Dans le cadre d’une interview qu’il a accordée à notre rédaction
La
bande dessinée faite par les dessinateurs des pays de l’Afrique foisonne de
productions. Cependant, elle est manque d’identité. Pour résoudre cette
situation, Hodall Béo, artiste bédéiste béninois, conçoit la Bande dessinée
africaine (Bandafre). Il a bien voulu nous en accorder une interview. Une
révélation sur les tenants et les aboutissants du concept que Hodall Béo veut
fédérateur pour toute l’Afrique …
Hodall Béo, initiateur du mot, ''Bandafre'', pour signifier, ''Bande dessinée africaine'' |
Stars
du Bénin : Bonjour Hodall Béo, de votre nom, à l'état civil,
Hervé Hodonou Alladayè. Vous êtes, entre autres, artiste peintre, caricaturiste
et bédéiste, exerçant dans ces domaines depuis plusieurs années, de même que
vous êtes désormais l'initiateur du concept de la « Bande dessinée africaine »
(Bandafre). De quoi s'agit-il ? Quand avez-vous créé ce concept ? Comment le
définissez-vous ?
Hodall
Béo
: La Bandafre, c'est, bien sûr, le sigle issu du groupe de mots, la Bande
dessinée africaine. En effet, il faut comprendre quelque chose : quand on dit «
Bd » ou « Bande dessinée », c'est une forme d'expression artistique qu'on
appelle le 9ème art. Habituellement, cet art consiste à raconter des histoires
en utilisant une suite de dessins posés sur une page ou sur plusieurs pages ;
les dessins interviennent entre eux à travers des dialogues de textes qu'on
inscrit dans des bulles qui sont des formes de cadres ronds ou rectangulaires.
C'est cela, la bande dessinée.
Elle
est une forme d’expression qui globalise ce type d’art venant de plusieurs pays
parfois, c'est-à-dire qu’elle est de diverses origines. Donc, la Bande dessinée
africaine, c'est cette expression de la bande dessinée qu'on fait en Afrique.
Nous autres, dessinateurs africains, nous avons cette manière-là de raconter
nos histoires à travers la bande dessinée ; elle est bien africaine, elle
raconte les histoires de l'Afrique.
Lorsque
la bande dessinée vient de l'Europe, on peut parler de la bande dessinée franco-belge
parce que c'est davantage les Français et les Belges, les Belges, en premier,
donc, qui en ont développé vraiment la technique et le style puis qui ont fait
connaître cette Bd sur l'Afrique. Ce sont eux qui nous ont envahis, du fait de
la colonisation, et qui nous ont apporté cette forme d'expression-là et nous avons
commencé à l'appliquer chez nous. C'est bien connu, aujourd'hui. Et, nous-mêmes,
nous avons développé notre manière de faire cette bande dessinée qu'on appelle
la Bande dessinée africaine. Elle se particularise, donc, de la bande dessinée
européenne.
Cette
même forme d'expression venant du Japon s'appelle les ’’Mangas’’. Lorsque cette
forme d'expression vient des États-Unis, on parle de ’’Comix’’ ou de
’’Disney’’. Donc, en fonction des origines de la bande dessinée, elle porte un
nom qu'il faut bien particulariser.
En
observant le fait, je me suis dit qu'il nous faut créer le sigle à partir
de l’expression, « Bande dessinée
africaine », ce qui donne la ’’Bandafre’’. Cela permettra d'avoir un petit mot
rapide à utiliser, facile à manipuler et plus vendable que d’utiliser, à chaque
fois, toute l’expression, « Bande dessinée africaine », plus lourde à dire.
C'est
surtout pour cette raison que je me suis penché sur la situation, après
analyse. Et, j'ai jugé bon d’expliquer et d’exprimer la Bande dessinée
africaine sous le vocable de ’’Bandafre’’.
Il
y a, donc, un besoin que vous avez pensé à combler en mettant en place la
Bandafre …
Cela
m'est venu du fait que j'ai réfléchi un peu sur la situation parce que, la
plupart du temps, j'ai constaté qu’on ne se retrouve pas souvent, entre hommes
du métier, pour échanger et penser.
En
réalité, notre métier, on l'exécute comme on nous l’a toujours montré. On ne se
pose pas souvent des questions, on le fait comme ça. Mais, quand on en vient à
la question, on constate très bien que la bande dessinée africaine existe parce
que les gens la pratiquent en Afrique. On ne peut donc pas dire que les
Africains font de la bande dessinée franco-belge puisqu’ils ne sont ni français
ni belges. Du coup, ils font de la bande dessinée africaine bien qu'ayant
appris la technique de la bande dessinée dans les livres ou dans les écoles
franco-belges à travers ’’Tintin’’, ’’Spirou’’ et ’’Astérix’’, notamment, et par
d’autres bandes dessinées italiennes, ’’Akim’’, ’’Zembla’’, entre autres. De
même, ce n’est pas parce qu’un Africain est champion en karaté qu’il est
chinois.
Pour
illustrer mes propos, nous avons beau dessiner des Bd ’’Mangas’’ des Japonais,
nous restons des Africains. Pour être explicite, nous demeurons des Africains
exerçant la bande dessinée africaine dans un style de ’’Mangas’’. Nous sommes
donc des « bandafristes ».
La
Bandafre est-elle aussi un canal pour faire découvrir aux lecteurs les réalités
que vivent, au quotidien, les habitants des pays d'Afrique ?
Il
faut que nous recherchions, en tant qu'Africains, une certaine souveraineté en
réfléchissant sur les concepts parce qu’on ne va pas toujours laisser les
Européens venir penser à notre place. On est des hommes du métier, du domaine.
On doit se poser des questions parce qu’on devait avoir constaté que, depuis un
temps, la bande dessinée qui vient des États-Unis s'appelle d’un nom, celle qui
vient du Japon s'appelle d’un nom et, celle qui vient de l'Afrique, on
l'appelle de façon vague, « bande dessinée africaine »
Cela
est vraiment vu de façon péjorative ; c'est une bande dessinée qui se fait en
Afrique comme si cela n'existait pas. Pourtant, cela existe bel et bien : on y
fabrique des histoires et plusieurs pays la pratiquent, en l’occurrence, la
Côte d'Ivoire qui est très connue, en matière d'humour, ou Madagascar qui a
connu une période de la floraison de la bande dessinée.
Dans
ce second pays, les artistes faisaient des livres semblables, dans leur format,
à la bande dessinée italienne, un peu dans le genre d’ ’’Akim’’ et de
’’Zembla’’. Ils y étaient très spécialisés et les bandes dessinées se vendaient
bien, dans presque toutes les rues dans les villes de Madagascar. C'était
incroyable. Ces dessinateurs-là gagnaient de l'argent par la bande dessinée ;
ils fabriquaient des histoires de Madagascar. On a parlé, en ce moment-là, de
l’âge d’or de la Bd malgache.
On
peut dire que cette bande dessinée africaine existe bel et bien puisqu’elle est
dissimulée à l'intérieur de chaque pays, de chaque enclos colonial. Cette Bd
existe mais, seulement, elle est confinée dans le système francophone. Comme
l’on y parle français, on l'appelle la Bande dessinée africaine. On peut
simplement la mettre sous un nom plus restreint, la Bandafre !
Vous
avez choisi de créer la Bandafre alors que les Africains ont leur regard,
fasciné, tourné vers les réalités occidentales plutôt que vers leur culture
d'origine …
Oui,
la Bandafre, c'est, au fait, un mot pour pouvoir faciliter la compréhension que
la Bande dessinée africaine existe. Mais, déjà, la bande dessinée africaine
raconte naturellement les histoires des Africains. J'ai souvent l'habitude de
dire que quand, par exemple, un bédéiste, un dessinateur de bande dessinée
africaine la fait dans un style de ’’Mangas’’, il utilise les ’’Mangas’’ comme
un style d'expression ; il ne peut pas dire qu'il est Japonais parce qu'il a
beau dessiner comme le Japonais. Il n'est qu'un Africain et il doit pouvoir se
reconnaître en tant qu'Africain.
Un
Africain qui produit de la bande dessinée fait, forcément, une bande dessinée
africaine donc il fait de la Bandafre.
Donc,
au fait, la Bandafre est le mot générique que je donne à la Bande dessinée
africaine qui relate les histoires africaines. Mais, déjà que la Bande dessinée
africaine existe systématiquement, elle relate les histoires africaines ; elle
peut relater les histoires de l'Europe mais si tant est que c'est un Africain
qui a pris sa plume et qui dessine, il fait de la Bandafre.
Pourriez-vous
nous parler des moyens d'action de la Bandafre pour atteindre ses objectifs ?
C'est
pour une quête de souveraineté. On doit pouvoir être souverains. À un moment,
il faut pouvoir rechercher une certaine part de fierté. Les gens ont beau se
tourner vers l'extérieur, au fait, l'Afrique n'a pas choisi. L'Afrique s'est retrouvée, un beau matin,
envahie ; ce n'est pas comme au Japon qui a pu fonctionner en vase clos et
développer une approche de la bande dessinée qu'on appelle « héroïque fantaisie
» parce qu’elle raconte des histoires d’héroïques fantaisies que les ’’Mangas’’
véhiculent. Les bédéistes japonais racontent des histoires parfois complètement
détachées de toute l'histoire de leur passé, c'est-à-dire qu’ils fabriquent un
personnage, de toutes pièces, et le font évoluer dans un monde complètement
fantasmé. C’est cela, les ’’Mangas’’ qu'on voit.
Mais,
l'Afrique n'a pas eu cette opportunité. Elle s'est retrouvée envahie depuis les
grandes invasions qui ont imposé les religions telles que l’Islam, puis par la
colonisation. L’Afrique n'a pas été lâchée depuis. C'est l'Europe toujours qui
nous a appris à consommer ce qu'elle transforme ; on est devenus, de fait, un
vivier de consommateurs.
Donc, on n'a pas eu le temps de réfléchir. On a absorbé tout ce que l’Occident et l’Orient nous ont apporté. Même la démocratie nous a été apportée. Les ’’Mangas’’ nous sont tombés dessus, de même que les ’’Comix’’ américains.
Aperçu de planches de la Bandafre - Crédit photo ; Hodall Béo |
On constate donc
que la Bande dessinée africaine puise ses repères dans l’ensemble de ces styles
importés puisque, de toute évidence, la Bd africaine s’est forgée et continue
de se fonder sur ces Bd-là. Elle a phagocyté tout cela en elle. Du coup, vous
pouvez voir des bédéistes africains qui dessinent dans le style des ’’Mangas’’
ou dans celui des ’’Comix’’. Ces styles sont venus de partout. On doit les
considérer comme étant des styles au cœur de la Bandafre.
Un
concept suppose des défenseurs, des partisans. Avez-vous des bédéistes au Bénin
et ailleurs qui acceptent de vous suivre dans votre projet, qui acceptent de
défendre et d'illustrer la Bandafre ?
Les
bédéistes africains sont en train de faire déjà de la bande dessinée africaine.
Cela existe bel et bien. On n'est pas en train d'inventer quelque chose de
nouveau. Seulement, on est en train de mettre en place un nom qui puisse
faciliter la distinction entre les Bd du monde et celles de l’Afrique.
Maintenant,
l'objectif, c'est l'avenir qui nous le dira. Pour peu que les enfants africains
aiment saisir leur crayon et dessiner en racontant leurs histoires, ils
donneront une chance à la Bandafre d'exister.
Où
en êtes-vous dans l'atteinte de vos objectifs depuis que la Bandafre est née et
quels projets avez-vous pour la Bandafre en 2023?
Les
bédéistes ne manquent pas, ils sont déjà dans le métier, Ils le font seulement.
Leur souci n’est pas souvent de réfléchir sur le concept, en tant que tel. Donc,
pour certains, cela devient souvent un
peu dérangeant d'en parler parce que celui qui fait sa pratique de la Bd est
plus dans une dynamique de création et de gagne-pain. Commencer à soulever des
concepts, cela lui importe peu. Cela ne change pas non plus son quotidien.
Or,
la Bandafre nous donne une certaine capacité de comprendre mieux ce qu'on fait
et de nous faire comprendre des autres. Dès lors, le jour où des bédéistes sont
appelés pour pouvoir parler de leur métier, ils sauront parler avec des mots
plus précis et sauront mieux expliciter les concepts. C'est pour cela que c'est
mieux d'y penser, de développer toute une réflexion autour de la Bandafre, pour
en faire un concept de fond.
Nous
allons discuter entre collègues, que ce soit les collègues de mon pays, ou
d'autres pays. Nous allons échanger et faire en sorte que, petit à petit, nous
puissions tous converger vers ce mot, la Bandafre, pour pouvoir, au fait,
formaliser, en quelque sorte, notre métier et nous octroyer, vraiment, cette
part de souveraineté qui nous fait cruellement défaut.
Propos
recueillis par Herman Sonon