vendredi 6 juin 2014

"Houèdo" ou Claude Balogoun, la source du conte théâtralisé au Bénin

Face à la parution de son premier livre

Depuis janvier 2014, Claude Balogoun, connu comme un grand réalisateur audiovisuel, a fait son entrée dans le monde des écrivains béninois. C'est à travers la parution de son livre intitulé "Houèdo ou l'arc-en-ciel", suivi du conte "Gbèxo, le respect de la tradition". Décryptage d'un écrit d'un genre particulier en ce qu'il a lancé le conte théâtralisé au Bénin.


"Houèdo ou l'arc-en-ciel", suivi de "Gbèxo, le respect de la tradition", un recueil de deux contes, dont le premier est théâtralisé. 74 pages. La place que les deux textes prennent sur un nombre de 105. Ce livre est paru en janvier 2014, aux ’’Editions Plurielles’’, sous la signature de Claude Balogoun qui, par cet acte, fait son entrée dans le rang des écrivains béninois.
Le premier conte raconte la naissance surnaturelle, mythique à but purificateur de Houèdo, l’arc-en-ciel, après neuf ans de travail de délivrance, de la part de sa mère, Ngopi, parturiente. Son père, Nkako, a aussi une naissance extraordinaire, vu qu’il est issu d’une termitière. C’est ce que laisse comprendre l’exposition. Et, si Houèdo a vu le jour, tout adulte, dans des conditions où c’est lui-même qui a dicté les circonstances de sa naissance, c’est pour accomplir, de la part de ses « oncles sans âge », une mission apparemment impossible : réinstaurer l’ordre et la justice dans le monde des ’’hommes fromagers’’ où règnent toutes sortes de calamités morales.
Ceux-ci, réfractaires à tout changement, lui ont envoyé Okou, la mort, qu’il a dû affronter, pendant trois jours, avant d’en être sauvé par le boa géant qui n’a pas eu d’autre choix que d’avaler le missionnaire pour le recracher sous la forme des sept couleurs de l’arc-en-ciel. Depuis cette victoire, la mort se venge sur les hommes en les tuant.
’’Houèdo ou l’arc-en-ciel’’ présente tous les ingrédients du conte théâtralisé, déjà que l’auteur du livre, Claude Kokou Balogoun, a mis à l’écrit un conte qu’il avait produit, en 1994, pour le jeu théâtral, qui avait été mis en scène par le feu Urbain Adjadi ; il a été joué, dès 1996, par la troupe Wassangari, au Bénin, en Afrique et dans le monde, à en croire un pan de l’avant-propos de l’auteur et les informations apportées, à la fin du second conte, par l’éditeur, dans la rubrique, « Historique de la création du spectacle ’’Houèdo’’ ».
Le caractère théâtralisé de ce conte est formellement prouvé par la subdivision du texte en un prologue et en quatre actes. Pour ce qui se rapporte au fond, ces ingrédients, en particulier, sont relatifs, d’abord, au titre des deux histoires ; ils ont, chacun, une première partie en fon, ''Houèdo'', ''Gbèxo'', et, une deuxième, en français, un groupe nominal actif en la démonstration du contenu de l'élément en langue nationale, comme si le titre lui-même devait agir, jouer à rendre le conte, avant sa lecture, sa découverte. 
Ensuite, concernant la facture de conte théâtralisé, il y a la fonction révélatrice du prologue laissant comprendre, par la séquence de litanie et, les trois autres, de chant, l’immersion de l’histoire dans la culture du sud-Bénin.
Par ailleurs, nous avons, manifestant le conte théâtralisé, la présence, dans la pièce, d’un processus où les cinq comédiens incarnant les rôles clés de Houèdo, d’Okou, des 1er et 2ème vieillards, et de l’adepte de fétiche, sont à la fois personnages et conteurs, ce qui les fait se mettre dans la peau de quatre personnages supplémentaires que sont Kinninsi (Premier acte), les 1er et 2ème guerriers, et la voix (Deuxième acte).
En outre, particulièrement, dans cette pièce, le conteur principal n’est pas connu d’avance, il est choisi au hasard et, ce qui est intéressant est qu’il est remplacé par un autre, s’il est reconnu défaillant.
De plus, cette pièce de théâtre, appartenant au premier livre écrit par Claude Balogoun, présente des séquences chantées et même ritualisées, un système culturel synthétique émanant des ethnies fon, mina et yoruba, de notre pays.
Aussi, le conteur principal active la participation perpétuelle du public et le maintient psychologiquement dans l’intrigue, jusqu’à son dénouement, en scandant, périodiquement, « Ikosoukouriyo », ce à quoi il répond par « Soukourigo ». L’auteur utilise rationnellement cette relance, la rendant abondante dans l’acte premier, comme pour attacher l’attention de ce public au contenu de l’exposition ne comportant que trois personnages : le conteur, Kinninsi et le féticheur. Pour un récit assez long qui risquerait de devenir ennuyeux, face à une exposition qui détermine les conditions de la naissance du personnage principal, Houèdo, ce qui est fondamental pour la compréhension de la suite de l’histoire.
Claude Balogoun gratifie donc l’acte premier de huit relances, de même que le quatrième qui, vu qu’il gagne en tension, au regard de Houèdo, pourvu de sa mission et devant affronter le système d’opposition à celle-ci, le vaincre, subir sa propre métamorphose mythique en arc-en-ciel et laisser Okou matérialiser son dépit sur les hommes.
Toujours lié à la relance « Ikosoukouriyo »-« Soukourigo », le deuxième acte n’en a aucune, probablement parce qu’il est court et que quatre personnages l’animent : les 1er et 2ème guerriers, Houèdo et l’adepte, sans compter que deux séquences de chant lui donnent des couleurs. Enfin, dans le troisième acte, la moisson de relances est maigre : une, qui remet Houèdo en scène, par l’intermédiaire d’une plus ou moins longue tirade du conteur, des pages 43 à 44, pour laisser place à la voix et à Houèdo, échangeant de courtes répliques, ce qui donne de la vigueur à l’histoire et au jeu théâtral, des pages 44 à 45, pour, enfin, mettre l’homme-né-adulte face à l’information de sa mission de re-moralisation de la société des ’’hommes fromagers’’. Vivre la représentation selon de telles marques où, dans l’organisation du jeu de scène, rien n’est laissé au hasard, serait un vrai régal.   
En réalité, le conte théâtralisé est en pleine mode aujourd’hui et, inévitablement, par ’’Houèdo ou l’arc-en-ciel’’, Claude Balogoun en est le pionnier au Bénin. Il entre dans le monde littéraire béninois en faisant connaître une vocation de conteur, lorsqu’on considère qu’il a aussi écrit ’’Gbèxo, le respect de la tradition’’, second conte du recueil proposé au lecteur par le biais des ’’Editions Plurielles’’.
Cette histoire montre la punition de Gbèxo et de sa femme, pour avoir violé les principes sacrés de la vie au village. En nombre de pages et dans son traitement interne, la disproportion avec le premier conte est flagrante. Si ’’Gbèxo, le respect de la tradition’’ ne montre pas des signes d’avoir été jamais joué, Claude Balogoun aurait dû, dans cette édition, le préparer à l’être, en faisant l’équité, en proposant sa mise en scène écrite, de quoi démontrer, une nouvelle fois, son art de théâtralisation du conte, lui donnant une vie cultuelle et culturelle, en l’entrecoupant de chants, de litanies, de dialogues poétiques, de comédiens à l’ardeur inspirée. Rien ne montre qu’il ne se donne pas les moyens de donner corps à cette intention.

Marcel Kpogodo

vendredi 30 mai 2014

Patrice Toton parle de "Danxomè-xo" qui sera jouée ce vendredi

Sous la grande paillote de l'Institut français de Cotonou

A quelques heures du jeu, sous la grande paillote de l'Institut français de Cotonou, ce vendredi 30 mai, à 20h30, de la pièce de théâtre, "Danxomè-xo", Patrice Tonakpon Toton, qui en est l'auteur et le metteur en scène, se prononce sur la quintessence de cette œuvre, tout en justifiant la nécessité pour le public de faire un déplacement massif en cette soirée du vendredi 30 mai. 


Patrice Tonakpon Toton

Stars du Bénin : Patrice Toton, tu es l’auteur et metteur en scène de la pièce de théâtre, ’’Danxomè-xo’’, qui sera jouée ce vendredi 30 mai, à l’Institut français de Cotonou. Après la dernière répétition avec les comédiens, quel appel as-tu à lancer au public béninois ?

Patrice Tonakpon Toton : J’invite tout le peuple béninois, hommes comme femmes, étudiants et élèves, tout le monde, j’invite tout le monde, j’invite le public, à venir nombreux, pour voir ce spectacle, ’’Danxomè-xo’’, qui est le spectacle de tout le monde. A partir de cet instant, ce n’est plus mon spectacle, c’est le spectacle de tout le monde.
Nous, on a fait un travail et, on l’a fait pour le peuple béninois, on l’a fait pour le monde entier, pour que ceux qui sont ici et qui n’ont pas eu la possibilité ou qui n’ont pas l’occasion de traverser, de voyager à travers l’histoire, de la remonter, depuis les origines jusqu’à nos jours, de vivre, en une heure dix minutes (1h10mn), les guerres de conquête du royaume du Danxomè, les rapports qu’entretenaient les royaumes du Bénin, les rapports entre le royaume du Danxomè et les royaumes du Nord, les rapports entre le royaume du Danxomè et les royaumes du Sud, ceux de Porto-Novo, d’Allada, de Savi, des Sahouè, à travers les différentes guerres de conquête. Ceux qui n’ont pas eu l’occasion donc de vivre ça en peu de temps, je les invite à venir voir ce spectacle et à venir voir comment on peut raconter plusieurs siècles d’histoire en une heure dix minutes, tout en parcourant, de manière cohérente, l’essentiel, c’est-à-dire, la période pré-coloniale, à travers le royaume du Danxomè et les guerres de conquête et l’esclavage, la période coloniale, - qui sont deux époques douloureuses pour le Bénin – et puis, après, la période communiste, donc, le marxisme-léninisme, et, la période démocratique, donc, la période contemporaine. Tout cela a été raconté, joué, sur fond de musiques et de chants traditionnels, de chants béninois, sur fond d’incantations, sur fond de poésie aussi et, par de charmants conteurs, par un percussionniste-chanteur talentueux.


Une des séquences fortes de la répétition du jeudi 29 mai, sous la grande paillote de l'Institut français de Cotonou
Je demande à tout le monde de venir apprécier ce texte, d’apporter sa pierre à l’édifice, parce que, ce pour quoi nous faisons ce spectacle, ce n’est pas seulement pour plaire au public, c’est pour amener les gens à réfléchir … Ce n’est pas une sorte de pacotille, ce n’est pas un spectacle créé pour gagner de l’argent, c’est pour susciter un débat de société, c’est pour inviter les gens à réfléchir sur l’histoire qu’on enseigne à nos enfants, c’est pour amener les gens à se poser la même question que nous : « Qu’est-ce que nous savons de notre histoire ? Qu’est-ce qui s’est réellement passé et, où allons-nous ? Ceux qui vont venir après nous, des décennies et des siècles après nous, qu’est-ce qu’ils vont avoir en héritage ? Quel patrimoine laisserons-nous à nos enfants et aux générations à venir ? »
C’est maintenant qu’il faut susciter cette réflexion-là, c’est maintenant qu’il faut provoquer ces débats, pour que demain soit meilleur à ceux qui vont nous succéder, à notre descendance. C’est pour ça que je pense que, d’une manière ou d’une autre, tout le monde est interpellé, ce n’est pas seulement pour le plaisir de venir au spectacle, mais c’est une mission et, cette mission, je me demande s’il faut l’honorer ou la trahir, cette mission qui consiste à réinventer notre histoire, à la réinventer, à notre manière, de notre point de vue, afin que nos enfants et les générations à venir en soient fière.
C’est de ça qu’il s’agit ; c’est pour ça que je demande à tout le monde de venir soutenir ce spectacle, ce n’est plus soutenir Patrice Toton, ce n’est pas soutenir l’Association ’’Katoulati’’, mais c’est soutenir une cause commune, une cause nationale, c’est une cause noble, parce qu’on dit souvent que celui qui ne connaît pas son passé est comme un enfant ; on dit que tout le peuple qui n’a pas d’histoire est un peuple sans vie.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo