Face à la parution de son premier livre
Depuis janvier
2014, Claude Balogoun, connu comme un grand réalisateur audiovisuel, a fait son
entrée dans le monde des écrivains béninois. C'est à travers la parution de son
livre intitulé "Houèdo ou l'arc-en-ciel", suivi du conte "Gbèxo,
le respect de la tradition". Décryptage d'un écrit d'un genre particulier
en ce qu'il a lancé le conte théâtralisé au Bénin.
"Houèdo ou l'arc-en-ciel", suivi de "Gbèxo,
le respect de la tradition", un recueil de deux contes, dont le premier
est théâtralisé. 74 pages. La place que les deux textes prennent sur un nombre
de 105. Ce livre est paru en janvier 2014, aux ’’Editions Plurielles’’, sous la
signature de Claude Balogoun qui, par cet acte, fait son entrée dans le rang
des écrivains béninois.
Le premier conte raconte la naissance surnaturelle,
mythique à but purificateur de Houèdo, l’arc-en-ciel, après neuf ans de travail
de délivrance, de la part de sa mère, Ngopi, parturiente. Son père, Nkako, a
aussi une naissance extraordinaire, vu qu’il est issu d’une termitière. C’est
ce que laisse comprendre l’exposition. Et, si Houèdo a vu le jour, tout adulte,
dans des conditions où c’est lui-même qui a dicté les circonstances de sa
naissance, c’est pour accomplir, de la part de ses « oncles sans
âge », une mission apparemment impossible : réinstaurer l’ordre et la
justice dans le monde des ’’hommes fromagers’’ où règnent toutes sortes de
calamités morales.
Ceux-ci, réfractaires à tout changement, lui ont envoyé
Okou, la mort, qu’il a dû affronter, pendant trois jours, avant d’en être sauvé
par le boa géant qui n’a pas eu d’autre choix que d’avaler le missionnaire pour
le recracher sous la forme des sept couleurs de l’arc-en-ciel. Depuis cette
victoire, la mort se venge sur les hommes en les tuant.
’’Houèdo ou l’arc-en-ciel’’ présente tous les ingrédients
du conte théâtralisé, déjà que l’auteur du livre, Claude Kokou Balogoun, a mis
à l’écrit un conte qu’il avait produit, en 1994, pour le jeu théâtral, qui
avait été mis en scène par le feu Urbain Adjadi ; il a été joué, dès 1996,
par la troupe Wassangari, au Bénin, en Afrique et dans le monde, à en croire un
pan de l’avant-propos de l’auteur et les informations apportées, à la fin du
second conte, par l’éditeur, dans la rubrique, « Historique de la création
du spectacle ’’Houèdo’’ ».
Le caractère théâtralisé de ce conte est formellement
prouvé par la subdivision du texte en un prologue et en quatre actes. Pour ce
qui se rapporte au fond, ces ingrédients, en particulier, sont relatifs,
d’abord, au titre des deux histoires ; ils ont, chacun, une première partie en
fon, ''Houèdo'', ''Gbèxo'', et, une deuxième, en français, un groupe nominal
actif en la démonstration du contenu de l'élément en langue nationale, comme si
le titre lui-même devait agir, jouer à rendre le conte, avant sa lecture, sa
découverte.
Ensuite, concernant la facture de conte théâtralisé, il y a
la fonction révélatrice du prologue laissant comprendre, par la séquence de
litanie et, les trois autres, de chant, l’immersion de l’histoire dans la
culture du sud-Bénin.
Par ailleurs, nous avons, manifestant le conte théâtralisé,
la présence, dans la pièce, d’un processus où les cinq comédiens incarnant les
rôles clés de Houèdo, d’Okou, des 1er et 2ème vieillards, et de l’adepte de fétiche,
sont à la fois personnages et conteurs, ce qui les fait se mettre dans la peau
de quatre personnages supplémentaires que sont Kinninsi (Premier acte), les 1er et 2ème guerriers, et la voix (Deuxième acte).
En outre, particulièrement, dans cette pièce, le conteur
principal n’est pas connu d’avance, il est choisi au hasard et, ce qui est
intéressant est qu’il est remplacé par un autre, s’il est reconnu défaillant.
De plus, cette pièce de théâtre, appartenant au premier
livre écrit par Claude Balogoun, présente des séquences chantées et même
ritualisées, un système culturel synthétique émanant des ethnies fon, mina et
yoruba, de notre pays.
Aussi, le conteur principal active la participation
perpétuelle du public et le maintient psychologiquement dans l’intrigue,
jusqu’à son dénouement, en scandant, périodiquement,
« Ikosoukouriyo », ce à quoi il répond par « Soukourigo ».
L’auteur utilise rationnellement cette relance, la rendant abondante dans
l’acte premier, comme pour attacher l’attention de ce public au contenu de
l’exposition ne comportant que trois personnages : le conteur, Kinninsi et
le féticheur. Pour un récit assez long qui risquerait de devenir ennuyeux, face
à une exposition qui détermine les conditions de la naissance du personnage
principal, Houèdo, ce qui est fondamental pour la compréhension de la suite de
l’histoire.
Claude Balogoun gratifie donc l’acte premier de huit
relances, de même que le quatrième qui, vu qu’il gagne en tension, au regard de
Houèdo, pourvu de sa mission et devant affronter le système d’opposition à
celle-ci, le vaincre, subir sa propre métamorphose mythique en arc-en-ciel et
laisser Okou matérialiser son dépit sur les hommes.
Toujours lié à la relance « Ikosoukouriyo »-« Soukourigo »,
le deuxième acte n’en a aucune, probablement parce qu’il est court et que
quatre personnages l’animent : les 1er et 2ème guerriers, Houèdo et l’adepte, sans
compter que deux séquences de chant lui donnent des couleurs. Enfin, dans le
troisième acte, la moisson de relances est maigre : une, qui remet Houèdo
en scène, par l’intermédiaire d’une plus ou moins longue tirade du conteur, des
pages 43 à 44, pour laisser place à la voix et à Houèdo, échangeant de courtes
répliques, ce qui donne de la vigueur à l’histoire et au jeu théâtral, des
pages 44 à 45, pour, enfin, mettre l’homme-né-adulte face à l’information de sa
mission de re-moralisation de la société des ’’hommes fromagers’’. Vivre la
représentation selon de telles marques où, dans l’organisation du jeu de scène,
rien n’est laissé au hasard, serait un vrai régal.
En réalité, le conte théâtralisé est en pleine mode
aujourd’hui et, inévitablement, par ’’Houèdo ou l’arc-en-ciel’’, Claude
Balogoun en est le pionnier au Bénin. Il entre dans le monde littéraire
béninois en faisant connaître une vocation de conteur, lorsqu’on considère
qu’il a aussi écrit ’’Gbèxo, le respect de la tradition’’, second conte du
recueil proposé au lecteur par le biais des ’’Editions Plurielles’’.
Cette histoire montre la punition de Gbèxo et de sa femme,
pour avoir violé les principes sacrés de la vie au village. En nombre de pages
et dans son traitement interne, la disproportion avec le premier conte est
flagrante. Si ’’Gbèxo, le respect de la tradition’’ ne montre pas des signes
d’avoir été jamais joué, Claude Balogoun aurait dû, dans cette édition, le
préparer à l’être, en faisant l’équité, en proposant sa mise en scène écrite,
de quoi démontrer, une nouvelle fois, son art de théâtralisation du conte, lui
donnant une vie cultuelle et culturelle, en l’entrecoupant de chants, de
litanies, de dialogues poétiques, de comédiens à l’ardeur inspirée. Rien ne
montre qu’il ne se donne pas les moyens de donner corps à cette
intention.
Marcel Kpogodo