Les membres du Groupe Aïfamily (dont Calvin Aïnadou, à gauche)
Musique Béninoise
Le groupe Aïfamily dans tous ses états
L’effervescence de la musique béninoise aujourd’hui s’effectue grâce à l’entrée dans le domaine de jeunes de talent qui y manifestent une réelle originalité dans l’inspiration et la création. C’est ce qu’il est possible de constater avec le groupe musical Aïfamily dont le premier responsable, Calvin Aïnadou, a accepté d’aborder avec nous les tenants et les aboutissants de l’existence de ce groupe qui, dès ses premiers pas, connaît un grand succès.
Le Mutateur : Bonjour Calvin Aïnadou, tu es le chef du groupe ’’Aïfamily’’. Pourquoi le nom ’’Aïfamily’’ ?
Calvin Aïnadou : Dans ’’Aïfamily’’, nous avons ’’Family’’ qui signifie ’’La famille’’ en anglais ; ’’Aï’’, ce sont les deux premières syllabes du nom de famille ; nous sommes tous des frères venant de la famille ’’Aïnadou’’.
Vous êtes trois frères …
Oui, on est trois frères : il y a moi, Calvin Aïnadou, ensuite, Cédric Aïnadou et, le plus jeune, Auriol Aïnadou.
Avez-vous des parents musiciens ou des ascendants ?
Oui, nous avons des oncles musiciens, ce sont des oncles instrumentistes, mais qui ne vivent pas ici, qui sont en Guadeloupe, qui font de la musique en Guadeloupe et avec qui on travaille.
Quelle est la genèse de la création du groupe ’’Aïfamily’’ ?
Il faut dire qu’au départ, ’’Aïfamily’’ était membre d’une chorale religieuse ; on appartenait tous à la chorale, celle de l’église Eckankar. Donc, déjà là, on a commencé à apprendre à écrire la musique avec les maîtres de la chorale, à apprendre à jouer à des instruments ; chacun de nous avait choisi des instruments. Par exemple, moi, j’avais choisi d’apprendre la guitare basse. Donc, aujourd’hui, je suis bassiste. Cédric, lui, a pris l’orgue, donc, il est pianiste. Et, le plus petit est un batteur, il a appris à jouer la batterie, et c’est aussi un bon vocaliste. C’est de là que l’idée nous est venue ; l’idée est venue de moi particulièrement : je me suis demandé s’il ne fallait pas faire de la musique profane. Je me suis dit que nous avions des talents, que nous pouvions, à part chanter des chansons religieuses, faire de la musique profane pour faire valoir nos talents. Et, j’ai commencé à écrire de petits textes, au départ, seul et, après, j’en ai parlé à mes deux frères, et, ensemble, on a d’abord sorti quelque chose, pour voir. Et, lorsqu’on a eu l’idée, on s’est dit qu’il fallait sortir quelque chose qui ne soit pas encore sur le terrain, qui accrocherait les Béninois et qu’ils n’avaient encore jamais vu. Donc, notre idée est allée déjà sur un rythme qui n’est pas trop familier aux Béninois et, on a choisi le compa. Le compa, c’est un rythme haïtien, c’est comparable au rythme que fait le groupe Kassav. Le choix s’est porté sur ce rythme parce qu’on s’est dit qu’avec les oncles qui font déjà de la musique en Guadeloupe, on pouvait, avec leur aide, faire quelque chose de comparable au rythme compa. Donc, on a d’abord composé le texte, on a été en studio, on a fait le son et, après, on l’a envoyé en Guadeloupe ; on a demandé aux parents qui sont là-bas de nous aider à orchestrer le son, à l’harmoniser et à l’arranger. Le travail a été fait ; ils nous l’ont renvoyé et on l’a mis sur les ondes, on a commencé par les radios. Les gens ont commencé à apprécier. Avec l’aide des parents toujours, on a tourné la première vidéo ; c’était en 2004. Les gens ont apprécié et on s’est dit que si les gens ont apprécié la première sortie, pourquoi il ne fallait pas faire un album carrément. Donc, on est encore entrés en studio, on a suivi le même processus : on a fait le son avec quelques percussions, on l’a envoyé en Guadeloupe, les gens y ont travaillé et on nous l’a renvoyé. Et, nous nous sommes dit qu’à part le fait de choisir un rythme qui n’est pas familier, qui est nouveau, il fallait travailler sur des textes qui touchent. C’est pour ça qu’on a choisi le social, on s’est dit qu’il fallait qu’on chante, par exemple, sur la paix en Afrique, l’unité africaine, les enfants placés. Sur l’album, on a même chanté sur la maladie du siècle, c’est-à-dire le Vih/Sida. Et, après, comme c’est un rythme antillais, on a parlé un peu de la femme ; le rythme antillais est cousin du zouk et, comme c’est un peu sensuel, on a parlé de la femme sur l’album.
Merci beaucoup. Le premier album du groupe est sorti en quelle année ?
Le premier album est sorti un an après le premier single, c’est-à-dire que c’est en 2005 qu’on l’a finalisé. Donc, ça fait déjà cinq ans. C’est un album intitulé « Sa ka pa étonné » ; c’est en créole. Déjà, notre rythme est antillais, donc nous avons fait l’effort de chanter un peu en créole, en fon et en français, ce qui fait qu’on a mis le titre de l’album en créole : « Sa ka pas étonné », qui veut dire : « Il ne faudrait pas que cela vous étonne, au Bénin, on peut faire de la musique antillaise ».
Cela veut dire que les membres du groupe parlent créole aussi …
Oui, un peu, un peu … Quelques fois, on demande à ce que les oncles nous traduisent ce qu’on fait en français en créole. Mais, déjà, nous aussi, nous nous y essayons un peu.
Comment faites-vous pour conduire cette vocation musicale ? Vous n’êtes que musiciens ou bien vous faites autre chose dans la vie ?
On n’est pas que musiciens ; on est tous des étudiants. Moi, j’ai fini en 2008 un Bts en Relations humaines et j’ai fait aussi l’Anglais sur le campus ; je suis en stage dans une agence de voyage. Les deux autres sont en journalisme, bizarrement.
Est-ce qu’il est facile de concilier les études et la musique ? Où est-ce que vous trouvez les moyens pour financer la sortie de vos albums ?
Concilier les deux domaines, c’est une affaire d’organisation. Pour le financement, c’est une auto-production carrément ; l’album est à 100% auto-produit par le groupe. En ce qui concerne l’argent, nous avons eu la chance que les parents ont apprécié ce qu’on fait. Donc, la majorité du financement est assuré par eux. Mais, nous-mêmes, déjà avec le premier single qu’on a sorti, les gens ont apprécié et nous avons fait des dossiers de demande d’aide, de sponsoring qu’on a envoyées aux bonnes volontés qui nous ont aidés à sortir petit à petit les autres morceaux, jusqu’à finaliser l’album. Mais, la majeure partie du financement est venue des parents.
Par rapport à vos études, c’est vous-mêmes qui les payez ?
Non, ce sont les parents qui nous paient les études. Moi, je viens de vous dire que j’ai fini ; ce sont les parents qui ont payé jusqu’à ce que je finisse et, pour le moment, je suis en train de ’’jobber’’, je ne suis pas encore fixe. Les deux aussi, ce sont les parents qui continuent de leur payer les études.
Est-ce qu’on peut avoir une idée de ce que font vos parents ?
On fait partie d’une famille nombreuse, comme on le dit en Afrique, on a deux mamans et on vit tous ensemble avec les deux mamans. Puis, on a beaucoup de frères et de sœurs. Papa a été capitaine des forces de l’ordre, il a travaillé à la présidence de la République et il est à la retraite. Quant à nos deux mamans, elles sont des commerçantes ; elles vont au marché Dantokpa et elles reviennent les soirs.
Quels vos projets immédiats ? Est-ce qu’il y a un album en vue pour 2010 ?
Oui, on est en train de finaliser un album ; on a même fini. Ce qui reste, c’est le travail technique au niveau du studio. Donc, on attend l’ingénieur qui va mixer, ’’masteuriser’’ les sons. Déjà, pendant les congés de Pâques, on sort notre deuxième album.
Comment va s’intituler cet album ?
Il va s’intituler « No comment » et il aura toujours dix titres, comme le premier album. On va aborder toujours les thèmes comme la maltraitance des enfants, d’une autre façon ; on va parler aussi de la femme, comme on en a l’habitude, et de l’Afrique dans un autre domaine.
Est-ce que le jeune groupe ’’Aïfamily’’ a déjà fait des concerts ?
Oui, on a fait beaucoup de concerts ; je peux citer le concert qu’on a fait au Bénin, il y a trois ans, avec un groupe haïtien, ceux qu’on a fait lors des élections Miss Bénin, Miss Cotonou, lors des activités de la Journée internationale de lutte contre le sida, on a fait plein de concerts quand même, avec le premier album.
Par rapport aux thèmes sociaux que vous abordez, est-ce que vous sentez que votre message a un impact sur la société béninoise ?
Par rapport à ça, on n’a pas fait trop attention, mais je peux déjà dire que, à part le fait qu’on chante pour les enfants et qu’on passe un message, nous accompagnons ce geste par des actions concrètes sur le terrain. L’année surpassée, on a organisé, sur nos propres fonds, un concert au Palais des Congrès, qu’on a dénommé « L’école pour tous » ; on a essayé de collecter des jouets, des habits et surtout des fournitures scolaires, parce que c’était à la veille de la rentrée scolaire de cette année-là ; on a mobilisé beaucoup de fournitures scolaires et, autour de ça, on a organisé un concert, on a invité des artistes amis et on a offert ces jouets, ces habits, ces fournitures scolaires à deux foyers d’enfants, à Cotonou ici, le foyer Laura Vicuna de Zogbohouè et le foyer Villeneuve de Zogbo. On les a invités ; ce sont des sœurs qui sont venues au Palais des congrès, elles sont venues avec les enfants, on a fait le concert gratuitement pour les enfants. A la fin, on a été dans les foyers, on a été voir les enfants avec les cadeaux et on les leur a offerts. C’était vraiment une action que les gens, les sœurs ont apprécié et, accompagnés de ce morceau qui parle de la maltraitance des enfants, on a vu quand même que les gens sont sensibles au message que véhicule cette chanson. Ainsi, lors du passage de cette chanson sur les enfants, on a vu quand même la salle se lever et chanter avec nous. Donc, on peut déjà dire que les gens sont sensibles et prennent en compte le message que véhicule cette chanson. Je dois aussi préciser autre chose : dans la collecte des fournitures et autres, on a rencontré quelques ministres, à savoir l’ancien ministre chargé des relations avec les institutions, Alexandre Hountondji, et le ministre de l’enseignement maternel et primaire d’antan, Christine Ouinsavi, de même que l’ancien ministre de la culture, Soumanou Toléba. J’avoue que ces personnalités nous ont aidés dans la collecte des fournitures, des jouets et autres ; à part ce que nous-mêmes avons acheté, ils nous ont aidés à gonfler les dons aux enfants. Et, ils avaient envoyé, tous, leurs représentants. Nous avons eu même un parrain, le député Malèhossou qui était présent et qui, vraiment, avait soutenu l’événement. C’était un événement grandiose relayé par les médias de la place.
Est-ce que les trois membres du groupe vivent aujourd’hui de la musique ?
Là, je dirai non ; on ne peut pas dire aujourd’hui que la musique nous donne à manger et qu’on peut déjà s’adosser à elle. Dès qu’on a sorti le premier album, on en a fait 500 exemplaires et on n’a pas fait un mois qu’on était en rupture de stock. On en a commandé d’autres et c’est encore fini. Donc, actuellement, on n’a même plus en stock le premier album. Malgré qu’on n’a pas eu de distributeurs qualifiés et que c’est nous-mêmes qui l’avons distribué, qui l’avons confié à des boutiques, les gens l’ont quand même acheté et d’autres personnes le demandent encore. Mais, cela ne suffit pas pour dire qu’on peut déjà se fier à la musique et ne plus rien faire, parce qu’on est au Bénin. Au Bénin, nous savons ce que c’est que la musique, ça ne nourrit pas son homme comme dans les pays développés. Mais, petit à petit, on pense quand même que ça va venir.
Propos recueillis par Marcel Kpogodo