Martial Kognon
se distingue pour ’’Temps additionnel’’
Martial Kognon recevant son trophée |
La
journée du samedi 9 novembre 2013 s’est révélée bien remplie
dans le domaine de la promotion littéraire au Bénin. Meublée par
deux phases d’une importance capitale, elle a permis aux Editions
Plurielles, aussi bien, de révéler le lauréat de la sixième
édition du Concours ’’Plumes dorées’’ que de faire
découvrir le contenu de l’ouvrage sélectionné.
Un aperçu des participants |
Martial
Kognon pour ’’Temps additionnel’’. Voici le nom d’un jeune
auteur distingué et le titre de l’ouvrage qui lui a servi à
monter sur un piédestal littéraire. Ce verdict a été prononcé,
le samedi 9 novembre 2013, en milieu de matinée, à la salle
polyvalente du Palais des Congrès de Cotonou, dans le cadre de la
cérémonie de délibération organisée par ’’Les éditions
plurielles’’, pour le compte du Concours national ’’Plumes
dorées’’, de l’année 2013. Anirelle Ahouantchessou, Modeste
Gansou-Wéwé, Pelphide Tokpo et Myrtille Akofa-Haho sont les quatre
autres jeunes postulants au Prix sur les cinq que le Jury, présidé
par le romancier béninois, Florent Couao-Zotti, a choisi d’élire
parmi les trente ayant participé, plusieurs mois auparavant, au
processus mis en place par le Concours national ’’Plumes
dorées’’ : appel à candidatures, sélection, résidence
d’écriture, production des stagiaires et détection des cinq
meilleurs devant postuler au Prix ’’Plumes dorées’’ 2013.
Avec leur position des cinq meilleurs, Martial Kognon et ses quatre
autres amis s’en tirent avec un ordinateur portatif, des livres et
des dictionnaires mais, particulièrement, le tout premier a reçu un
trophée et un compte bancaire. Vivement donc, l’édition 2014 !
Un
après-midi instructif
Dans
l’après-midi de ce même samedi 9 novembre, ’’Les éditions
plurielles’’ ont convié le public à l’auditorium de
l’Institut français du Bénin. C’était pour lui faire découvrir
le contenu de l’ouvrage primé à l’issue du Concours national
’’Plumes dorées’’ 2013, ’’Temps additionnel’’.
Thanguy Agoï, journaliste à la chaîne de télévision, Canal 3,
s’est vu échoir la lourde responsabilité littéraire d’analyser
l’ouvrage. Son propos a donné lieu à des riches échanges dont
Martial Kognon, l’auteur de l’ouvrage primé, par des
éclaircissements sur son procédé et son processus d’écriture, a
été la clé de voûte.
’’Temps
additionnel’’ : L’analyse de Thanguy Agoï
Une
femme attend en prison depuis six mois maintenant. Elle est inculpée
pour le meurtre de Basile, et condamnée à la peine capitale, lors
d’un procès expéditif : des juges qui la méprisaient, une
population surexcitée qui voulaient un coupable pour la longue série
de tueries qui a cours depuis lors, et des hommes politiques à la
recherche d’un lampiste pour remonter dans l’estime du peuple.
Tous avaient d’avance condamné Mariam avant l’audience. Face à
tout ceci et, curieusement, l’accusée a choisi de ne pas se
défendre, alors même que des indices relevés sur la scène du
crime semaient encore le doute quant à sa culpabilité. Mais, elle
ne voulait pas se battre. Son avocat, effaré, abandonne aussi. Et,
Mariam attend dans sa cellule….décidée…entêtée… Elle attend
cette mort qui n’est pas la sienne…Elle attend cette mort que la
justice des hommes veut lui donner…Elle attend…jusqu’au jour où
elle choisit de se confier au Père Honoré, venu écouter les
confessions des pensionnaires de cette maison d’arrêt. On retourne
sur les faits et sur la scène du crime. On remonte à l’histoire.
C’est le début de la traque d’une nébuleuse. L’homme de Dieu
devient le mince fil d’espoir de la condamnée, dans ce monde où
tout ce qui devrait protéger l’homme, œuvre plutôt pour sa
destruction et sa déchéance : une justice à double vitesse,
une police incapable et corrompue, une humanité assoiffée de
justice et intolérante ;
C’est
l’homme de foi qui sera sa fenêtre sur le monde extérieur, sur
l’horizon de l’espérance. C’est le père Honoré qui mènera
ses propres enquêtes, se transformant en détective privé, en
criminologue, mais, surtout, en sauveur inespéré, tout ceci, au
péril de sa vie. Mariam a frôlé la potence.
Vous
l’avez certainement remarqué. Nous sommes dans un roman policier.
Moi, je parlerai de film policier. Nous avons des scènes d’échanges
de tirs et d’acrobatie, des séquences de braquage en direct. Il ne
nous manquait qu’un écran.
Mes
impressions de lecture : une trame bien ficelée
Pour
entretenir la confusion, et, surtout, permettre aux coupables, tapis
dans l’ombre, d’y rester jusqu’à la fin de l’histoire afin
de la nourrir, l’auteur a créé ce que je pourrais appeler une
double trame.
D’abord,
le vrai crime qui a lieu, commis par le truand Edem, dit La pieuvre,
et qui reste en filigrane. Nous avons ensuite le ‘’faux crime’’,
commis par Mariam qui se fait passer pour la coupable. Entre ces deux
pôles, il y a des raccords qui font passer la réalité pour de la
fiction et vice-versa. Au nombre de ces points de raccords, on peut
citer :
- l’homonymie des personnages d’Edem, qui organise la confusion et sème le doute. La victime a réussi à écrire de son sang que son bourreau était Edem. C’est le point de départ de la confusion.
- l’arme du crime, qui est en double aussi. Les deux Edem, par un curieux hasard, ont un poignard identique, qui contribue aussi à semer la confusion.
- on peut aussi citer le passé d’Edem, qui a été toxicomane, avant de rejoindre le droit chemin, par amour. Ses antécédents (coups et blessures et séjour en garde-à-vue) sont autant de choses qui rapprochent la réalité de la fiction, dans cette affaire.
Ne
me demandez surtout pas si on peut avoir autant de coïncidences sur
une situation. Je sais juste qu’il y a un contrat de confiance qui
lie le lecteur et le narrateur.
Au
demeurant, on pourrait dire que le suspens est resté jusqu’à la
fin, en tout cas, plus longtemps dans l’esprit du lecteur qui ne
découvre le vrai coupable qu’à un moment où l’histoire est
bien avancée. Le travail de création, du point de vue trame, est
bien mûri, pour ne pas servir du déjà vu. Je ne prétends pas ici
avoir lu tous les romans policiers qui existent au monde.
Une
organisation spatio-temporelle variée
Nous
avons un déplacement du cadre des actions et des actions elles-mêmes
dans un ordre qui évite la monotonie et la constance. S’il est
vrai qu’il est impossible de conserver une telle histoire dans un
seul espace, étant donné qu’il faut dénouer le problème posé,
il s’agit de reconnaître quand même que le récit voyage dans le
temps et l’espace.
On
égrène, sans s’en rendre-compte, les six mois qui séparaient
Mariam et Hélène de la mort. On passe de l’enfance du prêtre,
par exemple, à sa vie sacerdotale. Le passé des personnages est
revisité dans un procédé de flash-back constant, même si on est
en droit de se plaindre de sa répétition à tout bout de champ.
Par
ailleurs, l’action se déplace et change de cadre tout aussi
constamment : on est tantôt en prison avec Mariam, à l’hôpital
avec Hélène, à l’église et dans les ghettos avec le prêtre, on
est dans les couloirs des commissariats de police avec l’inspecteur
Kponon et le commissaire Gogonon. On est même au cimetière à un
moment donné ….
Ce
changement donne une certaine liberté de description au narrateur,
mais avec ce même risques d’une éventuelle répétition, à cause
d’une pauvreté d’images, de rudiments appropriés.
Cela
peut se noter, par endroits, dans la description des paysages et
l’attitude des personnages.
Une
thématique diversifiée
- L’amour : c’est un sentiment qui peut être à la fois source de malheur mais aussi de bonheur. C’est au nom de l’amour que Mariam se compromet et accepte de mourir consciemment à la place de son mari. C’est aussi au nom de l’amour qu’Edem accepte de quitter son monde de toxicomanie pour intégrer une vie sociale normale et reconstruire sa vie avec Mariam. On peut donc noter qu’au sein d’un couple, ce sentiment peut avoir des conséquences totalement différentes sur chacun des membres.
- Une justice à double vitesse : les magistrats qui lorgnaient la présumée coupable, l’avaient déjà condamnée avant même le début du procès, puisqu’ils affichaient un mépris vis-à-vis d’elle. La foule et la presse aussi. Tout avait été fait et décidé dans le sens des désirs de la foule. On n’est pas loin d’une vindicte populaire. Et c’est ici qu’il faut se poser beaucoup de questions par rapport à la sincérité et à l’impartialité de la justice des hommes. Je ne veux pas ouvrir ici un autre débat mais juste vous inviter à regarder un peu autour de vous.
- Une police corrompue et incapable : Nous constatons une connivence entre les forces de l’ordre et la pègre qu’elle est appelée à réprimer. Hélas, dans la vie active, l’appât du gain facile pousse certains policiers à se dérober à leurs obligations professionnelles et à se compromettre avec les malfrats, comme c’est le cas chez le commissaire Gogonon. Mais, le plus important, c’est d’espérer qu’au sein de chacun de nos commissariats de police, qu’il subsiste un inspecteur Kponon qui, malheureusement, en a payé le prix fort.
- Le monde d’hypocrisie et d’apparence : la pieuvre était à la tête d’une organisation caritative. Cela rappelle ce phénomène d’escroquerie à l’échelle nationale, qui a emporté les économies de milliers de concitoyens floués. Des gens de moralité douteuse, qui portent la veste d’hommes ou de milieux relativement acceptés comme étant l’exemple (Les églises, par exemple, les actions humanitaires, …), pour mieux escroquer leurs compatriotes.
- Le bien, l’apanage d’une religion : c’est souvent le mobile qui pousse à l’extrémisme religieux. Chaque religion se réclame et se proclame source unique pour le salut éternel des âmes, vouant aux gémonies les autres religions, notamment celles dites endogènes.
L’attitude
du père du fils qui voulait devenir médecin (un dignitaire du culte
traditionnel) prouve à merveille que toutes les religions
s’équivalent et, surtout, qu’on n’a pas besoin d’être
forcément adepte d’une religion. J’ai bien dit adepte.
- La vie carcérale, notamment en ce qui concerne le traitement des femmes : Aucune violence masculine. Les femmes se maltraitent entre elles comme cela se fait d’ailleurs entre les hommes de ces lieux, ce qui veut dire qu’on est dans une jungle qui ne connaît pas de sexe. C’est vrai qu’on nous évite ici le visage déjà connu de nos prisons où l’on forme plutôt au mal, qu’à une réinsertion sociale.
- La place du prêtre dans la cité : c’est un sujet qui n’est pas récurrent.
Un
prêtre doit-il limiter son travail
à
écouter les confessions, à en prononcer l’absolution, à prier ou
à célébrer la messe ? Ne doit-il pas engager des actions
concrètes ? Quel est le rôle que doit jouer, au-delà du
prêtre, tout homme de foi, dans une société en perte de vitesse ?
Le fond de ces questions pourrait être mieux cerné quand on repose
la situation qui s’est présenté au prêtre Honoré : à
l’hôpital, devaiit-il prier pour que quelqu’un vienne donner son
cœur et sauver Hélène ? Cela signifiait en même temps qu’il
priait pour que quelqu’un meure.
Dans
cet embarras, la formule qui paraît une échappatoire : Dieu,
que ta volonté soit faite. C’est une formule pour ne rien faire et
se déresponsabiliser. C’est pourquoi, on verra l’homme de Dieu
aller au contact des choses, convaincre le père, mener des enquêtes
et sauver Mariam.
C’est
seulement au bout de ceci que sa foi, si éprouvée entre temps,
retrouve sa plénitude. Il faut aussi souligner que le but est aussi
de montrer qu’il ne faut pas attendre d’être prêtre pour servir
les autres et se mettre à leur disposition.
- L’échec des intuitions des hommes et le nécessaire recours à Dieu : Si la police a échoué, le narrateur nous propose de faire confiance aux hommes de foi, pour sauver ce monde. D’abord, c’est le dignitaire de culte endogène qui accepte de céder le cœur de son fils pour sauver une fille qu’il ne connaît même pas, et puis c’est le père Honoré qui arrive à sauver Mariam de cette affaire où elle avait perdu d’avance parce que même la police censée la protéger y était mêlée. On peut aussi prendre cela comme une invite à la foi. Il faut être un homme de foi.
- Ce regard pesant de la société : La société met au ban des gens, et les isole parce qu’ils se sont égarés un moment. Aucune possibilité ne leur est offerte pour une réinsertion. Cela ressemble un peu à un bannissement. Une faute ou un écart est donc punie pour l’éternité.
- Cette presse qui dicte ce qu’il faut faire : C’est curieux comme la presse peut façonner l’opinion et guider son attitude, parfois sur des dossiers sur lesquels elle dispose de peu d’informations. Cela donne lieu à cette manipulation de l’opinion, très fréquente dans le monde des médias, utilisés par les hommes de pouvoir pour asseoir, conquérir ou garder leur influence.
Des
outils narratologiques exploités
- Chaque chapitre commence toujours par installer le lecteur dans une sorte d’imprécision dont l’unique but est, apparemment, de garder le suspens. Et la révélation se fait de façon brutale. Le narrateur dit le nom de celui dont il parle à brûle-pourpoint. C’est une façon de surprendre le lecteur, au-delà du fait qu’on le pousse à aller au bout de l’histoire, en cherchant à savoir de qui ou de quoi le narrateur lui parle. Normal : nous sommes dans un roman policier.
- Vous avez un foisonnement de flash-back dans le roman. Le narrateur affectionne particulièrement ce procédé. On peut en compter quatre ou cinq fois plus que le nombre de chapitres qui composent le récit. D’ailleurs, il ouvre son récit par là, ce que je peux appeler fausse ouverture, comme on le dit dans le jargon de mon métier.
- Le narrateur a l’amour et le goût du détail, de la précision et de la description, comme, par exemple, au début quand il présentait la scène du crime. A d’autres endroits, le phénomène se répète.
- C’est une peinture de la psychologie des personnages qui attendent la mort, impuissants, mais, aussi de l’attitude des parents proches de condamnés à une mort imminente.
- Les rêves prémonitoires permettent de préparer probablement le lecteur aux éventualités.
- Ce sont des histoires racontées de façon éparses et reliées par un lien : le père Honoré. C’est donc une longue histoire, un labyrinthe sans fond, qui imbriquent faits sociaux et politiques, dans une sorte de saga policière.
Et,
comme si le narrateur craignait que le lecteur se perde, il a éclaté
son histoire en micro-récits presqu’indépendants, à la
Tchitchélé Tchivéla, et au milieu desquels, un lien subsiste :
le père Honoré.
Les
personnages
C’est
une histoire dans laquelle de nombreux personnages agissent. Je ne
vais pas parler de tous mais de quelques-uns qui me semblent
importants, non pas que les autres n’ont pas leur place dans le
récit, mais parce qu’ils n’ont pas la même importance pour
l’histoire.
De
manière globale, on peut les classer en deux catégories : ceux
qui portent un nom qui définit leur personnalité, leur position
sociale, leur provenance et même leur physique (l’inspecteur
Kponon, le commissaire Gogonon, je ne vous ferai pas son portrait et
bien d’autres). Et il y a ceux qui portent des noms comme on
rencontre tous les jours.
- Mariam : c’est autour d’elle que l’histoire principale tient. Elle est courageuse, déterminée et surtout fidèle à l’amour qu’elle tente de sauver en acceptant d’aller à la mort. C’est tout le paradoxe qu’elle porte. C’est le symbole même de la bonne femme, dont tout homme de bon sens doit rêver : bon caractère et beauté sublime.
- Le père Honoré est le lien entre les histoires qui n’ont forcément pas des rapports à proprement parler entre elles. C’est un religieux endurant, curieux et consciencieux. On en a connu pire. Il est modeste, en tout cas, a tous les qualités nécessaires pour porter le titre de prêtre. Sans lui, l’histoire ne vit pas, et ne bouge pas. Il porte le message d’un vœu : les hommes de Dieu doivent faire autrement leur job dans la cité. J’en ai parlé un peu plus.
- Basile, la victime : On ne sait pas grand-chose sur lui, juste son passé de bricoleur et d’apprenant curieux et brillant, et son retour au pays avec des soucis pécuniaires.
- La veuve noire : personnage fictif, elle est la tueuse en série non identifiée. Elle joue un rôle très important puisque ce sont ses actes qui conditionnent les réactions des populations, des juges et de la presse, vis-à-vis de Miriam.
J’ai
l’impression qu’il n’y a que des hommes (pour ne pas dire des
femmes) bons qui sont condamnés à mort : Mariam l’est par
amour et Hélène, qui est une fille bien, est gravement malade et ne
vivra pas longtemps. On doit saluer l’écrivain et le remercier de
nous proposer son côté religieux, en épargnant la mort à ces
femmes qui sont très bonnes. Mais, la nature n’est pas toujours
avec les justes dans ce récit puisque Kponon est mort. Le fils qui
voulait devenir médecin est mort également. Ce sont des hommes
bons, pourtant. Est-ce que je dois conclure que c’est parce que ce
sont des hommes ?
- On nous montre aussi qu’il y a différentes attitudes face à la mort : certains l’attendent courageusement, impassiblement (Hélène, qui donne du courage à sa mère), d’autres y vont par décision, avec un sentiment de devoir à accomplir (Mariam). D’autres, par contre, ce sont certainement les plus nombreux, n’ont même pas le temps de choisir une attitude. Ils sont arrachés, fauchés et tombent d’un coup (le fils qui voulait devenir médecin).
Thanguy
Agoï