mardi 15 mars 2011

Théâtre au Bénin

Dans le cadre du Projet ’’Rèvman d’kartyé



Le Village Akpandji au cœur d’une éclaircie artistique



Une forte lumière artistique s’est offert une brèche dans le village d’Akpandji, juste après Togbin Daho, le long de la Route des pêches. C’était dans la soirée du vendredi 11 mars dernier ; plusieurs types différents de spectateurs ont fait le déplacement de l’événement.



Il n’y a rien de moins que 90 minutes d’une performance multidimensionnelle, ce vendredi 11 mars 2011, au Village d’Akpandji, situé sur le parcours de la Route des pêches, via Fidjrossè et l’exutoire des pique-niqueurs cotonois, Togbin, à l’intention de spectateurs dont certains de luxe, l’Ambassadeur de l’Allemagne près le Bénin et pour les populations autochtones de cette localité rurale, qui ont massivement fait le déplacement.


Avec une dizaine de taxis-moto, se succédant et tournant en 8, qui ouvrent le bal sur une grande scène à plusieurs étapes, par une parade des plus remuantes dans un sable abondant, et fondée sur le concert motorisé que l’on peut imaginer, mais dominé par un orchestre qui rythmait la danse, voilà de quoi faire entrer, d’une manière particulièrement entraînante, les spectateurs, dans le vif d’un sujet qui, en substance, se construit sur les conditions de vie difficiles des pêcheurs d’Akpandji, de grands travailleurs mal nourris pour qui les rapports sexuels sont l’unique distraction.


C’est une situation dont la gravité s’incruste dans les traits de cinq acteurs qui réussissent à chanter cette vie désolante grâce à pas moins de quatre histoires qui s’enfilent, s’enchevêtrent : une querelle masquant l’incompréhension entre deux pêcheurs, un adulte et un adolescent, une autre dispute de jalousie dans un couple d’amoureux dont l’homme est la cible des soupçons de trahison de sa compagne, une autre querelle encore mais, cette fois-ci, dans un autre couple, pour un repas du soir insuffisant que la femme justifie par des frais de popote ridicules et, enfin, dernière des histoires, un homme d’affaires français, flanqué d’une assistante, qui débarque à Akpandji, avec des rêves mal communiqués de rentabilisation touristique du milieu, trop sauvage à son goût.


Et, pour les besoins de la cause des spectateurs de plusieurs bords linguistiques, le français, le fon et le mina se sont succédé dans les propos des acteurs, génialement, à la fois, motoristes, déclamateurs, animateurs, chanteurs, jongleurs, humoristes, acrobates, notamment, pour un décor complètement anticonformiste laissant entrevoir l’investissement d’une logistique impressionnante : quatre caméras passent en revue les moindres détails de l’événement, de la scène aux spectateurs, un écran de toile blanche, monté sur bois, qui relaie les images négociées d’un vidéo-projecteur au secret de tournages réalisés antérieurement sur des veillées avec les pêcheurs d’Akpandji, notamment, des particularités pittoresques du village, des éléments de sa vie quotidienne, des visages humains de ses activités ordinaires, des interventions de certaines figures de proue. Appartenant aussi à ce décor, une sorte de cabine, de sa hauteur toute en jaune, au fronton de laquelle est écrit : « Sèxwééé » (Le ciel). Quelques petites mètres, à sa gauche, un filet de pêcheur, suspendu grâce à de petits treuils, sert d’abri à certaines séquences de l’action des acteurs et, presqu’en diagonale, c’est une planche sur laquelle saute, de temps en temps, un acteur qui veut communiquer tout en restant à proximité du public.


Christel Gbaguidi, l'initiateur de l'événement ''Rèvman d'kartyé''

L’espace exploité pour dérouler le jeu scénique est, de par sa structure multiforme, en communion avec l’intrique qui, de cette même nature, donne à la représentation un aspect d’éventail de plumes de paon aux couleurs vives et variées, ce qui laisse imaginer le cocktail de grands noms du domaine théâtral et du spectacle que la production a mis en branle : le grand Alougbine Dine, pour le décor, Claude Balogoun, pour le filmage, Sophie Négier et Jessica Vuillaume, pour les photos du spectacle, Jean-Claude Ouangbey, pour la régie générale, Hermas Gbaguidi et Patrice Toton, pour l’écriture du texte traduit, entre autres, par Olga Fantognon, et mis en scène par Luc Rosello, et joué par Mariame Darra, Nafissa Songhaye, Nicolas Givran, Thierry Guédou et par Lionel Babalolla. Chapeautant toute cette équipe intellectuelle et technique, Christel Gbaguidi, Président de l’Association ’’Arts vagabonds rezo Afrik Bénin’’, mise en partenariat avec, d’une part, ’’Cyclone Production’’ de l’Ile de La Réunion, et d’autre part, avec ’’Culture France’’, l’Ecole internationale de théâtre du Bénin (Eitb), le Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb) et avec l’Espace culturel ’’Café cauris coquillages, Chez Rada’’, a réussi le coup de maître de placer, en ce vendredi 11 mars 2011, le village Akpandji dans l’orbite de la révélation au monde d’une localité enfouie, sevrée du quotidien du confort urbain et à l’existence propre et aux activités de pêche de survie menacées par la motorisée concurrence chinoise et par l’appétit de rentabilisation touristique du milieu. Tiré de l’anonymat et de l’obscurité, le temps de la durée d’un match de football, Akpandji s’est publiquement réjoui de cette expérience que Christel Gbaguidi et son équipe ont renouvelé ce lundi 14 mars, au soir, dans l’autre village frère de Togbin-Daho, clôturant ainsi le Projet ’’Rèvman d’kartyé’’, qui avait débuté le 07 février dernier.



Marcel Kpogodo

vendredi 4 mars 2011

Littérature béninoise

La page de couverture de ''Quand Dieu a faim ...''





Paru aux Editions Plumes Soleil du Bénin


Quand Dieu a faim ... dans les librairies


Ces premières semaines de l’année 2011 voit paraître ''Quand Dieu a faim", la deuxième pièce de théâtre écrite par le jeune Béninois, Daté Atavito Barnabé-Akayi. Pour une histoire de sentiments d’amour non assouvis de l’élève Chigan, qui démarre sur des chapeaux de roue, un dénouement plus qu’inouï et violemment controversé achève de mettre sur la sellette l’inspiration hostile aux sentiers battus de Barnabé-Akayi, décidé à secouer et à braver la platitude littéraire béninoise.

Chigan, une apprenante en classe terminale, élevée par son oncle, rejetée affectivement par sa tante et, s’en consolant tant bien que mal, dans un optimisme désespéré, tombe amoureuse de son professeur de philosophie, dont elle orchestre opportunément le recrutement pour des cours de renforcement à domicile. Celui-ci rejette la profession, à son endroit, par la jeune fille, d’une passion d’amour et, délicatement, entre en liaison sentimentale avec la tante qui, entre temps, perd son mari dans un accident de la circulation. Profondément choquée et bouleversée à la découverte d'une telle situation, elle écappe à un coma et ne renoue avec l'équilibre psychologique que dans une option suicidaire pour les bien pensants : le développement d'une relation homosexuelle blanche avec son amie de longue date, Xonton.

Pour une pièce qui s'achève d'une manière assez inattendue, elle n'échappe aucunement au commun des tares frappant la plupart des livres publiés au Bénin ; des coquilles de divers ordres enlaidissent quelques pages et remettent en cause un aspect du savoir-faire de ''Plumes Soleil,'' une jeune maison d'édition à la recherche de réels repères professionnels. En outre, si la lutte de l'auteur pour une expression recherchée et fleurie dans la bouche du personnage met à l'honneur de Barnabé-Akayi une volonté affichée de sortir les répliques de la banalité, elle mesure mal le niveau intellectuel et social de ceux qui les portent, mettant à mal l'authenticité de leurs propos et, par extension, de leurs pensées.

Cependant, le jeune Béninois, Professeur de Lettres, innove, de manière tirée par les cheveux, à travers un comportement littéraire le classant d'emblée dans la catégorie des écrivains africains des ''Nouvelles écritures''. Sevrant son livre des disdascalies et des appellations ''Actes'', ''Scènes'', ''Tableaux'', notamment, c'est un titre phrastique à chaque nouvelle étape de la pièce qui en tient lieu, ceci qu'il extrait d'une réplique déterminée apparemment par lui comme sensible, puis il poétise la parole des acteurs. Par ailleurs, Barnabé-Akayi réussit à enlever au lecteur la sécurité délétère de l'immobilisme, de la froideur de l'intrigue et le transporte de drame en drame, de quoi lui donner des sensations fortes et l'épanouir. Si, en plus de cela, l'ouvrage se voit respectivement préfacer et postfacer par des poignes du monde éducationnel béninois, Apollinaire Agbazahou, Inspecteur et actuel Directeur des Départements de l'Atlantique et du Littoral du Ministère de l'Enseignement secondaire, et Flora Aballot, Conseiller pédagogique, l'auteur y réussit ce qui semble difficile, depuis bien longtemps, dans la littérature béninoise et qui, réalisé par des Paul Hazoumè, Jean Pliya, Olympe Bhêly-Quenum, Florent Couao-Zotti, entre autres, a fait leur succès : le réalisme, les relations de cause à effet dans les actions de l'intrigue, le grain de sel de vraisemblance qui rapproche l'histoire fictionnelle de la réalité, mettant ainsi le lecteur en situation de croire que l'aventure découverte à travers le livre aurait pu arriver à un voisin, à un proche, et de se laisser influencer par les leçons, par le message qui découlent du livre. Une preuve palpable de ce facteur reste la spectaculaire reconversion sexuelle de Chigan, qui s'opère à la suite du double rejet, affectif, de sa maman d'adoption et, sentimental, de son prof de philo. Même la relation amoureuse entre Nouvè, la tante de Chigan, et l'enseignant s'intègre au processus de ces imprévus qui se produisent et qui huilent, vivifient la vie réelle. Qui a lu Les confessions du Pr peut concevoir qu'à travers cette deuxième pièce de théâtre, Barnabé-Akayi ne régresse pas, surtout qu'il semble avoir opté pour ce qui affine et mature l'écriture : des productions régulières.

Marcel Kpogodo