dimanche 17 février 2013

Décès insoutenable de Zouley Sangaré


COMMUNIQUE DE PRESSE 




Comment Zouley Sangaré pouvait-elle avoir été laissée seule ?

Clément Mèlomè a tiré sa révérence le 17 décembre 2012, à l’âge de 67 ans et, treize jours plus tard, c’était le tour de Grâce Dotou qui s’est éteinte, à l’âge de 70 ans, plus précisément, le 30 décembre 2012.

''Le Noyau Critique'', Association de Journalistes Culturels et de Critiques d'art pour le Développement
Apparemment, ces deux disparitions successives n’ont pas provoqué autant d’émoi que celle de Zouley Sangaré, annoncée pour avoir eu lieu bien avant la nuit du 14 au 15 février 2013, moment de la découverte de sa dépouille.

Elle est morte dans des conditions qui provoquent instinctivement des larmes ! Seule ! Le téléphone à l’oreille ! Comme si, en pleine crise du voyage ultime, elle appelait désespérément quelqu’un qui pouvait la secourir. C’est choquant ! C’est d’un tel choc que Le Noyau Critique, Association de Journalistes Culturels et de Critiques d’art pour le développement, se saisit pour interpeller les autorités politiques du Bénin, en général, et celles du Ministère de la Culture, en particulier, de même que les acteurs culturels de tous ordres, les artistes, les mécènes, les promoteurs, les porteurs de projet, notamment, sur une urgente prise de conscience de la précarité cachée dans laquelle vivent les artistes de notre pays et sur l’obligation de contribuer à la prise de mesures, dans des conditions de grande diligence, pour leur sauver la vie.

Les artistes de poids qui portent notre quotidien avec nous, qui nous soulagent de nos peines par les chansons, les mélodies, les morceaux dansants, les pièces de théâtre, les poèmes, les romans, les nouvelles, les contes, les œuvres plastiques, qu’ils produisent, ne peuvent pas continuer à se retirer de ce monde comme des moins que des êtres humains !

Eskill Lohento, le 10 novembre 2006, dans les environs de sept heures, est parti dans les mêmes conditions de crise que Clément Mèlomè, seulement que lui attendait le médecin chez lui quand il s’en était allé à l’âge de 57 ans ...

Et, il suffit, sans volonté de retourner le couteau dans la plaie, de remonter dans l’histoire très proche, pour retrouver le décès d’un bon nombre d’artistes béninois émérites, jeunes ou non, dans des conditions inhumaines ...

Que dire du départ de Baba Djalla, d’Affo Love et de bien d’autres avant eux, après eux et entre eux ?

Continuer à laisser les choses se faire ainsi, c’est sucer le jus d’une orange, en manger patiemment tout le contenu et en jeter la peau.

Nous nous satisfaisons des prestations de tous ordres de nos artistes et, dès qu’il s’agit de parler de leur état de santé, cela ne nous préoccupe plus ; après tout, n’avons-nous pas déjà tiré d’eux ce que nous pouvions ?

Voilà une mentalité déplorable, honteuse qui se fonde sur le sens de la non assistance à personne en danger ! Et, après, lors de cérémonies posthumes pompeuses au Hall des Arts de Cotonou, drapeau national sur le cercueil, c’est pour verser des larmes de crocodiles !

Nous ne sommes pas Dieu mais, il est évident que les Baba Djalla, les Affo Love, les Eskill Lohento, les Grâce Dotou, les Clément Mèlomè, les Alokè, notre sœur Zouley et tant d’autres artistes, tous domaines confondus, avant eux, seraient encore de ce monde si l’Etat avait, tout au moins, souscrit en leur nom, une assurance-vie, ou mis en place un processus social, sanitaire et financier simple, pouvant les accompagner dans leur vie de tous les jours et les empêcher de faire face seuls à leurs charges d’entretien.
Pendant que cela n’est pas encore fait, les Baobab de Tohon Stan, de Sagbohan Danialou et bien d’autres artistes béninois de poigne et de renom, tous secteurs confondus, sont toujours parmi nous.

Qui sait si, d’un jour à l’autre, les concernant, il n’y aura pas une nouvelle non plaisante qui nous tombera à nouveau sur la tête ?

Qui sait si l’état social ou sanitaire qui est le leur aujourd’hui peut leur permettre de vivre pendant encore de nombreuses années ?

Ils ont beaucoup apporté à notre épanouissement et au rayonnement culturel de notre pays et continuent de le faire ; que le cycle de l’ingratitude de la Nation s’arrête enfin !
Par conséquent, Le Noyau Critique en appelle à plusieurs dispositions urgentes :
-         Que les autorités compétentes contribuent à faire la lumière sur les tenants et les aboutissants du décès tragique de Zouley Sangaré ;

-         Que le Ministère de la Culture, par le biais du Fonds d’Aide à la Culture, travaille à faire fonctionner un processus de prise en charge sociale et de suivi médical des artistes béninois, selon des critères bien déterminés, notamment, s’il est concrètement et scientifiquement établi leur talent incontestable, leur contribution, par la création régulière d’œuvres de l’esprit, à la matérialisation, à la diffusion et à l’immortalisation de la culture béninoise et de la présence du Bénin dans la culture universelle ;

-         Que les artistes ainsi reconnus, tous domaines confondus, bénéficient d’une visite médicale gratuite quadri-annuelle (1 fois par trimestre), garantie et payée par l’Etat ;

-         Qu’ils puissent être traités dans nos hôpitaux à des taux réellement préférentiels ;

-         Qu’ils bénéficient d’un accompagnement physique, social et sécuritaire par la mise à leur disposition d’une équipe restreinte permanente, rémunérée par l’Etat, constituée d’une infirmière de service, d’un garde-de-corps et d’un agent de courses, ce qui permettra de ne plus jamais assister au Bénin au tragique et à l’inacceptable du départ de Zouley Sangaré ;

-         Que la lutte contre la piraterie soit organisée selon une allure de sensibilisation patriotique pour que les artistes vivent de leur art au Bénin, face au développement dans l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ;

-         Que les précédentes dispositions soient protégées et pérennisées par une Loi qui sera votée en bonne et due forme par la Représentation Nationale.

Si nous ne voulons plus voir des artistes de notre pays subir le sort de Zouley Sangaré, il est impérieux que, tous, nous mettions la main à la pâte, pour la concrétisation de mesures qui tiennent nos créateurs de l’esprit hors et loin de toute situation peu valorisante pour leur génie et leur nom.

Cotonou, le 16 février 2013

Pour Le Noyau Critique
Le Président,

Marcel KPOGODO

mardi 22 janvier 2013

A l'Espace '' Mayton'' d'Abomey-Calavi

Rosaline Baï Daahguè, ''receveuse''


La scène de l'Espace ''Mayton'', situé à Abomey-Calavi, non loin du portail de sortie arrière du campus de l'Université du même nom, a accueilli un spectacle expérimental de théâtre, assez original, ce lundi 21 janvier, en fin d'après-midi. L'actrice béninoise très connue, Rosaline Baï Daahguè y incarnait la ''receveuse'', dans une pièce du Camerounais, Wakeu Fogaing.


''La receveuse'', retranchée derrière sa tribune et sermonnant la population
Juste pendant quelques minutes, Rosaline Baï Daahguè, que l'on connaît comme la pleureuse professionnelle dans bon nombre de films réalisés au Bénin en ces dernières années, s'est produite sur la scène de l'Espace ''Mayton'', dont Tony Yambodé est le promoteur, à Abomey-Calavi. C'était dans un rôle de ''One man's show'', tiré de la pièce de théâtre, ''Je ne suis pas en colère ... je crie '' du dramaturge camerounais, Wakeu Fogaing. Mise en scène par le non moins connu et virevoltant, imprévisible, Arsène Kocou Yémadjè, elle a fortement impressionné la délégation d'étudiants québécois, notamment, pour lesquels la pièce était jouée, et le public spontané. 
Tenue de scène de Rosaline ....
Ici, elle joue le rôle d'une femme, devenue fille de joie, la ''receveuse'', justement, après avoir longtemps attendu un mari pour l'épouser. Chassée par d'autres femmes, stigmatisant son métier, elle est pratiquement exilée de son milieu social, mise au ban, ce qui la révolte et, excédée, elle sort de ses gongs, véritablement. 
C'est parti pour un ensemble de récriminations solitaires qui ne ménagent personne, plus précisément, les femmes, sa cible privilégiée et, secondairement, les hommes qui, la nuit, viennent vers elle pour le plaisir charnel mais qui, en plein jour, lui jettent la pierre. Sa propre fille, qu'elle a eue d'une certaine liaison, ayant eu la chance de s'être mariée, fait partie de ses juges.
Isolée derrière une sorte de ring, elle s'en prend à ceux-ci par des mots d'une dureté sans pareille, défendant la cause des femmes de cette frange sociale pointée du doigt. Le jeu va très loin, l'amenant à observer, en tant qu'actrice, un certain niveau de dénudement, visant à traduire le réalisme de sa situation sociale d'emprunt. 
Elle se fait l'avocate de ces êtres de sexe féminin, de plus en plus nombreux au Bénin, qui se voient, par la force des choses, enfoncés dans un célibat qui, parfois, dure toute leur vie active. "C'est une pièce qui parle de la femme libre, des méchancetés qu'elle reçoit, de part et d'autre ", confirme Rosaline Daahguè, devant les journalistes, après le spectacle. " Or, si la femme devient libre, ce n'est pas de sa faute '', continue-t-elle. " On dit que la femme, c'est comme un escargot, elle aime là où c'est frais. Donc, n'ayant pas trouvé mieux, elle résiste à cela. Mais, les gens ne la comprennent pas. Tout ce qu'on lui reproche, c'est de ne pas être mariée, puisque la société conçoit qu'à un certain âge, une femme doit être chez son mari et, plus précisément, il y a celle qui a épousé un ivrogne et qu'on frappe, qu'on maltraite mais qui préfère rester avec celui-ci, pour échapper au jugement de la société ". 
Voilà donc une thématique d'une actualité quotidienne qui permet à l'actrice de se transformer en "la voix des sans-voix", comme elle le conçoit elle-même.
Photo de famille de Rosaline, avec ses invités et spectateurs québécois, après le spectacle
Par rapport à la pièce proprement dite, dans sa représentation, le metteur en scène reste fidèle à la logique du ''one man's show'', ce qui lui fait y intervenir une vidéo relatant le renvoi de la receveuse de sa communauté par d'autres femmes. Ensuite, une sorte de ring prend en charge l'essentiel du décor, reflétant aussi bien la mise au ban que la nécessité pour la chassée de disposer d'une tribune privilégiée pour se vider de ses frustrations, de ses convictions peu partagées, de la réalité de ses pensées, dénuées de toute hypocrisie. Par ailleurs, le tissu rouge qui borde le long du bas du ring entre en symbiose avec l'état d'âme de l'actrice, qui est une colère irrépressible. Une fois de plus, Arsène Kocou Yémadjè n'a rien laissé au hasard pour faire parler en chorus le texte, l'émotion, la gestuelle et le décor. 

Marcel Kpogodo