Pour
Meschac Gaba
« Toutes
les biennales en Afrique ont des problèmes … »
Meschac Gaba |
Quelques jours avant le
lancement de son Projet spécial, Meschac Gaba a bien voulu nous faire l’honneur
d’une interview. Sont au rendez-vous des éclairages sur son exposition
internationale, sur son Projet spécial et concernant les problèmes de la
Biennale Bénin 2012.
Dans
le cadre de la Biennale Bénin 2012, vous faites partie des artistes qui
présenteront des œuvres par rapport à l’exposition internationale. Qu’en
est-il ?
Meschac
Gaba : L’exposition internationale est intitulée
Citoyens du monde et j’y présente un
travail qui s’appelle Voyages, parce
que je me considère aussi comme un citoyen du monde.
Quand on parle de
citoyenneté, je pense qu’on ne va pas l’enfermer dans le nationalisme, surtout
qu’aujourd’hui, si on regarde même le Projet Biennale Bénin, c’est soutenu déjà par la France. Donc, il y a déjà
un aspect de citoyenneté internationale.
Alors, mon projet qui
s’appelle Voyages, je le fais aussi en
accompagnement avec Hermann Pitz qui veut présenter The world Hermann Pitz’s
world, un bilan de tous les endroits du monde qu’il a parcourus et où il a
fait des projets, ceci qui rejoint l’idée de citoyenneté du monde.
Voyages
est un travail sur les drapeaux ; vous avez un grand drapeau dans lequel
on retrouve tous les drapeaux du monde mais, sous des formes triangulaires, on
les reconnaîtra à peine. Mais, autour de ce grand drapeau, on aura des colis de
drapeaux, comme des sacs de voyage, comme les colis que les gens font pour
voyager.
Nous avons donc le
colis de l’Unité africaine qui représente toute l’Afrique, le colis de la Ligue
arabe, pour les pays arabes, celui de l’Union européenne qui représente les pays
d’Europe, le drapeau des Usa pour les pays américains, sauf que, pour l’Asie,
je n’ai pas pu trouver quelque chose de représentatif, ce qui m’a poussé à
prendre la Chine comme grand format en Asie.
Alors,
que proposez-vous par rapport à votre Projet spécial lié à la Biennale ?
Je propose le Projet Mava que j’avais fait en 2010-2011, où j’annonçais
la création d’une résidence de bibliothèque ; c’est ce que je développe.
En tant qu’artiste, je veux, par rapport à mon Projet, drainer aussi la
communauté de Cotonou, qui n’est pas que du milieu de l’art. Alors, je veux
faire un projet avec les taxis-moto à Cotonou et, il s’appelle Bibliothèque roulante. Là où je l’aime,
c’est qu’il fait intervenir les gens du monde entier, pas seulement les taxis-moto
de Cotonou ; depuis qu’on est en train de travailler, on reçoit des messages
de l’Amérique, du Japon, de partout. Ces messages seront placés comme des
plaques minéralogiques mais, avec des textes, sur les motos ; mon souhait,
c’est que cela reste durant toute la Biennale à circuler dans la ville de
Cotonou. Déjà, quand tu lis ce genre de textes sur une moto, même quelqu’un qui
ne va pas voir l’expo ou bien qui n’en est pas au courant se demandera ce que c’est ;
cela peut créer déjà de la communication. C’est pour ça que j’appelle cela Bibliothèque roulante mais, ça met aussi
de la visibilité sur la Biennale, comme sur mon Projet.
On
vous a aussi programmé pour animer un atelier, des rencontres professionnelles
sur le thème : « Espaces urbains, géographie, histoire et invention ».
Cela va se dérouler au Centre commercial Kora. Qu’est-ce que vous avez à
partager avec le public ?
Tel que vous le dites,
si je regarde mon travail, je le fais sur la ville de Cotonou qui est une ville
urbaine ; je travaille beaucoup sur le développement urbain, moderne alors,
je pense que je vais partager juste mon expérience, je vais parler de ce que j’ai
fait au Bénin, de ce que j’ai fait ailleurs aussi ; ce sont les échanges
que je pense avoir.
Il
semblait y avoir deux tendances pour cette Biennale. Qu’est-ce que vous en
pensez ?
(Rires). Si les deux
camps m’avaient invité, j’allais participer. Je pense qu’au Bénin, c’est pour
cela qu’il n’y a pas de guerre, on se querelle beaucoup et nos guerres
finissent par les paroles. C’est pour ça que le Bénin fait partie des pays de l’Afrique
de l’ouest qui n’a jamais vu, comme au Nigeria ou au Togo, des gens se tirent
dessus avec des armes. C’était un conflit idéologique, ce qui fait que tout le
monde veut faire une biennale au Bénin. Cela aurait été bien qu’il y ait deux
biennales au Bénin mais, pour l’international, ce n’est pas bon. Il faut le
dire honnêtement : à l’international, on regarde le Bénin comme un pays à
part ; quelqu’un m’a dit : « Le Bénin est le pays le plus
compliqué que j’aie jamais visité dans ma vie. » Je lui ai dit, en réponse : « Le
Bénin est le seul pays en Afrique de l’ouest qui n’a jamais eu de guerre »,
pour lui montrer qu’on n’est pas si mauvais que cela. Mais, pour l’international
et, même pour le financement, ce n’est pas bon de diviser un projet. Cependant,
je trouve que c’est une richesse pour le Bénin qu’il y ait deux biennales et,
on va tout faire pour que cela n’arrive plus, si cette Biennale doit continuer
dans le futur.
Certains pensent que ce
conflit est dû à une question d’intérêts et d’argent mais, moi, je pense que c’est
plutôt une question d’égo. Mais, on va essayer progressivement,
philosophiquement, par des conférences, des rencontres, de développer l’unité ;
cela va s’apprendre. Le problème qui se pose dans les arts plastiques se pose
aussi beaucoup dans le théâtre. Je pense qu’il va falloir mûrir et bien gérer
cela. Pour l’instant, on ne dira pas que cela est si négatif ; s’il devait
y avoir deux biennales, il y aurait pas mal de groupes à Cotonou.
Moi, je suis là pour
apporter ma pierre à l’édifice, je vais faire ce que je peux, mettre ensemble
les gens qui se chatouillent et, je pense qu’après la Biennale, ils vont se
retrouver, se calmer ; la prochaine Biennale s’appellera Unité et il y aura une seule Biennale.
Pour
vous qui vivez à l’extérieur du Bénin, comment cette division d’antan a été
perçue ?
Je vis en Hollande et,
cela a été très mal vu. La première fois qu’on a entendu parler de la Biennale
Bénin, c’est une femme qui m’a appelé à Londres et qui m’a dit : « Qu’est-ce
qui se passe dans votre pays ? Pourquoi les gens ne s’entendent pas ?
» Je lui ai répondu : « Comme le Bénin est petit, pour tout
grand projet, beaucoup de gens pensent qu’ils sont patrons et, à Cotonou,
il n’y a pas de musée, il y a pas de préoccupation alors quand il y a une
petite chose, tout le monde veut s’en occuper, c’est pour cela qu’il y a
divergence. »
Vous voyez, il y aura
plus de visiteurs à Cotonou et, on va regarder celui qui peut faire le meilleur,
il se fera respecter la prochaine fois. Sinon, c’est dommage pour le Bénin qui
regorge d’autant de très bons artistes mais, ce n’est pas qu’ici qu’il y a ce
problème ; toutes les biennales en Afrique, cela, je peux vous le dire,
ont des problèmes. C’est pire et c’est grave !
Par exemple, il y a eu
le Festival des arts nègres à Dakar ; je peux vous dire que, jusqu’à
aujourd’hui, les œuvres des artistes sont saisies quelque part, souhaitons que
cela n’arrive pas ici. Moi, mes œuvres, on a dû payer 6000 euros pour les
récupérer, parce qu’une galerie française voulait les montrer, alors que ces œuvres
avaient été prêtées.
A part le Sénégal, nous
avons la biennale sud-africaine qui n’existe même plus. La Biennale Bénin est à
ses débuts. Regardez celle de Dakar qui a déjà plus de 20 ans ! Elle
bafouille après tant d’années, elle semble encore à un stade primaire !
Ici, ils viennent de commencer et, toute chose qui est à ses débuts comporte un
peu de bavures ; je pense qu’ils auront le temps de se rattraper.
Si nous, nous avions
pensé que c’était un projet négatif, nous n’allions pas y participer ; j’ai
des amis qui m’ont demandé si cela valait le coup d’y être et je leur ai
répondu oui. Donc, on ne va pas regarder ce qui se passe d’un œil négatif ;
en fait, c’est le début de quelque chose.
Je pense que cela va
être une bonne Biennale, parce que les gens ne savent pas ce qui va se passer,
mais ils savent qu’il y a de très bons artistes ici, c’est pour cela qu’ils s’y
engagent. Je pense que même si l’administration bafouille, les artistes vont y
mettre le poids et cela va marcher.
D’où
vous vient ce grand sens d’optimisme ?
Vous savez, j’aime le
Bénin. Mon art, je l’ai commencé ici ; des Béninois ont acheté mon art
sans aucun expatrié, sur dix ans et, j’ai du respect pour ça, je ne peux pas
dire que le succès de mon travail a commencé quelque part d’autre, il a
commencé vraiment ici ; si vous voulez compter mes œuvres à Cotonou, vous
pouvez en avoir plus de soixante-dix qui sont au Bénin. Donc, c’est un pays
auquel je crois, je ne peux parler un seul instant négativement de lui, ça ne
peut pas tourner une minute dans ma tête. Tout ce qui se passe ici, surtout
pour l’art, pour moi, c’est positif.
Un
mot de fin ?
Souhaitons que les deux
Biennales deviennent une, parce que c’est bon pour le Bénin, c’est mon mot de
fin.
Propos
recueillis par Marcel Kpogodo