La 7ème édition du festival cinématographique béninois, "Lagunimages", s'est déroulée, du 5 au 8 décembre 2013. Les contraintes de l'organisation passées, Mme Noélie Noudéhou Houngnihin a accepté de nous en confier ses réflexions, n'ayant pas sa langue en poche pour dénoncer certaines tristes réalités techniques et morales du milieu cinématographique au Bénin.
Noélie Noudéhou Houngnihin |
Stars du Bénin :
Mme Noélie Noudéhou Houngnihin, vous êtes la Directrice du Festival ’’Lagunimages’’,
dont la septième édition s’est déroulée, du 5 au 8 décembre 2013. Quelles en
sont vos impressions ?
Noélie Noudéhou
Houngnihin : C’est une motion de satisfecit ; on est très contents du
travail réalisé par tous les bénévoles, le Comité d’organisation et moi-même.
Notre plus grande fierté, c’est l’action d’éducation artistique que nous avons
initiée dans une école publique de Cotonou ; nous avons initié les enfants
à comment appréhender l’œuvre artistique et culturelle. C’est une des plus
grandes réussites du Festival.
Est-ce que le Festival
suivra ces enfants qui ont été formés ou seront-ils laissés à eux-mêmes, quitte
à ce qu’ils puissent réinvestir les acquis recueillis ?
Absolument, il faudra
les suivre ! D’ailleurs, ils nous mettent assez la pression psychologique
pour ça, d’autant plus que tous les mercredis et tous les samedis, depuis qu’ils
ont fait leur prestation, ils se retrouvent à leur lieu d’entraînement, à la
Place du Souvenir. Effectivement, ils attendent quelque chose de nous. Évidemment
nous allons les insérer dans notre plan d’actions, pour les deux prochaines
années et, approfondir la formation qu’ils ont reçue, continuer en intégrant
certaines autres écoles parce que, pour des raisons budgétaires, nous n’avions
pu intervenir que dans une seule, le Collège d’enseignement général ’’Océan’’.
Mais, de plus en plus, on va en insérer d’autres dans notre plan, jusqu’à ce qu’on
puisse faire inscrire les activités culturelles dans les programmes scolaires
officiels.
Quel regard portez-vous
sur le cinéma béninois ? Nous avons constaté, dans le déroulement de cette
édition du Festival, une exploitation du cinéma ouest-africain … Le cinéma
béninois n’est-il pas valable pour que vous puissiez l’exploiter ?
Il y a très peu de
production cinématographique au Bénin ! Donc, le Festival, vu la programmation,
vu le nombre de places publiques et de marchés où nous devions faire des projections,
on ne pouvait pas se limiter à la production cinématographique béninoise qui est
très maigre ; il y a combien de films qui sont produits par an ? Il y
en a très peu. Mais, nous avons, quand même, ouvert une lucarne aux étudiants
de l’Isma (Institut supérieur des métiers de l'audiovisuel, Ndlr.), dont nous avons présenté six ou sept films, réalisés par des
étudiants en fin de formation. Donc, nous espérons que, petit à petit, le Bénin
produira suffisamment d’œuvres cinématographiques pour bénéficier d’une
programmation significative, parce que, dans la programmation de ’’Lagunimages’’,
nous avons une section ’’Vision intérieure’’, qui devrait regrouper
essentiellement des films béninois, ce qui fait que nous sommes demandeurs.
Mais, il faut dire aussi que ’’Lagunimages’’ est un festival international,
nous avons une certaine réputation, nous sommes très vus à l’international,
donc, il n’est pas question pour nous de présenter des films béninois juste
pour le faire ; ceux que nous présentons doivent répondre à un certain
niveau, en matière de normes et de qualité, pour pouvoir être diffusés sur nos
plateformes.
Ne pensez-vous pas que
le cinéma béninois, malgré les limites qu’il présente aujourd’hui, a une
certaine spécificité exploitable et valorisable à l’Extérieur, même s’il
ne répond pas à des canaux internationaux ?
Vous savez, le cinéma, c’est
une science, c’est une profession technique. Donc, chaque réalisateur qui fait
un film donne une idée de sa pensée propre ; c’est d’abord une œuvre individuelle.
Mais, c’est une œuvre artistique qui doit répondre à certaines normes
techniques et de qualité, sinon, ce n’est pas possible ; quand vous avez
fait un film et que le son est pourri, il n’est pas diffusable, c’est ça le
problème ! On ne peut diffuser des films qui, techniquement, ne tiennent
pas, parce qu’il faut mettre le spectateur dans un certain confort, c’est aussi
ça le cinéma, lui permettre de voyager ; c’est pour ça que les
réalisateurs, ceux qui se respectent et qui respectent leur métier mettent un
point d’honneur à avoir des images de bonne qualité, un son de bonne qualité.
Après, si l’œuvre artistique, en tant que telle, est discutable, c’est un autre
débat. Mais, pour nous, il n’est pas question de diffuser, sur la plateforme du
Festival, des œuvres qui, techniquement, découragent les spectateurs, parce
que, nous, nous faisons des productions dans des conditions extrêmes déjà,
elles sont en plein air ou dans les marchés, donc, il y a déjà énormément d’intrusions
extérieures. Alors, il faut que, techniquement, l’œuvre tienne, que le son soit
bon, que les images soient de bonne qualité, que le son soit synchro, qu’il
soit mixé et talonné ! Pour nous, c’est vraiment très important que les œuvres
respectent ces normes-là, pour que nos spectateurs aient envie de revenir plus
tard, parce que, c’est tout l’enjeu du Festival ’’Lagunimages’’, nous n’avons
plus de salles au Bénin mais, nous tenons à faire voir les productions
cinématographiques des réalisateurs africains à leur public, le public d’ici.
Et, nous ne pouvons pas leur montrer n’importe quoi, parce que cela n’honore
pas notre profession.
A part ce que vous avez
fait au niveau de l’Isma, quel travail pensez-vous effectuer pour amener les
professionnels qui sont dans le domaine depuis bien longtemps à se conformer
aux standards internationaux ?
C’est un travail que
nous avons commencé depuis longtemps, depuis la toute première édition de ’’Lagunimages’’ ;
nous avons toujours prévu des formations de renforcement de capacités et de
mise à niveau, en direction des professionnels du cinéma. Donc, c’est une œuvre
que nous allons continuer avec ceux qui veulent bien se rapprocher de nous et
travailler avec nous. Cette année, par exemple, bien avant le Festival, on a
donné une formation sur le jeu d’acteur face à la caméra, qui est très
spécifique. Donc, l’année prochaine aussi, nous avons en projet de remettre
cette formation, de l’approfondir, de la pratiquer sur un plateau de tournage.
C’est un travail que
nous avons commencé depuis et que nous allons continuer, évidemment, de telle
sorte que, de plus en plus, ceux qui ont envie de faire du cinéma sachent que c’est
un métier qui est difficile, exigent et qu’il faut atteindre une certaine
technicité ; c’est une question de respect du téléspectateur.
Quelles sont vos
relations avec les cinéastes béninois ?
Elles sont très bonnes,
on se connaît. Moi, je navigue dans ce milieu depuis 2002, donc, cela fait un
certain moment ; on se connaît bien, on travaille beaucoup avec ’’Gangan
Productions’’ que personne ne présente, avec Claude Balogoun, on travaille
beaucoup avec Madame Rosalie Daaguè avec son groupe, on se connaît, on connaît
bien Christian Noukpo, on se connaît, on fait des choses ensemble, avec ceux
qui pensent comme nous, parce que, c’est vrai que le Bénin est un pays
particulier où tout le monde a son avis sur tout. Mais, nous, nous croyons en
la solidarité, nous croyons en l’économie sociale et solidaire et, les gens qui
veulent travailler avec nous doivent adopter ces principes-là, sinon, ce n’est
pas possible ! On ne vient pas à ’’Lagunimages’’ pour s’enrichir, pour s’acheter
une voiture, pour se faire de l’argent, non ! Tout le budget que nous
engrangeons doit être réinvesti dans le Projet et, effectivement, c’est
difficile, ici, de trouver des gens qui épousent ce mode de pensée mais, il y
en a beaucoup avec qui nous travaillons.
Quant à nos rapports
avec l’institutionnel, ils sont un peu plus délicats, parce que, nous, nous ne
sommes dans aucun réseau et, cela ne nous intéresse pas d’ailleurs, on n’a même
pas le temps pour ça. Oui, c’est effectivement un peu difficile d’avoir de bons
rapports avec les institutions qui ont à charge la promotion du cinéma, quand
vous n’êtes pas insérés dans les réseaux de lèche-culs, voilà.
Pour finir, est-ce qu’on
peut connaître vos perspectives pour 2015, l'année de la nouvelle édition de ’’Lagunimages’’ ?
Il faut dire qu’entre
deux éditions du Festival, nous faisons énormément d’activités. Donc, pour les
deux prochaines années, comme je le disais tantôt, nous allons approfondir le
travail dans les écoles, agrandir le réseau, travailler plus avec les enfants,
faire des choses avec eux, puisque ceux qui sont enfants aujourd’hui sont les
adultes de demain ; si nous voulons que les Béninois de demain consomment
les produits culturels, c’est aujourd’hui qu’il faut les former. Pourquoi
pensez-vous qu’il y a très peu de Béninois qui achètent les œuvres de nos
artistes ? C’est parce qu’ils n’ont pas été éduqués pour ; la
consommation de l’art s’apprend comme la façon de manger, la façon de parler, c’est
une éducation artistique qu’il faut. Nous, nous avons fait ce pari, de
continuer dans les écoles, afin de faire de ces enfants, aujourd’hui, des
consommateurs de culture, pour demain. En étant mis très tôt en contact avec l’esthétique
culturelle, ils peuvent, un jour, signer un chèque d’un million pour acheter
une œuvre culturelle, parce que cela aurait fait partie de leur univers et, c’est
ça notre ambition pour les deux prochaines années.
Un mot de fin, pour
clore cette interview ?
Je dis un grand bravo à
nos partenaires, ceux qui nous ont suivis, l’Ambassade du Brésil et la
Coopération suisse au Bénin, le Port autonome de Cotonou, … ; c’est
difficile de citer des gens, parce qu’on en oublie toujours.
J’encourage mon Comité
d’organisation ; ses membres ont été formidables : ils ont été là, du
début jusqu’à la fin, ils ont tenu et, pour ça, je leur dis « Bravo ! »,
je leur demande qu’on reste unis, pour qu’ils ne se laissent pas distraire par
le chant des sirènes, parce qu’on a encore de grandes choses à faire dans le
futur.
super
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