dimanche 15 août 2010

Initiatives culturelles innovantes au Bénin

Rafiy Okéfolahan, Président de l'Association Elowa et initiateur de Waba





Waba, en sa première édition



Quatre figures, un parcours hors de l’anonymat




S'il y a un événement qui a marqué l'année 2010, c'est Waba. La première édition de ce Festival s’est tenue du 05 au 10 juin 2010, dans le contexte de la vaste initiative culturelle concrétisée par le Ministère béninois de la Culture, en collaboration avec Cultures France et l’Ambassade de France près le Bénin, pour commémorer le cinquantenaire des indépendances africaines. Il s’agit d’une grandiose manifestation multidimensionnelle dénommée Regard Bénin 1.0, qui a mobilisé, dans une synergie néanmoins spécifiante, plusieurs opérateurs culturels privés et publics, béninois et étrangers. En ce qui concerne Waba, il a permis aux artistes plasticiens de Cotonou et de Porto-Novo d’ouvrir leurs ateliers au public, afin que celui-ci s’imprègne de l’intimité de leur création, qu’il découvre leurs conditions de travail et qu’il se renseigne sur la manière dont l’inspiration se métamorphose progressivement, par leurs soins techniques, intellectuelles et esthétiques, en une œuvre devant laquelle le monde entier viendra s’extasier, si elle se révèle d’une qualité hors du commun. Waba est donc un événement ayant mobilisé un nombre impressionnant d’artistes peintres, sculpteurs, plasticiens, vidéastes, des plus connus à ceux qui le sont moins, ce qui a fait participer à une même philosophie d’ouverture et de partage d’expériences de réussite, d’inusable espérance et de faits de précarité, notamment, Dominique Zinkpè, Philippe Abayi, Charly d’Almeida, Ludovic, Fadaïro, Kajero, Grek, Tchif, Totché, Eric Ahouansou, Midy, Kaman Esso, du Côté de Cotonou, et Youchaou Kiffouly, Virgil Nassara, Simplice Ahouansou, Ange, entre autres, à Porto-Novo. Ce sont, en tout et pour tout, 46 artistes dont deux femmes qui ont libéré, dans l’intimité de leur atelier, ce qu’ils ont jugé bon que les visiteurs connaissent d’eux, par le biais des cinq parcours prévus par bus pour la capitale économique, et des deux, pour la ville aux trois noms. Cette démarche unique de développement d’une humilité et d’une générosité inattendues chez ces créateurs a débouché sur la mise en vue de ceux d’entre eux auquel le public des connaisseurs et des simples observateurs n’est pas habitué : Romi, Amouros, Kaman Esso, d’une part, frappent par leur détermination à se faire un nom dans un univers d’une exigence imparable, et Théodore Dakpogan, d’autre part, impressionne du fait de sa recherche d’une rigueur technique d’une qualité renouvelée et plus porteuse.





Romi, un cachet d’authenticité


Dimanche 06 juin, deuxième jour de Waba, à Togbin, sur la route des pêches, un terrain de pique-nique en effervescence : l’aboutissement du Parcours ’’Océan’’, le troisième parmi les cinq prévus à Cotonou par Waba. Les visiteurs descendent du bus et Rafiy Okéfolahan, principal organisateur du Festival, nous dirige vers un atelier circonstanciellement installé, celui de Romi, une des rares femmes participantes. Teint clair, alerte, elle ne tarde pas à nous présenter quelques tableaux de son œuvre. Au fil des discussions qu’elle anime, surprise : l’artiste plasticien béninois très connu, Simon Soha, qui n’a pas participé à Waba, y a laissé une représentante, elle que ce maître a formée en deux ans et qui estime que c’est plutôt la peinture qui est venue à elle. Par conséquent, son investissement dans le domaine des arts plastiques a consisté à s’imprégner de techniques, afin de se spécialiser. Comme résultat, les pièces qu’elle montre, l’une après l’autre, nous font découvrir un investissement particulier de cette jeune femme dans la technique des pointillés aborigènes et des silhouettes de femmes ; elle récupère aussi des pagnes et utilise la terre comme matériau. Cette artiste, qui comptabilise environ quatre années dans cet univers, qui, après n’avoir pas réussi à obtenir le Baccalauréat, s’est investie dans l’informatique avant de se tracer un chemin plus convaincu vers l’art, n’exerce désormais que lui et en vit. Romi, dans une voix claire, précise que les thèmes qui l’inspirent, c’est tout ce qui bouge, plus spécifiquement la femme dont la cause pour la libération sociale fait le fondement de ses toiles et, aussi, tout ce qui se trouve lié à elle, notamment, les enfants, les enfants délaissés, les enfants rejetés dont elle veut donner de son énergie artistique à améliorer le devenir. Romi n’a pas froid aux yeux ; sûre d’elle, Waba lui donne des raisons d’exulter, ayant été une véritable opportunité pour elle de sortir de l’anonymat.






Amouros, le porte-flambeau des personnes handicapées


Jumelé à l’atelier de Romi, celui d’Amouros, de son vrai nom, Amour Yémadjro. D’une complicité certaine avec elle, son parcours n’en est pas moins spécifique. S’il exerce dans les arts plastiques depuis six années, il a beaucoup exposé dans le Nord-Bénin et travaille à Cotonou, à Togbin, au bord de la mer. Handicapé moteur, il n’est pas allé chercher bien loin les thèmes de son œuvre dont les toiles se distinguent toutes par des dessins de personnes handicapées : les enfants placés, encore appelés ’’vidomègons’’, les enfants travailleurs en bas âge et, naturellement, les êtres humains handicapés dont il veut intéresser et sensibiliser le public au sort peu enviable. S’il avoue vivre un peu difficilement de ses toiles, ses yeux brillent instantanément lorsqu’un visiteur évoque avec lui le 1er août prochain. Selon lui, la commémoration du cinquantième anniversaire de l’accession du Bénin à la souveraineté internationale, constitue une véritable opportunité pour les jeunes artistes béninois qui devront se pointer à Porto-Novo, centre névralgique des festivités, pour exposer des toiles, faire partager leurs idées et, face aux touristes, aux connaisseurs et aux curieux, sortir davantage de l’anonymat.


Théodore Dakpogan, le patron chercheur

Porto-Novo, jeudi 10 juin, le dernier jour du Festival Waba. Présent à la Maison du Patrimoine, pour suivre de près la clôture de l’événement, il avait au préalable accompli la formalité de nous parler un peu de lui au Centre culturel Ouadada, son point d’exposition. Né dans les mêmes années que l’accession du Bénin à l’indépendance, son regard n’est pas celui d’un naïf qui se cherche dans le domaine des arts plastiques. Au contraire, armé d’une assurance d’airain, il déroule son parcours d’artiste sculpteur, parti du métier de forgeron. Sa voix, quelque peu critique envers Waba dont il espère que les prochaines éditions travailleront mieux à drainer des visiteurs plus nombreux vers les exposants de la ville-capitale politique, nous révèle ses débuts en 1990 avec la Coopération française qui lui donna l’opportunité d’une grande exposition très réussie et fructueuse au Palais de Honmè. En dix ans d’exercice, ses yeux brillent d’une joie nostalgique lorsqu’il laisse lire en eux ses nombreux voyages d’exposition au Bénin, en Afrique, en Europe et à travers le monde. A l’heure actuelle, il expérimente un grand isolement pour découvrir de nouvelles voies d’un art sculpteur plus novateur. Théodore Dakpogan, marié, quatre fois père, vit exclusivement de l’art qu’il fait par le biais des tôles, des bouts de verre, des vis, des boulons, des chaînes et des dents d’engins qu’il récupère et reconvertit en pièces de modelage de ses personnages. Quelques fois, il se rapproche de la forge à laquelle certains travaux ponctuels le ramènent. Les personnages qu’il a matérialisés récemment portent la marque d’un regard profondément dénonciateur du comportement des jeunes filles béninoises d’aujourd’hui qui, habillées en pantalon, laissent déborder leurs perles. S’il se laisse aller à la sensibilisation, c’est pour les appeler à changer de comportement et, dans un autre registre, pensant à la commémoration des 50 ans de son indépendance par le Bénin, il exhorte les pouvoirs publics à penser au développement du pays et, surtout, à doter les artistes d’un vrai statut, comme cela est le cas dans bien de pays de la sous-région.




Kaman Esso, le Doyen aux messages percutants

« A tout seigneur, tout honneur ». La visite de son atelier sis quartier Aïbatin, au détour d’une ruelle, fait découvrir, à l’entrée, à gauche et à droite, un projecteur, ce qui rappelle son métier de photographe et qui lui permet de préciser au petit monde visiteur qu’il a aussi exercé en tant qu’imprimeur. Ce sexagénaire qui, apparemment, se prépare un destin de la Capverdienne Césaria Evora, ne cache pas, d’entrée de jeu, son enthousiasme pour Waba, lui qui a la chance de recevoir une grande visite, dès le premier jour de la manifestation. Confessant très tôt que son nom ’’Kaman Esso’’ signifie, en nago, ’’Connaissons nos limites’’, il se présente comme un homme qui n’aime nullement exagérer en ce qu’il fait. Dessinateur depuis son âge d’enfant, ayant exercé à l’étranger les deux métiers évoqués précédemment, il ne s’est remis aux arts plastiques que trois années auparavant ; ses tableaux, de format légèrement en dessous de la moyenne, côtoient très peu l’abstraction et font découvrir une peinture réaliste dont le message trouve sa compréhension dans une exploration philosophique du monde. Au bas de quelques-unes de ses toiles, la signature n’est pas ’’Kaman Esso’’, mais tient en une phrase : « Les mains prolongent la pensée », ce qu’il explique en rendant hommage au Créateur qui a pourvu l’homme des mains lui permettant de « marquer ses sentiments, de démontrer ce qu’il est et ce qu’il fait ». Evoquant sa démarche, il se déclare imprégné de tout système artistique et peint de préférence à l’huile pour parler au public de tout ce qui se passe autour de lui. Kaman Esso, originaire de Pobè, né à Abomey d’une mère originaire de cette ville et d’un père natif d’Agonli, impressionne par la force et la profondeur avec laquelle il convertit des phénomènes simples de la vie en des leçons que les hommes devraient se donner l’humilité de suivre, afin de mener une existence davantage heureuse et épanouissante. Néanmoins, il lui tient fortement à cœur de faire passer que les autorités de notre pays devraient travailler ardemment à amener les féticheurs, les marabouts et toutes les formes de pratiquants de l’occulte à tourner leurs activités vers le bien, à faire en sorte que le gris-gris travaille plutôt au bonheur des Béninois. Le contraire aujourd’hui, selon lui, est le résultat du refus de ses compatriotes de fréquenter leur village et de bon nombre de Béninois de la diaspora de rentrer au pays, pour contribuer à son développement. Cet artiste qui s’exprime ainsi, qui se rend intarissable quand il s’agit d’évoquer de précieuses leçons de vie et qui est décidé à rompre avec l’anonymat artistique porte comme vrai nom Lucien Houéssou.

Réalisation : Marcel Kpogodo

Projet "Théâtre à l'école"

Christel Gbaguidi, l'initiateur du Projet "Théâtre à l'école"






Dans le cadre du bilan du Projet '' Théâtre à l'école"








Analyse critique des spectacles des 25, 26, 27 et 28 mai 2010 au Ccf de Cotonou






Le Projet "Théâtre à l'école", piloté par son concepteur, Christel Gbaguidi, se trouve à la phase du bilan. A l'heure du dépôt du rapport de son déroulement sur quatre mois, de mars à juin 2010, il s'impose une analyse critique des prestations théâtrales respectives du Lycée Montaigne, du Collège catholique Père Aupiais et du Collège d'enseignement général de Godomey.







A tout seigneur, tout honneur. Le collège d'enseignement général de Godomey, qui est passé en dernière position dans les prestations sur scène au Centre culturel français de Cotonou, le vendredi 28 mai dernier, a tenu en haleine et époustouflé le public. Dans la création de L'avare de Molière, le metteur en scène, Patrice Toton, a pris soin de rendre facilement accessible au public une pièce du XVIIème siècle. Son procédé a été simple : mettre en place un choeur d'acteurs, qui répète en permanence des répliques dites par un personnage-conteur qui raconte les péripéties d'Harpagon aux prises avec des manigances l'amenant à rentabiliser financièrment le mariage de ses fille et fils, et avec la perte de sa cassette. Par ces acteurs qui ont manifesté une diction forte et audible, châtiée, celui qui n'a jamais lu la pièce en a compris l'intrigue et, le virevoltant Gédéon Ahéhéhinnou, Harpagon sur la scène, a su impressionner et faire rire intensément à toutes ses apparitions.





Gédéon Vivien Ahéhéhinnou, alias Harpagon, dans ses exploits (Photo de Jessica Vuillaume)





Totale apothéose


La mise en scène de L'avare était si réussie en matière d'innovation que les deux histoires parallèles de coeur, celles respectives du fils et de la fille d'Harpagon, contées à plusieurs endroits, dans le but, à coup sûr, de ne pas ennuyer les spectateurs et de gagner du temps, ont su être visibles et frappantes, sur un fond de pingrerie de ce vieillard perpétuellement tourné en ridicule. Ainsi, en 90 mn, Patrice Toton, en cette soirée du 28 mai 2010, au Centre culturel français de Cotonou, a réussi le pari de faire vivre une pièce, de distraire et de démontrer ses capacités pédagogiques incontestables, en même temps que sa dimension de metteur en scène profondément créatif et moulé dans les stratégies modernes de représentation théâtrale. Apparemment, sa mise en scène a été le plus applaudie.


Une séquence sentimentale de L'avare (Photo de Jessica Vuillaume)


Le choeur savamment mis en place par Patrice Toton, en action (Photo de Jessica Vuillaume)





La partition du Collège catholique Père Aupiais



Contrairement à la pièce précédemment évoquée, Certifié sincère de Florent Couao-Zotti, dans la mise en scène de Nathalie Hounvo-Yèkpè, a très tôt fait ressortir que les acteurs étaient, pour la plupart, novices. Optant pour une présentation linaire des séquences narratives, le metteur en scène s'est moulé dans une stratégie classique, ce qui a provoqué l'impression chez le public que le naturel devant fonder un réalisme inévitable des faits a été sacrifié ; les acteurs, qui ne sont pas à condamnés du fait qu'ils en étaient à leur première expérience de représentation théâtrale, semblaient réciter un texte bien mémorisé. En revanche, un certain nombre d'éléments sont venus rattraper ce handicap : les costumes assez représentatifs, la soif de bien faire des acteurs, leur courage scénique. Nathalie Hounvo-Yèkpè aura réusii à les motiver jusqu'au bout.



Une séquence de la pièce Certifié sincère (Photo de Jessica Vuillaume)


Les jumeaux acteurs en action : un véritable engagement (Photo de Jessica Vuillaume)



Une autre séquence stratégique de rivalité pour un fictif héritage (Photo de Jessica Vuillaume)



Une séquence du dénouement inattendu de la pièce (Photo de Jessica Vuillaume)


En ce qui concerne le Lycée Montaigne


Si Yvon Le Vagueresse, metteur en scène de La nuit de Valognes d'Eric-Emmanuel Schmitt, a innové, c'est, d'abord, en faisant jouer la même pièce par deux groupes différents, celui des acteurs titulaires, d'un côté, et celui des suppléants. Ceci a permis de voir deux sensibilités spécifiques rivaliser autour d'une même pièce. Cependant, cela n'a pas fait perdre un effet qui se répète lorsque jouent des acteurs issus d'un crû social différent de celui béninois : il faut tendre l'oreille d'une manière particulièrement insistante pour comprendre les répliques distillées avec beaucoup d'amour par les acteurs. A l'avenir, il faudrait peut-être qu'Yvon Le Vagueresse mélange à son équipe des acteurs béninois par l'accent ou qu'il se fasse assister par un metteur en scène béninois. Dans le cas contraire, on aura toujours l'impression que les représentations théâtrales effectuées par le Lycée Montaigne sont destinées uniquement à la population française de Cotonou. Cependant, Yvon Le Vagueresse aurau réussi le coup de diversifier son approche de mise en scène.

L'une des séquences finales du Groupe 2 du Lycée Montaigne (Photo de Jessica Vuillaume)



Toujours le Groupe 2 avec des actrices noires qui auront suscité l'intérêt de la frange béninoise du public (Photo de Jessica Vuillaume)


Le Groupe 2 à l'une des séquences du début de la représentation (Photo de Jessica Vuillaume)



Le Groupe 1, à présent (Photo de Jessica Vuillaume)




Une séquence phare exécutée par le Groupe 1 du Lycée Montaigne : Don Juan pris en tenaille par ses ex-victimes (Photo de Jessica Vuillaume)



Les actrices du Groupe 1 en plein jeu (Photo de Jessica Vuillaume)

Une séquence initiale du Groupe 1 (Photo de Jessica Vuillaume)






Réalisation : Marcel Kpogodo