Portrait d'une expérience du secteur du film au Bénin
Jeune femme d’une
élégance occidentale. Bien campée dans sa première moitié de la trentaine.
Matinalement fraîche. Des tresses qui ne tardent pas à la faire identifier
comme une Béninoise. D’un sourire franc, elle vient à ma rencontre, pour
honorer l’interview qu’elle a accepté de m’accorder.
Artiste-comédienne. Un
Cv assez parlant sur ses performances en la matière. Il l’est davantage,
s’agissant de son intervention à l’écran. Un nombre d’interventions assez élevé
permettant de la calibrer comme une actrice de cinéma. Devant cette expression,
son large sourire se raccourcit, laissant sa bouche délivrer de très
personnelles informations d’ordre professionnel : comme tout comédien
béninois qui se respecte, une école de formation n’a pas régulé ses premiers
pas sur les planches.
Formation sur le tas, donc. « Ateliers de perfectionnements »,
selon sa propre expression. Avec des institutions et des noms qui ne sont pas des
moindres. ’’Quintessence’’, ’’Improconté’’ du Groupe ’’Wassangari’’, Marcel
Orou Fico, le fameux « Bio » de l’émission ’’Entre-nous’’, de la
télévision nationale. Sans compter qu’à son bas âge, son pasteur de père, de
l’Eglise protestante méthodiste, la faisait participer à la chorale des cultes,
ce qui l’amenait aussi à faire du théâtre lors de manifestations religieuses
particulières. « J’ai senti alors en moi quelque chose de caché qu’il
fallait réveiller », confie-t-elle. Cette conviction la détermine à donner
une ardeur plus forte à la pratique de la comédie.
Une poignée d’années plus tard. Cette aînée d’une famille de deux frères et
d’autant de sœurs n’a plus sa réputation à faire concernant des rôles forts à
l’écran. Réellement, elle participe à bon nombre de productions de la compagnie
de théâtre populaire et bouffon ’’Sèmako Wobaho’’. Existence, renommée, même
internationale, argent. Pendant une bonne partie de la première décennie de
2000. Elle rayonne. Mais, aussi, confiscation psychologique et artistique,
illusion de professionnalisme, décalquage social de ses rôles peu honorables
sur Cd, personnalité peu plaisante, absence d’une vie privée, destruction de
cette vie. Etc., etc,, ce que tout le public béninois connaît dans les moindres
détails, vu la notoriété de cette jeune femme, à l’époque.
Aujourd’hui, loin de tout ce tumulte. Hors de la famille ’’Sèmako Wobaho’’.
Extraction, qui n’a pas été de tout repos, d’un clan assez possessif, jaloux,
accapareur. Une bonne bouffée d’air libre ! Une partie en est consacrée à
’’Garcinia’’, la troupe de la très maternelle « Maman Grâce ». Un
grand bol d’oxygène après cette aventure bouffonne productive et écrasante. Un
gigantesque « ouf » de soulagement d’être sortie d’un tel carcan. Et,
la renaissance ! Avec une aide précieuse, celle de l’autre figure de la
comédie et du cinéma. Delphine Aboh, fille de sa mère ! Une confidente
d’une bonne influence.
Depuis trois ans, une femme nouvelle : calme, patience, humilité,
tolérance, mesure et réflexion dans les paroles. Eclairage dans une forte vie
en Christ ! Par conséquent, une personnalité méconnaissable face à son
entourage immédiat. Cette nouvelle lancée dicte une orientation plus
constructive. Les écailles se détachent des yeux de son cœur. Il s’ouvre aux
tristes réalités de son ancien monde : propension forte au mélange du
théâtre et du cinéma, professionnalisme superficiel, professionnalisme
nationalement populaire mais d’un total manque de crédibilité à l’extérieur,
dans l’univers des connaisseurs du cinéma, amateurisme criard dans le secteur.
En outre, un défi l'enflamme : réussir une vie de star de cinéma et de femme au foyer !
Ainsi, celle-ci qui apprécie beaucoup les familles heureuses, les couples
qui s’entendent, qui lit beaucoup la Bible et les romans d’amour, qui préfèrent
par-dessus tout les pommes et les oranges, qui fait un choix pour les parfums
bons et discrets, et qui aiment les films ghanéens pour le grand jeu des
acteurs, des actrices, elle qui, dans les productions où elle a été
sélectionnée joue toujours la benjamine orpheline, la coépouse de sa propre sœur,
la femme adultère, elle, rêve de sortir ses propres films, de réaliser un court
métrage sur les enfants, pour encourager la scolarisation dans les villages, vu
que les parents n’y mesurent pas l’importance de l’école. Il lui faut, selon
elle, faire un bon long métrage sur Cd, qui lui permettra de revenir, comme il
se doit, sur la scène du cinéma, le cinéma qu'elle préfère largement au
théâtre. Elle a l’impression qu’il véhicule le vécu réel.
Elle qui n’aime pas les mauvaises surprises, déteste chez les gens la
trahison, qui reproche à ses deux premiers mentors d’avoir été les seuls à
évoluer socialement, elle, lit dans le monde culturel béninois un secteur où ne
règnent pas l’entente ni le soutien mutuel, où il existe beaucoup de troupes,
beaucoup d’acteurs pour peu d’œuvres crédibles. Elle qui capitalise près d’une
quinzaine de productions avec la Compagnie ’’Sèmako Wobaho’’, qui a joué dans
près d’une dizaine de films de divers autres réalisateurs, qui a connu
l’expérience d’une série et de deux courts métrages, qui a prêté son image et
sa psychologie circonstancielle à un bon nombre de spots publicitaires, porte
le nom de Jessoufèmi Grâce Agnila.
Marcel Kpogodo