’.


Univers diamétralement différent. Un changement de décor. De Fidjrossè ’’Calvaire’’ à Fidjrossè Akogbato, dans les environs de la ’’Nouvelle pharmacie Akogbato’’, non loin aussi du terrain de sport, clôturé de la zone.


« On est plus le fils de son époque que le fils de son père ». Le propos percutant, irrésistible d’origine sud-africaine, le proverbe identificatif qui accroche par la droite dès l’entrée dans l’atelier bien que ce soit la gauche qui, par sa présentation extérieure, fait savoir qu’il s’agit d’un atelier. Dans le milieu de la matinée ensoleillée du samedi 8 novembre 2020, il accueille, accueille, accueille …


 

Marius Dansou, la générosité artistique incommensurable


Partout, cela respire le travail de l’art qui l’identifie, qu’il exerce, celui sur le fer, ce qui fait qu’à gauche, avec l’entrée principale, tout le long, le visiteur se trouve comme chez un forgeron ou chez un mécanicien ou chez un menuisier ou chez 1es trois à la fois. L’espace est couvert et bien ordonné, des outils de travail s’alignent, répartis dans des cadres au mur, selon leur catégorie. Un établi impose sa longueur, Alors, l’atelier s’allonge jusqu’à un mur de fin.


Au niveau du compartiment droit, la pensée évoquée précédemment trône : « On est plus le fils de son époque que le fils de son père ». Un couloir longe la maison et mène à l’arrière où se trouvent des œuvres achevées. Découvert et visite comme à une exposition !

Marius Dansou, dans le décryptage de son inspiration sur les cranes 

Et, l’exploration se poursuit. Entrée dans une salle de séjour. Le décor ordinaire propre à un tel endroit mais la profession artistique du propriétaire des lieux fait la différence : une toile de petite dimension orne le haut d’un mur de fin d’angle. Il y est représenté un crâne de celui, explique Marius Dansou, d’un président africain crucifiant les populations de son pays par une certaine longévité au pouvoir, qui est improductive de développement. Comme s’il s’agit d’un  autel, la toile se prolonge vers le bas du mur avec une installation scripturale indicative : « Naissance – Existence – Prolongation ». Un « work in progress », à en croire l’artiste sculpteur sur fer exerçant parallèlement comme performeur vidéaste. L’annonce de la troisième saison de l’exposition de Marius Dansou sur les chefs d’Etat africains. Le mur longeant le couloir menant aux chambres laisse voir quatre autres toiles du même genre. 


Et, à l’intérieur de la pièce à laquelle donne accès une porte à gauche s’exprime tout un dispositif audiovisuel de dénonciation de la longévité délétère des présidents africains au pouvoir. La patience devient alors une qualité essentielle aux fins de toute lecture efficace : il s’agit de suivre la calcination progressive du crane jusqu’à ce qu’il devienne cendre. D’un autre côté, selon une autre image, un crane de glace fond goutte à goutte. Les deux processus sont l’expression de la vanité humaine essentielle qui devrait amener l’être humain de chef d’Etat africain à prendre conscience de ses limites physiques que le temps lui-même a prévues.


Par ailleurs, au plafond, du couloir au séjour, de petites photos d’identité sont collées, dans une présentation de la performance, ’’Identité’’. Elles sont celles, selon l’artiste, de ses relations depuis un certain nombre d’années.


Finalement, l’art accapare Marius Dansou, son corps, son esprit, son âme, son espace, son plafond, son habitat, ce que son atelier ouvert a permis de découvrir, un atelier qui se démultiplie dans un espace extérieur ouvert, dans son séjour, dans ses compartiments intérieurs, dans toute son intimité, d’où une générosité sans limites face à l’art : des traces de grands qu’il suit inexorablement.


Cet état d’esprit s’exprime différemment ailleurs selon un tout autre type de personnalité, toujours au quartier d’Akogbato, mais à sa sortie, à l’ouest de Cotonou, à Fidjrossè Kpota …


 

François Aziangué


Des sculptures effilées et scintillantes de femmes meublent ce nouvel univers d’atelier, qui appartient à ce soudeur à la base, qui se construit en un sculpteur sur fer, une pratique qu’il fonde sur la récupération de voitures abandonnées, des réservoirs de véhicules et de vieilles bassines, celles d’un certaine époque ! Contrairement à Eric Médéda dont l’espace de conception de l’atelier se définit peu, chez François Aziangué, il est nettement séparé d’un autre compartiment qui lui sert à exposer le résultat de sa pratique du feu, un show-room mais non ouvert sur l’extérieur. Oui, il peint avec le feu ! Ceci explique le scintillement de ses pièces dont l’éclat se répand sur plusieurs parties de chaque œuvre.

François Aziangué

François Aziangué s’est organisé de façon à rendre excitante chacune des deux parties de son espace de travail. A part le petit bar sympathique qu’il a aménagé dans sa mini-galerie afin d’accueillir et d’honorer ses visiteurs, il détient, à l’atelier, un matériel qui défie toute efficacité dans le modèlement des objets devant entrer dans la fabrication de ses sculptures : un moule multi-service et même multi-forme !  


De la force qu’il constitue pour la salubrité de l’environnement qu’il débarrasse de sa ferraille de véhicules hors de service, François Aziangué se révèle d’une simplicité, d’une humilité, d’une lisibilité, d’une efficacité technique, à l’image de son atelier qui prend les marques de sa personnalité. Une vraie chaleur de travail et d’humanité y invite à la visite.

Marcel Kpogodo Gangbè  

dimanche 22 novembre 2020

Bardol Migan, une mise en scène à sensations

Dans le cadre de la lecture-spectacle de la pièce, ’’Démocratie chez les grenouilles’’


’’Démocratie chez les grenouilles’’ est la pièce qui a fait l’objet d’une lecture-spectacle le samedi 21 novembre 2020 au Centre culturel ’’Artisttik Africa’’ du quartier d’Agla Kangloè, à Cotonou. Dans sa mise en scène de l’ouvrage du dramaturge béninois de la nouvelle génération, Jérôme Tossavi, Bardol Migan a comme développé l’objectif de frapper le public.


De gauche à droite, grenouille mère et grenouille père, circonscrits dans leur mare

Trois temps rendus forts. Le résultat de la mise en scène qu’a effectuée Bardol Migan de la pièce de Jérôme Tossavi, ’’Démocratie chez les grenouilles’’, lors de la lecture-spectacle de l’ouvrage dans la soirée du samedi 21 novembre 2020 au Centre culturel ’’Artisttik Africa’’, à Cotonou.


Il a fallu au public d’en vivre la tension permanente à partir d’une scène mobile, instable, lui qui a concédé de vivre la pièce, dans son début et dans son dénouement, à l’extérieur de l’espace réservé à la représentation, et de suivre la force de son rythme dans la salle proprement dite de représentation de l’espace culturel concerné.


Elle était pourvue d’un décor pratique en deux étapes, l’estrade supérieure comprenant les pupitres de lecteurs et une corde d’accrochage de blouses de travail pour chercheurs, puis l’estrade inférieure présentant un logis aquatique rectangulaire, pour une histoire d’un fantastique comique : une mare assiégée se voit défendre par grenouille père et par grenouille mère poussés et réduits dans leurs derniers retranchements par des assaillants ayant précédé des chercheurs déterminés à circonscrire un virus dangereux transmettant une maladie de danse irréversible dont se trouve, contre toute attente, frappé le roi de la contrée, Barka qui en sort, tout prestige et toute dignité enfouis, obsédé d’en découdre sexuellement avec grenouille mère.


Finalement, le fameux virus au nom codé est identifié sans manquer de produire ses effets désastreux de danse sur le principal chercheur et son assistante, les cyclones, incarnés respectivement par Serge Dahoui et Perside Tanséla ; ils s’embarquent dans une démonstration où ils en arrivent à se dénuder sur scène jusqu’au niveau préoccupant et excitant de l’avant-sous-vêtement fatal. Une audace démontrant que Bardol Migan n’avait rien voulu faire à moitié.


La contamination des chercheurs-cyclones par le virus de la danse sonne comme la déconfiture d’un système extérieur obsédé de la domination des plus faibles dont les territoires de vie sont convoités à des fins politiques par les militaires. Il s’agit d’une déconfiture qui se positionne en un adjuvant de la résistance tenace, le sujet de la pièce, dont grenouille père et grenouille sont l’objet. Ces deux personnages, Fabrice Paraïzo et Armelle Nagoba, sur la scène, expérimentent, au cours de l’agression, un fait qui constitue un autre adjuvant de la résistance : leur confinement dans un coin de mare isolé, un réduit rectangulaire entouré d’une végétation essentielle et ceinturé par du plastique représentant le caractère aquatique du milieu, ce qui contribue à les cacher de leurs adversaires et à durcir leur engagement.


Une originalité matérielle de scène qui fait percevoir la créativité du metteur en scène, ne s’étant pas contenté de cette prouesse si expressive ; il a impulsé une force de lecture et une puissance de comportements à Carlaine Sèmadégbé, à l’état-civil, et au rescapé des différentes attaques destructrices, en même temps, la victime collatérale des assauts de tous ordres : en incarnation sur scène, Humbert Boko. Cet autre point d’adjuvant a donné le ton de l’atmosphère violente de la pièce en l’ouvrant dans l’anti-scène. C’est lui que choisit le metteur en scène pour faire rire sur l’état préoccupant du roi Barka sous l’emprise du virus de la danse.


A cet effet, la langue nationale béninoise adja sert de canal de communication entre les comédiens, donnant du relief à la défense maladroite du roi par le rescapé qui, dans sa logique de protection de l’honorabilité du monarque, présente l’autorité suprême comme son sosie ou comme un homme qui est « presque lui », déchaînant une hilarité bien nourrie du public.


Et, les chercheurs défaits, grenouille père et grenouille mère se trouvent libérés de leur blocus, puis leur bonheur se solde par leur mariage que le lecteur diffuse par les didascalies qu’il laisse connaître par le public, mais qui ne sont pas suivies de l’action symbolique et simple du passage annoncé de la bague au doigt de son épouse par l’élu. Négligence, oubli ou choix délibéré du metteur en scène ? Ce manque n’enlève rien à l’éloquence de la restitution d’un système complexe dans lequel le destinateur de l’action héroïque de grenouille père et de grenouille mère, qu’est l’instinct à la fois de survie et de conservation, les en laisse comme seuls destinataires de leur victoire.   

Marcel Kpogodo Gangbè