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mercredi 11 décembre 2013

Propos du metteur en scène béninois, Arsène Kocou Yémadjè, sur une situation absurde au Fitheb


« […] je suis tout aussi occupé que le Ministre de la Culture » 

Le Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb) apporte chaque jour son lot de situations ambiguës. Au moment où tout le monde s’interroge sur le sort qui sera réservé à la douzième édition de cet événement culturel d’envergure internationale, une affaire de contrat non honoré vient à nouveau éclabousser cette institution et, par ricochets, le Ministère de la Culture, ce que nous révèle le metteur en scène béninois, Arsène Kocou Yémadjè, à travers cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, et qui présente d’ailleurs, sa vision puissante et respectable pour le Fitheb. 


Arsène Kocou Yémadjè


Stars du Bénin : Arsène Kocou Yémadjè, vous êtes metteur en scène et Directeur de la Compagnie théâtrale Kocou. La situation actuelle au Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb) serait en train de perturber le déroulement normal de vos activités professionnelles liées d’ailleurs à la prochaine édition de cette manifestation culturelle. Pouvez-vous en dire un mot ?
Arsène Kocou Yémadjè : Oui. Très rapidement, je dirai que je suis déçu par la situation, en ce moment. Il n’y a pas longtemps, un appel à candidatures a été lancé par la Direction du Fitheb. A l’issue de cela, Gérard Tolohin et, moi-même, Kocou Yémadjè, tous deux comédiens et metteurs en scène béninois, avons vu nos candidatures retenues. Un contrat a même déjà été signé avec la Direction du Fitheb, depuis le 3 octobre passé. Selon les termes de ce contrat, au plus tard, le 30 novembre, on aurait fini les créations. Celles-ci sont destinées à animer cette salle du Fitheb qui a eu du mal à se faire et que nous avons vu se réaliser, sous la direction de Pascal Wanou, ce que nous saluons jusque-là. Les entre-deux du Fitheb, selon les termes de cette institution, c’est ce qu’on appelle des animations entre deux éditions du Fitheb. Donc, le Festival, en principe, doit pouvoir produire et accompagner des artistes mais, cela, nous ne le voyons que pendant le mandat de M. Pascal Wanou. Nous le saluons aussi d’ailleurs. Il y a des lectures-spectacle que nous faisons, ce qui fait que la maison bouge.
Les créations devaient être faites pour animer la grande salle du Fitheb. Il est dit que ces spectacles pourraient éventuellement participer à l’édition prochaine du Festival.  Apparemment, M. Pascal Wanou, Directeur du Fitheb, ne maîtrise pas la situation, puisqu’il a signé jusqu’aux chèques. Qu’est-ce qui fait que, jusque-là, l’argent n’est pas débloqué pour que des artistes travaillent ? Est-ce au niveau du ministère que se pose le problème ? M. le Ministre  de la culture pourrait nous élucider la situation !? Je voudrais bien.
Nous autres, artistes, sommes des gens très occupés. Je suis donc tout aussi occupé que le Ministre de la Culture, tout aussi occupé que les cadres du Ministère de la Culture, tout aussi occupé que M. le Président de la République qui est un citoyen béninois. Alors, je souhaiterais que, chacun, à son niveau, fasse son travail pour que la nation évolue. Je ne peux pas comprendre qu’après avoir pris cet engagement, qu’après que les artistes qui doivent m’accompagner dans cette aventure ont pris l’engagement de se libérer pour la période de création, que finalement, cela ne se soit pas fait jusque-là. Comment ils nourrissent leur famille et comment je nourris ma famille ? Ce n’est pas nous artistes, qui sommes en train de manquer au contrat. Ce que je veux aujourd’hui, c’est qu’on me dise pourquoi cela ne s’est pas fait. Si M. le Directeur du Fitheb a signé le contrat et même signé les chèques, où se trouve le problème pour que l’argent ne se débloque pas ? Je préfère crier maintenant pour que le Ministre de tutelle lui-même puisse réagir au cas où il ne serait pas au courant de la situation, ce dont je doute fort. J’estime que j’ai le droit de savoir ce qui se passe réellement.
Le Fitheb n’est pas une petite affaire, le Fitheb est une grosse vitrine pour notre pays ; je dirai même, sans vouloir faire des jaloux, au niveau des sportifs, que le Fitheb valorise mieux le Bénin que notre football que nous ne prenons pas véritablement le temps de bien construire. Ce sont les artistes béninois qui font parler du Bénin. Il n’y a pas si longtemps, je discutais avec M. Yves Bourguignon, l’un des pères fondateurs du Fitheb, qui me parlait de l’impact de cette manifestation culturelle sur le palais royal de Porto-Novo quand, dans le temps, il était question de convaincre les dignitaires de cette ville pour qu’ils acceptent que le Fitheb puisse se dérouler au palais royal. Et, quand cela s’est fait, les résultats ont été que les visites au palais se sont multipliées par cent, dès que le Fitheb à commencé à s’y tenir ; les gens venaient de partout, du monde entier, pour le visiter.
Donc, on peut véritablement évaluer ce que c’est que le Fitheb. Pourquoi, à Abidjan, les gens se battent pour que le Masa reprenne ? Il faut qu’on cesse de faire du Fitheb un parent pauvre. C’est, pour moi, l’occasion de remercier tous les gouvernements qui se sont succédé et qui ont continué chacun à leur tour à soutenir le Fitheb. Mais il reste tellement à faire.

Face à l’absence de déblocage des moyens financiers pour mettre en place votre création devant permettre de faire fonctionner la grande salle du Fitheb, confirmez-vous formellement que vous vous êtes rapproché du Directeur du Fitheb pour savoir à quoi serait due cette situation ?
Oui, je me suis rapproché de lui et il m’a dit qu’en principe, tout était fin prêt et, pendant longtemps, lui-même disait que tout allait bien ; la preuve en est qu’à un moment donné, on a dû signer le contrat et, selon lui, d’ici à là, cela devait se débloquer. Jusque-là, cela ne s’est pas fait. A un moment donné, il a fallu attendre que le Conseil d’administration du Fitheb se réunisse, ce qui s’est fait récemment. Le conseil d’administration du Fitheb a été favorable à la poursuite des activités du Directeur actuel, donc au bon fonctionnement du Fitheb. En principe, le contrat et les chèques ayant été signés par celui-ci, le Conseil d’administration étant d’accord pour que les activités se poursuivent, s’il n’y a pas le déblocage des fonds, je ne sais pas où se trouve le problème. Apparemment, le Directeur aussi ne sait pas, jusque-là, pourquoi les fonds ne sont pas débloqués.

Selon lui, qui devrait débloquer les fonds ?
C’est forcément au niveau du Ministère que cela se fait mais, lui, le Directeur, il a fait sa part de travail à cet effet. Si, moi, je monte au créneau pour que le Ministre veuille bien m’entendre, c’est parce que, apparemment, M. le Directeur du Fitheb n’a pas d’autre réponse à me donner. Moi, je voudrais savoir si M. le Ministre est au courant que des créations devraient se faire et que, jusque-là, elles ne sont pas faites pour cette salle du Fitheb qui est réhabilitée et qui doit être animée. Pourquoi, jusque-là, cela n’a pas été fait, alors que c’est prévu, alors que le Directeur est dans ses prérogatives ? Je ne comprends pas, je ne comprends vraiment pas ce qui se passe. Je souhaiterais avoir des réponses parce que, depuis que j’ai signé ce contrat avec le Fitheb, donc, avec l’Etat, je travaille à la création de ce spectacle, de même que chacun des acteurs qui y sont impliqués. Nous n’avons pas osé prendre d’autres engagements ; j’ai décliné pas mal de propositions, compte tenu de ce contrat signé avec le Fitheb, j’ai respecté ma part de contrat en me rendant disponible. Alors, il est de bon ton que j’exige des explications.  Comment je nourris ma famille en respectant des contrats qui ne me respectent pas ?

Peut-on avoir une idée du nombre de personnes que vous avez mobilisées dans le cadre de la réalisation de ce contrat passé avec le Fitheb ?
Il y a une douzaine de personnes qui constituent l’équipe artistique et technique de cette création. Une douzaine de personnes, c’est donc à une douzaine de familles qu’on cause un tort. Même si j’estime que les fonds qui nous sont alloués pour faire la création, c’est-à-dire, quatre millions neuf cent quatre-vingt quinze mille francs (4.995.000 F) Cfa, sont presque minimes, il est de bon ton de dire qu’il est une bonne chose que le Fitheb puisse donner des moyens à des artistes pour créer ; je suis plus fier de dire que j’ai reçu une subvention de l’Etat Béninois que de dire que j’en ai reçu du colon, parce que cela voudra dire qu’enfin, dans mon pays, on commence à comprendre que la culture est importante pour le développement.

Dans votre propos, vous avez, à plusieurs reprises, interpellé le Ministre de la Culture. Vous êtes-vous rapproché de ses services pour voir à quel niveau se trouvait le blocage par rapport au décaissement des fonds ?
Je ne me suis pas rapproché du Ministre de la Culture, ni du Ministère; c’est pour cela que je parle par voix de presse parce que, justement, comme je le disais tantôt, je suis tout aussi occupé que M. le Ministre de la Culture et les cadres du Ministère. Et, j’ai horreur d’aller demander audiences sur audiences, parce qu’on sait combien c’est difficile de rencontrer une personnalité politique. Moi, je suis une personnalité artistique comme tout artiste ; c’est nous qui représentons notre pays, notre culture à l’extérieur ; si le monde n’était pas à l’envers, c’est auprès des artistes qu’on demanderait audience. Et, pourtant, pour nous rencontrer, nous autres, ce n’est pas si compliqué que cela. Si je sais que j’ai horreur de perdre du temps à demander audiences sur audiences, je sais aussi que je peux facilement parler à M. le Ministre, très respectueusement, à travers la presse, c’est pour cela que je le fais.
Ne pensez-vous pas que ce blocage de votre financement soit un peu lié à la situation actuelle au Fitheb ? La désignation d’un nouveau Directeur ?
En principe, cela ne devrait pas être lié à cela. J’estime que mon pays est encore un pays où l’on peut être raisonnable. M. Pascal Wanou n’a pas fini son mandat puisque nous ne sommes pas encore en janvier. Il a le droit de prendre des initiatives et de mener ses activités, encore que le Conseil d’administration n’y trouve pas d’inconvénients.  Nous avons appris que le Conseil d’administration du Fitheb a désigné un nouveau Directeur en la personne de M. Erick-Hector Hounkpè. Cette désignation a été accueillie avec joie et, pour cause, l’homme qui a été choisi est un homme respectable, un artiste convaincu et capable de bien diriger l’institution. Ce que je déplore et que je veux encore déplorer ici, c’est qu’on attende toujours la veille de l’événement pour passer à un autre Directeur. Ce n’est pas normal. Dans un pays où l’on sait ce que c’est véritablement que d’organiser un festival, c’est au moins un an avant qu’on installe le nouveau directeur, c'est-à-dire qu’il commence à travailler avec le directeur sortant en vue d’un bon passage de témoin. Donc, je pense qu’il faut rompre avec les mauvaises habitudes.
Et, l’autre chose que je voudrais dire, c’est que, nous avons la chance, en tant qu’artistes, de voyager de par le monde ; il n’y a pas longtemps, j’étais au Festival d’Avignon qui est l’un des plus grands rendez-vous du théâtre au monde ; les deux co-Directeurs, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, viennent de passer dix ans à la tête du Festival d’Avignon. Le Festival est fortement soutenu par l’Etat français.
Il n’y a qu’au Bénin qu’un festival de l’envergure du Fitheb se dirige sur quatre ans. C’est une énormité jamais vue ailleurs dans le monde. Que voulez-vous demander comme bilan à un directeur de festival qui ne le dirige que pendant quatre ans ? Et, pire, en quatre ans, il n’organise que deux fois le festival. Faisons un constat simple. Depuis que le Fitheb existe, il n’est pas doté de moyens techniques suffisants, pas d’assez de projecteurs, pas de matériel son, ni de véhicules de transport de matériel, etc., alors que de petits festivals arrivent à s’équiper. Si un directeur ne reste pas assez longtemps, comment peut-il améliorer le fonctionnement de l’institution ? De toute façon, pour diriger correctement un festival, on a besoin d’organiser un minimum de cinq, à six, à sept fois l’événement, le temps de prendre le pool, de s’installer, de tâtonner, de maîtriser puis de faire grandir le festival.  Qu’on le veuille ou non, l’envergure du Fitheb est telle que l’événement est une fierté, non pas que du Bénin, mais de l’Afrique. Alors, il est temps que nous grandissions d’abord dans la tête pour que la fierté nationale prenne le devant au détriment des ambitions personnelles.

Concrètement, pensez-vous que le prochain Fitheb peut encore avoir lieu en mars 2014 ?
En principe, le rendez-vous est fixé pour 2014 ; on a intérêt à ce que cela tienne en mars 2014. Je ne sais pas où en est la machine Fitheb, par rapport à cela …

Est-ce que vous pensez que cela soit techniquement possible, avec un Directeur sortant qui est toujours en fonction et un Directeur désigné qui n’est pas encore installé ?
Techniquement, c’est très difficile mais, objectivement, il n’est pas bon que l’événement n’ait pas lieu. Et, pour cela, il faut aller le plus vite possible.

Aller le plus vite possible, cela suppose quoi ?
Cela suppose qu’il faut mettre qui il faut à la place qu’il faut. Cela suppose que si Erick-Hector Hounkpè a été désigné par le Conseil d’administration, il faut déjà prendre les dispositions pour qu’il soit investi dans ses fonctions. C’est de cela qu’il s’agit. Mais, on entend parler de réformes. Oui, il faut qu’il y ait des réformes pour faire évoluer le Fitheb mais, en quoi les réformes qu’on est en train d’entreprendre doivent-elles retarder l’installation du nouveau Directeur ? On ne change pas les règles du jeu en plein jeu ; ce n’est pas normal. Les réformes, oui mais, il faut savoir quand les faire, il faut prendre le temps d’y penser. Pourquoi ne pas commencer à faire un travail sur les réformes, pendant qu’on a fini un événement et qu’on est entre deux événements, par exemple ? On a, alors, largement le temps de faire des réformes, d’expérimenter des choses ; ce n’est pas en fin de mandat et à l’approche d’un nouveau Fitheb. Je ne sais pas concrètement ce que les réformes vont pouvoir donner. Je ne sais pas si ce sont les réformes dont on nous parle qui bloquent les activités du Fitheb en ce moment ; il y a des créations qui doivent être faites. Encore que, ce que je ne comprends pas, c’est qu’il y a un budget disponible. il faut laisser la Direction du Fitheb fonctionner comme il faut. Si le budget qui est encore disponible ne s’utilise pas, que nous dira l’Etat béninois ? Il dira : « En fait, le budget qu’on vous alloue est déjà tellement trop gros que vous n’arrivez pas à l’épuiser. Donc, désormais, on le reverra à la baisse ». C’est normalement comme cela que cela fonctionne.

Par rapport aux idées que vous venez d’émettre sur le fonctionnement futur du Fitheb, en vous inspirant du Festival d’Avignon, les avez-vous proposées au Comité de Suivi mis en place, entre temps, par le Ministre de la Culture, suite aux Journées de réflexion de Grand-Popo ?
Comme je suis souvent en train de voyager, je n’étais pas là, lors des travaux du Comité de suivi, mais j’ai écrit un petit texte par lequel j’ai soumis ces idées à Alfred Fadonougbo qui est à la tête du Réseau des comédiens du Bénin, dont je suis le Secrétaire général. Mais, je suis persuadé que, par pur intérêt, il y a plein d’artistes qui ne veulent pas de ce système qui veut qu’un directeur de festival soit élu pour longtemps. Moi, je ne cherche pas, un jour, à diriger le Fitheb, je suis un artiste de plateau. Mais, il y en a, parmi nous, des artistes qui ont les capacités de diriger le Fitheb. Il y en a qui ont les capacités de diriger  et, ceux-là, il faut les soutenir. Tout Directeur, en venant à tête du Fitheb, doit pouvoir, en partant, l’améliorer très sensiblement.
Depuis que cet événement existe, il n’a pas véritablement d’infrastructures ; jusqu’au Fitheb passé, on avait toujours des problèmes de projecteurs, alors que cette manifestation culturelle devrait pouvoir avoir de l’équipement son et lumière. Si cela ne se fait pas, c’est parce qu’on ne peut pas élire un directeur qui viendra faire plus de quatre ans pour mettre en place un bon plan d’équipement du Festival ! Ce dont je parle là, je voudrais franchement que M. le Ministre s’y penche, prenne des dispositions pour qu’on en finisse avec cette histoire de quatre ans au Fitheb. Faites le bilan de ce processus et vous verrez que les gens se succèdent à la direction du Fitheb sans que grand-chose ne change. Il y en a qui font des efforts, c’est clair mais, depuis que le Fitheb existe, il n’arrive pas à s’équiper comme il faut, c’est quand même dommage ! Qu’on aille jouer à Abomey, à Bohicon, à Porto-Novo et qu’on ait encore des problèmes de projecteurs, des problèmes de salles, des problèmes de son, ce n’est pas normal ; il y a des lieux privés qui n’ont pas autant de moyens, qui n’ont pas le centième du budget du Fitheb et qui arrivent, petit à petit, à s’équiper mais, pourquoi pas le Fitheb ? Mettez quelqu’un pour dix ans et jugez-le sur ce qu’il a pu faire.

Si nous revenons à cette situation du contrat que le Fitheb de Pascal Wanou a signé avec vous et qui n’est pas encore honoré, en ce qui concerne le financement, avez-vous un mot de fin ?
J’ai un mot de fin : je voudrais dire très respectueusement à M. le Ministre de la Culture de bien vouloir se pencher sur cette situation, parce que je ne sais plus à qui parler, il est mon ministre de tutelle ; je passe par la voie qui, à mon avis, pourrait être la plus rapide, celle de la presse, pour lui dire de bien vouloir dénouer la situation. Je pense que M. le Ministre serait honoré de voir ces créations se faire et voir la grande salle du Fitheb s’animer. Donc, je voudrais attirer son attention sur le fait qu’il y a des blocages que je ne connais pas, que je ne maîtrise pas ; il pourrait éventuellement essayer de voir ce qui fait que cela ne se règle pas. Je sais qu’il est très occupé, tout aussi occupé que moi, mais je souhaiterais qu’il fasse un petit effort pour vérifier ce qui se passe.

Propos recueillis par Marcel Kpogodo

mardi 22 janvier 2013

A l'Espace '' Mayton'' d'Abomey-Calavi

Rosaline Baï Daahguè, ''receveuse''


La scène de l'Espace ''Mayton'', situé à Abomey-Calavi, non loin du portail de sortie arrière du campus de l'Université du même nom, a accueilli un spectacle expérimental de théâtre, assez original, ce lundi 21 janvier, en fin d'après-midi. L'actrice béninoise très connue, Rosaline Baï Daahguè y incarnait la ''receveuse'', dans une pièce du Camerounais, Wakeu Fogaing.


''La receveuse'', retranchée derrière sa tribune et sermonnant la population
Juste pendant quelques minutes, Rosaline Baï Daahguè, que l'on connaît comme la pleureuse professionnelle dans bon nombre de films réalisés au Bénin en ces dernières années, s'est produite sur la scène de l'Espace ''Mayton'', dont Tony Yambodé est le promoteur, à Abomey-Calavi. C'était dans un rôle de ''One man's show'', tiré de la pièce de théâtre, ''Je ne suis pas en colère ... je crie '' du dramaturge camerounais, Wakeu Fogaing. Mise en scène par le non moins connu et virevoltant, imprévisible, Arsène Kocou Yémadjè, elle a fortement impressionné la délégation d'étudiants québécois, notamment, pour lesquels la pièce était jouée, et le public spontané. 
Tenue de scène de Rosaline ....
Ici, elle joue le rôle d'une femme, devenue fille de joie, la ''receveuse'', justement, après avoir longtemps attendu un mari pour l'épouser. Chassée par d'autres femmes, stigmatisant son métier, elle est pratiquement exilée de son milieu social, mise au ban, ce qui la révolte et, excédée, elle sort de ses gongs, véritablement. 
C'est parti pour un ensemble de récriminations solitaires qui ne ménagent personne, plus précisément, les femmes, sa cible privilégiée et, secondairement, les hommes qui, la nuit, viennent vers elle pour le plaisir charnel mais qui, en plein jour, lui jettent la pierre. Sa propre fille, qu'elle a eue d'une certaine liaison, ayant eu la chance de s'être mariée, fait partie de ses juges.
Isolée derrière une sorte de ring, elle s'en prend à ceux-ci par des mots d'une dureté sans pareille, défendant la cause des femmes de cette frange sociale pointée du doigt. Le jeu va très loin, l'amenant à observer, en tant qu'actrice, un certain niveau de dénudement, visant à traduire le réalisme de sa situation sociale d'emprunt. 
Elle se fait l'avocate de ces êtres de sexe féminin, de plus en plus nombreux au Bénin, qui se voient, par la force des choses, enfoncés dans un célibat qui, parfois, dure toute leur vie active. "C'est une pièce qui parle de la femme libre, des méchancetés qu'elle reçoit, de part et d'autre ", confirme Rosaline Daahguè, devant les journalistes, après le spectacle. " Or, si la femme devient libre, ce n'est pas de sa faute '', continue-t-elle. " On dit que la femme, c'est comme un escargot, elle aime là où c'est frais. Donc, n'ayant pas trouvé mieux, elle résiste à cela. Mais, les gens ne la comprennent pas. Tout ce qu'on lui reproche, c'est de ne pas être mariée, puisque la société conçoit qu'à un certain âge, une femme doit être chez son mari et, plus précisément, il y a celle qui a épousé un ivrogne et qu'on frappe, qu'on maltraite mais qui préfère rester avec celui-ci, pour échapper au jugement de la société ". 
Voilà donc une thématique d'une actualité quotidienne qui permet à l'actrice de se transformer en "la voix des sans-voix", comme elle le conçoit elle-même.
Photo de famille de Rosaline, avec ses invités et spectateurs québécois, après le spectacle
Par rapport à la pièce proprement dite, dans sa représentation, le metteur en scène reste fidèle à la logique du ''one man's show'', ce qui lui fait y intervenir une vidéo relatant le renvoi de la receveuse de sa communauté par d'autres femmes. Ensuite, une sorte de ring prend en charge l'essentiel du décor, reflétant aussi bien la mise au ban que la nécessité pour la chassée de disposer d'une tribune privilégiée pour se vider de ses frustrations, de ses convictions peu partagées, de la réalité de ses pensées, dénuées de toute hypocrisie. Par ailleurs, le tissu rouge qui borde le long du bas du ring entre en symbiose avec l'état d'âme de l'actrice, qui est une colère irrépressible. Une fois de plus, Arsène Kocou Yémadjè n'a rien laissé au hasard pour faire parler en chorus le texte, l'émotion, la gestuelle et le décor. 

Marcel Kpogodo