mardi 15 décembre 2015

Jean Adagbénon a réussi ’’Houn ho dié’’, un concert de réconciliation inter-raciale

Dans le cadre de son trio avec Pierre-Claude Artus et Basil Diouf


Un spectacle d’un type particulier a eu lieu dans la soirée du samedi 21 novembre dernier, sous la Grande paillote de l’Institut français de Cotonou. Donné en trio par l’artiste béninois, Jean Adagbénon, avec les Français, Pierre-Claude Artus et Basil Diouf, il a révélé une symbiose artistique ayant atteint un niveau véritablement ambitieux, celui du dépassement des légendaires relations conflictuelles entre Blancs et Noirs, entre descendants d’anciens esclavagistes et ceux d’anciens esclaves, des situations de manifestation de divergences liées à l’esclavage et à la colonisation.

Pierre-Claude Artus, Jean Adagbénon et Basil Diouf, s'inclinant devant le public, à la fin de ''Houn ho dié''
14 bonnes chansons dont certaines en langues maternelles goun et fon, d’autres en français et en anglais, un chœur commun à plusieurs niveaux d’exécution des chansons et 3 pratiques instrumentales spécifiques. C’est ainsi que l’artiste à tubes, très bien connu au Bénin, Jean Adagbénon, et les musiciens français, Pierre-Claude Artus et Basil Diouf, ont comblé les attentes d’un public curieux de découvrir ce qu’aurait pu donner une collaboration tri-dimensionnelle, au niveau des instruments, des chants et des façons respectives de concevoir le monde relevant de chacun des créateurs, au cours du concert, ’’Houn ho dié’’, en langue fon, ’’une histoire dans le sang’’, en français. Avec un jeu de lumières naviguant, notamment, entre un bleu comme enfermant le public et les artistes dans un doux cocon de partage, un rouge doux, un jaune purement spécifiant. C’est donc une ambiance de satisfaction et de plénitude qui a régné dans la soirée du samedi 21 novembre dernier, à la Grande paillote de l’Institut français de Cotonou, vu qu’au départ des artistes de la scène, à la fin d’un concert de près de 90 minutes, le public a exigé leur retour, pour une petite prestation complémentaire.


Une scénographie intime du concert ''Houn ho dié''
’’Hui dopono’’, ’’Houn vodé’’, ’’Lady’’, ’’Drum of my heart’’, en goun, ’’Ali Frakas’’, ’’Omi’’, ’’Tell me baby’’, en anglais et goun, ’’Papajo’’, en français et en goun, ’’Oulala’’, en fon, ’’Run for it’’, en anglais et en fon, ’’Reuben’’, ’’On the road’’, ’’Pushing my luck’’, en anglais, et ’’Fulani’’, en mode instrumental. Une idée des 14 morceaux que le trio s’est employé à interpréter, brisant les barrières se rapportant à la langue, à la mentalité d’origine des chanteurs et à la conception politique des relations entre les Blancs et les Noirs. Un défi relevé devant un public conquis, véritablement peu habitué aux sonorités aux tendances nostalgiques dégagées par des instruments de musique comme le ’’Yukulélé’’, guitare à 4 cordes d’origine sud-américaine, le banjo, de l’accompagnement séculaire des plaintes des esclaves noirs, un objet musical qui laissait savourer ses notes, non sans distiller les conditions lugubres du sang et de la douleur fondant son invention et son utilisation. 


Pierre-Claude Artus, armé du ''yukulélé''
Pierre-Claude Artus, riche de ses inspirations musicales irlandaises, écossaises et occidentales, en général, a assumé la lourde responsabilité de la manipulation de ces deux instruments, notamment, défiant et dépassant la logique du Blanc devant se complexer face à des facteurs artistiques devant rappeler un passé tragique et sombre, dominateur, avec le Noir. L’artiste français s’est engagé plus loin en fondant magnifiquement sa voix dans celles de Jean Adagbénon et de Basil Diouf, à travers les morceaux, ’’Houn vodé’’, ’’On the road’’, notamment, pour une onde d’un métissage plaisant entre les cultures musicales d’Europe occidentale et d’Amérique, par le blues et le rock, et celles d’Afrique et des contrées anciennement d’esclavage, avec le ’’mass-go’’, l’afro-beat, le reggae et le jazz.   
Jean Adagbénon, batteur bien adapté au ''Houn ho dié''
Accroché, de son côté, à sa batterie, Jean Adagbénon s’est fait le socle d’une symbiose rythmique et vocale qui ne devrait aucunement surprendre tout bon connaisseur de l’ardeur langoureuse et lyrique de la voix d’un chanteur béninois d’origine wémé. A l’occasion de ce concert du 21 novembre, il a démontré une capacité musicale d’adaptation à nulle autre pareille, même si Pierre-Claude Artus, en la matière, s’est montré impressionnant. En outre, le Béninois a réussi, notamment, à élever sa voix à la hauteur de la mélancolie des messages des chants émis par les anciens esclaves, ce que lui, artiste de notre époque, explique : « Nous demandons pardon à nos frères qui ont été vendus ; c’est important ! Nous travaillons sur l’amour, le pardon et l’équité, pour un monde meilleur dont nos enfants ont besoin … ».  

Instants de symbiose entre les 2 artistes
Par ailleurs, la gaieté des morceaux, pour des messages liés à l’appel à la tolérance, à la sincérité de l’amour, entre autres, leur caractère résolument imprégné de l’appel aux normes d’égalité, de fraternité et du pardon n’ont pas échappé à une incursion contemporainement chaleureuse, à travers le scratch, ces coups de son de disque sciemment rayé, le propre des artistes de rap et de hip-hop. 

Basil Diouf, ''scratchant'' ...
Basil Diouf dont le seul nom incarne à la fois l'esprit de métissage du concert, le sens du pardon et de la réconciliation, a ainsi manifesté son apport rythmique à cette messe musicale ayant travaillé à témoigner de la disparition des complexes de tous genres entretenant mépris et méfiance entre Blancs et Noirs aux difficiles relations du passé. ’’Houn ho dié’’ a tenu les promesses d’une fusion des musiques du passé et du présent, de celles folkloriques et de celles modernes.

Crédit photos : Annie Plagnard

Marcel Kpogodo

jeudi 10 décembre 2015

Arèmon, Ahouansou et Dagbéto, 3 mousquetaires promoteurs du dialogue

Dans le cadre d’une exposition collective au Centre culturel chinois


L’après-midi du samedi 5 décembre 2015 a donné lieu au vernissage d’une exposition au thème assez suggestif : le dialogue. L’événement se déroulait au Centre culturel chinois, en présence d’un grand nombre d’invités, d’artistes et de Baï Guangming, Directeur de l’institution. Les exposants n’étaient personne d’autre qu’Etienne Arèmon, Eric Ahouansou et Francel Aris Dagbéto, embarqués dans une initiative visant à vulgariser, au sein de la population, les valeurs propices à une bonne gestion de la période électorale dans laquelle s’engage le Bénin.


De gauche à droite, Etienne Arèmon, Erick Ahouansou et Francel Aris Dagbéto
12 tableaux pour Erick Ahouansou, autant de toiles pour Francel Aris Dagbéto, une installation et 4 œuvres du côté d’Etienne Arèmon. Des productions relevant d’une résidence de création. Voilà le contenu de l’événement intitulé, ’’Exposition 3 en 1’’, qu’il est permis au public d’aller visiter, durant tout le mois de décembre 2015, à la Salle d’exposition du Centre culturel chinois de Cotonou. Ces 3 artistes plasticiens ont placé cette présentation du fruit de leur inspiration artistique sous le signe d’un thème essentiel : le dialogue.
De profil, par rapport à ses tableaux dont il a accepté de commenter le contenu, Erick Ahouansou, de son nom d’artiste, Dah-Jah, définit d’une manière très simple le dialogue : une « source de compréhension ». Il le considère, en outre, comme la « première qualité d’une nation unie », ce qui l’amène à appeler à son entretien permanent au Bénin par sa pratique au niveau des présidentiables dont il décèle chez certains une candidature non convenable, vu qu’elle vise juste, selon lui, à faire valoir leur honneur, leur ego, ou à réagir face à une autre candidature, alors que ces personnalités détiennent les moyens de tous ordres pour travailler au développement du Bénin, sans être Président de la République ; ils les appellent à dialoguer avec eux-mêmes, avec leur « fond intérieur », afin qu’elles réussissent à déceler ce qui leur revient comme réelle mission pour la construction du Bénin. « Le dialogue bien ordonné commence par soi-même », conclut-il.


Aperçu des toiles bien encadrées d'Erick Ahouansou
Ainsi, la matérialisation de cette conception se traduit, sur la plupart de ses toiles, par la représentation stylée, il est vrai, d’instruments de la musique africaine : du tambour, du tambourin, de la kora, des gongs, des castagnettes, entre autres. Ainsi, tout porte à croire que ces outils servant à créer une harmonie rythmique accompagnant une chanson, aboutissent à la musique qui, adoucissant les mœurs, deviennent sûrement un facteur de dialogue. Mais, Erick Ahouansou insiste sur la symbolique du damier fondant son approche, ce damier incarnant les deux facettes complémentaires régissant un jeu d’intelligence bien connu, un damier incarnant la dualité du yin et du yang, « l’éternel féminin et l’éternel masculin », notamment, dont la révélation de l’un par l’existence de l’autre contribue à la création de l’harmonie.
En outre, l’interpellation de soi, la musique et l’harmonie relevant de la complémentarité entre le yin et le yang, ne sont pas l’unique marque du dialogue. Pour l’artiste, sa technique de travail inspire aussi cette valeur : le pointillisme. Cette démarche consiste à bâtir ses représentations à partir de points, ce qui suscite une qualité sous-jacente : la patience, « une technique au rythme de la nature, l’alchimie du dialogue qui induit la patience d’écouter », précise-t-il. 


L'oeuvre ''Ô kan ran''

Et, l’analyse qu’il en présente révèle la nécessité de cette qualité chez l’être humain pour suivre l’autre, pour le comprendre, pour l’accepter et, enfin, pour échanger, de manière constructive, avec lui. Cette qualité, il la vit intensément par un pointillisme vivement absorbeur de temps mais producteur de toiles qui soignent, comme celles exposées au Centre culturel chinois, esthétiquement encadrées, qui nourrissent et épanouissent le regard, à l’image du tableau, ’’Ô kan ran’’, qui se démarque. Il représente la tête d’un coq, l’oiseau réveilleur qu’Erick Ahouansou n’hésite pas à traduire comme le divin, vu inévitablement que son chant ordonne le ton de chaque journée.



Le ’’costumisme’’ de Francel Aris Dagbéto

Une douzaine de toiles aussi, dont 11 restituent des tendances originales de bustes costumés. Pour Francel Aris Dagbéto, ce choix reste un symbole fort de la dénonciation de la valorisation à outrance de l’apparence étant le fondement du premier jugement fabriqué par l’être humain ; si elle attire, elle laisse une bonne impression qui sert à cataloguer positivement celui qui en est le propriétaire. Dans le cas contraire, si elle repousse, elle sert presque définitivement à établir une mauvaise image de celui qui la porte. Dans les deux cas, la société ne cherche à rien savoir de l’être réel se cachant derrière l’apparence de l’habit. C’est ainsi que le cri d’alarme de l’artiste se fait clair : « Il faudra aller au-delà des apparences, au-delà du physique et accepter l’autre tel qu’il est … ».


Vue sur quelques-uns des ''costumes'' exposés par Aris Dagbéto
De cette manière, à en croire ses réflexions, le dialogue s’instaure et, de surcroît, l’objet qui sert à ouvrir l’habit et qu’on nomme la ’’fermeture-éclair’’ subit un changement de nom, ce qui, pour lui, devient l’ ’’ouverture-éclair’’. En effet, cet outil ouvre plus qu’il ne ferme et constitue, selon lui, l’incarnation du vrai dialogue dont l’essence est le « dialogue avec et en soi-même », sans lequel il ne pourrait être fructifié le dialogue de la personne avec les autres. Donc, c’est en retournant en lui-même que l’être humain apprendra à percevoir l’autre dans la juste mesure de ce qu’il est, et non à partir de sa ceinture dorée ou non.


L'oeuvre, ''Xo do to''
Cependant, une sorte de cheveu dans la soupe, le 12ème tableau qui s’isole par la démarche particulière de construction : ’’Xo do to’’, en fon, celui qui porte la parole. Cette toile manifeste une technique mixte de récupération basée sur l’expérience personnelle du créateur Aris qui a inconsciemment oblitéré un objet ramené de la ville, devant servir de socle à une oeuvre. Ainsi, il conclut, devant l’impossibilité de restituer la forme première de l’élément : « Ce que la parole détruit ne peut jamais être reconstitué », ce qui l’amène au concept de la toile exposée : « Le ’’xo do to’’, c’est celui qui parle, il doit être vigilant, il doit savoir parler ; chacun doit pouvoir être un messager positif, c’est cela qui construit le dialogue : on peut tout dire et tout faire, mais il faut savoir y mettre la manière », finit-il.



Etienne Arèmon, l’inculturé

Se rapportant au 3ème mousquetaire du concept du ’’Dialogue 3 en 1’’, Etienne Arèmon, 4 toiles, ’’Unité’’, ’’Solidarité’’, ’’Ensemble’’, notamment, révèlent son ancrage dans une profonde force récupératrice. Mais, ’’Dialogue’’ dicte une loi d’airain ; il s’agit d’une installation géométriquement rectangulaire : un tapis couleur rouille foncée réglemente le positionnement des autres objets. A la largeur de face, la carte du Bénin de bois noir, debout, tenant en respect les deux longueurs constituées  de 8 personnages sur chacune d’elles, qui se termine par un support en bois hébergeant, à gauche, une bible et, à droite, le coran.

L'installation, ''Dialogue'', d'Etienne Arèmon
A en croire l’artiste, cette installation, intitulée, ’’Dialogue’’, est un appel à l’entente, à la cohabitation inter-religieuse sans laquelle il n’y a pas de paix. Ainsi, ce qui se laisse identifier comme 16 personnages, ce sont les 16 signes fondamentaux du fâ, « l’alphabet de nos ancêtres », donc, la représentation de la religion endogène africaine, les livres saints incarnant respectivement le christianisme et l’islam. Selon lui, il s’agit, pour lui, par cette œuvre, d’ « éveiller les consciences et d’amener à la culture de la paix », d’où un conseil très édifiant : « Pour amener l’autre à sa religion, c’est par le dialogue, mais, il faut mettre de côté les pratiques religieuses et avoir à l’œil le Bénin, surtout en cette période sensible de l’élection présidentielle de 2016 ».


''Unité'' d'Etienne Arèmon
Une exposition globalement édifiante mais, qui n’a pu connaître la participation au vernissage du Ministre de la Culture, Paul Hounkpè, et de ses Directeurs techniques, parmi lesquels le premier responsable du Fonds d’aide à la culture, l’institution dont le financement a été déterminant dans l’organisation de l’événement. Il n’y a aucun doute que les jours à venir  verront ces autorités aller découvrir le fruit de la création opportune et réaliste de cette crème d’artistes béninois.


Marcel Kpogodo