Représentation théâtrale au Centre culturel français de Cotonou
Saendou Amadou broie du noir
Après son fameux Je chausse du 45. Et toi ? ayant obtenu un succès fulgurant au Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb), édition 2008, tous ceux qui étaient curieux de suivre une nouvelle production de Saendou Amadou sur scène ont été servis. Mes 2 p’tites dames, le titre de la pièce de théâtre, dont il est encore l’auteur, a été représentée, vendredi 23 janvier dernier, au Centre culturel français(Ccf) de Cotonou. L’occasion pour le jeune dramaturge et metteur en scène béninois de laisser percevoir par le public un certain état d’esprit : le pessimisme.
Marcel Kpogodo
Un grand rideau noir en fond de scène et surgissent deux chaises et une table sur laquelle il y a un repas et une bouteille de boisson. Dans ce décor sobre apparaissent également, l’une après l’autre, deux femmes, vêtues, de la tête aux pieds, en tenue de deuil, chacune, dans un style vestimentaire spécifique. Le spectateur ne tarde pas à comprendre que la situation du jour consiste en des funérailles d’un homme décédé, laissant une grande fortune et deux épouses qui sont deux sœurs jumelles, l’une, légitimement mariée à lui et, l’autre, non. En réalité, Joseph Codjovi, l’époux défunt, Directeur de la Prévention nationale anti-sida, est un faux porteur du virus mais qui, grâce à sa position, s’enrichit énormément par la grosse manne d’argent dont il dispose pour la lutte contre le mal du siècle et, au nom de tous les malades du pays. La réussite de l’imposture est le fait de l’une de ses femmes qui, grâce à un laborantin qu’elle avait rencontré dans un centre psychiatrique où elle était internée, a obtenu les faux résultats positifs au test du Vih/sida.
Le noir partout
En dehors du noir profond du décor, constitué par le grand rideau de cette couleur et par les vêtements des deux femmes, d’autres noirs. D’abord, la guerre pour l’héritage, qui s’engage entre les deux femmes. Pour la circonstance, elles n’ont plus rien de sœurs jumelles mais donnent l’impression de vautours impitoyables, acharnés à s’approprier les riches restes de leur « mari » ; il n’est pas facile de les percevoir comme des veuves joyeuses. Le sentiment amoureux n’a plus sa place ; la conclusion qui s’impose est le fond d’intérêt matériel et pécuniaire qui sous-tend les unions maritales et qui, semble-t-il, déterminent les femmes à l’amour et au mariage.
Dans la même logique du noir, l’épisode de l’une des sœurs jumelles, instrumentalisée dans le passé par un chef de couvent, en tant qu’objet divinatoire, d’où la folie dont elle est victime par la suite ; c’est l’incursion dans l’univers mystérieux et apparemment redoutable de l’ésotérisme des pratiques de fétiche. Cette pièce est aussi celle d’un haut niveau d’immoralité : les deux sœurs rivales et adversaires sont aussi d’intenses lesbiennes.
Par ailleurs, le dénouement de la pièce est d’un noir plus profond que tout : les deux veuves se trouvent tuées. C’est le renoncement regrettable de l’auteur de la pièce à la logique du « happy end ». Qui a-t-on voulu punir et, de quoi ? Pour quelle conviction ? N’y avait-il réellement aucune possibilité de récupération morale de ces deux femmes cupides mais qui ont eu le mérite de n’avoir pas été emportées dans le flot mortel endigué par la providence ? Si l’écrivain détient le même pouvoir de création que Dieu, pourquoi n’imite-t-il pas l’être suprême jusqu’au bout en rachetant le pécheur ? Pourquoi ce pessimisme chez Saendou Amadou qui nous donne une fin tragique, catastrophique, réduisant ainsi à néant toute capacité à croire que malgré les vicissitudes auxquelles l’existence soumet l’homme, celui-ci n’a aucun autre choix que l’espérance en une vie meilleure ? Avec ce choix, le dramaturge ne s’inscrit-il pas dans la logique d’un plus noir que lui, Olympe Bhêly-Quenum, qui, avec un Ahouna candide et intègre, finit son Piège sans fin en le soumettant à la fatale incinération du bûcher ? L’Afrique n’a plus besoin de cette teinte noire qui envahit ses œuvres littéraires s’identifiant à la logique inacceptable dans laquelle la communauté internationale se plaît à la plonger : guerres, génocides, sécheresses, famines, sida, … D’ailleurs, les dirigeants africains eux-mêmes ne font rien pour casser une telle spirale.
Des points de blanc ...
Au-delà d’un dénouement qui casse le bonheur qu’avait éprouvé le public à suivre, en avril 2008, au Fitheb, Je chausse du 45. Et toi ?, une pièce inimitable par la lutte permanente de l’auteur pour restituer une intrigue voguant dans le perpétuel inattendu et aboutissant à un happy end d’autant plus extraordinaire, plaisant qu’inespéré, Mes 2 p’tites dames recèle de plusieurs niveaux de mérite : le public s’est difficilement ennuyé, vu que la pièce comportait de nombreux temps forts, les deux personnages féminins passaient très facilement de la danse à la bagarre, de la bagarre à la joie, des rires aux pleurs, de la jovialité à la haine, du passé noir au présent prometteur d’un futur radieux. En outre, même si le jeu d’Akofa Kougblénou et de Rosaline Daguè, les deux actrices incarnant les veuves, a manqué de réalisme, à quelques rares niveaux du déroulement de la pièce, elles ont réussi à restituer l’atmosphère intime propre au labyrinthe sinueux de la ruse féminine fondées, en même temps, sur la jalousie et le détachement amoureux, et à faire détester par le public la transformation par les institutions humaines de la pandémie du sida en une entreprise pour enrichir les cadres.
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