lundi 25 septembre 2017

Selon Claude Balogoun, le ’’Fonds de démarrage’’, aux 6 avantages, est la thérapie pour sortir les arts et la culture du Bénin de la léthargie et de la précarité

Dans une interview exclusive accordée à notre Rédaction


Cinquantenaire tout neuf, ce mercredi 20 septembre 2017, Claude Kokou Balogoun fête son anniversaire. Membre élu, en juin 2014, comme représentant des artistes et des acteurs culturels au Conseil économique et social (Ces), à une majorité écrasante de 538 voix favorables pour 13 abstentions, cette personnalité a bien voulu nous accorder une interview exclusive sur les voies et moyens efficaces pour faire vivre à nouveau les arts et la culture du Bénin, ce que Claude Kokou Balogoun capitalise en un concept très simple qu’il a sorti des tréfonds de son esprit créatif : le Fonds de démarrage. Comme l’on le conçoit, dans les cultures africaines, c’est à partir de 45 ans que l’homme a le droit à la parole et, avec 50, il a voix au chapitre, puisqu’il est désormais considéré comme un sage.
Donc, sage tout frais, constitue une voix autorisée pour débattre des questions culturelles de son pays, le Conseiller Claude Kokou Balogoun, artiste, acteur culturel, unique figure des artistes et des acteurs culturels au Ces, Président-Directeur général de la Société ’’Gangan Productions’’ aux prestations audiovisuelles lui ayant permis d’avoir la maîtrise des réalités du fonctionnement du domaine artistique et culturel, d’y détenir une réelle influence.
C’est ainsi qu’il faudrait le suivre, dans cet entretien consistant, inédit, nous parler, après un bien rigoureux déblayage du milieu, de son idée de résurrection du secteur culturel : le Fonds de démarrage.


Claude Kokou Balogoun, membre élu du Conseil économique et social (Ces) du Bénin
Journal ’’Le Mutateur’’ : Bonjour Claude Balogoun. Représentant des artistes et des acteurs culturels au Conseil économique et social (Ces), élu depuis le 27 juin 2014, et Consultant en Industries culturelles en Afrique, vous avez voix au chapitre pour évoquer des réflexions sur le fonctionnement au Bénin du secteur des Arts et de la culture. Ainsi, depuis quelques jours, vos interventions sur les médias portent sur les répercussions positives de la culture sur le décollage économique d’un pays africain comme le Bénin. Qu’en est-il exactement ?

Claude Balogoun : Mes sorties médiatiques se justifient par le fait que le milieu culturel connaît une crise, une crise qui se manifeste par le blocage des activités culturelles, d’une manière générale. C’est une crise qui se justifie par l’immobilisme dans lequel le milieu culturel végète. Une crise qui est, d’abord, institutionnelle et, puis, conjoncturelle, une crise qui aurait pu être jugulée très rapidement par les autorités en charge de la Culture mais, une crise qui perdure.
En tant que représentant des artistes et des acteurs culturels au Conseil économique et social (Ces), l’un des postes électifs importants dans le milieu culturel, j’ai le devoir de mener des réflexions sur la situation, d’opérer des choix à ce sujet et de faire des propositions. Ce devoir me pousse à faire des sorties, et à participer à un certain nombre d’émissions radiophoniques et télévisées.
D’abord, mes interventions doivent souvent se situer dans le cadre du poste officiel que j’occupe ; je suis représentant des artistes et des acteurs culturels au Ces, donc, membre d’une institution de la République, prévue par la Constitution et qui gère les artistes. Et, quel qu’en soit le Gouvernement, l’Etat demeure l’Etat. On ne peut pas, étant à ce niveau de responsabilités, au sein de l’appareil étatique, s’adonner à des exercices de critiques à l’emporte-pièce. C’est pour cela que j’ai attendu de faire quelques recherches, avant de me prononcer.
L’une de mes recherches s’est fondée sur la promesse du Candidat Talon, pendant qu’il était candidat à la présidence de la République. Onze points étaient prévus dans le projet de société qu’il a présenté à la population.
Ma recherche a ensuite été orientée vers le Programme d’actions du Gouvernement (Pag), d’une part, pour y voir ce qui était prévu pour les artistes et les acteurs culturels et, d’autre part, vers le Budget général de l’Etat. Vous n’êtes pas sans savoir que le Ces reçoit le Budget de l’Etat, l’étudie et en donne son avis, chaque année. Donc, j’ai vu ce qui y était prévu ; nous avons donné notre opinion, d’une manière générale, au Ces.
Mes recherches sont enfin allées au fond de la crise qui mine le secteur culturel, pour me rendre compte - comme beaucoup d’autres personnes - que le débat se cristallise d’abord sur le Fonds d’aide la culture (Fac) et, ensuite, sur le blocage des élections au niveau des membres du Conseil d’administration de cette institution, surtout que le Fac constitue le seul Fonds vers lequel la majorité des artistes et des acteurs culturels se tournent, chaque année. C’est ce Fonds qui constitue à la fois un élément de réduction de la pauvreté dans le milieu culturel, et un élément de productivité de ce secteur.
Voilà que ce Fonds connaît une crise institutionnelle et que cette crise est venue s’opposer au désir de l’actuel Gouvernement de changer de fusil d’épaule et de proposer d’autres options de gestion de ce Fonds. A ce niveau, certains acteurs culturels se préoccupent peu de ce qu’il y ait crise ou pas. D’autres critiquent royalement le manque de déblocage de la crise ; ils sont au front et dénoncent vertement le manque de stratégie pour une sortie rapide de crise. Dans le même temps, d’autres souhaiteraient que la dette qui est laissée en rade - les reliquats des activités culturelles de 2016, impayés - soit remboursée.
Dans cette ambiance, le Gouvernement actuel a engagé une série de réformes, mais ces réformes mettent du temps à produire des résultats parce que, malheureusement, l’équipe en place a adopté une procédure qui se base énormément sur les audits. Cette option, qui a pour soubassement les informations qui circulent sur les réseaux sociaux, n’arrange pas vraiment les choses, n’arrange pas la mise en place des réformes alors que les acteurs culturels - dont je fais partie - attendent le déblocage de la crise pour continuer à travailler.
Au vu de tous ces éléments d’appréciation, est-ce qu’un Conseiller de la République, étant l’unique du secteur, devrait continuer à garder le silence ? Garder le silence pousse les gens à me prêter des intentions et à m’acculer d’accusations non fondées, pour la plupart d’entre elles. Je n’ai pas la paix, là-dessus. Parler aussi, c’est, comme l’on le dit, en fon, faire une prière sur l’autel des ancêtres, au village ; si l’on ne traite pas avec les représentations de ces ancêtres, directement, il faudra avoir affaire aux prêtresses servant de courroie de transmission vers eux. Donc, je ne suis pas à gauche ni à droite.
Toutes les considérations que je vous ai exposées, je les ai mises ensemble pour faire mon analyse ; le diagnostic m’a poussé à trouver que, c’est parce qu’à notre niveau, nous, acteurs culturels, la pauvreté et la paupérisation, sont notre lot quotidien, que c’est parce que nous manquons de travail, que c’est parce qu’il y a le manque d’un système qui devrait mettre tout le monde au travail. Evidemment, ma réflexion a été aussi poussée par mon statut d’entrepreneur culturel, spécialiste des Industries culturelles, ayant fait un Master sur ce sujet et possédant une vue globale sur tout ce qui se passe.
Toutes ces données m’ont nourri pour me pousser à réfléchir en adoptant une démarche scientifique et non partisane, ce qui me met au-dessus ceux qui sont pour ou contre les réformes.
L’un des problèmes ayant été soulevé, lorsque je faisais mon Master en 2010, était celui du manque de financement, qui avait trouvé un début de solution à travers le Fonds d’aide à la culture. Maintenant qu’il y a une crise, le problème se pose à nouveau. Et, la solution à cela est celle que je voudrais proposer au Gouvernement, à travers mes sorties. Celles-ci ne relèvent pas d’un mandat du Ces ni des artistes ni du Cabinet du Ministère la Culture, dont je ne suis même pas proche. C’est une démarche personnelle, en tant que représentant des artistes et des acteurs culturels, en tant qu’artiste créateur travaillant dans ce système, en tant que Directeur d’une entreprise culturelle, connaissant le flux économique que celle-ci pratique et le nombre d’acteurs culturels qui viennent travailler pour elle. Et, je me dis que si ce petit exemple s’étale sur tout le pays, les acteurs culturels auront plus de travail, donc, plus d’argent. En conséquence, ils seront plus autonomes.


Les Arts et la culture peuvent-ils développer économiquement le Bénin ou est-ce l’inverse ?

Les deux se tiennent. Autant les arts et la culture développent l’économie, autant l’économie finance les arts et la culture : quelle activité pouvez-vous faire, d’une manière industrielle, sans avoir besoin de financements ? Cela n’existe pas. Si l’Etat béninois essaie d’investir dans le coton pour gagner de l’argent par le coton, on devra comprendre que lorsqu’on travaille réellement à investir dans quelque chose, c’est pour en tirer un bénéfice.
De plus en plus, dans tous les pays du monde, nous sommes à l’ère de ce qu’on appelle l’économie culturelle. Elle voudra, pour résumer, d’une manière empirique, que tous les produits culturels soient vendus pour générer des revenus. Lorsqu’on est dans une dynamique d’économie culturelle, on devrait comprendre en quoi la culture peut contribuer au développement d’un pays. Le Nigeria est devenu la première puissance économique de l’Afrique, depuis bientôt cinq, six ans, avec la contribution de ce qu’on appelle le ’’Nollywood’’. Qu’est-ce que c’est ? Le ’’Nollywood’’ est un système de production de films, ce qui suppose la culture. Ce n’est pas le pétrole qui a fait du Nigeria la première puissance ; c’est plutôt son art. Dans plusieurs autres pays, en Algérie, en Tunisie, la culture et le tourisme sont deux secteurs qui rapportent énormément de devises. Il est reconnu sur le plan mondial qu’il y a trois disciplines qui contribuent efficacement à la réduction du chômage, à la création de l’emploi et de la richesse : la culture, le tourisme et le sport. Des fois, dans certains pays, la culture passe en avant par rapport au sport. Dans la plupart des pays, d’ailleurs. Par exemple, avec une bonne organisation de l’industrie cinématographique, acheter un ticket pour suivre un film devient un acte simple, et ce sont des devises qui sont enregistrées. Un dernier exemple : les Etats-Unis d’Amérique. Les Etats Unis d’Amérique ne disposent pas d’un Ministère de la Culture ; la culture appartient aux privés, mais apportent énormément au Pib, à travers les films, la musique, la mode et par une kyrielle d’activités qui font vendre la culture américaine et les stars américaines. Donc, ce n’est même plus une question à se poser, juste qu’il faut bien organiser et bien structurer, pour que ce qui est investi donne des retombées après, dans le moyen et le long terme.


Selon vous, qu’est-ce qu’une économie culturelle ?

L’économie culturelle, expliqué dans un langage simple, c’est de créer une œuvre culturelle, de la proposer au public contre un paiement, de manière à ce que ce qui est investi soit rentabilisé, de façon à ce que ce qui est gagné, à la fin, dépasse largement et, suffisamment, ce qui est investi, pour faire du profit. Et, cette économie culturelle est entre les mains de ce qu’on appelle les entreprises culturelles qui sont des structures, dans tous les pays du monde, légalement constituées et qui se comportent comme des entreprises de Btp (Bâtiments et travaux publics, Ndlr) ou comme des entreprises de vente de tomates, entre autres.
Ces entreprises culturelles identifient un artiste ou une œuvre artistique, et vont chercher le public pour la consommation de cette œuvre-là ; elles apportent l’œuvre vers le public qu’elles font payer pour consommer l’œuvre et pour réaliser des profits sur elle. Ces profits permettent de payer l’artiste créateur de cette œuvre, permettent de payer l’équipe qui tourne autour de l’artiste, permettent de payer les travailleurs qui exercent dans l’entreprise en tant que fonctionnaires et permettent de payer des impôts et des taxes à l’Etat, contribuant ainsi, directement, au Pib.
Si nous prenons, par exemple, la discipline de la musique, l’œuvre dont je parle est comme une chanson qui est sortie. Celle-ci peut être exploitée de plusieurs manières. D’abord, en tant qu’œuvre sur un support comme la clé Usb, la clé internet ou le Cd, ce qui doit générer des entrées, parce que le Cd vendu peut l’être à cinq mille francs, par exemple, alors que sa fabrication coûterait environ mille cinq cent francs Cfa. Et, tous les intermédiaires, pour le vendre et le revendre, y disposent d’une marge raisonnable.
Ce produit, la chanson qui est créée, peut aussi être exploité par l’artiste en spectacle sur scène ; c’est une autre façon de vendre l’œuvre : celui qui paie son ticket, pour aller en salle, regarde l’artiste prester et chanter cette œuvre-là, sur scène et, le ticket payé génère des ressources qui permettent de payer tout ce qu’il y a comme ingénierie autour, notamment. Ceci devrait se réaliser dans toutes les disciplines et dans tous les divers métiers qu’il y a au niveau des Arts et de la culture.
Donc, l’économie culturelle, c’est un système choisi ou accepté par un pays pour lui permettre de faire des entrées de devises, d’abord, pour sa caisse, ensuite, pour celle des entreprises qui y travaillent et, enfin, des devises pour les artistes créateurs concernés, le tout, d’une manière officielle. Ceci n’a rien à voir avec les festivals, les activités culturelles à but non lucratif ni avec celles des Ong et des associations, entre autres. Même les activités des Ong, notamment, sont financées et, les prestations effectuées sur ces différents festivals sont payées. Comment ? D’une manière officielle.
L’économie culturelle est aussi une école de pensée ; il y en a qui sont contre, il y en a qui sont pour. Principalement, il y a les défenseurs du ’’Toute culture gratuite’’ selon qui tout ce qui est culturel ne produit pas de profit. Néanmoins, ceux qui le disent et le pratiquent tirent profit de leurs activités culturelles pour s’acheter des moyens de déplacement, des maisons, entre autres, pour vivre de cela. Donc, si l’on travaille un peu, d’une manière économique, là-dessus, on peut faire du profit aussi, pour qu’il y ait des paramètres clairs de quantification, sur l’économie nationale.


Pouvez-vous récapituler les conditions de l’existence d’une véritable économie culturelle pour le Bénin ?

Les conditions de l’économie culturelle sont multiples. D’abord, il faudrait que le cadre institutionnel et réglementaire existe. Du point de vue institutionnel, l’Etat béninois a mis à notre disposition un Ministère de la Culture et certaines directions techniques qui doivent s’occuper de l’économie culturelle.
D’un autre côté, le cadre réglementaire aussi existe un peu, c’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de textes de loi, qui régentent et régissent le secteur. Au Bénin, nous avons déjà la Charte culturelle qui a prévu une série de dispositions, mais il reste des décrets d’application ou des arrêtés à prendre, pour mettre en place certaines facettes de cette Charte culturelle, afin que l’économie culturelle puisse exister.
Les conditions, c’est aussi la structuration du secteur culturel par rapport aux artistes : comment ils s’organisent ? Ensuite, nous avons la formation des entrepreneurs culturels ; c’est la création de ce qu’on appelle le tissu d’ingénierie culturelle, parce que c’est l’ingénierie culturelle qui favorise l’économie en question. Donc, si le tissu d’ingénierie culturelle est mis en place, chacun connaît son rôle et son travail et l’accomplit, d’une manière officielle.
La condition pour l’existence d’une économie culturelle, c’est de travailler d’une manière formelle. Donc, les acteurs culturels doivent sortir de l’informel et créer des entreprises, d’une manière claire, pour permettre qu’on voie la traçabilité de ce qu’ils pratiquent comme activité. Il s’agit aussi de prendre en compte la formation, je l’ai dit, tantôt. Au bout de la formation, la création artistique doit être d’un niveau acceptable pour les consommateurs que nous sommes, non seulement au niveau national mais, aussi, à l’international. Nous avons aussi, comme condition, une affiliation du tissu économique culturel du Bénin au tissu économique culturel d’autres pays qui sont plus développés que nous, pour que les créations que nous faisons au Bénin puissent être exportées vers ces pays-là, et promues par et pour ce fait.
La condition, également, c’est une série de dispositions à prendre pour que chacun sache ce qu’il fait et puisse exercer son art sereinement et officiellement. Il y a aussi la médiation culturelle à faire pour que le public sache qu’une œuvre est sortie et qu’elle l’intéresse, qu’il s’y retrouve, de façon à la consommer.


Est-ce que l’existence d’un Ministère de la Culture n’est pas un frein au développement d’une entreprise culturelle au Bénin ?

On ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Vous savez que nous travaillons beaucoup dans l’informel au Bénin, qu’il y a des textes de loi qui existent et que nous faisons exprès de les méconnaître, pour mieux évoluer ; ce n’est pas le cas dans tous les pays où l’on s’organise mieux. Par exemple, aux Etats-Unis d’Amérique, la décentralisation de l’action gouvernementale est plus prononcée ; le système est organisé de sorte que si vous voulez exercer dans un certain domaine, vous êtes mis au courant des textes de loi, qui le régissent, et le contrôle régulier et rigoureux a pour conséquence le respect des textes.
Au Bénin, un pays en voie de développement, nous avons encore besoin d’un Ministère de la Culture, pour réglementer, cadrer et canaliser l’exercice du métier d’artiste, d’acteur culturel, mais nous avons surtout besoin que ces instances prennent leur travail plus au sérieux.
Vous savez qu’à un moment donné, un distributeur d’œuvres de l’esprit, qui vendait même celles-ci à trois cent francs, a provoqué l’intervention du Ministre de la Culture d’alors, le Professeur Soumanou Toléba — puisque c’était lui le Ministre —, qui a fixé, chez tout le monde, le prix à mille francs et deux mille. S’il n’y avait pas eu cet arbitrage, peut-être que les prix seraient encore plus bas que ce qu’ils sont, aujourd’hui.
Donc, on ne peut pas supprimer le Ministère de la Culture, sous prétexte qu’on va faire l’expérience des Etats-Unis. Nous devons rester conscients que nous n’avons pas encore le cadrage institutionnel et le cadrage administratif qu’il faut et que nous ne respectons pas suffisamment les règles établies.
Vous savez aussi qu’il y a plein de gens qui exercent un métier qu’ils n’ont pas appris, ils ne cherchent même pas à s’imprégner de la réglementation du secteur avant de commencer à l’exercer. Cela étant, il est normal qu’il y ait non seulement des exactions mais aussi des infractions à des procédures et à des lois. Et, il revient au Ministère de la Culture, avec ses directions techniques, de ramener les gens à l’ordre, de recadrer les choses.
Au Bénin, l’intervention de l’Etat dans la culture est encore importante et prédominante. On ne peut brutalement renoncer à l’intervention financière de l’Etat dans la culture et se confier uniquement aux privés ; ce n’est pas possible. Il faut un cadre institutionnel qui s’occupe de cela, d’où, une fois encore, le Ministère de la Culture.


Au cours de vos interventions, ces dernières semaines, sur des chaînes de télévision, certaines expressions sont souvent revenues : ’’Ingénierie culturelle’’ et ’’industrie culturelle’’. Comment définissez-vous chacune d’elles ? Comment chacune d’elles fonctionne-t-elle ?

L’ingénierie culturelle est le tissu de conception de la culture, d’une manière générale. Pour que l’économie culturelle soit rentable, il faut des cadres supérieurs pour concevoir cela ; c’est eux qui sont dans l’ingénierie culturelle. Le théâtre a ses ingénieurs culturels : un metteur en scène est un cadre culturel, de même qu’un écrivain d’un certain niveau, un diffuseur de spectacles, un tourneur de spectacles est un cadre de conception, … Tous ceux-là doivent pouvoir être formés, discipline par discipline, secteur par secteur.
Un autre exemple : la création du matériel de production est confiée aux ingénieurs qui conçoivent cela. Donc, l’ingénierie culturelle, c’est toute la machinerie, toute la technicité, toute la conception de gestion, de planification, tout le côté intellectuel de l’industrie culturelle qui est confié au tissu qu’on appelle le tissu de l’ingénierie culturelle.
C’est pour dire que, dans ce système d’ingénierie culturelle, n’importe qui ne peut pas tout faire. Au Bénin, on en est encore là : chacun se lève, on voit faire, on veut faire et on fait ; que ce soit bon ou pas, on le fait quand même. Mais, il y a des ingénieurs qui sont formés pour cela, des spécialistes, des intellectuels, qui sont formés, spécifiquement pour cela ; celui qui est un spécialiste du théâtre n’est pas forcément un spécialiste de la musique ni des beaux arts ni du cinéma. Donc, le tissu de l’ingénierie culturelle doit aussi pouvoir se mettre en place à travers la formation des personnes et par une formation supérieure.
L’ingénierie culturelle, ce sont aussi les sections de l’industrie, qui s’occupent des parts de prestations dans l’industrie ; il y a la section chargée de la duplication, celle chargée de la diffusion, de la promotion, de la location du matériel, des voyages, du transport du matériel. Ainsi de suite.
Quant à l’industrie culturelle, c’est l’ensemble des professions qui produisent des biens matériels par la mise en œuvre de créations artistiques et culturelles. La notion d’industrie culturelle renvoie essentiellement à la fabrication et à la diffusion, en série, de produits qui reflètent, véhiculent et diffusent des idées, des messages, des symboles, des opinions, des informations, des valeurs morales et éthiques, propres à leur milieu d’origine. Donc, c’est une action en série, en quantité. Lorsque vous sortez un Cd et que vous le dupliquez en mille exemplaires, vous n’êtes pas encore dans l’industrie culturelle, il faut tendre vers les dix mille, les cinquante mille, les cent mille exemplaires, pour commencer à parler d’industrie.
Donc, une industrie culturelle, pour résumer, c’est l’ensemble du tissu économique qui s’occupe de la fabrication des œuvres artistiques et culturelles, et de la diffusion, en quantité et en série, de ces œuvres. Elle est devenue importante, parce que c’est elle qui soutient l’économie culturelle. Lorsque vous êtes couturier et que vous faites une seule tenue et, une fois par semaine, vous ne pouvez pas être dans l’industrie, vous ne pouvez pas être rentable mais, lorsque vous commencez, par semaine, à en faire deux cents, là, cela commence à être intéressant pour vous. C’est pourquoi, au Nigeria, il y a beaucoup de productions par semaine, de piètre comme de bonne qualité et, c’est dans cette quantité qu’il y a les meilleures qui sortent du lot. Dans la quantité de cette production, ’’Nollywood’’ s’est développé pour influencer l’économie du Nigeria.
Si nous prenons l’exemple simple de la duplication des Cd, nous avons un système de gravage direct sur ce support et, c’est un seul Cd par ordinateur, nous en avons un autre, en série ; tout dépend de l’appareil. On peut obtenir soit 10, soit 20 Cd, gravés simultanément. Quand on entre dans l’industrie, on a affaire à une machine qui sort des milliers de Cd, à la minute. C’est en cela que lorsque l’industrie va se mettre en place, le Ministère de l’Industrie va s’intéresser véritablement à la culture, parce que l’ingénierie va se mettre en place et, certaines usines de duplication en quantité vont s’installer ; elles dépendront aussi bien du Ministère de la Culture que de celui de l’Industrie.
Je dois vous préciser qu’avant le fonctionnement de l’industrie et la mise en place de l’ingénierie culturelle, il y a ce qu’on appelle l’audit culturel qui doit se faire secteur par secteur. L’audit permettra d’avoir une idée claire de l’état des lieux dans chaque domaine : qu’est-ce que cela contient ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Qu’est-ce qui fonctionne ?
Que se passe-t-il, souvent, chez nous ? Nous voyons souvent à côté, dans les pays voisins, des mutations intéressantes. Et, nous nous disons: « Pourquoi ça se passe, à côté, comme ça, c’est-à-dire au Nigeria, au Togo ou en Côte d’Ivoire, et pourquoi pas au Bénin ? ». Et, après, normalement, nous faisons des propositions pour que, désormais, cela se passe chez nous, comme dans les autres pays, pour qu’on puisse se développer. Ce faisant, il est aussi normal que l’amélioration ne soit pas soutenue et qu’elle évolue en dents de scie. Pour cause, le fait qu’on ne fasse pas l’exercice d’un audit profond du secteur.
Donc, il y a la notion de l’audit culturel qui nous manque, de plus en plus. C’est l’audit culturel, par exemple, qui m’a permis de savoir qu’un Fonds d’aide à la culture n’existe qu’au Bénin, donc, pas au Togo ni au Nigeria ni en Côte d’Ivoire ni dans aucun autre pays. Certains sont venus s’inspirer du Bénin, mais ils n’ont pas pu mettre en place une telle structure ; le Togo a démarré mais a arrêté. Le Fonds d’aide, sous la forme actuelle, n’existe pas ailleurs. Il faut alors l’audit ; il nous dira comment faire pour que le Fonds d’aide que nous avons soit travaillé pour être mis au service des acteurs culturels, réellement.

Quelle stratégie pensez-vous que les artistes et les acteurs culturels peuvent développer pour intégrer l’ingénierie culturelle et l’industrie culturelle, afin qu’ils contribuent, par leur exercice, au décollage économique du Bénin ?

Il n’y a pas dix mille stratégies. Dans tout pays, quand on ne sait pas, on demande, quand on ne connaît pas, on va apprendre, parce que nul n’est éternellement intelligent. Nous avons la chance que, de plus en plus, il y ait des écoles qui se créent au Bénin et, des filières qui s’ouvrent pour la formation des spécialistes de la culture. Oui, il s’agit de se mettre à l’écoute de ces spécialistes de la culture, de chercher à comprendre comment cela fonctionne. En plus, il faut chercher à travailler d’une manière officielle, formelle.
L’audit nous a fait découvrir que 80% du tissu culturel est dans l’informel à cause de son déficit en information. Et, si les acteurs culturels commencent à s’informer, ils vont chercher à quitter l’informel. Donc, il n’y a rien à faire, il s’agit de toucher les spécialistes, qui sont très nombreux, et de savoir comment ça se passe. Par exemple, tous les acteurs culturels doivent avoir, chacun, leur numéro Ifu (Identifiant fiscal unique, Ndlr). Sans cela, vous n’êtes pas reconnu, en tant qu’entité  dans l’Etat. Et, rien de ce que vous menez comme activités culturelles d’ordre économique n’est quantifié nulle part ; c’est dans l’informel.
Ensuite, ceux qui veulent demeurer et se développer dans l’entreprise associative demeurent dans les associations ou dans des Ong culturelles qui travaillent sur des pans du tissu de l’ingénierie culturelle ou de l’industrie culturelle. Et, ceux qui sont capables de créer des entreprises devront faire face à des taxes vis-à-vis de l’Etat. Ce qu’il faut faire, tout simplement, c’est de se rendre de plus en plus formel, de s’informer et de se conformer aux processus mis en place par l’Etat, sans oublier que chaque format correspond à un type de financement bien spécifique.


La piraterie n’est-elle pas un peu un handicap au développement de l’industrie culturelle ?

Lorsque vous posez la question de la piraterie, j’ai pitié. J’ai pitié tout simplement parce que nous savons tous que c’est au Nigeria que la piraterie s’exerce le plus, mais que c’est encore le Nigeria qui est devenu la première puissance économique de l’Afrique, à travers les Arts et la culture ; il y a un paradoxe ! Le Nigeria a pu trouver une solution endogène au problème ; les acteurs culturels ont officiellement décidé de composer avec les pirates, de manière à ce que lorsqu’un film sort, dans leur structuration associative, ils ont une instance qui censure les films, et qui décide de quel film sera édité et de celui qui ne le sera pas. Et, à la sortie du film, le pirate aussi en est informé et, il sait qu’il n’a pas le droit de le pirater. Ils ont un moratoire par rapport à cette piraterie, parce que l’industrie elle-même a compris qu’elle a besoin de la piraterie pour vendre, pour entretenir son public. Donc, on dispose d’un certain moment pour que le film ne soit pas piraté.
Dans le même temps, ceux qu’on appelle pirates ne mènent pas leur activité dans l’informel, au Nigeria ; c’est aussi des industries qui sont bien connues et qui ne piratent que les films qui ont fini d’être exploités. Mais, malheureusement, le Bénin n’a pas réfléchi à fond pour trouver la solution endogène qui lui corresponde, à la piraterie. Aussi, notre pays n’a pas une seule usine de duplication de Cd, de sorte que tous nos films sont dupliqués au Nigeria. Dans ce pays, ils s’en préoccupent peu ; le Bénin ne fait partie de leur ’’gentleman agreement’’, de leur entente, là-bas. Donc, ils dupliquent ce qui leur tombe sous la main. Et, à travers les distributeurs finaux, ils envahissent le territoire béninois, pour la vente. C’est au Bénin de réfléchir pour trouver une solution endogène pour le règlement du problème de la piraterie.
Evidemment, il y a une structure qui s’appelle la Commission nationale de lutte contre la piraterie (Cnlp), qui lutte contre la piraterie ; elle dispose de combien, comme budget ? A-t-elle une unité d’intervention à sa disposition ? Peut-elle couvrir toute les frontières du Bénin ? Comment opère-t-elle sur le terrain, pour des effets dissuasifs ? En 2005, l’Etat a pris un texte contre la piraterie, mais quel en est le niveau de mise en exécution ? C’est l’audit culturel qui va révéler cela. Quelle solution endogène pouvons-nous trouver pour aller contre la piraterie ? Selon moi, la Cnlp devrait être érigée en un projet inclusif qui tienne compte aussi du consommateur qui achète les produits piratés.
Personnellement, je pense que la piraterie est une mauvaise chose, mais qu’elle ne devrait nous dissuader de l’effort que nous devons faire pour développer l’économie culturelle. Nous devons continuer, tout en renforçant la lutte contre la piraterie, qui est l’un des piliers de cette économie culturelle.


Dans le cadre de la facilitation du fonctionnement de l’ingénierie culturelle et de l’industrie culturelle, quelle partition séparée, d’une part, et coordonnée, d’autre part, imaginez-vous pour le Gouvernement, pour le Parlement et pour d’autres institutions de contre-pouvoir comme la Cour constitutionnelle, le Conseil économique et social (Ces) et la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) ?

Premièrement, pour que l’économie culturelle se développe à travers la mise en place de l’ingénierie culturelle et de l’industrie culturelle, le Gouvernement doit d’abord renforcer l’armature juridique, présenter d’autres types de projets de loi.
Pour les cinéastes, par exemple, il y a le Code de la cinématographie, qui n’existe pas. Pour les mécènes, il faut une loi sur le mécénat. Deuxièmement, il doit renforcer la détection et la formation des acteurs culturels, pour l’installation du tissu de l’ingénierie culturelle. Troisièmement, il doit renforcer le financement en orientant et en donnant une mission claire au Fonds d’aide à la culture, dont je suis contre la diminution du budget. Ceci dit, le Fonds a besoin d’être réorienté en en renforçant le financement à travers le Fonds de bonification, le Fonds de garantie et d’autres types de  fonds dont le Fonds de démarrage, le Fonds de mise au travail de tous les acteurs culturels.
Je dois faire remarquer qu’au niveau du Gouvernement, il faut renforcer l’autonomisation des municipalités et la décentralisation culturelle, de façon à ce que les Communes sachent, chacune à son niveau, ce qu’elle doit faire pour que la culture locale soit développée et rendue meilleure.
En ce qui concerne le Parlement, il s’agit d’apporter de la célérité dans l’analyse et le vote des lois que propose le Gouvernement. Et, les parlementaires doivent pouvoir faire des propositions de loi, également, parce qu’eux aussi sont parmi nous.
Quant à la Cour constitutionnelle, évidemment, son rôle est de contrôler si les lois votées sont conformes à la Constitution. Le Conseil économique et social, d’abord, va tout faire pour que la Loi organique qui est en proposition sur le Ces puisse être votée, pour que le nombre de ses Conseillers augmente, de même que celui des artistes et celui des commissions permanentes, afin que les avis concernant le plan culturel soient beaucoup plus pertinents.
Quant au rôle que la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) peut jouer, c’est ce qu’elle accomplit déjà : suivre les télévisions et les radios et les canaliser, prendre des décisions pour que le pourcentage de diffusion des œuvres de l’esprit, créées au Bénin, s’accroisse. C’est prendre des décisions pour que les redevances que ces télévisions et ces radios doivent payer au Bureau béninois des droits d’auteur et des droits voisins (Bubédra), pour le compte des créateurs, soient respectées véritablement.
Donc, je pense que la Haac fait déjà le travail qu’il faut, mais doit pouvoir faire plus pour que certaines productions ne passent plus sur les chaînes de télévisions et que les productions qui sont diffusables vis-à-vis de la morale, de la norme, notamment, puissent passer.


Dans son Projet de modification constitutionnelle, le Gouvernement avait proposé la suppression du Ces …

Supprimer le Ces serait une erreur monumentale, parce que le Conseil économique et social est l’une des institutions les plus importantes du Bénin, à travers certaines actions que le grand public ne connaît pas. D’abord, n’eût été la présence du Ces, les élections passées n’auraient pas pu avoir lieu, parce qu’il y avait une crise institutionnelle entre la structure chargée d’organiser les élections et le Gouvernement, à l’époque. C’est le Ces qui a fait l’arbitrage dans cette situation. Aucune autre institution de la République n’a ces prérogatives consistant à mettre les gens ensemble, à discuter, à trancher et à trouver une solution, parce qu’on avait une date butoir. Donc, supprimer une institution de ce genre, c’est bizarre. Et, ce qui a été extraordinaire dans le Projet de loi de modification, émis par le Gouvernement : il n’y avait aucun argument pour motiver la suppression. Je n’ose pas dire que cela frisait une proposition fantaisiste. Le Ces est une institution qui existe dans plus de 170 pays du monde ; la France en dispose et, on appelle cela le Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui fait beaucoup de propositions.
Il y a quelques années, la crise qui avait eu lieu entre les syndicalistes et le Gouvernement du Président Boni Yayi avait été réglée par le Ces, de même que celle à la Chambre de Commerce et celle de l’Université d’Abomey-Calavi. Ces réalités, nous ne les évoquons pas parce que les textes ne nous le permettent pas. Mais, comme, maintenant, il y a une menace qui pèse sur l’existence du Ces, il vaut mieux qu’on révèle ce que cette institution fait dans le pays.
Et puis, le Ces est la seule institution qui reçoit les textes de loi à caractère économique, culturel, notamment, que le Gouvernement propose ; il donne son avis avant que cela n’aille à l’Assemblée. En réalité, lorsque l’avis du Ces n’accompagne pas le Budget de l’Etat et d’autres documents de ce genre, l’Assemblée pose des questions. Nous n’y sommes que 30 et, nous prions pour passer à 45. Cette Chambre est assez importante.
Au Cameroun, par exemple, c’est elle qui conseille directement le Chef de l’Etat ; la Côte d’Ivoire l’avait supprimée, à cause de la guerre mais elle l’a réinstaurée, en mettant Fologo, à sa tête. Et, quand cela avait été supprimé, vous voyez comment la guerre a perduré. Donc, les législateurs et les membres du Gouvernement doivent réfléchir autrement, dans la perspective que cette institution d’apaisement, de médiation et de paix, demeure. Elle est prévue par la Constitution ; elle est aussi légale que constitutionnelle.


Et, le peuple béninois ? Comment le faire passer du statut d’acteur passif et destructeur à celui d’un agent outillé qui s’activera au développement de l’industrie culturelle ?

La notion de peuple est complexe. En matière culturelle, on parlera plutôt de la notion de public. Or, le public est dans le peuple qui est la population, d’une manière générale. Le public se crée - dans le peuple - en fonction de la discipline artistique et culturelle.
Vous parlez là d’un travail de médiation culturelle. C’est le médiateur culturel qui travaille sur le peuple pour identifier en son sein ce qui peut constituer le public. Son rôle est important et lourd.
D’abord, il faut que le médiateur culturel travaille à identifier, par discipline, le public afférent, le public intéressé et, par zone géographique ; c’est ce public qui est entretenu, par un travail constant et continu de nourriture, par l’apport d’œuvres artistiques et d’actions culturelles. Le public est comme un bébé à qui la maman donne le sein. Quand le moment de le prendre arrive et qu’il ne le trouve pas, il commence à pleurer. S’il pleure et qu’il ne trouve pas le sein, il se contente de ce qu’il trouve à côté à mettre dans la bouche. Donc, l’autre gros travail revient encore à l’artiste qui doit créer ce que j’appelle le sein, à ce public qui est le bébé et, ce, constamment.
Lorsque vous avez une salle de spectacles et que vous y programmez un spectacle que le public aime, vous en programmez un autre que le public aime, à un rythme, à une fréquence bien soutenue, votre public est domicilié, votre public est fidélisé. Vous fidélisez votre public à travers la fréquence des spectacles et par leur qualité aussi. Mais, si cette fréquence commence à prendre un coup, parce que le spécialiste en ingénierie culturelle, qui doit s’occuper de sélectionner les spectacles, pour la salle, n’est pas outillé, le public va commencer à se décourager et, comme le bébé, il se mettra à regarder à gauche et à droite, et à chercher ailleurs.
En outre, le public consomme ce que nous lui donnons. Le bébé qui naît ne demande pas que sa maman lui donne le sein gauche ou le sein droit, c’est le sein que le bébé voit qu’il tète ; si vous lui présentez du lait et que ça l’intéresse, il le boit et se contente de cela, sans savoir si cela apporte des nutriments autres que ceux du sein. Le jour où vous lui donnez le choix entre le sein maternel et le biberon dans lequel vous mettez une bouillie mal faite, le bébé décidera. A partir de cet instant, il commencera à repousser votre main, si c’est le biberon, et se contentera de son sein. Tout cela, pour dire que ce sont les acteurs culturels, les médiateurs culturels qui font du public ce qu’il est ou doit être.
En revanche, la population a un rôle de gendarme à jouer avec les acteurs, en ce qui concerne la lutte contre la piraterie et en ce qui concerne la fierté béninoise, le ’’consommer béninois’’. Le public ne peut que se limiter à cela ; il ne pourra rien faire d’autre. Lorsqu’on parle de consommer, il ne s’agit pas de le faire gratuitement car on ne peut plus continuer à faire l’art, gratuitement ad vitam eternam. Il faut que quelqu’un paye ! C’est pour cela que, les festivals, lorsqu’on les organise, l’Etat paie pour nous, pour les organiser. Donc, l’Etat paie la salle pour le public, mais cela ne développe pas l’industrie, cela ne développe pas le tissu culturel économiquement. On doit apprêter la population au retour en salle et à la consommation des biens culturels. Et, il nous revient, encore une fois, à nous, acteurs culturels, de proposer une fréquence de présentation de produits culturels, une fidélisation propre et une qualité remarquable d’œuvres de l’esprit.


Sur la question du financement du secteur béninois des Arts et de la culture, vos idées, - très connues - sont assez claires. Vous parlez avec aisance de ’’Fonds d’aide’’, de ’’Fonds de bonification’’ et de ’’Fonds de démarrage’’. Quelle définition proposez-vous pour chacune de ces expressions ? Comment pourra s’exercer chacune d’elles, dans le contexte béninois, pour développer l’économie culturelle ?

Avant d’arriver à la définition de ces notions, je voudrais faire un bref état des lieux du financement au Bénin.
Le financement des activités culturelles au Bénin se fait par plusieurs filons, pistes ou guichets, jusque-là. Nous avons, d’abord, l’Etat, d’une manière générale et, à travers lui, il y a quatre canaux. Le premier canal connu de tous, est le Fonds d’aide à la culture (Fac), qui finance des projets, — des gros projets, des projets individuels —, la prise en charge de certaines maladies, au niveau des artistes, le coût des obsèques de créateurs décédés, certaines bourses de voyage et plusieurs autres activités.
Nous avons également un Fonds logé au Ministère de la Communication, et qui est le Fonds d’appui à la production audiovisuelle (Fapa), qui finance la création cinématographique, pour les télévisions.
Il faut compter aussi avec un financement direct du Gouvernement, émanant de la plateforme qui finance de très gros projets, que ce soit sur le plan national ou international. Ce dernier canal est laissé à la souveraineté, à la discrétion du Gouvernement, sur la proposition de différentes directions techniques du Ministère de la Culture, comme la Direction de la cinématographie, l’ancienne Direction de la production artistique et culturelle, actuellement, Direction des arts et du livre, le Fonds d’aide à la culture, notamment. Cette plateforme gouvernementale détient un budget en pot commun, qui soutient les dépenses de souveraineté, dans lequel l’Etat puise et, c’est le Conseil des Ministres, qui en décide. N’obtient pas cela qui veut ; l’accord de financement dépend de la pertinence du projet, de sa taille, de son niveau d’envergure internationale. Donc, cela relève des dépenses de souveraineté de l’Etat. Mais, tout le monde n’envoie pas des dossiers là-bas, non plus.
Le quatrième canal de financement relève du sponsoring des entreprises de l’Etat : Sobémap (Société béninoise de manutention portuaire, Ndlr), l’ex-Sonapra (Société nationale pour la promotion agricole, Ndlr), la Loterie nationale du Bénin (Lnb) et, le Port autonome de Cotonou (Pac), entre autres.
Outre ces structures, nous avons, toujours au Bénin, les mécènes qui sont des opérateurs économiques, de manière générale ; ils soutiennent financièrement certains artistes, certaines activités culturelles.
L’autre piste de financement est constituée par les recettes que l’œuvre de l’esprit créée produit en ce qui concerne l’exploitation. Une autre est le Bubédra qui est une source de paiement des redevances aux artistes. Et, la dernière source de financement concerne les Partenaires techniques et financiers (Ptf) ; à travers différents guichets tels que l’ex-Pscc (Programme société civile et culture, Ndlr), par le passé, l’Ambassade de France, à travers la Coopération culturelle, l’Ambassade des Etats-Unis, la Coopération belge, la Coopération suisse, ils  subventionnent des productions culturelles ou des voyages pour des activités culturelles.
Il faut dire que, ces deux dernières années, les financements ont progressivement décru et que, de plus en plus, les acteurs ressentent des difficultés de mobilisation de financement. Voilà l’Etat des lieux du financement culturel au Bénin, à travers les huit points que je viens d’énumérer.
Pour répondre donc à votre question, je relève, à votre attention, que  malgré l’existence des huit sources de financement ci dessus évoqués, les acteurs culturels ont de gros soucis pour le développement de l’industrie culturelle et du tissu économique culturel. Ces soucis se sont accrus lorsque la crise du Fonds d’aide est arrivée, par la diminution du montant qui devait lui être alloué. Cette crise a cristallisé le terrain et a interpellé des réformes à faire. Mais, ces réformes mettent du temps à être mises œuvre, pour des raisons jusque là non dévoilées. Cela tarde ; un an après, c’est trop ! Vous comprenez, bien sûr, que lorsqu’on passe de 5 à 2,4 milliards, cela ne suffira pas forcément, alors qu’il y a des dettes qui attendaient. A partir de cet instant, personnellement, j’ai estimé que le Fonds d’aide ne suffirait plus forcément pour continuer de contribuer à la réduction de la pauvreté dans le milieu culturel et au développement du tissu économique culturel.
On en était là lorsque l’Etat a proposé le Fonds de bonification, dont je ne reviens pas sur le contenu, ici. Cela devrait être un Fonds sous forme d’un Fonds de garantie pour les entreprises culturelles. En réalité, je l’ai développé au début : si un pays doit économiquement se développer, c’est grâce aux entreprises qui créent la richesse, d’une manière générale et, dans le milieu culturel, en particulier, ce sont les entreprises aussi qui créent la richesse.  Donc, les entreprises culturelles aux normes doivent pouvoir avoir accès à ces fonds-là, pour développer des produits culturels économiquement viables, rentables.
Et, lorsque j’ai fait l’audit culturel général, j’ai regardé du côté du Nigeria, du côté de l’Algérie, de la Tunisie, du côté des autres pays qui se développent, et j’ai compris qu’une volonté politique s’est affichée dans notre pays, à travers l’augmentation du budget du Ministère du Tourisme et de la culture. Mais, cela a mis du temps à se faire sentir. J’ai constaté qu’il y a de la volonté qui s’est manifestée dans les projets qui sont listés dans le Pag (Programme d’action du Gouvernement, Ndlr) et dans le Budget de l’Etat. Mais, cela met du temps à s’appliquer. Ayant fait tout le tour, je me suis rendu compte que même si l’on met cela en route, cela ne permettra pas à l’acteur culturel de sortir de la pauvreté, cela ne permettra pas le développement, tout de suite, du tissu économique.
Au stade actuel de notre vie culturelle, l’acteur culturel béninois n’a pas des commandes, il n’a pas du travail. C’est parce qu’on ne lui commande pas un travail que l’oisiveté s’installe et, l’oisiveté conduit à du bavardage, elle conduit à l’utilisation des réseaux sociaux pour critiquer des choses futiles. L’oisiveté renforce la crise et crée des difficultés énormes. Alors, personnellement, j’ai commencé, de plus en plus, à parler d’un Fonds de démarrage, qui est, en réalité, un Fonds de mise au travail du milieu artistique, un Fonds de remise au travail des acteurs culturels. Et, si vous le voulez, je vous détaille que j’appelle le Fonds de démarrage.
Ce que j’appelle Fonds de démarrage n’existe encore nulle part. C’est nouveau. C’est un concept. Il ne correspond pas à une définition d’internet ou à un Fonds qui permet de démarrer un projet nouveau. Je ne tiens pas non plus à ce que cela s’appelle définitivement ’’Fonds de démarrage’’ ; c’est une proposition que j’avance autour de laquelle j’aurais bien aimé que tous les acteurs culturels puissent échanger, pour lui trouver le nom qui convient. On pourrait l’appeler un ’’Fonds de remise au travail’’ de tous les acteurs culturels, ou un ’’Fonds de mise en chantier du milieu culturel’’.
Le Fonds de démarrage, pour moi, d’abord, a des caractéristiques. La première : c’est un Fonds ponctuel, un fond de commande et, un contrat entre l’Etat, le commanditaire, et les acteurs culturels, qui sont les exécutants.
Il est ponctuel parce que  ce n’est pas un Fonds à instituer en loi, qui va être un Fonds continu, c’est un Fonds fonctionnel sur deux ou trois ans. Il s’agit d’un Fonds pour commande parce qu’il existera pour commander du travail au milieu artistique, d’une manière générale. Troisièmement, c’est l’Etat qui commande le travail. Donc, c’est l’Etat qui met le Fonds en question en place. Quatrièmement, ce sont les acteurs culturels béninois qui doivent être les exécutants, exclusivement, de ces commandes-là. Voilà les quatre caractéristiques du Fonds de démarrage. 
L’idée m’en est venue d’un économiste britannique qui s’appelle John Keynes. A la crise économique de 1929, il avait proposé une idée de remise au travail de tout l’appareil économique parce qu’en réalité, il y avait eu de la surproduction, avant cette année-là, ce qui a créé de la mévente et, la crise est intervenue ; il ya eu des licenciements et beaucoup de travailleurs étaient au chômage, c’était la morosité totale.
Il a alors affirmé qu’il fallait mettre les gens au travail. Dans son explication, il a demandé à un groupe de personnes de creuser un trou ; ils l’ont fait. Et, on les a payés. Ils étaient heureux. Ensuite, il leur a demandé de fermer le trou, ils l’ont fait et on les a encore payés ; ils étaient à nouveau très heureux. Selon lui, si les gens trouvent du travail et qu’ils travaillent, ils seront heureux. Donc, il a suggéré à l’Etat de faire du financement, de mettre en place un fonds pour financer la mise au travail de tous les hommes, dans le tissu économique. Lorsque cela a été fait, automatiquement, la machine de production a redémarré.
Donc, c’est démarrer la machine que constitue le tissu économique culturel du Bénin, c’est ça qui est l’image que j’évoque en parlant de Fonds de démarrage. Quels en sont les avantages ?
D’abord, cela permet de mettre presque tout le monde au travail. Ensuite, cela aide à réduire drastiquement la pauvreté, immédiatement ; cela facilite la création d’un grand nombre d’emplois et la réduction drastique de la tension sociale, tout de suite. Par ailleurs, un tel système amène les gens à travailler d’une manière officielle, formelle, parce que la particularité de ce Fonds sera que lorsque le travail est commandé, toux ceux qui vont exercer dans le système, jusqu’au balayeur, seront déclarés, avec une cotisation directe.
De plus, les produits issus de cette commande appartiennent à l’Etat. Et, ce sont des produits qui vont être vendus pour le compte de l’Etat. Ainsi, les artistes, l’ingénierie cultuelle et l’industrie qui se met en place redémarrent. L’autre avantage reste que l’acteur culturel, l’artiste qui travaille dans le système, est payé directement, sort de la pauvreté et peut continuer à faire d’autres créations, parce qu’il est plus à l’aise. Aussi, les entreprises qui vont gagner les commandes vont faire des profits et pourront continuer à fonctionner, lorsque le Fonds va s’arrêter. C’est un Fonds qui va se comporter comme un Projet, avec une durée de vie précise.
Autre chose : désormais, on aura un état des lieux, qui nous permettrait d’avoir la traçabilité claire de tout ce que nous dépensons, de tous ceux qui ont travaillé, de tous ceux qui ont un potentiel. Ainsi de suite. Et, tous ceux-là auront clairement leurs répercussions sur le Pib.
Au bout des deux ou trois ans d’exercice du Fonds de démarrage, l’Etat va commencer à entrer dans ses fonds, progressivement, surtout que les produits culturels ne sont pas facilement périssables ; tant qu’ils seront demandés. Non seulement les fonds investis seront rentabilisés mais, aussi, des bénéfices seront enregistrés. Puis, comme tout le monde travaille au clair, de manière officielle, les redevances seront virées directement sur les comptes du Bubédra, pour les artistes. De même, comme les entreprises auront fait du profit, les créateurs pourront continuer à se comporter officiellement, comme cela. A partir de ce moment, les indices qui influencent les flux économiques qu’on remarquera sur le Pib vont être quantifiables, en même temps. Voilà quelques avantages réels du Fonds de démarrage.
Comment cela va-t-il se faire ?
La mise en route de ce Fonds consistera à choisir vingt entreprises culturelles : dix, la première année et dix, la deuxième. Et, par discipline. Je prendrai l’exemple du cinéma pour extrapoler. On demandera à une entreprise culturelle, ‘’Togbo films’’ d’Ignace Yètchénou, par exemple, de produire une série de 200 épisodes, sur le Bénin. Il va recruter des scénaristes qui se mettront ensemble pour écrire sur les réalités béninoises. Toutes ces recrues seront déclarées officiellement, payées correctement et des taxes vont être prélevées et reversées, pour elles, à la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss). Des comédiens vont être recrutés, sur les 200 épisodes, ce qui fait, au moins, un an de travail, de même que des techniciens, et la série va être produite, peut-être en fon, en dendi ou dans n’importe quelle langue nationale. Et, la version nationale va être vendue aux télévisions nationales, en priorité, pour être diffusée. Donc, déjà, l’Etat commence à gagner de l’argent. Tout cela est au clair, il n’y a pas de négociations secrètes, c’est l’Etat qui vend. Mais, si l’Etat vend à l’Etat, on sait comment cela se passe ; tout doit être comptabilisé pour qu’on puisse en voir la traçabilité claire. Le film va être doublé en français, pour les pays francophones. Vous imaginez combien de télévisions peuvent l’acheter. Il sera doublé en anglais, pour les pays anglophones. Et, ce sont les Béninois qui vont faire cela : la série ’’La Chacala’’ a été doublée au Bénin et vendue partout dans les pays francophones. Il va être doublé en espagnol, pour les pays hispanophones. Etc. C’est une chaîne qui ne s’arrête pas ; tant qu’on découvre une nouvelle langue, avec son marché qui intéresse, on peut doubler cela et, ce sont les Béninois qui vont assurer ce doublage. On trouvera les gens qui vont doubler les voix et, ce sera vendu.
De même, la vente ne s’arrête pas, parce que si une télévision diffuse 200 épisodes, en une saison, après, cette télévision peut opérer une rediffusion. Si elle avait acheté les 200 épisodes à peut-être 100 millions, cela peut être réduit à 50 millions. Mais, la télévision est obligée de racheter les droits, avant de faire cette rediffusion. Donc, cela entre dans le patrimoine direct. Conséquence : le patrimoine artistique audiovisuel aussi est renforcé.
Quand on prend la musique, c’est pareil, de même que le livre, le théâtre, mais c’est l’audit culturel qui, discipline par discipline, va proposer les options de choix.
En résumé, l’Etat met l’argent pour produire, et vend, puis les droits sont versés aux artistes, et les taxes à l’Etat. Donc, l’artiste est payé et, comme c’est le cas, il ne bavarde plus. Dans la première année, une série de productions vont être faites par les disciplines qui vont être choisies. Dans la deuxième, ce sera pareil et, la troisième va être celle de la promotion, de la vente des produits, et de la rentabilisation de tout ce qu’on a investi.
En clair, cette proposition inspirée de la méthode Keynes est ma contribution personnelle et, en tant que Conseiller, pour la sortie de crise du secteur cultuel. Elle vient comme une troisième jambe pour l’Etat et va s’ajouter au Fonds d’Aide et au Fonds de bonification, pour mettre tout le monde au travail. Le Fonds d’Aide est continu parce qu’il relève d’une Loi, le Fonds de bonification est aussi continu parce que c’est de l’argent qu’on peut emprunter, mais la commande qu’on doit faire pour que tout le système se mette en route, n’existe pas. Sans cela, la classe culturelle aura beau se battre autour du Fonds d’Aide et, autour de Fonds de bonification, le problème de pauvreté va demeurer.


Avez-vous un appel à lancer aux artistes et aux acteurs culturels, eux qui seront au centre de ce processus du Fonds de démarrage ?

Ce que j’ai à dire aux acteurs culturels est simple : il faut que nous arrêtions de suspecter l’autre ; la suspicion n’a jamais construit une nation. Nous avons, chacun, des défauts, mais face à une situation qui s’impose à nous, nous avons besoin de procéder calmement, d’analyser afin de trouver des issues. Ce n’est pas parce que je n’aime pas X que lorsqu’il propose une idée, il faut la rejeter systématiquement. 
A travers le Fonds de démarrage, tous les acteurs culturels, tous les professionnels des arts et même les amateurs auront à faire : le musicien, le guitariste, le percussionniste, le comédien, le metteur en scène, le régisseur, le cinéaste, …, tout le monde, si ce système se met en place.
Avant d’arriver au Fonds de bonification, c’est ensemble que devant les différents gouvernements, les différents Présidents, nous, acteurs culturels, dirigés par la Faaben (Fédération des associations d’artistes du Bénin, Ndlr), avons réclamé à cor et à cri, l’augmentation du montant alloué au Fonds d’aide. Nous l’avons obtenue. Nous avons demandé, à cor et à cri, aussi, le Théâtre national ; nous avons failli avoir une salle, mais on a des chances d’avoir notre Théâtre, bientôt. C’est encore possible que nous nous mettions autour de cette idée pour obtenir cette troisième jambe : le Fonds de démarrage, en plus des autres Fonds ! Si cela est lancé, ce n’est pas Claude Balogoun seul qui en profitera ; je peux même ne pas y être associé. Mon véritable souhait est que nous laissions de côtés nos guéguerres, nos luttes intestines et que nous passions à d’autres choses concrètes pour la classe culturelle.


Selon votre vision, toute aussi claire, comment structurer, de manière efficace et productive, le secteur béninois des Arts et de la culture, de façon à permettre à tous les acteurs culturels de se retrouver au sein d’un grand creuset d’influence ? Comment faire adhérer ces acteurs à ce système ?

La structuration du milieu culturel est une autre paire de manche, très grosse. Il y a quelques années, un certain nombre d’acteurs culturels majeurs se sont retrouvés à Togbin, chez Alougbine Dine, pour échanger sur la structuration du secteur. C’était à l’époque du Pscc. Certains partenaires financiers étrangers m’avaient contacté pour manifester une inquiétude : « Si vous ne vous structurez pas comme les artisans, vous ne pourrez pas bénéficier de gros financements étrangers ». C’est ainsi que j’ai suggéré cette séance qui avait eu lieu, en présence de plusieurs personnalités : le doyen Alougbine Dine, le Ministre Ali Houdou, Pascal Wanou, Gaston Eguédji, Florent Hessou, Ally Sissy, notamment ; nous avions passé une bonne journée de discussions.
Et, j’expliquais, à l’époque, puisqu’il n’y avait qu’une structure faîtière qui était la Faaben que, pour arriver à une bonne structuration, il fallait que les disciplines s’organisent en fédérations, et que tant qu’on n’évoluerait pas discipline par discipline, la structure faîtière que devrait être la confédération, ne serait pas une bonne chose. J’avais expliqué à tous comment il fallait faire pour y arriver. Tout le monde était presque d’accord. L’un des problèmes qu’il y avait concernait l’existence d’un grand nombre de crises, et il fallait passer à la pacification. Un Comité de pacification avait été mis en place, à cet effet. Il n’avait pas pu fonctionner quand le Ministre Toléba avait quitté le Gouvernement. 
L’autre problème qu’on avait eu, à l’époque : j’avais expliqué que si l’on devait faire une confédération à l’image de la Faaben, cela ne marcherait pas, c’est-à-dire que si, dans le Bureau, devaient siéger tous les responsables des associations et des fédérations, cela ne marcherait pas, et que la confédération devait avoir l’ossature du Pscc, à l’époque, qu’elle devait avoir la forme du Fitheb (Festival international de théâtre du Bénin, Ndlr), par exemple : une direction exécutive, avec un Conseil d’Administration qui l’accompagnerait, et que nous, responsables d’associations, devrions être dans le Conseil d’Administration, qui devait lancer un appel à candidatures. La structure devait recruter une secrétaire, un comptable et un agent, puis un Directeur ou un Coordonnateur qui devait gérer la confédération ; il était aussi question que lorsque la Maison des Artistes serait créée, cette confédération y siège. Donc, les clivages qui existaient entre nous se tairaient un peu lorsque nous saurions que tous les acteurs culturels, les fédérations ne siègeraient que dans le Conseil d’Administration, pour donner des directives au Coordonnateur. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y avait crise entre Pascal Wanou et Orden Alladatin, entre Alèkpéhanhou et Hounti-Kiki, entre Claude Balogoun et Florent Hessou, … Donc, si Claude Balogoun se retrouvait dans ce Bureau, sans Florent Hessou par exemple, nous n’aurions pas réglé les problèmes.
C’est pour éviter cela qu’il fallait opter pour cette forme qui était de mettre les gens dans le Conseil d’administration et de recruter un Coordonnateur, pour un mandat à durée déterminée, renouvelable peut-être.
Nous en étions là et la proposition avait été faite, au sein de la Faaben dont j’étais membre, que cette Fédération, qui était hétéroclite, puisse se casser pour laisser naître de nouvelles fédérations. A ce niveau, les disciplines respectives avaient commencé à initier leur fédération et, la structuration avait commencé. Il fallait, à un moment donné, trouver la façon dont on irait à la confédération. Et, l’idée de la Cbaac (Confédération béninoise des acteurs des arts et de la culture, Ndlr) est née.
Certains étant pressés et, ne voulant pas attendre, elle a été créée avec des fédérations qui existaient et, d’autres n’y sont pas venues. Donc, mon objectif n’avait pas été atteint ; si certaines fédérations n’étaient pas arrivées, on ne pouvait pas avoir une seule structure faîtière. Cela a commencé à créer d’autres problèmes ; les musiciens ont voulu créer leur confédération, ce qui en donnait deux, désormais. Et, par la suite, beaucoup d’autres confédérations sont nées. Donc, nous sommes arrivés à un niveau confédéral ; le travail que j’avais effectué pour qu’on arrive à une confédération a reçu un coup.
A partir de cet instant, de plus en plus, j’ai refait l’état des lieux et, j’ai réfléchi pour arriver à conclure ceci : arrivons maintenant à une Chambre des confédérations. Donc, au lieu d’une confédération faîtière, on va avoir une Chambre, comme celle de l’Agriculture, celle des Artisans, notamment. Mais, si cette chambre n’a pas la forme que j’ai évoquée, c’est-à-dire que si elle n’est pas gérée par un coordonnateur, avec une administration, plus un Conseil d’Administration à côté, le problème ne sera pas résolu. Mon objectif est que les acteurs culturels s’écoutent, qu’on se comprenne, qu’on se parle et qu’on se mette d’accord : permettons aux disciplines ne disposant pas encore d’une confédération de la créer, comme au cinéma où les deux fédérations existantes peuvent se constituer en une confédération. Et, toutes ces confédérations viendront à la Chambre. Que l’organisation de la Chambre intègre, une fois pour toutes, l’existence d’un Conseil d’administration, où siègeront le représentant des confédérations, et l’existence d’un Bureau dont le Coordonnateur sera recruté sur appel à candidatures. Voilà la situation qui pourrait arranger tout le monde, sinon cela va être difficile de pacifier tout le secteur et d’y aller. Mais, si l’on ne fait pas cela, tout de suite, une autre chambre va naître et, une autre va menacer de naître à nouveau.
L’autre forme de résolution, c’est que l’Etat prenne ses responsabilités et dise : « Stop, on arrête ça ! ». On peut même passer par l’annulation de tout ce qui existe et reprendre. Lorsque la situation se clarifiera et qu’on sera en Chambre, nous pourrons être mieux pris au sérieux chez les Ptf. Et, lorsqu’on aura mis en place la Maison des Artistes, chaque confédération aura son bureau, de même que la Chambre qui se chargera de partager toutes les informations, en même temps, avec tout le monde.


Un appel par rapport à la crise ? Un mot de conclusion ?

Le mot de conclusion, c’est l’apaisement : moins de suspicion, moins d’injures, moins de soupçons, moins de calomnies, au profit de l’acceptation de l’autre et de l’amour. La crise va être réglée et, pour cette fin, je reste convaincu que le Chef de l’Etat n’est pas sourd à la voix des acteurs culturels. Un jour, il décidera de ce qui sera bon, selon sa gouvernance. Si les acteurs culturels pouvaient avoir un peu de patience, et travailler, travailler dans ce qu’ils savent faire le mieux, avec ou sans financement, tôt ou tard, l’Etat nous écoutera. En ce qui concerne le Fonds de démarrage, je proposerais que nous nous mettions autour d’une table et que nous en discutions. En ce qui concerne la structuration du secteur, je l’ai dit : tant que nous n’allons pas étouffer nos ego et tourner dos aux petits calculs individualistes, nous ne pourrons pas y arriver.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo  

Jéhovi Kpangon remporte le Concours de diction de contes

Dans le cadre des activités de l’Association ’’Déwui’’


L’après-midi du vendredi 7 septembre 2017 a permis de prendre part à la finale d’un concours de diction de contes. L’événement s’est déroulé à l’Institut français de Cotonou, à l’initiative de l’Association ’’Déwui’’ dirigée par le Franco-béninois Aymar Nani. Trois prix spéciaux ont été décernés dont le plus prestigieux a été attribué à Jéhovi Kpangon.

Jéhovi Kpangon, recevant son Prix
Clautilde Gandji, 3ème, Déborah Ahéhéhinnou, 2ème et Jéhovi Kpangon, 1er. Le palmarès du Concours de diction de contes, qui s’est déroulé le vendredi 8 septembre 2017, à la Grande paillote de l’Institut français de Cotonou, devant plusieurs parents venus soutenir leurs enfants-candidats et des directrices et directeurs d’écoles primaires. Deux phases ont permis à onze candidats de concourir : une première où les compétiteurs devaient dire en conte, en français, extrait du recueil, ’’Les plus beaux contes de mon enfance’’ d’Aymar Nani, en même temps, initiateur du concours, en tant que Président de l’Association ’’Déwui’’. Dans une seconde phase, le conte devait être dit en langue nationale. En fin de compte, au bout de tous les passages, le Jury, dirigé par le conteur béninois, Souléman Laly, a décerné le Prix du Meilleur conteur à Jéhovi Kpangon, celui de la Meilleure conteuse en langue locale à Déborah Ahéhéhinnou et, enfin, le Prix du public à Clautilde Gandji. 

Aymar Nani, prenant possession de sa distinction
Si Aymar s’est vu remettre un Prix spécial, il lui reste à tenir le défi de l’organisation de la deuxième édition de la compétition. Carole Borna, Directrice adjointe du Patrimoine culturel, était la marraine de la première.

Marcel Kpogodo