samedi 22 août 2009

peinture au Bénin

Arts plastiques au Bénin

« L’Etat doit organiser le domaine du social », selon Kaman Esso


Si, «aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », la valeur relève aussi de l’accumulation des années, notamment, dans le domaine des œuvres de l’esprit. C’est, semble-t-il, ce qu’il est possible d’affirmer concernant l’artiste-peintre béninois, Kaman Esso. Sa sagesse, incontestablement, subtile, se révèle dans cet entretien, où il nous parle de lui, de sa pratique artistique, et du social, tel qu’il pense que l’Etat doit l’exercer.




Marcel Kpogodo : Bonjour Monsieur, vous êtes artiste-peintre béninois. Nous vous avons découvert très récemment. Est-ce que vous pouvez vous présenter un peu ?


Kaman Esso : Merci Monsieur. Mon nom, c’est Houessou Lucien ; je suis de la famille Houessou, ressortissant d’Agonlin. C’est une famille qui a émigré à Pobè, dans le Plateau. Justement, je suis devenu artiste-peintre, mais, ce n’est pas une affaire qui vient de commencer, puisque cela fait très longtemps que j’ai exercé mon apprentissage en imprimerie et que je me suis donné à ce corps de métier. Déjà, depuis mon jeune âge, lorsque j’allais à l’école, je m’étais toujours donné au dessin. Le dessin, c’était toujours mon favori. Donc, je suis obligé de reprendre le pinceau aujourd’hui, parce que, nous savons très bien que l’homme ne vit pas seulement avec tout ce qu’il connaît, on ne doit pas toujours attendre ce que l’on cherche. Comme on le dit, à défaut de ce que l’on cherche, on se contente de ce que l’on trouve. Donc, je suis devenu peintre, si non, j’ai repris ma vie antérieure. Alors, le domaine que j’ai choisi, surtout, dans la peinture, c’est presque tous les domaines. Celui qui m’a le plus attiré est l’abstraction. Je fais aussi de la philosophie : tout ce que je peins aujourd’hui, c’est par rapport à ce que j’ai déjà dépeint dans mes articles. Il est vrai, je n’ai pas encore une édition, mais, j’ai une didactique qui me permet, aujourd’hui, d’envoyer mes messages à qui bien veut, parce qu’on dit souvent que la philosophie de chacun ne sied qu’à soi-même. Cela étant, je ne veux pas trop stationner sur les données philosophiques. Mais, je crois que c’est avec la peinture seulement que je peux m’exprimer aujourd’hui.

Avez-vous un nom d’artiste ?

Oui, je m’en suis donné. Avant toute chose, l’idéal veut que l’on se réfère à certaines circonstances de la vie. Donc, le nom que je me suis donné, après avoir beaucoup réfléchi, c’est « Connaissons nos limites ». En yoruba, cela signifie « Ka man esso » ; en fon, on dit : « Mi ni toun djrè mi ton ». C’est cela mon nom d’artiste.

Pourquoi avoir choisi ce nom ?

Ce nom ne s’apparente qu’à moi seul ; c’est tout singulièrement que je l’ai choisi. Je crois que, de par le monde, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés, aux mêmes problèmes. Beaucoup de philosophes l’ont déjà dit : tout excès nuit ; lorsque vous exagérez sur quelque chose, que vous enviez quelque chose qui, tant bien que mal, vous parvient, il me semble qu’il ne faudrait pas en exagérer. C’est pour cela que je me suis dit que ce nom me satisferait plus que d’autres, parce que, je ne suis pas de nature à compliquer ma vie.

Quel est le message que vous voulez porter à la connaissance du public, à travers la peinture ?

Le message que je porte, c’est, comme je venais de vous le dire, à partir des didactiques que j’ai préparées, c’est sur le problème de la mentalité humaine, ce qui m’a toujours poussé à comprendre que, dans notre existence, nous nous sommes donné un caractère privilégié d’être humain, d’être humain, (expression ainsi répétée dans l’interview), c’est-à-dire, l’homme créé, en toute symbiose par la volonté d’un Dieu, un Dieu que nous chérissons, parfois, lorsque tout va bien, et que, d’un autre côté, lorsque cela ne va pas, nous n’hésitons jamais à incriminer des petits problèmes que nous nous fabriquons nous-mêmes. Donc, mon message est parti de là ; il me semble que, pour être sincère envers soi-même, le problème de la mentalité s’impose, parce que, le mental, c’est qui se confère au calcul. Si l’homme ne calcule pas, ne fait pas des analyses, je pense bien que tout ce qu’il promet de faire sera toujours des choses illusoires. C’est à partir de là que je me suis dit que, ce que je dois défendre, ce que je défends toujours, cela, ce n’est pas parce que j’ai repris la peinture aujourd’hui. C’est depuis très fort longtemps ; j’ai rencontré des déboires, c’est vrai, mais, je pense que, à partir de tout ce que j’ai rencontré, je me suis demandé si, en fin de compte, le problème serait de moi-même ou de quelqu’un d’autre. Alors, je me suis dit qu’il n’y a qu’une seule chose qui puisse justifier tout ce qui se passe, c’est le mental humain.

Quel type de peinture faites-vous ? Quels matériaux utilisez-vous ?

Je manipule toutes sortes de peintures. Mais, pour le moment, c’est de la toile que je peins ; qui dit ’’toile’’ parle de la peinture à huile, souvent. Si non, la peinture à eau n’est pas conseillée pour certains travaux. Les peintures qui se font sur des supports légers, comme le papier, et certaines qualités de tissus, par exemple, on peut les faire avec de la peinture à eau ; ces qualités d’œuvres n’ont pas besoin d’être exposées à la poussière, tandis qu’avec la peinture à huile, à n’importe quel moment, on peut les relaver, les reconstruire, et puis, cela passe. Si non, c’est la peinture à huile que j’exploite.

Est-ce que, aujourd’hui, vous vivez de votre art ? Parvenez-vous à faire connaître ce que vous faites au grand public ? A quelle étape êtes-vous actuellement dans la pratique de la peinture ?

Toute ma vie, je l’ai passée dans l’imprimerie ; je ne viens que de reprendre le pinceau, comme je viens de vous le dire à l’instant, je ne me suis pas encore fait connaître du grand public. Si non, ce n’est que récemment même que j’ai commencé à peindre dehors ; tout ce que je faisais, c’est à l’intérieur que je travaillais. Je ne me suis pas encore fait connaître du grand public parce que, il me semble que, l’économie est le point afférent de tout ce que l’on peut programmer à faire ; on ne peut pas se lancer comme cela, vu l’âge qu’on a. Pour les jeunes, bon, d’accord, on peut se lancer et chercher des sponsors par-ci, par-là ; lorsqu’on a un certain âge, c’est difficile d’avoir les sponsors. Donc, j’attends ; si, toutefois, j’arrive à faire quelques tableaux, je pourrai trouver des endroits et les exposer, c’est tout ce que je pourrai faire, pour le moment.



Vous avez donc un appel à lancer …

Bien sûr que je ne me confie pas à lancer un appel ; je vous ai parlé de la question de l’âge et des moyens. L’argent est toujours le bienvenu à tout moment mais, je ne peux lancer un appel, alors que nous savons très bien que cela ne va pas un peu partout. Autant continuer seulement à me défendre comme cela ; avec le peu de moyens que j’ai, je paie mes produits, je suis en train de réunir mes tableaux. Cela dépend, si, toutefois, il y a des personnes avisées qui peuvent s’intéresser à ce que je fais, c’est tant mieux, on ne peut que le souhaiter ; s’il y a quelqu’un qui peut me venir en aide, d’accord. Si non, je crois que, malgré mon âge, je me sens toujours jeune ; je suis jeune. En ce qui concerne l’attente, je ne suis jamais pressé ; je ne peux pas me prononcer sur un appel quelconque.
Cependant, si appel il y a, c’est un appel que je pourrais peut-être me permettre de lancer, à l’endroit de nos autorités, en ceci que, franchement, notre social est en train de régresser ; ce n’est pas hier, ce n’est pas avant-hier, cela fait déjà des années. Nous sommes tous conscients de ce qu’il y a jusqu’à aujourd’hui. Maintenant, nous parlons d’une nouvelle récession économique, de crise par-ci, de crise par-là. En ce qui me concerne, si j’ai dit, au préalable, que j’avais fait l’imprimerie pendant des années, et que les circonstances n’étaient pas réunies, je ne peux pas dire que j’ai eu de la malchance, j’ai toujours la chance d’avoir du travail. C’est que, nos autorités, - qu’elles me le permettent, je leur demande des excuses, chacun se défend tant bien que mal dans son domaine, - elles font tout ce qu’elles peuvent, c’est vrai, mais, concernant les points essentiels auxquels elles doivent s’attacher, moi, je leur demanderai de s’occuper du social, parce que tous ces petits problèmes que nous avons aujourd’hui, c’est parce qu’il y a manque de quoi faire. Si l’on dit ’’manque de quoi faire’’, c’est parce que qu’il n’y a pas un exergue portée vers la chose. C’est comme qui dirait : « Fais ce que je te dis, mais ne fais pas ce que je fais ».
Il me semble qu’à l’heure qu’il est, nos autorités doivent prendre le devant des choses, aller à la rencontre des populations à la base ; nous ne sommes pas tous convaincus de ce que nous pouvons faire ; ce que l’on peut faire, il y en a, mais, si les gens ne sont pas habitués à le faire, dès le départ, et que personne ne leur a montré ce qu’il faut faire, ils vont toujours passer à côté. Alors, on sera toujours en train de se replier sur soi-même, croyant que le monde est déjà perdu comme cela, et que nous avons tout perdu, alors que tout est à côté de nous. Il me semble que, à côté de tout ceci, il faut une grande prise de responsabilité, en ce qui concerne le social. Lorsqu’on parle du social, on a tendance à penser qu’il faut aller donner de l’argent aux populations, que c’est de l’argent qu’on attend. Non, ce n’est pas une question d’argent, c’est une affaire d’organisation parce que, lorsqu’on n’organise pas le social, que l’on décrète des lois, que l’on vote des lois, cela ne pourra jamais marcher. On souhaiterait que cela marche mais, je demande que l’on vienne à réfléchir sur pourquoi cela n’a pas marché. C’est parce qu’il n’y a pas d’organisation, à l’instar d’autres pays.
Pendant les 22 ans que j’ai passés dans deux pays étrangers africains, j’ai vu que c’est l’organisation. Si l’on n’organise pas un peuple, une population ou même un groupe d’individus, il y aura toujours dérapage, parce que, ce groupe d’individus, cette population, ou ce consensuel aurait une décision de nommer des gens à sa tête, qui puissent l’orienter ; ce n’est pas nous tous qui allons nous asseoir dans le fauteuil présidentiel. Je vais, par là, me référer aux propos d’une personnalité à qui je confère mes révérences ; il s’agit de Monsieur Robert Dossou qui n’a pas manqué de dire que ce n’est pas obligatoirement dans le fauteuil présidentiel, dans le haut lieu qu’on doit rester pour aider son pays ; il en a donné l’exemple sur lui-même. En me référant aussi à un certain souvenir d’Eustache Prudencio, il disait que nous ne pouvons pas vivre sans être dans notre propre mêlée, sans être ensemble. Je crois que, lorsque nos autorités prennent le devant des choses et disent que ceci doit être ceci, cela doit aller.

Si ce n’est pas trop indiscret, peut-on connaître votre âge ?

J’ai déjà presqu’atteint ma soixantaine.

Nous vous souhaitons beaucoup de chance …

Merci.



Propos recueillis par Marcel Kpogodo

mardi 3 février 2009

Théâtre au CCFde Cotonou



Représentation théâtrale au Centre culturel français de Cotonou


Saendou Amadou broie du noir


Après son fameux Je chausse du 45. Et toi ? ayant obtenu un succès fulgurant au Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb), édition 2008, tous ceux qui étaient curieux de suivre une nouvelle production de Saendou Amadou sur scène ont été servis. Mes 2 p’tites dames, le titre de la pièce de théâtre, dont il est encore l’auteur, a été représentée, vendredi 23 janvier dernier, au Centre culturel français(Ccf) de Cotonou. L’occasion pour le jeune dramaturge et metteur en scène béninois de laisser percevoir par le public un certain état d’esprit : le pessimisme.


Marcel Kpogodo


Un grand rideau noir en fond de scène et surgissent deux chaises et une table sur laquelle il y a un repas et une bouteille de boisson. Dans ce décor sobre apparaissent également, l’une après l’autre, deux femmes, vêtues, de la tête aux pieds, en tenue de deuil, chacune, dans un style vestimentaire spécifique. Le spectateur ne tarde pas à comprendre que la situation du jour consiste en des funérailles d’un homme décédé, laissant une grande fortune et deux épouses qui sont deux sœurs jumelles, l’une, légitimement mariée à lui et, l’autre, non. En réalité, Joseph Codjovi, l’époux défunt, Directeur de la Prévention nationale anti-sida, est un faux porteur du virus mais qui, grâce à sa position, s’enrichit énormément par la grosse manne d’argent dont il dispose pour la lutte contre le mal du siècle et, au nom de tous les malades du pays. La réussite de l’imposture est le fait de l’une de ses femmes qui, grâce à un laborantin qu’elle avait rencontré dans un centre psychiatrique où elle était internée, a obtenu les faux résultats positifs au test du Vih/sida.


Le noir partout


En dehors du noir profond du décor, constitué par le grand rideau de cette couleur et par les vêtements des deux femmes, d’autres noirs. D’abord, la guerre pour l’héritage, qui s’engage entre les deux femmes. Pour la circonstance, elles n’ont plus rien de sœurs jumelles mais donnent l’impression de vautours impitoyables, acharnés à s’approprier les riches restes de leur « mari » ; il n’est pas facile de les percevoir comme des veuves joyeuses. Le sentiment amoureux n’a plus sa place ; la conclusion qui s’impose est le fond d’intérêt matériel et pécuniaire qui sous-tend les unions maritales et qui, semble-t-il, déterminent les femmes à l’amour et au mariage.
Dans la même logique du noir, l’épisode de l’une des sœurs jumelles, instrumentalisée dans le passé par un chef de couvent, en tant qu’objet divinatoire, d’où la folie dont elle est victime par la suite ; c’est l’incursion dans l’univers mystérieux et apparemment redoutable de l’ésotérisme des pratiques de fétiche. Cette pièce est aussi celle d’un haut niveau d’immoralité : les deux sœurs rivales et adversaires sont aussi d’intenses lesbiennes.
Par ailleurs, le dénouement de la pièce est d’un noir plus profond que tout : les deux veuves se trouvent tuées. C’est le renoncement regrettable de l’auteur de la pièce à la logique du « happy end ». Qui a-t-on voulu punir et, de quoi ? Pour quelle conviction ? N’y avait-il réellement aucune possibilité de récupération morale de ces deux femmes cupides mais qui ont eu le mérite de n’avoir pas été emportées dans le flot mortel endigué par la providence ? Si l’écrivain détient le même pouvoir de création que Dieu, pourquoi n’imite-t-il pas l’être suprême jusqu’au bout en rachetant le pécheur ? Pourquoi ce pessimisme chez Saendou Amadou qui nous donne une fin tragique, catastrophique, réduisant ainsi à néant toute capacité à croire que malgré les vicissitudes auxquelles l’existence soumet l’homme, celui-ci n’a aucun autre choix que l’espérance en une vie meilleure ? Avec ce choix, le dramaturge ne s’inscrit-il pas dans la logique d’un plus noir que lui, Olympe Bhêly-Quenum, qui, avec un Ahouna candide et intègre, finit son Piège sans fin en le soumettant à la fatale incinération du bûcher ? L’Afrique n’a plus besoin de cette teinte noire qui envahit ses œuvres littéraires s’identifiant à la logique inacceptable dans laquelle la communauté internationale se plaît à la plonger : guerres, génocides, sécheresses, famines, sida, … D’ailleurs, les dirigeants africains eux-mêmes ne font rien pour casser une telle spirale.


Des points de blanc ...


Au-delà d’un dénouement qui casse le bonheur qu’avait éprouvé le public à suivre, en avril 2008, au Fitheb, Je chausse du 45. Et toi ?, une pièce inimitable par la lutte permanente de l’auteur pour restituer une intrigue voguant dans le perpétuel inattendu et aboutissant à un happy end d’autant plus extraordinaire, plaisant qu’inespéré, Mes 2 p’tites dames recèle de plusieurs niveaux de mérite : le public s’est difficilement ennuyé, vu que la pièce comportait de nombreux temps forts, les deux personnages féminins passaient très facilement de la danse à la bagarre, de la bagarre à la joie, des rires aux pleurs, de la jovialité à la haine, du passé noir au présent prometteur d’un futur radieux. En outre, même si le jeu d’Akofa Kougblénou et de Rosaline Daguè, les deux actrices incarnant les veuves, a manqué de réalisme, à quelques rares niveaux du déroulement de la pièce, elles ont réussi à restituer l’atmosphère intime propre au labyrinthe sinueux de la ruse féminine fondées, en même temps, sur la jalousie et le détachement amoureux, et à faire détester par le public la transformation par les institutions humaines de la pandémie du sida en une entreprise pour enrichir les cadres.